N° 777

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juillet 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur l' avenir du corps diplomatique ,

Par MM. Jean-Pierre GRAND et André VALLINI,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Abdallah Hassani, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard .

INTRODUCTION

L'annonce de la suppression de l'ENA a soulevé bien des débats et le remplacement des grands corps de l'État par un corps unique d'administrateurs de l'État a donné lieu à l'expression de bien des inquiétudes. Les diplomates ont, un temps, crû être épargnés par la réforme, avant que le Ministre de l'Europe et des affaires étrangères, alors en poste, n'en vienne finalement à rechercher, non plus l'exemption inatteignable, mais l'articulation de la réforme de la haute fonction publique souhaitée par le Président de la République avec les nécessités du métier diplomatique « fondé sur des compétences rares, construites dans la durée » 1 ( * ) .

Le décret précisant les modalités d'application de la réforme aux corps diplomatiques paru le 16 avril, a suscité des tribunes inquiètes des personnels regroupés en collectifs, des prises de positions politiques au coeur de la campagne électorale présidentielle, et la première grève des personnels du Quai d'Orsay depuis deux décennies, massivement suivie, le 2 juin dernier.

Dans ce contexte, vos rapporteurs se sont fixé une feuille de route exigeante : analyser objectivement la réforme appliquée aux métiers diplomatiques et évaluer son impact sur les personnels et sur le rayonnement de la France.

Ils recommandent la suspension de la réforme et jugent nécessaire, à l'issue de leurs investigations, de présenter des recommandations susceptibles de préserver l'efficacité de l'outil diplomatique français au début d'un XXIème siècle caractérisé par la reprise de la guerre en Europe, l'expression agressive des États-puissance sur tous les théâtres géopolitiques, par la remise en cause de l'ordre international, de l'architecture de sécurité et du multilatéralisme hérités de la seconde guerre mondiale et plus généralement par la multiplication des crises dans les champs politique, sanitaire, écologique et économique.

I. UNE RÉFORME MAL PERÇUE PAR DES PERSONNELS DÉJÀ ÉPROUVÉS

1. Un encadrement du Quai d'Orsay et des fonctions diplomatiques qui ne sont plus réservés aux diplomates de métier

La réforme modifie profondément les conditions d'accès à la haute fonction publique. Elle généralise la fonctionnalisation des postes d'encadrement supérieur de l'État et la généralisation des statuts d'emplois, qui pourront désormais déroger à certaines dispositions du statut général de la fonction publique. La plupart des corps de la catégorie A+, quel que soit leur ministère de rattachement (intérieur, santé, MEAE, etc.), ont été fusionnés au sein d'un seul corps interministériel : celui des administrateurs de l'État. C'est-à-dire que tous les fonctionnaires qui appartiennent désormais à ce nouveau corps unique ont vocation à servir au sein d'une succession de ministères, selon un parcours plus fluide qu'auparavant, que chaque agent devra construire en se portant candidat aux offres de postes à pourvoir quand il le souhaitera. Ceci signifie que les corps de la Haute fonction publique n'ont plus ni exclusivité ni priorité pour accéder aux postes d'encadrement supérieur de l'État.

Outre les postes d'ambassadeurs, les postes de directeurs, chefs de service, sous-directeurs et consuls généraux ne sont plus l'apanage des personnels du Quai d'Orsay !

Dans le domaine diplomatique, l'article 13 de la constitution 2 ( * ) confie un pouvoir discrétionnaire 3 ( * ) de nomination des ambassadeurs au Président de la République. La réforme de l'encadrement de la Haute fonction publique n'y revient pas. En revanche, elle étend de fait la non-exclusivité pour les personnels au Quai d'Orsay à tous les postes de niveau A+. Ainsi, l'exception de non-exclusivité, qui valait pour les ambassadeurs, devient la règle. Tous les postes de niveau ministres plénipotentiaires et conseillers des affaires étrangères entrent dans le champ de la réforme et ont désormais vocation à être pourvus par des administrateurs de l'État. Ceci signifie que peuvent être nommés, depuis l'entrée en vigueur de la réforme, le 1 er janvier 2022 :

- aux postes d'ambassadeurs, directeurs, chefs de service, sous-directeurs et consuls généraux,

- des administrateurs d'État issus 1/du nouvel Institut national du service public, l'INSP, qui remplace l'ENA, 2/de l'un des 17 corps mis en extinction par le décret du 1 er décembre 2021 4 ( * ) : soit outre les corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires, les corps des sous-préfets, des préfets, de l'inspection générale des finances, de l'inspection générale de l'administration au ministère de l'intérieur, de l'inspection générale de l'agriculture, de l'inspection générale des affaires culturelles, des inspecteurs généraux et inspecteurs de l'administration du développement durable, du contrôle général économique et financier, des administrateurs des finances publiques, des administrateurs du Conseil économique, social et environnemental, de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, ainsi que 3/les 2 600 administrateurs civils et les 76 conseillers économiques qui ont été versés au corps des administrateurs d'État sans droit d'option.

2. Une réforme menée par ordonnance non ratifiée et à laquelle le Sénat s'est opposé

Cette réforme essentielle pour la diplomatie de la France a été décidée sans que le Parlement n'ait été invité à se prononcer.

Lors de la convention managériale de l'État du 8 avril 2021 5 ( * ) , le Président de la République a posé les fondements de la réforme de l'encadrement supérieur de l'État et d'une haute fonction publique qu'il souhaite plus ouverte, plus forte et plus attractive. L'encadré suivant présente les trois axes principaux de cette réforme et leurs déclinaisons concrètes : la création du corps interministériel des administrateurs de l'État et la mise en extinction des deux corps d'encadrement supérieur du Quai d'Orsay, celui des conseillers des affaires étrangères et celui des ministres plénipotentiaires , ainsi que la mise en place de l'Institut national du service public et de la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (DIESE).

Les trois objectifs de la réforme de l'encadrement supérieur de l'État :
pour une haute fonction publique plus ouverte, mieux formée et mieux gérée

1. L'ouverture de la haute fonction publique et la diversification des profils de recrutement sont le premier objectif affiché. Le dispositif « Talents du service public » vise ainsi à permettre à chaque jeune d'avoir toutes ses chances d'intégrer la fonction publique en luttant contre « l'autocensure face au concours de la fonction publique » et en diversifiant la haute fonction publique au sein de laquelle la diversité sociale s'est réduite depuis 15 ans. Ont ainsi été créées 93 classes préparatoires, dites « Prépas Talents du service public », présentes sur tout le territoire et accueillant 2 000 étudiants boursiers à la rentrée 2022 (1 700 en 2021). Une nouvelle voie d'accès à six concours de la fonction publique (INSP, administrateur territorial, directeur d'hôpital, directeur des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, commissaire de police, directeur des services pénitentiaires) est ouverte à titre expérimental de 2021 à 2024. Cette nouvelle voie d'accès est destinée aux élèves des Prépas Talents et des classes préparatoires intégrées des trois années précédentes et leur offre entre 10 et 15 % des places offertes aux six concours externes précités.

2. Le deuxième objectif était la réforme de la formation , avec le remplacement de l'ENA par l'INSP qui a vocation (a/) à assurer la formation initiale des futurs hauts fonctionnaires qui rejoindront essentiellement le corps des administrateurs de l'État, (b/) à assurer la conception et la mise en oeuvre d'un tronc commun à 14 écoles d'encadrement supérieur des trois versants de la fonction publique, (c/) enfin à coordonner et assurer le suivi des programmes de formation continue pour l'ensemble des cadres supérieurs de l'État et développer un programme de formation aux fonctions de direction en s'appuyant sur des liens renforcés avec la recherche et le monde académique.

3. Enfin, le troisième objectif est la réforme du déroulement des carrières des cadres supérieurs et se traduit par la création du corps interministériel des administrateurs de l'État à compter du 1 er janvier 2022. En découle la mise en extinction de 14 corps existants, dont les deux corps d'encadrement supérieur diplomatique du Quai d'Orsay (conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires). La refonte des parcours de carrière des cadres supérieurs se traduit également dans l'ambition d'une gestion des ressources humaines, plus stratégique et davantage individualisée, animée par la DIESE, créée le 1 er janvier 2022. Elle doit d'offrir, en lien avec l'ensemble des ministères, de meilleures conditions d'accompagnement des cadres supérieurs dans une logique d'évaluation et de mobilité.

Cette réforme de la haute fonction publique a été menée par ordonnance , comme l'autorisait la loi de transformation de la fonction publique. Le projet de loi de ratification a été déposé à l'Assemblée nationale dans le délai imparti, mais n'a pas été inscrit à l'ordre du jour .

Le Sénat a choisi, pour pouvoir débattre de cette réforme majeure, de déposer une proposition de loi proposant la ratification de l'ordonnance du 2 juin 2021. Le 30 septembre 2021, il l'a rejetée exprimant ainsi ses profondes réserves à l'égard de la réforme de la haute fonction publique telle que menée par le gouvernement. Cette procédure est détaillée dans l'encadré suivant.

Une réforme menée par ordonnance dont la ratification a été rejetée par le Sénat

L'article 59 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a autorisé le Gouvernement à intervenir dans le domaine de la loi pour, tout « en garantissant le principe d'égal accès aux emplois publics, fondé notamment sur les capacités et le mérite, et dans le respect des spécificités des fonctions juridictionnelles, réformer les modalités de recrutement des corps et cadres d'emplois de catégorie A afin de diversifier leurs profils, harmoniser leur formation initiale, créer un tronc commun d'enseignements et développer leur formation continue afin d'accroître leur culture commune de l'action publique, aménager leur parcours de carrière en adaptant les modes de sélection et en favorisant les mobilités au sein de la fonction publique et vers le secteur privé ». Sur ce fondement, a été adoptée l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État.

Conformément à l'article 38 de la Constitution qui impose, à peine de caducité d'une ordonnance, le dépôt d'un projet de loi de ratification dans le délai qui doit être fixé par la loi d'habilitation, en l'occurrence 3 mois à compter de la publication de l'ordonnance, un projet de loi de ratification a été déposé à l'Assemblée nationale dans le délai imparti. Il n'a pas été inscrit à l'ordre du jour.

Prenant acte de cette situation, le Sénat a déposé le 2 août 2021 une proposition de loi (PPL) n° 807 (2020-2021) de MM. Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Guillaume Gontard, Jean-Pierre Sueur et François-Noël Buffet tendant à permettre l'examen par le Parlement de la ratification de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État. Le 30 septembre 2021, le Sénat a rejeté cette PPL proposant la ratification de l'ordonnance du 2 juin 2021, exprimant ainsi une réelle inquiétude, transcendant les clivages politiques du Sénat, à l'égard de la réforme de la haute fonction publique menée par le gouvernement.

Le gouvernement n'a pas inscrit, à ce jour, le projet de loi de ratification à l'ordre du jour de la session extraordinaire. Hors session extraordinaire, l'Assemblée nationale pourrait déposer une PPL ratifiant et/ou modifiant l'ordonnance du 2 juin 2021, toutefois, il semble difficile de réunir une majorité pour adopter ce texte.

3. La refonte permanente du Quai d'Orsay : une capacité d'adaptation à l'épreuve des réformes successives

L'un des objectifs de la réforme de l'encadrement de l'État est de permettre sa meilleure adaptation aux enjeux du XXIème siècle . Or, la capacité du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et de ses personnels à s'adapter n'est plus à prouver. Dans la période récente, le ministère a su diversifier ses missions et ses savoir-faire :

- en 1998, il a absorbé le ministère de la coopération ,

- en 2012, la diplomatie économique 6 ( * ) est rattachée, de haute lutte avec le ministère de l'économie, au ministère des affaires étrangères. La montée en puissance a été rapide. Une direction dédiée au dialogue avec les entreprises a été créée dès 2013 au sein du ministère des affaires étrangères et du développement international. La Direction générale de la mondialisation (DGM) est devenue depuis la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats 7 ( * ) . Son périmètre a évolué pour faire d'elle la direction des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme. La DGM a su recruter hors MEAE les expertises spécifiques nécessaires (dans les domaines de la santé, de l'analyse économique, des forêts, de la propriété intellectuelle, etc.) pour les allier avec les métiers diplomatiques et mener à bien ses missions. Dès 2016, on estimait que les ambassadeurs consacraient 40 % de leur temps à la gestion des enjeux économiques,

- en 2015, une réforme générale du réseau diplomatique visait à adapter les moyens drastiquement réduits du Quai d'Orsay à la géographie des intérêts français. Il a été décidé de différencier les missions des différentes ambassades afin de préserver l'universalité du réseau en gestion contrainte. Ceci s'est traduit par la transformation de 25 ambassades en postes de présence diplomatique (PPD) 8 ( * ) et l'obligation de trouver de nouvelles solutions pour effectuer en effectifs extrêmement réduits les missions assignées.

Un autre objectif de la réforme visait l'amélioration de la formation initiale et permanente des hauts fonctionnaires . Là encore, le ministère des affaires étrangères s'est doté dès 2010, de l'Institut diplomatique et consulaire (IDC) pour répondre au besoin de formation initiale au sein du Quai, au besoin de formation des diplomates confirmés, accédant aux emplois d'encadrement supérieur et/ou partant en poste à l'étranger et à la nécessité de former les contractuels recrutés par le ministère. Il propose plusieurs cycles de formation à ces fins, présentés dans l'encadré suivant.

Les 4 cycles de formations délivrés par l'IDC

1. Le cycle de formation initiale

Cette formation a été mise en place dès 2010. Les principaux objectifs qui lui sont assignés sont la sensibilisation des nouveaux agents à la culture professionnelle du ministère, la cohésion de groupe et l'esprit de promotion ainsi que l'acquisition des premiers savoir-faire professionnels. La plupart des agents concernés sont issus de concours à fort contenu académique. C'est pourquoi, la session de formation initiale est essentiellement axée sur la pratique, les compétences et le brassage des expériences. Elle appelle une pédagogie participative et s'appuie largement sur une formation par les pairs . Au terme de leur parcours initial, les auditeurs doivent avoir acquis des repères solides sur leur environnement administratif, ainsi que sur les métiers et les valeurs du ministère (travail en équipe, bonnes pratiques, déontologie notamment).

La formation linguistique fait pleinement partie de cette formation avec un accent mis sur le perfectionnement en anglais. Ceci ne se fait pas aux dépens du plurilinguisme puisque la formation linguistique des nouveaux agents dépasse largement le strict cadre de la session de l'IDC. Les nouveaux agents s'engagent en effet, pour la durée de leur première affectation en administration centrale, à suivre des cours dans une ou deux langues correspondant aux besoins et intérêts du ministère.

Le cursus est obligatoire La participation des agents aux différents ateliers pratiques et travaux de groupe est évaluée et prise en compte, notamment dans le cadre de leur titularisation.

2. La formation continue : le cycle à mi-carrière

Le premier cycle de formation à mi-carrière a été lancé dès 2011. Ce cycle s'adresse à des agents ayant en moyenne 15 ans d'ancienneté et accédant pour la première fois, à la faveur d'un retour en administration centrale, à des fonctions de directeur adjoint, de sous-directeur ou de chef de mission. Cette formation permet de constituer un vivier d'agents exerçant des fonctions d'encadrement supérieur au sein du MEAE .

L'objectif prioritaire est de renforcer les compétences managériales et les capacités de leadership des diplomates tout en approfondissant leurs connaissances sur des enjeux prioritaires de l'action internationale de la France (diplomatie économique, diplomatie d'influence, sécurité et défense, questions européennes, changement climatique notamment).

3. La préparation au départ en poste de l'encadrement supérieur

Ces formations s'adressent aux membres de l'encadrement supérieur du ministère qui, pour la première fois, sont appelés à occuper des fonctions de chef de poste, de numéro 2 d'ambassade ou encore d'officier de sécurité.

Elles mettent l'accent sur les compétences en matière de communication, de leadership et de management, de sécurité diplomatique et de gestion de crise avec des ateliers de mise en pratique. Ces formations comportent une forte dimension de retours d'expérience et des interventions de cadrage des principaux responsables du ministère . Un point sur les principaux thèmes d'actualité de l'action extérieure de la France est également au programme.

4. La préparation aux nouvelles fonctions d'encadrement et à l'intégration au ministère

L'IDC organise également des formations au management pour les nouveaux chefs de bureau/pôle/secteur ainsi que des stages d'intégration pour les nouveaux agents contractuels de catégorie A.

Source : Site du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/les-metiers-de-la-diplomatie/depuis-la-france-des-fonctions-fondamentales-pour-la-diplomatie/la-formation-des-diplomates-et-des-agents-du-meae/article/l-institut-diplomatique-et-consulaire

La réforme de la haute fonction publique est également présentée comme devant faciliter la diversification des profils recrutés. Le MEAE s'est emparé de cette priorité. La première édition de l'Académie diplomatique s'est tenue du 30 août au 3 septembre 2021, à la Courneuve, sur le site des Archives diplomatiques. Elle a rassemblé des jeunes lycéens et étudiants de tous horizons. Après une semaine de découverte et de formation aux missions et aux métiers de la diplomatie française, les 150 lycéens et étudiants sélectionnés (sur 700 candidats) ont obtenu un certificat « Talents de la diplomatie » et ont découvert comment rejoindre le Quai d'Orsay auquel leur parcours ne les prédisposait pas. Les lauréats étaient pour les 2/3 d'entre eux 9 ( * ) des femmes, pour 79 % d'entre eux des boursiers. Un tiers d'entre eux étaient élèves de lycées ou universités de province, un tiers parisiens, et un tiers issus des départements d'Ile-de-France, autres que Paris (15% des participants venant du département de la Seine Saint-Denis).

Enfin, la réforme de la haute fonction publique promeut une approche plus interministérielle pour une meilleure efficacité de la haute fonction publique . Là encore, le Quai d'Orsay a récemment mis en oeuvre une refonte interministérielle de grande envergure, avec une grande économie de moyens . Appliqué à partir de 2018, le programme de transformation Action publique 2022 (AP2022) se voulait être une réflexion stratégique sur l'organisation et les missions de l'État à l'étranger. Son application au MEAE visait à donner à l'ambassadeur les moyens de gérer son ambassade et à le placer au coeur de l'organisation interministérielle de l'État dans sa projection internationale avec un objectif concomitant de diminution de 10 % de la masse salariale des personnels à l'étranger . L'encadré suivant détaille le programme AP2022.

AP2022 : principes et déclinaison fonctionnelle

Le Premier Ministre avait alors précisé les difficultés concrètes rencontrées par les ambassadeurs à au moins deux niveaux :

- l'impossibilité de pouvoir proposer la composition des équipes et les modalités de leurs actions communes aboutissant à l'hypertrophie des fonctions dites support qui représentaient 30 % des ETPT à l'étranger,

- l'incapacité d'avoir une vision claire de la présence des effectifs à l'étranger, de leur métier et de leurs objectifs. Le réseau « CORINTE », censé répondre à cette nécessité, ne s'étant jamais réuni au niveau politique, n'était pas pleinement opérationnel.

La réforme devait s'organiser en trois étapes :

- le PLF 2019 était la première étape. Elle prévoyait le regroupement des crédits de façon à assurer aux ambassadeurs la capacité de piloter les fonctions support de l'ensemble des réseaux de l'État à l'étranger,

- la seconde étape relative à ce pilotage des réseaux de l'État à l'étranger chargeait le MEAE chaque année au début du printemps de proposer une évolution des réseaux de l'État à l'étranger par métiers et par géographie, sur la base des analyses transmises par les ambassadeurs. Après consultation des ministères concernés, un schéma d'emploi global, décliné par pays et par fonction devait être arrêté (après arbitrage de Matignon),

- la troisième étape était présentée comme la conséquence logique de cette réforme et portait sur les économies attendues, soit 10 % de la masse salariale d'ici 2022 correspondant à environ 110 millions d'euros. La proportion des fonctions support à l'étranger devaient rapidement baisser en deçà de 25 % des ETPT au lieu de 30 % aujourd'hui. Il était envisagé de remplacer des fonctionnaires expatriés par des agents de droit local, par exemple dans les services culturels et économiques, en particulier en Europe.

L'application de la réforme au ministère des affaires étrangères devait se dérouler sur 4 ans, de 2019 à 2022. Le PLF 2019 prévoyait la mutualisation des fonctions supports - chauffeurs, secrétaires, interprètes, agents d'entretien - regroupées sous un même chapeau. Ainsi unifiée sous l'autorité de l'ambassadeur, la gestion devait être simplifiée et le coût de leur fonctionnement rationnalisé. Conséquence de ce transfert des fonctions support au ministère des Affaires étrangères, 387 ETP ont été versés au Quai d'Orsay, soit 11 millions d'euros de dépenses de personnel ainsi que 15 millions d'euros de frais de fonctionnement et 215 biens immobiliers . Le PLF 2019 prévoyait également une économie de masse salariale de 13 millions d'euros et 130 ETP pour le MEAE . La baisse de masse salariale variait selon les postes. Ainsi, les postes de présence diplomatique, avec un effectif de trois à cinq personnes - dont l'ambassadeur - ne contribuaient pas à l'effort. Ceux dans un pays en crise ou de sortie de crise, ou dont la fragilité institutionnelle justifiait de maintenir intacte l'empreinte française étaient les moins impactés, en théorie à 7 %. Les postes de nos principaux partenaires stratégiques, situés dans des pays à intérêt diplomatique fort dans leur environnement régional, étaient également taxés à 7 %. Enfin, les grands postes auprès de nos partenaires multilatéraux, les États du P5, les postes européens ou certains grands postes de pays émergents étaient mis fortement à contribution, avec une réduction des effectifs de 13 %. Les autres postes étaient taxés à 10 %.

L'année 2019 a donc été la première année d'exécution de la modernisation du réseau des ministères à l'étranger et de la mise en oeuvre des efforts de productivité, de mutualisation et de rationalisation. Elle s'est caractérisée par un certain flou, voire un tâtonnement : la diminution de masse salariale qui devait atteindre 13 % du total a vu ses contours plusieurs fois redéfinis. Il a été décidé de prendre en compte dans le périmètre de la réforme les diminutions de masse salariale déjà réalisées depuis juillet 2018. Puis l'objectif de contraction de la masse salariale pour le MEAE a été ramené à 5,9 %. Finalement cette réforme s'est traduite, sur la mission « Action extérieure de l'État », en 2018 par 80 suppressions de postes, 160 en 2019 et 80 prévus en 2020 et en 2021 . L'effort devait porter pour ces deux dernières années sur la chancellerie politique pour préserver les services de soutien (avec 38 suppressions de postes en chancellerie prévus en 2020 au titre de cette réforme, alors que 15 ETP étaient versés par les autres ministères pour parfaire la mutualisation des services de soutien). La CAED avait appelé à la prudence sur la mise en oeuvre de cette réforme, alertant sur ses conséquences potentiellement néfastes , plaidant pour son ajustement poste par poste, pour la prise en compte des recommandations des ambassadeurs plutôt que pour l'application de formules arithmétiques à un appareil diplomatique déjà éprouvé 10 ( * ) . L'apparition de la pandémie mondiale de Covid 19 a conduit à la suspension puis à l'abandon d'AP2022.

Si la pandémie mondiale de Covid 19 a induit la suspension puis l'abandon du programme AP2022, il apparaît que l'effort qui devait être réalisé pesait essentiellement sur le Quai d'Orsay qui devait supprimer 416 des 492 ETP prévus, soit 84,55 % des réductions de postes.

Après les deux premières années d'exécution de la réforme (avant son arrêt), le Quai d'Orsay avait supporté la suppression de 250 des 268 ETP concernés, soit 93 % de l'effort consenti , comme le montre le tableau ci-après présentant le calendrier envisagé des suppressions d'ETP au titre d'AP2022.

Suppressions nettes d'ETP par ministère et par année

2018

2019

2020

2021

2022

Total général

Europe et Affaires étrangères

-90

-160

-81

-85

0

-416

Affaires sociales

-1

-2

0

-3

Agriculture

-1

-1

-1

0

-3

Armées

-1

0

-3

-13

0

-17

DGDDI

-1

-4

-2

-2

-9

DGFIP

-1

-1

-2

DG Trésor

-5

-1

-7

-6

-1

-20

INTERIEUR

-1

-4

-2

-4

-6

-17

MAS

-1

0

-1

MTES/DGAC

-1

-1

0

-2

-4

Total général

-99

-169

-102

-113

-9

-492

4. Un ministère des affaires étrangères sur le fil après des efforts continus

Moins 50 % des effectifs en 30 ans, une réduction 4 fois plus importante que les effectifs de la fonction publique d'État ces 15 dernières années : une pression continue sur le Quai

Le bilan des précédentes réformes menées par le MEAE est le suivant : le lissage des « Grands formats » a permis la suppression de 350 postes, les PPD 50 postes, AP2022 250 postes. Ces chiffres déjà importants ne sont que les aspérités identifiables d'un mouvement de fond d'attrition des moyens humains du ministère, disproportionné par rapport aux efforts pesant sur l'ensemble de la fonction publique.

Ainsi, entre 2006 et 2019, en 15 ans, alors que les effectifs de la fonction publique étaient réduits de 3,84 %, ceux du Quai d'Orsay ont diminué de 15,43 %, soit 4 fois plus . La part des effectifs du ministère de l'Europe et des affaires étrangères dans la fonction publique est ainsi passée de 0,66 % à 0,58 %. On estime que les effectifs du ministère ont baissé de 30 % en dix ans et de 50 % en trente ans.

Un ministère déjà caractérisé par une forte ouverture : 19 % des ambassadeurs et 41 % des chefs de service du MEAE ne sont pas des diplomates

Le Quai d'Orsay est l'une des administrations les plus ouvertes et diversifiées (52% des agents sont contractuels, 20% de l'encadrement n'est pas issu du corps diplomatique). Il accueille de fortes proportions de personnels extérieurs au ministère, faisaient valoir 150 jeunes diplomates dans une tribune publiée par Le Monde en novembre 11 ( * ) .

En 2019, 16 % des agents d'encadrement supérieur du ministère étaient d'ores et déjà en mobilité extérieure, le graphique suivant présentant leurs organismes d'accueil.

La même année, 19 % des emplois d'ambassadeurs étaient occupés par des personnels en détachement ou intégrés au MEAE, et 41 % des emplois de chefs de service .

En 2019, les agents du MEAE, titulaires et ayant signés un CDI, ne représentaient que 48 % des agents de catégorie A .

La rémunération des agents du Quai est moins favorable que celle de l'ensemble de la fonction publique et s'érode

S'agissant de la rémunération, contrairement à des idées reçues largement ancrées, et fondées sur une perception fausse de l'indemnité de résidence à l'étranger, la rémunération des agents du Quai est moins favorable que celle de l'ensemble de la fonction publique et elle s'érode.

La masse salariale ne représente que 0,86 % des dépenses de personnel de l'État en 2021. Entre 2010 et 2021, les dépenses de personnel ont progressé de 16 % pour les personnels de l'État, contre moins de 12 % pour ceux du MEAE . Enfin, l'écart entre la rémunération médiane au MEAE et la rémunération médiane du ministère le plus favorisé est de 19 % pour les chefs de service , 15 % pour les 5 directeurs adjoints et 24 % pour les 59 sous-directeurs . Pour les experts de haut niveau la différence est de 33 % en défaveur du MEAE.


* 1 Voir la question d'actualité n° 2216G posée le 5 janvier 2022 par Catherine Dumas sur la réforme des corps diplomatiques et la Réponse de Jean-Yves Le Drian, Ministre de l'Europe et des affaires étrangères, publiée dans le JO Sénat du 06/01/2022.

* 2 « Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres. Il nomme aux emplois civils et militaires de l'État. Les (...) ambassadeurs et envoyés extraordinaires (...) sont nommés en Conseil des ministres. (...) ».

* 3 Le Président de la République est libre de nommer la personne de son choix dès lors qu'elle n'est pas membre d'un des corps du MEAE. Il en va ainsi des fonctionnaires et des non-fonctionnaires. En revanche, des contraintes statutaires étaient imposées pour les membres des corps diplomatiques (être ministre plénipotentiaire ou avoir atteint un certain grade du corps des conseillers des affaires étrangères). Il était ainsi impossible de nommer un secrétaire des affaires étrangères, même expérimenté, dans les fonctions d'ambassadeur.

* 4 Décret n° 2021-1550 du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l'État.

* 5 Qui réunissait en téléconférence le Premier ministre en poste, Jean Castex, la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques en poste, Amélie de Montchalin, et les principaux cadres dirigeants de l'État.

* 6 La diplomatie économique consiste à mettre le réseau diplomatique au service de deux objectifs : favoriser le développement des entreprises françaises à l'international et promouvoir l'attractivité du territoire national pour les investisseurs et pour les touristes étrangers.

* 7 Cette direction a 3 missions principales : la diplomatie économique, relevant du ministère de l'Europe et des affaires étrangères depuis 2012, le développement et les biens publics mondiaux et la diplomatie d'influence. Elle anime le réseau de coopération et d'action culturelle de la France à l'étranger, valorise l'expertise française et assure la tutelle ainsi que le pilotage stratégique des opérateurs de l'action extérieure de la France pour le compte du ministère. Sur ce point, la tâche qui lui incombe face à l'Agence française de développement (AFD) devrait être facilitée par la mise en oeuvre de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, comme le recommande la CAED. Enfin, elle soutient l'action extérieure des collectivités territoriales et assure la concertation avec les organisations non gouvernementales engagées à l'international.

* 8 Ces PPD ont été déployés, selon les modalités prévues par la circulaire ministérielle en date du 17 juillet 2015, en deux vagues : la première a concerné les postes suivants : Brunei, Cap-Vert, Érythrée, Guinée-Bissau, Honduras, Jamaïque, Kirghizstan, Libéria, Népal, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Tadjikistan, Trinité et Tobago, Zambie, la seconde : Botswana, Fidji, Moldavie, Monténégro, Namibie, Nicaragua, Paraguay, Salvador, Seychelles, Soudan du sud, Suriname, Turkménistan.

* 9 Soit 2/3 d'étudiants et 1/3 de lycéens, et notamment 7 lycéens de l'étranger (réseau de l'AEFE).

* 10 Voir l'avis n° 149 (2018-2019) du 22 novembre 2018, Tome I - par MM. Ladislas Poniatowski et Bernard Cazeau sur la mission « Action extérieure de l'État », programme « Action de la France en Europe et dans le monde » (Projet de loi de finances pour 2019), et l'avis n° 142 (2019-2020) du 21 novembre 2019, Tome I - par MM. Ladislas Poniatowski et Bernard Cazeau sur la mission « Action extérieure de l'État », programme « Action de la France en Europe et dans le monde » (Projet de loi de finances pour 2020).

* 11 « Que sera une diplomatie sans diplomates, dans un monde de plus en plus imprévisible et complexe ? », Tribune de Suzanne Borel, signature collective de plus de 150 jeunes diplomates. publiée sur le site du Monde à l'adresse suivante :

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/08/que-sera-une-diplomatie-sans-diplomates-dans-un-monde-de-plus-en-plus-imprevisible-et-complexe_6101365_3232.html

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