B. LE CPOM : UN INSTRUMENT QUI N'A PAS FAIT LA PREUVE DE SON EFFICACITÉ

L'histoire de la contractualisation entre les établissements et les autorités tarificatrices et de contrôle est vieille d'un quart de siècle. Deux grands types de contractualisation ont été déployés durant cette période, les conventions tripartites puis les conventions pluriannuelles d'objectifs et de moyens (CPOM). Ces conventions poursuivent un même objectif qui est celui d'organiser un dialogue de gestion entre les autorités tarificatrices et de contrôle et les établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (Ehpad). Le passage des conventions tripartites aux CPOM est le signe d'une évolution des modalités de ce dialogue qui passe d'une relation de tutelle encadrée à une forme d'accompagnement.

Outre leurs fonctions, ces conventions ont un autre point commun, un calendrier de déploiement qui s'étire au-delà des échéances prévues initialement. Les Ehpad avaient initialement jusqu'au 31 décembre 1998 pour signer les conventions tripartites avec les autorités représentant l'assurance maladie et le département. Cette échéance a été repoussée à plusieurs reprises avant d'être finalement fixée au 31 décembre 2008. Le déploiement des CPOM était quant à lui initialement prévu entre 2017 et 2022 avant d'être repoussé à 2024. Si la crise sanitaire peut expliquer ce report, elle ne saurait expliquer à elle seule le retard constaté dans la conclusion des CPOM.

Les retards dans la signature de ces conventions ne sont pas les seules raisons de ce manque d'efficacité des CPOM. Le dialogue de gestion qui fonde la relation contractuelle suppose des moyens humains suffisants. Or, ici les parties au contrat souffrent d'un manque de manque d'ETP spécialisés. Le contenu des contrats peut être une autre explication à la portée limitée de cet instrument. Les CPOM doivent prendre en compte pluriannualité et moyens or nous venons de voir que les modalités de financement des Ehpad sont paramétrées en fonction de l'état de santé des résidents. Il est donc difficile de faire vivre dans une perspective stratégique la partie « moyens » de ces instruments.

1. Contractualiser autour d'objectifs ambitieux

Le passage des conventions tripartites aux CPOM s'inscrit dans une démarche ambitieuse visant à rénover le dialogue de gestion. Ces CPOM ont toujours vocation à poursuivre l'amélioration de la qualité de l'accompagnement et de la prise en charge des personnes hébergées ou accueillies mais en contrepartie de ces objectifs de qualité les autorités de tarification doivent apporter des perspectives pluriannuelles quant au financement des structures. Le CPOM doit constituer un véritable outil de gestion budgétaire au service de la stratégie d'un gestionnaire.

La signature de conventions tripartites a été rendue obligatoire par la loi du 24 janvier 1997 21 ( * ) qui a également introduit la tarification ternaire (soins, dépendance, hébergement) des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). À travers les conventions tripartites, les établissements s'engagent sur des objectifs de qualité en contrepartie d'une augmentation des moyens qui leur sont alloués. La deuxième vague de conventionnement tripartite s'est par ailleurs accompagnée de la mise en place d'une tarification définie en fonction du GIR moyen pondéré soins. Ce processus de médicalisation, qui s'est accompagné en moyenne d'une augmentation de 30 % des dotations allouées aux établissements, a été freiné par les contraintes budgétaires pesant sur le secteur médico-social (faiblesse des enveloppes de médicalisation prévues par chaque loi de financement de la sécurité sociale, contraintes financières pour les départements, qui finançaient à hauteur de 30 % les postes d'aides-soignants et d'aides médico-psychologiques). Comme l'a souligné la Cour des comptes en septembre 2014 22 ( * ) , « le dispositif apparaît ainsi quelque peu grippé, du fait des tensions budgétaires et des carences de l'organisation administrative ».

a) Une réforme portée par la loi ASV qui laisse peu de place aux départements

Les lois relatives à l'adaptation de la société au vieillissement (ASV) et de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2016 et 2017 définissent cette nouvelle ère de la contractualisation du secteur médico-social avec la généralisation du « contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens » (CPOM).

Cette réforme était motivée par les limites de la contractualisation antérieure. En 2014, la Cour des comptes observait que « Les Ehpad sont globalement couverts par des conventions tripartites obligatoires qui associent chaque structure à ses deux autorités de tutelle que sont l'ARS et le département. Cependant, établies selon un cahier des charges déjà ancien et dans des conditions de coordination difficiles à mettre en place entre les entités parties prenantes, ces conventions ne permettent ni d'asseoir une tarification pluriannuelle, ni de promouvoir des performances de gestion, ni de valoriser les mutualisations de moyens. »

La réforme proposée par la loi ASV se fixe des objectifs ambitieux, il s'agit à la fois de rénover les principes de la contractualisation et d'assurer une meilleure articulation entre contractualisation et financement pluriannuels. Le CPOM doit participer à une meilleure structuration de l'offre sur le territoire afin de mieux répondre aux besoins des personnes selon des modalités identifiées et priorisées dans le cadre des plans régionaux de santé et leurs cibles quantitatives et qualitatives opposables et des schémas élaborés localement. C'est également un levier de performance pour les ESMS.

Pour le secteur des Ehpad, le CPOM est présenté comme une source de simplification administrative car il se substitue aux conventions d'habilitation à l'aide sociale départementale quand elles existaient et aux conventions tripartites pluriannuelles. Le CPOM devient aussi le document unique de contractualisation pour le gestionnaire d'un ou plusieurs Ehpad.

Derrière ces considérations sur une contractualisation simplifiée et la rénovation du dialogue de gestion, l'instauration des CPOM accompagne la réforme de la tarification portée par la loi ASV. La loi dispose que le contrat prévoit les modalités d'affectation du résultat. Il convient, en effet, d'aménager lors de la négociation du CPOM un temps d'échange sur cette question afin de projeter un résultat prévisionnel et de s'assurer que l'affectation de ce résultat réponde aux objectifs du CPOM.

(1) Un CPOM cadre proposé par le ministère

Pour accompagner les acteurs locaux dans cette réforme, l'arrêté du 3 mars 2017 propose un modèle de contrat type conçu comme un outil utile aux autorités ayant délivré l'autorisation pour faire évoluer l'offre en tenant compte des problématiques rencontrées localement. Ce modèle de contrat est donc conçu de manière assez souple pour permettre aux acteurs de l'adapter et de définir des objectifs spécifiques propres aux caractéristiques de chacun des territoires.

Cet arrêté est complété par une instruction 23 ( * ) dont l'objet est de proposer une doctrine pour la mise en oeuvre de la réforme de la contractualisation du secteur médico-social, de rappeler les différents enjeux qu'elle recouvre et d'en expliciter les modalités techniques d'application.

Les visas du CPOM renvoient au plan régional de santé et aux différents schémas arrêtés localement. De même, le préambule du contrat-type du CPOM est laissé à la main des acteurs afin qu'ils puissent le personnaliser. Des annexes obligatoires et communes à l'ensemble des CPOM qui doivent être produites spécifiquement :

- la synthèse du diagnostic partagé . Le diagnostic partagé est l'élément fondateur du CPOM, à partir duquel découle l'ensemble des objectifs. Ses principales orientations sous la forme d'une synthèse, doivent être annexées au contrat afin de servir de document de référence ;

- une annexe détaillant la réponse des établissements et services du CPOM aux besoins territoriaux et leur inscription dans l'offre de santé et d'autonomie sur le territoire ;

- une annexe évolutive détaillant les objectifs fixés dans le cadre du CPOM assortis des indicateurs retenus pour en mesurer l'évolution. Cette annexe fait l'objet d'un point d'avancement pour permettre le suivi des objectifs. Pour ce faire, elle fait partie intégrante du rapport d'activités annuel, document transmis en même temps que l'état réalisé des recettes et des dépenses (ERRD).

Le CPOM doit également présenter le plan global de financement pluriannuel (PGFP) simulant la trajectoire financière des établissements et services sur une période glissante de 6 ans, au sein duquel figure notamment le plan pluriannuel d'investissement (PPI). Ce plan pluriannuel est intégré à l'état des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD).

En outre les groupes gérant plusieurs établissements se sont vus offrir (LFSS 2017) la possibilité de conclure un CPOM pour les établissements d'un même département, pour lesquels les financements sont alors fongibles.

Ce cahier des charges permet de mesurer les ambitions attenantes à la rénovation des CPOM.

(2) Les ARS ont élaboré des contrats-types

Les ARS se sont également saisies de la question de l'élaboration d'un contrat-type qui reprend les recommandations formulées dans l'instruction ministérielle.

L'ARS Île-de-France dispose d'un CPOM type contenant l'ensemble des stipulations souhaitées, correspondant à la déclinaison des orientations stratégiques régionales. Par exemple, l'ARS a introduit dans les CPOM un seuil d'excédent (5%) au-dessus duquel le gestionnaire doit engager un échange avec les services sur l'affectation des résultats financiers. Cette règle est progressivement mise en place depuis 2019. L'ARS a également souhaité inscrire dans les CPOM un plafond de charge en dépendance et en soins par catégorie de personnels.

Ce CPOM type est ensuite adapté aux situations spécifiques dans le cadre de la négociation avec les établissements ou avec les organismes gestionnaires au niveau départemental.

L'ARS Nouvelle-Aquitaine a également élaboré un CPOM type et des outils correspondant à chaque catégorie d'établissement, notamment les Ehpad. Les orientations stratégiques de ce CPOM sont réparties autour de 5 axes : parcours et coordination ; repositionnement de l'offre et innovation ; prévention, qualité et sécurité des soins ; personnaliser l'accompagnement ; performance et management de la qualité. Ces orientations sont déclinées en objectifs opérationnels et indicateurs de suivi associés. À noter que l'outil de pilotage informatisé de suivi des CPOM n'est pas déployé de façon complète en Nouvelle-Aquitaine.

Cette pratique des ARS a pour effet de réduire la place laissée aux partenaires départementaux dans cette négociation contractuelle. Auditionné par la commission, le président du conseil départemental des Hauts-de-Seine indiquait que la majorité des objectifs arrêtés dans le cadre des CPOM sont définis par l'ARS Île-de-France de manière uniforme pour tous les établissements de la région. Le département peut toutefois fixer certains objectifs supplémentaires relevant de ses priorités. Ainsi dans les Hauts-de-Seine, sont financés dans le cadre des CPOM des postes de psychologues supplémentaires.

b) Le CPOM : un instrument au service des assouplissements portés par la loi ASV

Dans le prolongement des assouplissements de la réglementation initiés par la loi ASV, le CPOM a pour objectif de moderniser le dialogue entre les pouvoirs publics et les établissements et services médico-sociaux (ESMS) en fixant des objectifs de qualité et d'efficience, en contrepartie de perspectives pluriannuelles sur le financement des établissements, et en déclinaison notamment du schéma régional de santé élaboré par l'ARS de son ressort territorial.

Le CPOM est présenté comme un véritable outil de gestion budgétaire au service de la stratégie négociée d'un gestionnaire. Il doit permettre aux autorités de tarification de mettre en oeuvre, d'une part, les objectifs du projet régional de santé (PRS) et de son schéma régional de santé (SRS) et, d'autre part, les objectifs des schémas départementaux. Ainsi, il doit constituer l'instrument privilégié de déclinaison de la priorité nationale et territoriale dans le domaine d'intervention de la personne morale gestionnaire.

Il donne également l'occasion de mettre en cohérence les objectifs du gestionnaire et de ses structures avec les priorités de politiques publiques établies notamment dans les documents de programmation régionaux et/ou départementaux. Le CPOM peut constituer un levier privilégié pour insérer l'établissement ou le service au sein du territoire, dans une logique de construction de parcours d'accompagnement des publics avec l'établissement de partenariats formalisés avec institutions et professionnels sociaux, médico-sociaux ou sanitaires, le recours à des réseaux d'intervention spécialisés, l'adhésion à des groupes de coopération, etc .

Derrière des objectifs aussi ambitieux, l'instauration des CPOM réforme profondément les rapports budgétaires entre les établissements médico-sociaux financés en totalité ou en partie par l'État et l'autorité tarifaire chargée de leur financement, à savoir l'agence régionale de santé (ARS) et/ou le conseil départemental.

Jusqu'alors la tarification de ces établissements se faisait par campagne budgétaire annuelle, avec une définition de la dotation construite à partir d'un budget prévisionnel établi par l'établissement et la signature d'une convention tripartite. En premier lieu, le procédé présentait deux inconvénients majeurs : sa stricte annualité ne permettait pas aux établissements de développer un projet véritablement stratégique, et ces derniers se trouvaient toujours tributaires de négociations où l'autorité tarifaire conservait le dernier mot (les délibérations des conseils d'administration des établissements étant toujours soumises à l'autorité tarifaire).

Comme nous l'avons souligné précédemment les objectifs chiffrés en matière d'équivalent temps plein (ETP) financés par les dotations soins et dépendance et les clés de répartition des financements de postes sur chacune des sections (par exemple 70% de la masse salariale d'un aide-soignant sur les soins et 30 % sur la dépendance) sont supprimés lors du passage de la convention tripartite au CPOM).

Le CPOM, négocié tous les cinq ans, doit donner a priori à l'établissement signataire une souplesse de gestion dans le temps et décloisonne partiellement les règles d'affectation de dépenses et de résultats. En second lieu, la présentation par l'établissement d'un budget prévisionnel à partir duquel sa dotation était chiffrée organisait le financement du secteur médico-social autour d'un « pilotage par la dépense », sans que soit véritablement questionnée la pertinence de ces dépenses. Or, en contractualisant les « objectifs » et les « moyens », le CPOM a précisément vocation à mieux articuler les seconds aux premiers. La généralisation du CPOM sert donc le double but de donner plus de liberté aux gestionnaires d'établissements et d'améliorer l'allocation des deniers publics au secteur médico-social.

2. Une réforme qui peine à produire ses effets

La loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement (art. 58) rénove la contractualisation entre les autorités tarificatrices. Cette réforme de la contractualisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des petites unités de vie (PUV) est prévue pour s'opérer sur une durée de 5 ans à compter du 1 er janvier 2017.

Ainsi, au 1 er janvier 2022, l'ensemble des Ehpad et des PUV devaient obligatoirement avoir conclu un CPOM avec les autorités ayant délivré leur autorisation. La signature de ce CPOM est obligatoire et en cas de refus de le signer ou de le renouveler de la part de l'organisme gestionnaire, la loi prévoit des sanctions pour ce dernier qui risque une minoration du forfait global de soins (à hauteur d'un montant dont le niveau maximum peut être porté à 10 % du forfait par an).

Les personnes auditionnées ont fait part d'une vision critique du processus de négociation des CPOM, considéré comme long et fastidieux et se sont interrogées sur la capacité des parties au contrat à mener les dialogues de gestion qui doivent en principe servir à faire un point d'avancement sur la mise en oeuvre des actions.

a) Une mise en oeuvre retardée

Le rapport remis par la Cour des comptes à la commission en février dernier pointe le faible taux de signature des CPOM. La Cour estime que moins de 20 % des ESMS avaient conclu un CPOM en 2019 et extrapole, à partir des Ehpad contrôlés à l'occasion de cette enquête que ce « pourrait être un peu plus de 30 % » en 2021.

L'analyse des délais fait apparaître des retards conséquents dans la mise en place des CPOM sur l'ensemble des territoires, il semble qu'aucune région n'atteigne le seuil de 50 % des CPOM conclus.

Dans son enquête, la Cour des comptes cite l'exemple des départements de la Haute-Garonne et de l'Oise.

Le département de Haute-Garonne est une illustration des difficultés rencontrées dans la négociation des CPOM puisque « qu'en 2018, seuls 10 CPOM ont été conclus pour un total de 130 Ehpad, pour les établissements qui disposaient des conventions tripartites les plus anciennes [...] Le département de l'Oise connait un nombre de signatures particulièrement faible : seuls 6 CPOM ont été conclus à ce jour sur les 45 fixés dans le cadre de la programmation pluriannuelle, soit 13,33 % de réalisation . »

Toujours selon l'enquête menée par la Cour des comptes « en Auvergne-Rhône-Alpes, le taux moyen de réalisation relativement élevé (44 %) malgré des écarts significatifs entre départements s'explique par un travail méthodologique ayant permis de construire des outils facilitant la contractualisation. Un nombre réduit d'objectifs socles sont systématisés dans les CPOM, avec la possibilité d'introduire des objectifs complémentaires ciblés (notamment ceux des départements). L'ARS a mis au point un guide des indicateurs (comme par exemple le suivi nutritionnel avec un indicateur de pesée périodique). L'objectif a été de simplifier les outils . »

Les DGARS auditionnés par les rapporteurs de la commission n'ont pas apporté d'éléments de nature à moduler ou remettre en question l'analyse chiffrée faite par la Cour des comptes.

Confronté à cette situation, le Gouvernement a dû desserrer le calendrier initial qui prévoyait la signature des CPOM avant le 1 er janvier 2022. L'instruction ministérielle du 16 novembre 2021 accorde aux directeurs généraux des DGARS un délai supplémentaire de trois ans pour conclure ces CPOM en repoussant la date limite de signature au 31 décembre 2024.

Si la crise sanitaire a incontestablement freiné les possibilités de dialogue de gestion entre Ehpad et autorités tarificatrices et de contrôle, elle ne saurait être considérée comme la seule responsable de ce délai supplémentaire pour achever la mise en place de cette nouvelle contractualisation voulue par la loi ASV. Ces délais sont aussi le signe d'une inadéquation entre l'instrument utilisé, les objectifs poursuivis et les moyens alloués. Le rythme des négociations est également dépendant des disponibilités des médecins de l'ARS dédiés à cette mission. En effet pour chaque CPOM, un médecin du Conseil départemental doit réaliser la coupe GMP (GIR moyen pondéré) des résidents et un médecin de l'ARS la coupe PATHOS (système d'évaluation pour identifier les pathologies des résidents et les soins requis pour définir le projet de soins de l'établissement). En l'absence de l'une des évaluations, le CPOM ne peut pas être conclu.

b) Un contrat unique, des temporalités différentes

Lors des auditions auxquelles il a été procédé dans le cadre de cette mission, nos interlocuteurs ont souligné la difficulté à mettre en place ce dialogue de gestion. Cette mise en oeuvre s'est tout d'abord heurtée à des questions d'organisation et de coordination entre autorités de tarification compétentes. À ces difficultés prévisibles s'est ajoutée au cours des 30 derniers mois la gestion de l'épidémie de covid-19 qui a fait passer au second plan les travaux préparatoires à la conclusion des CPOM.

Au-delà de ces obstacles, tous les interlocuteurs interrogés sur la mise en place des CPOM ont insisté sur la difficulté de faire figurer dans un document stratégique unique des éléments dont la temporalité et les échéances obéissent à des rythmes distincts : autorisations, frais de siège, campagnes budgétaires, coupe pathos déterminant la dotation soins, délégation de crédits non pérennes (crédits non reconductibles ou « complémentaires »).

Aujourd'hui, au regard de la réglementation en vigueur, les autorisations sont délivrées pour 15 ans, sous réserve d'une évaluation externe réalisée tous les 5 ans (contre 7 jusqu'en 2021), alors que les CPOM durent 5 ans. Les notifications de crédits sont quant à elles annuelles et transmises aux établissements à l'issue de la campagne budgétaire. Par ailleurs, le montant des dotations des sections soins et dépendance est calculé sur le fondement d'une équation tarifaire dépendante du profil des résidents de l'Ehpad, sans capacité d'action de l'ARS ou département sur celles-ci. Les procédures d'autorisation et de notification des crédits constituent donc un exercice décorrélé du calendrier de négociation des CPOM en raison de réglementations et de temporalités elles-mêmes différentes.

Dans le cas du secteur privé lucratif, les CPOM concernent, l'ensemble des établissements d'un même groupe dans un département alors que les procédures d'autorisation et de notification des crédits sont individuelles. À cet égard, si la négociation de ces contrats au niveau départemental apparaît pertinente, leur effectivité pourrait être renforcée en y ajoutant des données par établissement afin d'affiner l'analyse, favoriser le dialogue et donner davantage d'objectifs en matière de qualité de prise en charge. Le budget étant basé uniquement sur des équations tarifaires fermées, la finalité et l'apport du CPOM tels que conçus sont à questionner. Pour les groupes et les gestionnaires pluri-établissements d'un même département, il permet au gestionnaire d'autoriser les flux financiers entre établissements. Il est donc davantage conçu comme un outil de gestion budgétaire et financière à la faveur du gestionnaire qu'un outil stratégique de pilotage par la qualité.

Sans être ingérable, la coordination temporelle de ces différentes négociations apparaît chronophage aux acteurs locaux pour un intérêt pouvant être questionné.

c) Un impact limité sur la recomposition de l'offre

De la même façon, l'objectif de transformation de l'offre est difficile à mettre en oeuvre dans le cadre de la recomposition de l'offre existante dans un contexte de programmation de places limitées (PRIAC) et d'autorisation conjointe ARS/ conseils départementaux des Ehpad.

L'absence de financement complémentaire pérenne pour les Ehpad ne permet pas toujours d'allouer les moyens nécessaires aux objectifs assignés en termes d'organisation et de qualité de prise en charge pour le gestionnaire, même si la poursuite d'objectifs qualitatifs peut aussi se concevoir sans moyens nouveaux. À noter également que la transformation de l'offre passe par la mise en oeuvre d'expérimentations et de dispositifs innovants ; l'absence de programmation pluriannuelle des crédits venant soutenir ces expérimentations ne permet pas d'intégrer ces éléments dans le cadre des CPOM. Aboutir à une véritable transformation de l'offre nécessiterait donc d'attribuer aux financeurs, et donc aux établissements, des crédits pérennes.

Faute de constituer un outil de programmation et de transformation de l'offre, les CPOM sont orientés notamment sur l'amélioration de la qualité de la prise en charge des résidents. Ils comprennent fréquemment des éléments d'autodiagnostic sur la qualité de prise en charge. Ces éléments sont peu confrontés aux évaluations externes et internes réalisées et ne font pas systématiquement l'objet de visites de contrôle des autorités de tarification préalables à la contractualisation. Des objectifs de qualité sont déclinés dans les annexes des CPOM. Selon les ARS et départements, ils sont plus ou moins individualisés. Ils paraissent surtout fortement empreints d'orientations régionales et/ou départementales traduisant des préoccupations communes sur la prise en charge en Ehpad. Leur suivi prévu à mi-parcours n'a pas encore démarré, notamment en raison de la crise sanitaire, intervenue au moment où les bilans intermédiaires des premiers CPOM auraient dû survenir. Il n'a pas été constaté de dispositif permettant d'assurer l'effectivité du suivi. Les contrats ne comportent pas de stipulation concernant la non-atteinte des objectifs.

Qu'ils soient standardisés ou individualisés, les objectifs fixés dans les CPOM ne s'appuient, sauf exception, sur aucun accompagnement financier, ce qui limite leur portée. Au-delà de financements ponctuels, les engagements financiers sont renvoyés aux négociations financières annuelles. Le passage à une tarification automatisant les dotations à partir d'équations tarifaires ne permet pas de réelles négociations, les financements complémentaires étant trop limités pour engager des projets structurants d'innovations ou de transformation de l'offre.

L'intérêt des CPOM par rapport aux conventions tripartites antérieures était de prévoir des clauses de rendez-vous régulièrs entre l'établissement et les autorités de tutelle permettant d'actualiser à un rythme supérieur de ce qui existait auparavant l'évaluation de l'établissement. Ce rythme ambitieux n'a pas été tenu dans une très grande majorité de départements, en partie du fait de la crise sanitaire, en partie du fait des moyens nécessaires pour les conduire de manière systématique vu le volume d'établissements.

Le CPOM n'a pas atteint sa finalité stratégique, faute de véritable dialogue de gestion instauré entre les parties prenantes. Le caractère obligatoire des CPOM induit un certain appauvrissement des échanges du fait d'une certaine « industrialisation » du processus de négociation. Le CPOM ne fait qu'entériner des actions déjà mises en oeuvre, les autorités signataires renvoyant aux appels à projets, à candidature ou à manifestation d'intérêt sur les sujets de transformation ou de développement de l'offre.

d) Les CPOM doivent devenir un instrument de la pluriactivité

La commission des affaires sociales du Sénat a déjà exprimé des propositions pour faire évoluer le contenu des CPOM. Elle souhaite, ainsi qu'elle l'a déjà demandé en 2018 24 ( * ) , que le contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens deviennent un instrument de la pluriactivité.

Un des préalables à la réforme ambitieuse de la prise en charge de la personne handicapée lancée par le Gouvernement précédent repose sur un changement de paradigme : au projet de l'établissement, qui régit l'admission ou le refus de la personne accueillie, doit se substituer le projet personnalisé de la personne, qui doit seul désormais guider le redéploiement de l'offre. Vos rapporteurs plaident pour que ce changement de paradigme s'applique également dans le champ du grand âge.

Les évolutions y sont sans doute plus lentes en raison de la dichotomie que l'on continue volontiers d'entretenir entre le maintien à domicile, lorsque l'autonomie n'est pas atteinte, et l'accueil en Ehpad, seule réponse que les pouvoirs publics pourraient apporter lorsque surgit la dépendance. C'est ignorer les autres formes d'accueil intermédiaires - soutien infirmier à domicile, accueil de jour (AJ) et hébergement temporaire (HT) - qui peuvent être offertes aux personnes, dont elles peuvent être par ailleurs demandeuses et qui peuvent leur permettre de mieux vivre un départ du domicile, réservant l'Ehpad pour les cas les plus extrêmes.

Tout l'enjeu est d'inciter un même gestionnaire d'établissement à développer plusieurs activités correspondant à plusieurs degrés de prise en charge. Un même gestionnaire peut ainsi assumer la charge d'un Ehpad, de plusieurs formes d'hébergement intermédiaire, d'un Ssiad et/ou d'un Saad.

La construction d'un modèle de prise en charge intégré assure autant la diversification de l'offre que l'homogénéité de la couverture territoriale. La mise en oeuvre des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) ; l'article L. 313-12 du CASF prévoit expressément que le CPOM signé par un Ehpad « peut inclure d'autres catégories d'établissements ou de services [médico-sociaux], lorsque ces établissements ou services sont gérés par un même organisme gestionnaire et relèvent du même ressort territorial ».

L'intérêt de la diversification de l'activité du gestionnaire d'établissement ne se limite pas à la personne accueillie. Il est aussi susceptible de retombées positives sur le personnel. Les rapporteurs y voient même une des voies de lutte contre le défaut d'attractivité que subissent les métiers de la prise en charge du grand âge, en raison d'un cantonnement excessif à l'Ehpad.


* 21 Loi n° 97-60 du 24 janvier 1997 tendant, dans l'attente du vote de la loi instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par l'institution d'une prestation spécifique dépendance

* 22 Référé sur le financement des établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (Éhpad) et des adultes handicapés, 11 septembre 2014.

* 23 Instruction n° DGCS/SD5C/2017/96 du 21 mars 2017 relative à la mise en oeuvre de l'arrêté du 3 mars 2017 fixant le contenu du cahier des charges du contrat d'objectifs et de moyens (CPOM) prévu au IV ter de l'article L. 313-12 du code de l'action sociale et des familles et à l'articulation avec le CPOM prévu à l'article L. 313-12-2 du même code).

* 24 Ehpad : quels remèdes ?, Rapport d'information n° 341 (2017-2018) de M. Bernard BONNE, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 7 mars 2018.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page