B. UN CONTRÔLE LIMITÉ PAR LES MOYENS DES AUTORITÉS QUI EN ONT LA CHARGE

La mission rapport IGAS/IGF a mis l'accent sur le nombre de contrôles réalisés par les ARS sur la période 2018-2021 : environ 2 800 missions d'inspection, soit environ 700 par an en moyenne, dans un contexte de covid qui a conduit à une réduction du nombre d'inspections en 2020 et 2021.

Ainsi, sur Orpea, la mission IGAS/IGF a pu s'appuyer sur une quarantaine de rapports d'ARS établis entre 2018 et 2021, soit une dizaine par an, alors que le groupe compte 230 Ehpad. Une partie d'entre eux s'inscrivait dans des orientations nationales de contrôle (par exemple le circuit du médicament en Ehpad).

De l'avis des inspecteurs, sur le plan qualitatif, les rapports d'inspection que la mission a exploités sont globalement riches et ont nourri ses investigations (hormis les aspects financiers et achats et, dans une moindre mesure, les ressources humaines), notamment celle sur les événements indésirables ou encore la prise en charge médicale. Du reste, le rapport montre certaines récurrences dans les rapports de contrôle des ARS sur Orpea, qu'il s'agisse des problèmes relevés par les ARS sur la nutrition ou sur la qualité des soins. Ainsi, les contrôles de terrain, qu'ils soient réalisés par les ARS ou les services des départements, sont adaptés quand il s'agit d'évaluer la prise en charge des résidents.

Le nombre de contrôles identifiés par la mission IGAS/IGF n'est pas négligeable mais reste limité au regard du nombre d'établissements installés sur l'ensemble du territoire (plus de 7 500 Ehpad). La capacité de contrôler plus d'établissements chaque année renvoie à la question des moyens dévolus au contrôle, notamment dans les ARS. Ces dernières disposeraient de 230 ETP environ hors santé-environnement, pour assurer ces contrôles ce qui paraît faible au regard du champ extrêmement large à contrôler.

Ces chiffres peuvent expliquer une réalité pointée par la Cour des comptes : un Ehpad est contrôlé tous les 20 ou 30 ans. Ils illustrent le fait que le contrôle n'était pas hissé au rang de priorité.

1. Des moyens en baisse, une doctrine à clarifier

Une première explication à ce faible nombre des contrôles réside donc dans la baisse des effectifs des autorités de tarification et de contrôle. Cette explication ne suffit néanmoins pas à expliquer toutes les lacunes du contrôle. Les auditions ont montré qu'au sein des opérations de contrôle, les aspects financiers n'étaient pas prioritaires.

a) Des effectifs de contrôleurs en baisse

Dès 2014, à l'occasion d'un rapport sur la mise en place des ARS, nos collègues Alain Milon et Jacky Le Menn soulignaient les difficultés qu'elles devraient affronter en matière de contrôle. À propos des pharmaciens, le rapport soulignait « un affaiblissement préoccupant » des contrôles, la mise en place des ARS ayant « aggravé la tendance » constatée antérieurement.

Les rapporteurs rappelaient par ailleurs que comme l'ensemble des administrations publiques et des opérateurs de l'État, les agences participent à l'effort de maîtrise des finances publiques qui se « traduit par une diminution de leurs budgets de fonctionnement et par une réduction des effectifs qui leur sont alloués ».

Cette réduction des moyens n'a pas épargné le champ de l'inspection contrôle et des personnels formés et disponibles pour y participer. L'inspection contrôle dans le secteur médico-social n'a probablement jamais disposé de moyens suffisants pour exercer sa mission dans des conditions optimales. Cette mission était par ailleurs enserrée dans un dialogue de gestion plus large et sans doute considérée comme non prioritaire en raison du développement de procédures d'évaluation confiées à des organismes extérieurs, susceptibles de réduire les besoins de contrôle administratif.

Auditionnés par votre commission, les représentants des corps administratifs en charge des contrôles ont dressé un tableau inquiétant de l'évolution des effectifs et de la place octroyée aux activités de contrôle.

Ainsi, en 2018, près de 8 500 personnes, soit 8 300 équivalents temps plein (ETP), travaillaient dans les ARS. Parmi ces agents, 2 700 étaient juridiquement habilitées à réaliser des contrôles.

80 % de cet effectif, est constitué de corps statutaires comme les inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, médecins inspecteurs de santé publique, pharmaciens inspecteurs - et de trois autres corps s'occupant de la santé environnementale - ingénieurs d'études sanitaires, ingénieurs du génie sanitaire, techniciens sanitaires -, soit 2 231 agents habilités par la loi à réaliser des contrôles. Le second groupe est constitué de 536 agents de droit privé ou de droit public, essentiellement des contractuels ou des personnes en détachement issues des fonctions publiques territoriale ou hospitalière, qui, juridiquement, ne sont pas habilitées à procéder à des inspections ; toutefois, la loi a prévu que le directeur général de l'ARS pouvait les habiliter à l'inspection-contrôle et leur donner la qualité d'inspecteur ou de contrôleur après une formation qualifiante de quatre semaines, dans le jargon, on les appelle les Icars pour inspecteurs-contrôleurs des ARS.

Selon les propos tenus par les représentants de ces agents devant votre commission : « en 2018, sur ces 2 700 personnes, seuls 500 ETP étaient consacrés à l'inspection-contrôle en l'ARS, soit 6 % des ETP totaux ». Évidemment, cela concerne tout le champ sanitaire - médico-social, ambulatoire, professionnels de santé -, sur tout le territoire.

En effet, environ 1 000 inspecteurs habilités n'inspectent jamais : ils travaillent sur des missions d'accompagnement, de régulation, de planification, de gestion de projet, d'allocation de ressources. Pour les autres, le temps de travail consacré à cette mission est assez réduit, voire marginal : 8 % de leur temps de travail pour les médecins inspecteurs, 10 % pour les inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, 28 % pour les pharmaciens inspecteurs, contre 79 %, pour ces derniers, en 2007, c'est-à-dire avant la mise en place des ARS. Le reste de ce temps est consacré à diverses missions, par exemple d'efficience médico-économique, de veille et de sécurité sanitaires, c'est-à-dire aux missions prioritaires assignées aux ARS.

Il y a donc clairement un émiettement, voire une atomisation du temps de travail de chaque inspecteur, ce qui compromet nécessairement sa professionnalisation et surtout son savoir-faire. Inspecter est un métier, en cas de moindre activité, les compétences et la qualification se perdent rapidement, même l'appétence pour le contrôle s'amenuise.

La globalité des missions de contrôle et d'inspection assignée aux ARS concerne donc 500 ETP, mais plus de la moitié d'entre eux - 271 ETP - sont dédiés uniquement à la santé environnementale : contrôle de la qualité de l'eau - eaux de baignade ou de consommation -, lutte contre les légionelles, l'amiante, le radon.

Par conséquent, en réalité, la ressource humaine disponible pour contrôler tout le champ sanitaire et médico-social est 230 ETP, et non pas 500.

Il n'a pas été possible de disposer d'un tableau consolidé des ETP consacrés par les conseils départementaux aux missions d'inspection et de contrôle mais les situations qui ont été portées à la connaissance des rapporteurs font apparaître un tableau très contrasté suivant les territoires.

Selon la mission IGAS/IGF « les conseils départementaux ont une relation de proximité avec les Ehpad mais une capacité de contrôle limitée sur eux ». Pour la mission, les moyens de contrôle dont se seraient dotés les départements sont, « sauf exception, très limités et leur investissement dans ce dernier souvent ponctuel, et imbriqué dans des relations de routine, les mêmes agents pratiquant parfois les visites à fin de vérification et gérant les relations générales avec les établissements. »

La commission des affaires sociales insiste sur la nécessité d'attribuer des moyens supplémentaires pour l'exercice des missions de contrôle confiées aux ARS et aux départements dans le secteur médico-social.

Proposition n° 10 : Attribuer des moyens supplémentaires aux autorités de tarification et de contrôle pour accroitre le nombre de missions d'inspections-contrôles dans le secteur médico-social.

b) Des orientations à clarifier ou à compléter

La définition des orientations de la politique de contrôle des Ehpad est pilotée au niveau national par le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales (SGMAS) et la mission permanente d'inspection - contrôle (MPIC) de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), avec le concours des différentes directions d'administration centrale, délégations interministérielles et agences du ministère des Solidarités et de la Santé.

S'agissant des contrôles relevant du champ de compétences des ARS (établissements sanitaires et médico-sociaux), ce pilotage s'exerce depuis 2011 dans le cadre de la Commission nationale de programmation des Inspections-contrôles (CNPIC), coprésidée par le chef de la MPIC de l'IGAS et un représentant du SGMAS. Cette instance réunit, 4 fois par an, les commanditaires d'Orientations nationales d'inspection-contrôle (ONIC) sur les champs sanitaire et médico-social : DGCS (pour les ESMS dédiés aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap), DGOS, DGS, agences sanitaires (ABM, ANSES, ANSM, ASN), ainsi que trois représentants d'ARS. La CNPIC a pour mission :

• de prioriser les thèmes d'inspection - contrôles proposés par les commanditaires afin d'aboutir chaque année à un programme national, adressé en fin d'année aux ARS par instruction de l'IGAS validée par le Conseil National de Pilotage (CNP) des ARS, comprenant un nombre restreint d'ONIC ;

• d'accompagner ces priorités d'outils méthodologiques permettant une meilleure réalisation des ONIC retenues ( cf . fiches d'orientation stratégique de mise en oeuvre, grilles de contrôle, etc .) ;

• d'examiner les bilans quantitatif et qualitatif des ONIC des années précédentes, destinés à intégrer le bilan national annuel d'inspection - contrôle réalisé par l'IGAS ;

• de promouvoir toute amélioration stratégique ou méthodologique visant à renforcer la politique d'inspections-contrôle des ARS.

La MPIC de l'IGAS contribue également à soutenir et professionnaliser les services chargés des inspections - contrôles au sein des réseaux territoriaux de l'État dans les champs sanitaire, social et médico-social.

Au titre d'exemple, pour l'année 2022, 11 ONIC ont été retenues, dont deux portées par la DGCS. L'une d'elles concerne le « contrôle de la sécurité et de la qualité de la Prise En Charge Médicamenteuse (PECM) des résidents en Ehpad ». Initialement programmée sur la période 2018-2020 mais suspendue en 2020 (de même que l'ensemble des ONIC) compte tenu de la crise sanitaire, cette ONIC a été reconduite sur la période 2021-2023. L'objectif de cette ONIC est de mesurer l'impact de la lutte contre l'iatrogénie sur la qualité et la sécurité de la prise en charge médicamenteuse des personnes âgées en EHPAD, ainsi que d'affiner l'évaluation des besoins en textes réglementaires nouveaux afin de mieux encadrer cette composante essentielle de la prise en charge médicale des résidents. La seconde concerne le programme de prévention des risques sanitaires environnementaux liés aux bâtiments dans les Ehpad.

Conformément à l'instruction du CNP des ARS, les 11 ONIC en cours mobilisent moins de 50 % des ressources des ARS consacrées à l'inspection - contrôle. Cela laisse aux DGARS quelques espaces pour adapter ces orientations nationales à la situation régionale et définir les Programmations Régionales d'Inspection - Contrôle (PRIC), en fonction des enjeux locaux déterminés avec les DDARS et en lien avec les conseils départementaux (le cas échéant), en vue de contrôles conjoints au sein des ESMS co-autorisés ARS-CD (parmi lesquels les Ehpad).

Les ARS auditionnées par vos rapporteurs ont confirmé que les contrôles qu'elles organisaient s'inscrivaient dans le cadre des ONIC, un équilibre est recherché entre ces orientations nationales et les objectifs régionaux. Le tableau (ci-dessous) des priorités établi par l'ARS Nouvelle-Aquitaine illustre cet équilibre entre priorités nationales et des initiatives régionales.

Missions prioritaires inscrites au PRICE 2019 relatifs aux Ehpad

Orientations

Thème du programme d'IC

Objectifs

ONIC

Contrôle de la sécurité et de la qualité de la prise en charge médicamenteuse des résidents en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

1. Le contrôle des dispositions réglementaires opposables ;

2. L'accompagnement individualisé des Ehpad dans leur démarche de sécurisation de la prise en charge médicamenteuse notamment sur le management de la qualité ;

3. La capitalisation des inspections menées à partir de bilans réguliers pour engager des travaux bénéficiant à l'ensemble des Ehpad de la région et aux DD (exemples : mise à disposition d'une plaquette d'information à l'attention des Ehpad et des DD, travail dédié sur la préparation des doses à administrer (PDA)...) ;

4. La remontée au niveau national des rapports et indicateurs en vue de l'adaptation des textes et de capitalisation pour le niveau national.

ONIC/ORICE

Inspection de la gestion des risques liés au bâtiment relatifs à l'amiante, la légionellose, le radon, et les DASRI, dans les établissements médico-sociaux.

1. Connaissance par l'ARS des modalités de gestion des risques légionellose, amiante, radon, et DASRI ;

2. Prévenir ou s'assurer de la suppression des situations d'exposition aux divers risques ;

3. Constater les infractions et mettre en oeuvre les procédures administratives et pénales.

ORICE

Qualité de la prise en charge des personnes âgées dans les Ehpad (bientraitance, maltraitance, fin de vie).

1. Repérage et prévention des risques de maltraitance ;

2. Propositions de mesures correctives visant à sécuriser les pratiques ;

3. S'assurer du respect des recommandations de bonnes pratiques et de la mise en oeuvre des évolutions règlementaires ;

4. Prise en compte de l'évolution des profils des personnes accompagnées (situations complexes de handicap, maladies neuro-évolutives en Ehpad, fin de vie, prise en charge de la douleur...) ;

5. Renforcer la personnalisation de l'accompagnement proposé ;

6. Soutien à la politique de contractualisation et aux actions prévues au SRS.

ORICE

Analyse du pilotage et de la mise en oeuvre des financements octroyés par l'ARS aux ESMS.

Approfondir, par une inspection ou un contrôle sur place et/ou sur pièces, l'analyse de la situation de la structure, notamment sur les aspects de pilotage, de gestion des ressources humaines, de gestion comptable, budgétaire et financière.

La lecture de ces priorités confirme la prédominance des préoccupations liées à l'état de santé des résidents (iatrogénie médicamenteuse) ou à la qualité de leur prise en charge. Les contrôles au sein des Ehpad, qu'ils soient programmés dans le cadre des PRIC ou bien diligentés en urgence (hors programmation) à la suite d'un signalement ou d'une plainte, sont axés sur le repérage et la prévention des risques de maltraitance, mais pas uniquement. Cette thématique a fait l'objet, entre 2002 et 2017, d'une ONIC spécifique au sein des ESMS dédiés aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Après 15 ans de mise en oeuvre et 10 182 contrôles réalisés dans ce cadre, cette ONIC n'a pas été reconduite en considération du fait que la lutte contre la maltraitance était désormais reconnue comme consubstantielle à la stratégie d'inspection-contrôle et qu'elle était devenue un objectif stratégique global, s'appliquant à l'ensemble des ESMS.

Ces inspections-contrôles peuvent être réalisées soient de manière inopinée (et non annoncée) ou dans le cadre d'une information préalable de l'établissement. De nombreuses inspections sont ainsi diligentées sans information préalable du gestionnaire, afin de constater le fonctionnement effectif des structures.

Ainsi, au-delà de cette thématique qui demeure prioritaire au niveau national et local, les contrôles d'Ehpad portent aussi, de manière plus générale, sur la sécurité et la qualité globale de la prise en charge.

Les contrôles plus ciblés menés sur l'utilisation des dotations publiques allouées, notamment en cas de dysfonctionnements présumés dans la gestion des établissements ne constituent pas une cible prioritaire.

Le choix des corps de métiers en charge du contrôle, la prédominance des questions liées à la qualité de la prise en charge des résidents ont fait passer au second plan les questionnements sur l'usage des fonds publics et le recrutement d'agents, ou la collaboration avec des structures, en capacité de mener ces contrôles y compris face à des interlocuteurs qui ont structuré et financiarisé leur activité.

2. Les acteurs du contrôle nombreux et qui ne se parlent guère entre eux

Si la réglementation présente des lacunes à combler et qu'un équilibre doit être trouvé entre accompagnement et usage pertinent des fonds publics, entre simplification et contrôle, la commission des affaires sociales souhaite l'ouverture d'un chantier sur la structuration et le renforcement de la coordination du contrôle. Dans un contexte de ressources rares et de situations complexes, l'articulation des interventions des différents acteurs concernés qu'il s'agisse des autorités de tarification et de contrôle ou d'autres services de l'État amenés à contrôler le fonctionnement des Ehpad est indispensable pour mutualiser les moyens, et l'expertise, notamment en matière financière ou de droit du travail.

Dans cette analyse de l'organisation du contrôle, la tentation première pourrait être de se focaliser sur la coordination entre État, représenté par les ARS, et départements. Cette collaboration est hétérogène suivant les territoires et sans doute insatisfaisante de façon générale. Ces acteurs n'ont pas encore créé de véritables habitudes de travail communes, sans doute en raison d'un déséquilibre d'organisation dû à la centralisation des missions d'inspection au niveau des directions générales des ARS et donc à leurs difficultés à dialoguer au niveau départemental.

Toutefois, les auditions auxquelles vos rapporteurs ont procédé pointent un autre défaut dans l'organisation-contrôle des Ehpad, celui d'un grand nombre d'intervenants administratifs. Plusieurs administrations de l'État sont en effet concernées : concurrence et répression des fraudes (pour la protection contractuelle des résidents), inspection du travail, finances publiques et bien sûr les acteurs de la sphère sanitaire et sociale (ARS, assurance maladie).

a) La difficulté de coordonner les contrôles exercés par les services de l'État

L'activité de contrôle est susceptible de faire intervenir plusieurs services de l'État, de la sphère sociale notamment avec l'intervention des ARS ou de l'inspection du travail mais également de la sphère économique avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Enfin, des inspections-contrôle peuvent également être réalisées de manière conjointe, en fonction des structures à inspecter, avec d'autres services chargés d'effectuer des contrôle comme l' Assurance-maladie ou encore dans le cadre des Comités Opérationnels Départementaux Anti-Fraude (Codaf) avec les services de police et de gendarmerie, et surtout avec la Direction départementale des finances publiques (DDFIP).

Si les autorités en charge de la délivrance des autorisations et de la tarification (principalement les conseils départementaux et les ARS) ont un rôle majeur à jouer dans l'exercice du contrôle ainsi que le prévoient les textes réglementaires, elles ne sont pas les seules à intervenir en ce domaine. Les échanges d'informations, et les contrôles conjoints, aujourd'hui peu développés ne pourraient que renforcer la capacité d'intervention des différents acteurs et l'expertise déployée dans un champ très vaste d'établissements et de situations territoriales.

Deux exemples peuvent illustrer les synergies qui pourraient être provoquées par une meilleure articulation des interventions.

Dans le domaine de la gestion des ressources humaines, dont tous les observateurs s'accordent à dire qu'il est essentiel pour la bonne prise en charge des résidents, et pour lequel tous les analystes soulignent la faible attractivité et les difficultés de recrutement, les compétences des ARS (et des conseils départementaux) gagneraient à être complétées par celles de l'inspection du travail.

L'inspection du travail intervient déjà dans les Ehpad, en appui du dialogue social et pour contrôler le respect du code du travail.

Intervention de l'inspection du travail en Ehpad depuis 2018

Type d'intervention

2018

2019

2020

2021

2022

Total

Contrôle

411

303

327

349

25

1 415

Enquête

616

674

655

541

62

2 548

Examen de documents

622

668

7 41

607

62

2 700

Réunions en entreprise

248

228

121

107

8

7 12

Total

1 897

1 873

1 844

1 604

157

7 375

Source Mission IGAS/IGF

Selon la mission IGAS/IGF, les thématiques récurrentes lors de ces contrôles sont :

- la précarité et le recours abusif aux contrats de travail temporaire ou à durée déterminée ;

- le harcèlement moral, la charge de travail et les risques psycho-sociaux ;

- la durée du travail et la prise de congés ;

- la santé au travail (évaluation des risques, aide à la manutention et prévention des troubles musculosquelettique et risques biologiques ;

- le fonctionnement des institutions représentatives du personnel.

Compte tenu des difficultés du secteur en matière de gestion des ressources humaines, une meilleure articulation des interventions ou, à tout le moins, des échanges réguliers d'information permettraient d'améliorer le contrôle des établissements et un meilleur accompagnement des personnels qui travaillent dans des conditions difficiles.

Un raisonnement identique peut être tenu à l'égard de l'apport que pourrait représenter une meilleure articulation des interventions des ARS et des conseils départementaux avec ceux des directions départementales de la protection des populations (DDPP), services déconcentrés de la DGCCRF.

Les services déconcentrés de la DGCCRF jouent en effet un rôle important dans le contrôle du secteur de l'hébergement des personnes âgées et exercent leurs compétences sur les aspects suivants : affichage des prix/tarifs ; conformité des contrats ; respect de l'encadrement de l'évolution des prix pour les places non habilitées à l'aide sociale à l'hébergement ; recherche de pratiques commerciales trompeuses.

Lors de son audition, la directrice générale de la DGCCRF a indiqué que sa direction contrôle environ de 500 établissements par an.

Contrôles réalisés par la DGCCRF et ses services déconcentrés

2013 - 2014

2016 - 2017

2017 - 2018

2019 - 2021

447 établissements habilités ou non à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale contrôlés, lors de 532 visites

652 établissements ont été contrôlés (866 visites)

552 établissements ont été contrôlés (682 visites)

Plus de 1 000 établissements

Source : DGCCRF

Contrairement aux ARS qui sont en situation de réagir à des plaintes ou des signalements de maltraitance, sous l'angle protection des consommateurs qui est celui de la DGCCRF, le secteur des Ehpad ne fait l'objet que de peu de plaintes. À titre d'illustration, 37 signalements (pas nécessairement dans le champ de compétence de la DGCCRF) ont été recensés sur la plateforme SignalConso en 2021 sur les Ehpad (de tous statuts).

Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ce faible nombre de signalements :

- il s'agit d'un public vulnérable, dépendant. Les résidents ne sont majoritairement pas en mesure d'alerter eux-mêmes un service de contrôle. Si les familles ne sont pas présentes et/ou particulièrement vigilantes (les contrats et les modalités de facturation sont complexes), les anomalies ne sont pas signalées ;

- il s'agit d'un public captif. Il y a potentiellement une sous-déclaration en raison de la crainte des familles soit de mesures de rétorsion à l'encontre de leur parent, soit d'être dans l'obligation de le déplacer. Or, les contraintes financières, géographiques et la disponibilité des chambres constituent un frein certain à la mobilité du résident en plus de son état de santé ;

- malgré les informations régulièrement diffusées sur le site internet de la DGCCRF (fiches pratiques, synthèses des résultats des contrôles menés), il peut être difficile d'identifier le bon interlocuteur parmi les multiples acteurs : DDPP, DDETSPP, ARS, conseils départementaux.

Les contrôles menés par les DDPP ne sont donc pas déclenchés par des plaintes ou des signalements et s'inscrivent plutôt dans une programmation. L'existence d'un programme de travail est de nature à favoriser une meilleure articulation des interventions avec les autres acteurs concernés.

Ces deux exemples, inspection du travail et DDPP, montrent l'intérêt de renforcer l'articulation entre les acteurs pour trois raisons :

- premièrement, tous les manquements à la réglementation devraient être signalés aux autorités de tarification et de contrôle et être considérés comme un signal, faible, de l'état de fonctionnement de l'Ehpad, de nature à programmer un contrôle plus large, même sans signalement de maltraitance.

- deuxièmement, leur agglomération permet de contrôler plus d'établissements. Rapportée au nombre d'Ehpad, l'activité de contrôle de chaque acteur demeure limitée. Dans le cas des services déconcentrés de la DGCCRF ou de ceux de l'inspection du travail moins de 10% des Ehpad font l'objet d'un contrôle mais additionné aux contrôles menés par les autres acteurs cela permet de couvrir un nombre d'établissements plus conséquent.

- troisièmement, des efforts doivent être faits pour mieux coordonner les inspections-contrôle mais surtout pour développer l'échange d'informations. Un fonctionnement en silo peut être accepté au regard des réglementations applicables et des champs de contrôles respectifs des différents acteurs mais une coordination est nécessaire notamment afin de partager des objectifs communs et de déployer les moyens nécessaires au contrôle. Elle permet de mutualiser les moyens et de renforcer les capacités d'expertise.

Proposition n°11 : Créer un comité d'animation des contrôles au niveau national réunissant les directions d'administrations centrales et les caisses de sécurité sociale concernées, le défenseur des droits, afin de définir des orientations nationales et donner des impulsions aux réseaux déconcentrés.

La programmation de ces réunions et leur animation pourraient être confiée à la CNSA qui apportera son expertise et bénéficiera en retour d'une connaissance encore plus approfondie du secteur.

Par ailleurs, si l'exercice de la fonction de contrôle est une question de ressources humaines, la formation d'équipes pluridisciplinaires (ARS, inspecteurs du travail, inspecteurs de la consommation et de la répression des fraudes, inspecteurs du travail) est une piste qui devrait être examinée, sans être écartée au nom de dispositions législatives et réglementaires (compétences en matière de pouvoirs de police judicaire et de police administrative). De la même façon des synergies devraient être recherchées avec les chambres régionales et territoriales des comptes pour disposer d'une expertise supplémentaire en matière financière et budgétaire.

b) Un contrôle territorial complexe à organiser

Cette définition de modalités de coordination des interventions des services de l'État chargés des contrôles et un meilleur échange d'information doit être déclinée au niveau territorial.

Outre la coordination des services de l'État une attention particulière doit être apportée à la collaboration des autorités de tarification et de contrôle que sont les ARS et les conseils départementaux.

Il ressort des auditions que le niveau de coordination des missions d'inspection-contrôle entre les ARS et les conseils départementaux est hétérogène et plutôt de facture médiocre.

Les auditions de plusieurs directeurs généraux d'ARS (Île-de-France, Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire, Occitanie, dont le ressort territorial concerne 52 départements) et de plusieurs conseils départementaux (Gironde, Loire-Atlantique, Hauts-de-Seine, Eure-et-Loir) ont mis en exergue une volonté des parties en présence de trouver des modalités de coopération, modalités qui peuvent varier selon les territoires.

Le conseil départemental de Gironde indique que la plupart des contrôles font suite à un signalement et sont menés pour partie conjointement avec les services de l'ARS. Jusqu'en mars 2020, une commission mensuelle des plaintes réunissait les agents de l'ARS et du département.

Dans les Hauts-de-Seine, les contrôles conjoints de l'ARS et du conseil départemental restent rares. Auditionnée par vos rapporteurs, la nouvelle directrice générale de l'ARS Île-de-France a indiqué vouloir remédier à cette situation et avoir pris contact avec tous les présidents de conseils départementaux de la région. Elle indique qu'entre 2020 et 2021, 11 des 55 contrôles réalisés par l'ARS dans les Ehpad l'ont été de manière conjointe avec les conseils départementaux, soit 20 % d'entre eux.

Face à cette situation, la commission des affaires sociales du Sénat estime nécessaire de poser une contrainte aux autorités de tarification et de contrôle afin qu'elles coordonnent leurs actions d'inspection-contrôle. Elle préconise l'instauration d'une réunion régulière rassemblant à la fois l'ARS et le département mais également tous les services de l'État menant des contrôles dans le secteur des Ehpad afin que leurs actions soient structurées et que l'échange d'informations s'intensifie. Une réunion bimestrielle semble un rythme idoine pour amorcer cette coopération.

Proposition n°12 : Décliner le comité d'animation des contrôles au niveau départemental, avec un représentant du conseil départemental, afin de coordonner les actions.

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