B. UNE ORGANISATION À RAPPROCHER DES TERRITOIRES ET DES ENTREPRISES

1. Une gouvernance territoriale complexifiée
a) Les effets contestés de la recentralisation de l'apprentissage

En matière d'apprentissage, les régions ont vu la majeure partie de leurs compétences transférées aux branches professionnelles et aux OPCO par la loi du 5 septembre 2018. La région conserve une compétence facultative de financement des CFA « quand des besoins d'aménagement du territoire et de développement économique qu'elle identifie le justifient » ( cf. supra , I).

Du point de vue de Régions de France, la gouvernance de l'apprentissage est devenue plus complexe alors que la réforme entendait la simplifier. La multiplicité des acteurs et la libéralisation des créations de CFA feraient apparaître une insuffisance de coordination et de pilotage.

Pour les représentants de conseils régionaux auditionnés par les rapporteurs, la mise en place d'un système libéralisé a également entraîné un recul de la connaissance de l'apprentissage au niveau régional qui complexifie le pilotage territorial de cette politique.

b) La place de la région en matière de formation professionnelle et le rôle variable des Crefop

La loi confie cependant à la région une compétence d'organisation et de financement du service public régional de la formation professionnelle, qui s'apparente à un rôle d'animation sans véritables prérogatives. Dans ce cadre, elle peut accorder des aides individuelles à la formation et coordonne les interventions contribuant au financement d'actions de formation au bénéfice des demandeurs d'emploi et des jeunes 81 ( * ) .

Dans le cadre des pactes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC) , l'État apporte des financements complémentaires, issus des fonds du plan d'investissement dans les compétences (PIC), aux actions des régions en matière de formation des personnes en recherche d'emploi.

Certaines régions 82 ( * ) ont également signé avec la Caisse des dépôts et consignations des conventions d'abondement du CPF , prévoyant des abondements automatiques de la région lorsque l'utilisateur et la formation demandée remplissent certains critères.

Par ailleurs, les régions détiennent une compétence de coordination sur leur territoire des politiques de formation professionnelle, notamment à travers les contrats de plan régionaux de développement des formations et de l'orientation professionnelles (CPRDFOP). France compétences est chargée du suivi de leur mise en oeuvre mais les régions auditionnées par les rapporteurs ont indiqué qu'aucun partenariat n'a été mis en place avec l'établissement dans le cadre de cette mission.

En matière de coordination territoriale, les comités paritaires interprofessionnels régionaux pour l'emploi et la formation (Coparef) ont été supprimés. Le Crefop, présidé conjointement par le président du conseil régional et le préfet de région, est le lieu de la coordination quadripartite au niveau régional , où est notamment élaboré le CPRDFOP sous l'impulsion de la région 83 ( * ) .

Malgré la suppression du Cnefop, les Crefop ont permis de stabiliser et de pérenniser le dialogue indispensable à l'élaboration de stratégies concertées en matière d'évolution de la carte des formations professionnelles, d'animation des dispositifs d'accompagnement, d'articulation entre l'économie et la formation professionnelle au niveau territorial et de complémentarité entre les dispositifs de formation (voie scolaire, apprentissage et alternance, formation continue des demandeurs d'emploi et des salariés).

Pour la quasi-totalité des acteurs auditionnés, ces comités fonctionnent cependant de manière très variable selon les régions . Ces disparités dépendent pour une large part des relations entre l'État et les élus régionaux.

En outre, si des échanges d'informations informels ont lieu entre les secrétariats permanents des Crefop et France compétences, il n'existe pas à ce jour de relation structurée ni d'animation de cette relation par l'établissement.

À la suite des élections régionales de 2021, des réflexions ont été menées dans plusieurs régions pour revoir les modalités de fonctionnement des Crefop de manière à les rendre plus opérationnelles.

Par exemple, en région Centre-Val de Loire, le Crefop, qui se réunit en principe tous les mois, compte désormais quatre commissions, chacune présidée par l'une des parties 84 ( * ) : Élaboration et suivi des stratégies ; Économie, compétences, emploi, transition ; Orientation, sécurisation des parcours, relations entreprises et salariés ; Inclusion et égalité. Il se décline au niveau des bassins de vie de la région pour traiter les questions d'emploi et de compétences à cette échelle.

Les Crefop doivent cependant disposer des études prospectives et des données pouvant leur permettre de produire une réflexion stratégique sur les besoins de formation professionnelle à l'échelle du territoire et des bassins d'emploi. Dans cette perspective, ils pourraient utilement être associés au projet de « grande bibliothèque » initié par France compétences, qui inclura notamment les données produites par les branches professionnelles ( cf. supra , II. A).

Proposition n° 7 : Donner aux Crefop l'accès aux études prospectives et aux données leur permettant d'avoir une réflexion stratégique sur les besoins de formation professionnelle à l'échelle du territoire et des bassins d'emploi.

France compétences, qui se positionne en tant que régulateur, n'a pas remplacé le Cnefop en matière d'animation et de coordination des Crefop. Supprimé en 2018, le Cnefop rendait à tout le moins possible une circulation d'informations entre les acteurs des différents territoires.

Sans recréer cette instance au sein de France compétences, il serait pertinent de favoriser les échanges de bonnes pratiques entre les territoires .

Sur la base de priorités identifiées par le Crefop, il pourrait être permis aux conseils régionaux d'expérimenter des dispositifs en matière de formation professionnelle. Ces expérimentations pourraient porter sur des financements complémentaires ou des abondements du CPF, orientés vers des publics ou des actions de formation ciblées, avec le soutien financier de France compétences. Leurs résultats pourraient être évalués et rendus publics par France compétences.

Proposition n° 8 : Donner aux régions la possibilité d'expérimenter des dispositifs en matière de formation professionnelle, sur la base de priorités identifiées par le Crefop, avec le soutien financier de France compétences. Faire remonter au niveau national les résultats de ces expérimentations pour une évaluation et un échange de bonnes pratiques.

c) En matière d'orientation, une réforme arrêtée au milieu du gué

La loi du 5 septembre 2018 a défini un nouveau partage des compétences entre l'État et les régions en matière d'orientation professionnelle .

Les régions ont désormais la responsabilité d'organiser l'information auprès des élèves, des étudiants et des apprentis sur les métiers et les formations. Elles sont ainsi amenées à intervenir sur le temps scolaire, dans le cadre des horaires dédiés à l'orientation, de la 4 e à la Terminale. Cette mission s'inscrit dans le prolongement du service public régional de l'orientation (SPRO) organisé depuis le 1 er janvier 2015 par la région sur son territoire.

Pour sa part, l'État prend les décisions d'affectation des élèves et assume la dimension éducative et pédagogique de l'orientation.

Les régions se sont approprié leur compétence en l'organisant soit en interne dans la plupart des cas, soit en la déléguant à une agence. Selon les informations fournies par Régions de France, toutes les régions éditent des guides post-3 e et post-bac, ont mis en place des plateformes numériques, des services d'appel téléphoniques et des réseaux de correspondants territoriaux. Les régions proposent de plus des réseaux d'ambassadeurs métiers, des offres de stages territorialisées au plus près des jeunes et ou des services d'« aller vers » (unités mobiles, « Orientibus »). Elles ont noué des partenariats avec les acteurs économiques et sociaux.

En revanche, pour Régions de France, la réforme ne résout pas la difficulté que rencontrent les régions pour mobiliser les équipes pédagogiques sur les actions qu'elles organisent, en particulier au collège où la région n'est pas naturellement identifiée. Il relève de la responsabilité de l'État de former les professeurs principaux et l'ensemble des personnels de l'Éducation nationale qui interviennent en matière d'orientation afin qu'ils aient le réflexe de se tourner vers la région et son offre de services.

En outre, la loi de 2018 s'est arrêtée au milieu du gué en ne transférant pas aux régions l'ensemble des moyens financiers et humains relatifs à la compétence d'orientation . En effet, les directions régionales de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep) et les centres d'information et d'orientation (CIO) sont restés dans le giron de l'État.

Considérant que « l'orientation est au coeur du continuum des compétences régionales, de l'éducation, de la formation et du développement économique », Régions de France propose, dans son livre blanc « Vers une République de la confiance » de mars 2022, de reconnaître la région comme « chef de file » en matière d'orientation professionnelle des jeunes et demandeurs d'emploi, ce qui impliquerait notamment de transférer de l'Éducation nationale à la région l'ensemble des moyens relatifs à l'orientation.

2. Des ajustements souhaitables du positionnement des OPCO
a) Des acteurs nouveaux en cours de structuration

Les OPCO sont devenus des opérateurs incontournables en charge de la mise en oeuvre des politiques publiques en matière d'emploi et de formation professionnelle. Malgré leur jeunesse, ils ont dû rapidement se saisir de compétences très larges ( cf . encadré ci-dessous) en se confrontant à de nouvelles missions, comme celle d'assurer le financement des contrats d'apprentissage, mais également à des défis humains et organisationnels.

En outre, ils ont continué à assurer jusqu'en 2021, à titre transitoire, la collecte des contributions des employeurs à la formation et à l'apprentissage. Les OPCO ayant exprimé des inquiétudes sur les conséquences du transfert en 2022 de la collecte aux Urssaf en matière d'accès aux données à des fins de pilotage budgétaire, les rapporteurs rappellent l'importance pour les OPCO que France compétences assure bien la mission de centraliser et de diffuser ces informations .

Les missions des OPCO

Les OPCO ont pour mission 85 ( * ) :

- d'assurer le financement des contrats d'apprentissage et de professionnalisation, selon les niveaux de prise en charge (NPEC) fixés par les branches ;

- d'apporter un appui technique aux branches adhérentes pour établir la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) et pour déterminer les NPEC des contrats d'apprentissage et des contrats de professionnalisation ;

- d'assurer un appui technique aux branches professionnelles pour leur mission de certification ;

- d'assurer un service de proximité au bénéfice des très petites, petites et moyennes entreprises, permettant d'améliorer l'information et l'accès des salariés de ces entreprises à la formation professionnelle et d'accompagner ces entreprises dans l'analyse et la définition de leurs besoins en matière de formation professionnelle, notamment au regard des mutations économiques et techniques de leur secteur d'activité ;

- de promouvoir les modalités de formation à distance ou en situation de travail auprès des entreprises ;

- de financer les formations en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail des membres de la délégation du personnel du comité social et économique (CSE) et du référent « harcèlement sexuel » au sein des entreprises de moins de cinquante salariés ;

- d'informer les entreprises sur les enjeux liés au développement durable et de les accompagner dans leurs projets d'adaptation à la transition écologique, notamment par l'analyse et la définition de leurs besoins en compétences.

Le périmètre des onze OPCO semble, pour l'essentiel, cohérent car il a été construit dans une logique de filières professionnelles. Leur taille en nombre de branches, d'entreprises ou de salariés et en montant de fonds gérés est toutefois très variable ( cf . tableau ci-dessous). Certains OPCO couvrent de nombreuses branches qui ne sont pas nécessairement confrontées aux mêmes problématiques, ce qui peut avoir des conséquences sur le déploiement de leur offre de services, notamment dans les territoires.

Périmètre et taille des onze opérateurs de compétences

Source : Jaune budgétaire « Formation professionnelle » annexé au PLF pour 2022

Opérateurs nationaux, les OPCO doivent pouvoir assurer des services de proximité aux entreprises et à leurs salariés sur l'ensemble du territoire national. Leur présence dans les territoires est toutefois inégale et se manifeste de diverses manières .

Par exemple, l'OPCO des entreprises de proximité (OPCO EP) s'est déployé dans les territoires à la fois par une présence opérationnelle et par une présence politique fines ( cf . encadré ci-après).

L'organisation territoriale de l'OPCO EP

Dans les territoires, la présence de l'OPCO EP se manifeste de deux manières :

- D'une part, l'organisation mise en place est fonctionnellement et géographiquement déconcentrée . L'OPCO EP a en effet souhaité maintenir l'ensemble des emplois en région dans le cadre de 98 implantations géographiques. La majorité des 1 035 collaborateurs de l'OPCO sont basés hors de Paris.

Le maillage territorial retenu repose sur trois principes : être présent dans chaque métropole régionale, dans quasiment tous les départements, quasiment toutes les villes de 100 000 habitants, ainsi que dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) ; assurer la couverture des bassins d'emploi significatifs ; porter une attention particulière aux territoires ruraux en assurant des antennes mobiles.

- D'autre part, la présence de l'OPCO EP se traduit sur l'ensemble du territoire par la présence de commissions paritaires régionales (CPR) constituées par les cinq syndicats de salariés et deux organisations patronales (l'U2P et la CPME). Ces commissions sont installées dans chaque région administrative, y compris dans les DROM. Le conseil d'administration de l'OPCO s'appuie sur leurs avis.

Chaque CPR a notamment pour mission de suivre la mise en oeuvre au niveau régional des politiques définies par l'OPCO EP ainsi que de représenter l'OPCO sur son territoire, notamment auprès des services déconcentrés de l'État, du conseil régional, des autres collectivités territoriales et des partenaires.

Les missions de chaque CPR s'inscrivent dans un plan d'actions régional qui permet de décliner au plus près des réalités locales les plans stratégiques de branches produits à l'échelle nationale et d'en réaliser un suivi et une évaluation efficaces.

Les rapporteurs considèrent que ce modèle, qui inclut une décentralisation de la participation des partenaires sociaux, constitue un exemple à suivre afin de restructurer le tissu des acteurs de la formation professionnelle et de garantir la présence dans les territoires d'interlocuteurs réactifs.

Proposition n° 9 : Développer l'implantation territoriale des OPCO à travers une présence opérationnelle et une présence politique sous forme de commissions paritaires régionales.

b) Une répartition des rôles entre les OPCO et les branches en question

Les OPCO ont été conçus comme « des outils au service des branches et des filières économiques, au profit des entreprises et des actifs » 86 ( * ) .

En pratique, les OPCO apparaissent parfois aux yeux des partenaires sociaux comme des relais, voire des « supplétifs » sur lesquels l'État et France compétences peuvent s'appuyer pour faire accepter une politique par les branches. Ils tendent ainsi à se substituer aux branches comme interlocuteurs des pouvoirs publics.

Le déploiement de l'offre de services aux entreprises des OPCO a pris du retard, notamment du fait de la crise sanitaire. Selon l'U2P, les OPCO sont aujourd'hui sollicités « tous azimuts » sur des appels à projets, des appels à manifestation d'intérêts et autres actions de promotion des métiers, parfois au détriment de leur mission première d'accompagnement des entreprises et surtout des TPE. De plus, cette offre de services rejoint parfois les missions des organisations professionnelles, ce qui peut être source de frictions.

Pour les rapporteurs, un recentrage des OPCO et de leur communication sur leur mission d'accompagnement des entreprises pourrait être affirmé à travers une modification de leur accord constitutif .

Il revient par ailleurs aux branches de s'appuyer sur ces opérateurs pour organiser les réponses aux besoins en compétences au niveau des bassins d'emploi, ce qu'elles ne font pas encore suffisamment.

En tout état de cause, il conviendra de stabiliser dans le temps le rôle des OPCO, compte tenu de la jeunesse de ces organismes.

Proposition n° 10 : Recentrer les OPCO sur leur mission première d'accompagnement des entreprises sur la base de modifications de leur accord constitutif.


* 81 Art. L. 6121-1 et L. 6121-2 du code du travail.

* 82 Hauts-de-France, Pays de la Loire, Bourgogne-Franche-Comté et Occitanie.

* 83 Art. L. 214-13 du code de l'éducation.

* 84 La région, l'État, les organisations syndicales et patronales.

* 85 Art. L. 6332-1 du code du travail.

* 86 Cf . étude d'impact du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, p. 201.

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