IV. LA SOUVERAINETÉ PAR UNE POLITIQUE COMMERCIALE ET DE CONCURRENCE RÉÉQUILIBRÉE

A. AMÉLIORER LE CONTRÔLE AUX IMPORTATIONS DES PRODUITS AGRICOLES ET ALIMENTAIRES IMPORTÉS

Le défi environnemental engendre une nécessaire évolution des pratiques des exploitations agricoles européennes, transformation qui a débuté il y a bien longtemps dans les campagnes françaises.

Toutefois, si de nouvelles réglementations sont prises pour promouvoir de nouvelles pratiques culturales, les exploitants agricoles européens attendent en échange que des contrôles accrus soient réalisés sur les denrées importées , afin de s'assurer que ces mêmes réglementations soient respectées. Si des interdictions sont prises en Europe pour protéger le consommateur européen de certaines substances nocives sur les produits alimentaires, il est incompréhensible que ces mêmes substances soient tolérées dans les denrées alimentaires importées.

Le renforcement de la pression normative sur les exploitations européennes ne peut se faire sans la pression complémentaire, exercée cette fois sur les denrées alimentaires importées, d'une politique de contrôles ambitieuse . À défaut, c'est toute la compétitivité de l'agriculture européenne et la stratégie environnementale de l'Union qui est mise à mal , en donnant un avantage comparatif majeur à des modèles de production étrangers qui ne respectent pas les normes minimales requises par l'exigent modèle agricole européen.

Dans les années à venir, le risque d'accentuation de la tendance est très grand compte tenu de l'engagement européen à atteindre des objectifs environnementaux ambitieux, bien souvent au-delà de ce que font ses principaux partenaires commerciaux. Cela sera surtout le cas avec la stratégie « De la ferme à la fourchette », qui accentuera mécaniquement le poids des contraintes sur les agriculteurs pour atteindre les objectifs fixés de baisse de 50 % de l'utilisation de pesticides d'ici 2030 et le passage à 25 % de surfaces consacrées à l'agriculture biologique .

Le sujet est donc absolument crucial pour l'avenir de notre agriculture et doit être pris en compte dans les négociations commerciales à venir .

À cet égard, le blocage de l'OMC depuis le cycle de Marrakech ouvre la voie à une période de bilatéralisme commercial ayant pour conséquence, pour le monde agricole, une attention plus forte à l'égard des barrières non tarifaires. Dans cette nouvelle dialectique commerciale, l'Union européenne, à l'initiative de la France, entend promouvoir un recours accru aux clauses miroirs dans le domaine agricole afin d'assurer une plus grande réciprocité dans les accords commerciaux conclus avec les pays tiers . Ces clauses permettraient d'imposer aux pays qui souhaitent exporter leurs produits agricoles vers l'Union européenne de se conformer au préalable à ses normes sanitaires et environnementales.

C'est un changement de paradigme important dans le logiciel de la Commission européenne. En effet, dans le cadre juridique actuel, l'Union européenne estime que tout produit importé en provenance de pays tiers doit être sûr, ne représenter aucun danger pour la santé des consommateurs et être conforme à la législation sanitaire et phytosanitaire (SPS) de l'UE en matière d'importation et de commercialisation. Outre certains contrôles à l'arrivée, notamment au regard de limites maximales de résidus (LMR) pour les végétaux, la Commission européenne assure régulièrement des audits des pays tiers fournisseurs, afin de s'assurer que les normes européennes sanitaires et phytosanitaires sont bien respectées. En revanche, l'UE n'exige pas que les importations en provenance de pays tiers respectent l'ensemble de ses normes liées aux modes de production , dès lors qu'elle considère que certaines de ces normes n'impliquent pas mécaniquement de risques pour la santé du consommateur. Dès lors, l'adoption de clauses miroir vient rompre avec cette logique historique .

Prenant acte que les préoccupations exprimées à la fois par les producteurs et les consommateurs ne portent pas seulement sur la qualité sanitaire des importations, mais concernent également l'équivalence des modes de production, le Sénat a été précurseur en matière de clauses miroirs : à son initiative, et à l'unanimité des groupes politiques, par le biais de l'article 44 de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim) votée en 2018, le code rural et de la pêche maritime intègre, à son article L. 236-1 A, un principe clair : « il est interdit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit en vue de la consommation humaine ou animale des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires ou d'aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d'identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation. L'autorité administrative prend toutes mesures de nature à faire respecter » cette interdiction.

Depuis, des évolutions positives en faveur du déploiement de ces clauses miroirs dans les futurs accords de libre-échange ont permis d'aboutir à des avancées concrètes :

• l'article 118 du règlement (UE) n° 2019/6 interdit l'utilisation de certains antimicrobiens ou certains usages d'antibiotiques, par exemple en tant qu'activateurs de croissance, pour les animaux élevés dans les pays tiers dont les produits seraient importés dans l'Union européenne - c'est sans doute l'une des premières clauses de ce type intégrées au droit européen ;

• la position de la Commission européenne évolue. Elle a par exemple reconnu, dans sa communication sur le réexamen de la politique commerciale du 18 février 2021, que « dans certaines circonstances définies par les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il est pertinent que l'UE exige que les produits importés respectent certaines exigences de production » . À l'occasion de la réforme de la PAC, le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission européen ont adopté des déclarations soulignant l'importance de mieux appliquer les normes de production de l'UE aux produits importés et ont demandé à la Commission de produire un rapport sur le sujet, qui n'a pas été rendu à la date de rédaction du présent rapport mais dont les premières conclusions semblent démontrer qu'il n'existe pas d'obstacles juridiques majeurs s'opposant à la mise en oeuvre de ces clauses miroirs.

Lors de l'examen de nouvelles législations européennes, il est nécessaire de déployer ces clauses miroirs. À cet égard, la révision de la législation européenne relative au bien-être animal prévue en 2023 ainsi que celle du destinés à l'alimentation des animaux - afin d'interdire, par exemple, l'usage d'antimicrobiens en tant qu'additifs - constituent des premières pistes intéressantes aux yeux des rapporteurs.

Recommandation n° 36 :

S'engager à mieux faire respecter les normes minimales de production requises au sein de l'Union européenne en :

- poursuivant le déploiement de clauses miroirs dans les législations européennes en matière agricole, notamment dès 2023 sur les textes relatifs au bien-être animal ou aux additifs destinés à l'alimentation des animaux, ainsi que dans les accords de libre-échange ;

- s'engageant plus activement dans les instances internationales de normalisation (notamment Codex Alimentarius) afin de faire évoluer l'ensemble des pratiques agricoles.

Toutefois, l'existence de telles clauses laisse persister deux problèmes majeurs en matière commerciale. D'une part, elle ne résout en rien le manque d'harmonisation des conditions de production au sein même de l'Union européenne dès lors qu'un État membre peut aller, s'il le souhaite, au-delà de la législation européenne en matière de normes de production, ce que la France ne manque pas de faire. D'autre part, l'existence de normes n'emporte d'effets juridiques que si elles sont contrôlées et, le cas échéant, en cas de défaillance, que si elles sont sanctionnées. Or, bien souvent, le débat sur les clauses miroirs fait fi de ce dernier aspect.

Là encore, le Sénat alerte depuis des années sur l'urgence d'une profonde réforme des politiques de contrôles sur les denrées alimentaires importées .

Il convient de rappeler, en outre, que, pour être en conformité avec les règles de l'OMC, selon les services du ministère, « les clauses miroirs sont établies non pas sur une base juridique de politique commerciale (article 207 TFUE) mais sur celle des politiques de l'UE concernées (agriculture, environnement, etc.). Dès lors, les politiques sectorielles qui instaurent les mesures miroirs doivent prévoir les moyens de contrôler leur respect notamment via des procédures d'autorisation, voire d'agrément, et des audits en pays tiers avant d'autoriser les importations sur le territoire de l'UE ».

S'agissant des défaillances générales des contrôles sur les denrées alimentaires importées, la commission des affaires économiques du Sénat, lors d'une mission « flash » 202 ( * ) sur les anomalies constatées sur les produits à base de sésame, a mis en exergue plusieurs dysfonctionnements majeurs :

• les contrôles officiels reposent trop peu sur des contrôles aléatoires : les contrôles sur les denrées végétales importées sont centrés aujourd'hui sur une matrice d'analyse de risques, identifiant les denrées exposées à un risque en fonction de leur origine. Cette liste publique engendre des risques de contournements ;

• certaines substances interdites ne sont plus contrôlées , et peuvent donc être utilisées impunément par les exportateurs de pays tiers. L'Union européenne recense ainsi 1 498 substances actives et interdit 907 d'entre elles. Si le plan de contrôle européen, décliné par les États membres, ne prévoit que 176 substances à analyser, la France va plus loin en analysant, dans ses contrôles de résidus de pesticides, 568 substances. Au regard des 1 498 substances à contrôler, cela signifie tout de même que plus de 900 substances actives ne sont aujourd'hui presque jamais contrôlées par les autorités sanitaires ;

• le nombre de contrôles aléatoires est insuffisant faute d'un budget adapté aux enjeux de sécurité sanitaire : les moyens mis en oeuvre en France pour ces contrôles font état d'un ratio de seulement 50 centimes d'euro de contrôles pour 1 000 euros de denrées importées.

Dès lors, comme le rappelle le rapporteur de cette mission, Laurent Duplomb, « l'Union européenne n'étant déjà pas capable de garantir que les végétaux entrant sur son territoire ne contiennent pas des résidus de pesticides interdits, elle est loin de pouvoir s'assurer que les denrées alimentaires, d'origine animale ou végétale, aient été produites avec les mêmes normes de production requises au niveau européen. Sans contrôles, les garanties obtenues lors de la signature d'accords de libre-échange sont dès lors ineffectives . » La commission des affaires économiques a dans ce cadre émis 18 recommandations pour, notamment, renforcer la politique de contrôle sur les denrées alimentaires importées 203 ( * ) .

S'agissant des sanctions en cas de défaillance, le Sénat a doté, dans la loi, le ministre chargé de l'agriculture d'un pouvoir de « prendre des mesures conservatoires afin de suspendre ou de fixer des conditions particulières à l'introduction, l'importation et la mise sur le marché en France de denrées alimentaires ou produits agricoles » ne respectant pas les normes minimales requises au niveau européen 204 ( * ) .

Cette faculté, appliquée en 2016 par le ministre Stéphane Le Foll à la cerise turque traitée au diméthoate 205 ( * ) , a été déclenchée une seconde fois en 2022 pour suspendre l'introduction, l'importation et la mise sur le marché en France de viandes et produits à base de viande issus d'animaux provenant de pays tiers à l'Union européenne ayant reçu des médicaments antimicrobiens pour favoriser la croissance ou augmenter le rendement, dans l'attente de la publication de l'ensemble de la réglementation secondaire liée au règlement sur les médicaments vétérinaires, intégrant une clause miroir 206 ( * ) .

Au-delà de ces cas médiatiques, l'ensemble de la politique de contrôle est à repenser, tant les contrôles réalisés à la date de rédaction du rapport sont au mieux insuffisants, sans doute plus vraisemblablement défaillants.

Outre la question des moyens et des effectifs, cruciale en la matière, se pose également celle de l'organisation des services de l'État compétents. Aujourd'hui, l'articulation des tâches est pour le moins labyrinthique pour les acteurs concernés. La Direction générale de l'alimentation (DGAL), relevant du ministère de l'agriculture, est chargée du contrôle sanitaire des animaux vivants, des produits d'origine animale, et de l'alimentation animale d'origine non animale. Elle s'assure de l'absence de risque pour la santé humaine du consommateur et pour la santé animale - risque qui pourrait être véhiculé par ces animaux ou ces marchandises. La DGAL assure également le contrôle phytosanitaire des végétaux et produits végétaux, visant à s'assurer de l'absence de risque phytosanitaire lié à l'introduction d'organismes nuisibles, l'objectif étant de protéger la santé des végétaux (cultures et environnement). De son côté, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) assure le contrôle sanitaire des denrées d'origine non animale, visant à s'assurer de l'absence de risque pour la santé humaine du consommateur. Enfin, à l'issue de ces contrôles, un document sanitaire commun d'entrée (DSCE) est remis à l'opérateur, qui le présente à la douane Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) afin de finaliser les formalités douanières.

Cet enchevêtrement de compétences accentue le risque d'angles morts , au détriment de l'efficacité des contrôles. Le Gouvernement semble prêt à s'engager dans une réforme profonde de ces contrôles, en transférant la politique de contrôles sanitaires sur les denrées alimentaires à la DGAL. Cette réforme doit servir de marchepied à la conception, tant attendue, d'une véritable politique de contrôle des denrées alimentaires importées en France.

Recommandation n° 37 :

Durcir les contrôles sur les denrées alimentaires importées pour garantir le respect des normes minimales requises au sein de l'Union européenne en agissant :

- à court terme, au niveau national pour relever le niveau d'exigences, notamment i) en augmentant les effectifs des contrôles nationaux, profitant du transfert de la compétence sanitaire de la DGCCRF à la DGAL pour constituer une vraie « police sanitaire nationale » ; ii) en renforçant le nombre de contrôles aléatoires intégrés au plan de contrôle et en durcissant le contenu des analyses, notamment en renforçant le nombre de substances actives effectivement contrôlées par les laboratoires nationaux ;

- à moyen terme, au niveau européen en promouvant la constitution d'une task force européenne sur la sécurité alimentaire pour des interventions harmonisées au niveau européen, afin d'éviter les comportements de détournement des contrôles franco-français par une entrée dans d'autres pays.


* 202 Rapport d'information n° 368 (2020-2021) de M. Laurent Duplomb, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 février 2021, sur les retraits et les rappels de produits à base de graines de sésame importées d'Inde ne respectant pas les normes minimales requises dans l'Union européenne.

* 203 Rapport d'information n° 368 (2020-2021) de M. Laurent Duplomb, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 février 2021, sur les retraits et les rappels de produits à base de graines de sésame importées d'Inde ne respectant pas les normes minimales requises dans l'Union européenne.

* 204 Lors de l'examen de la loi du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, en complétant l'article L. 236-1 A du code rural et de la pêche maritime.

* 205 Arrêté du 21 avril 2016 portant suspension d'importation et de mise sur le marché en France de cerises en provenance d'États membres ou de pays tiers où l'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant la substance active diméthoate est autorisée en traitement des cerisiers.

* 206 Arrêté du 21 février 2022 portant suspension d'introduction, d'importation et de mise sur le marché en France de viandes et produits à base de viande issus d'animaux provenant de pays tiers à l'Union européenne ayant reçu des médicaments antimicrobiens pour favoriser la croissance ou augmenter le rendement.

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