B. LE PROBLÈME CENTRAL DE LA SOUTENABILITÉ FINANCIÈRE DE LA RÉFORME

1. France compétences, un régulateur...
a) Une structure de régulation et de financement unique

La loi du 5 septembre 2018 a entendu mettre fin à une gouvernance nationale de la formation professionnelle éclatée entre, d'une part, une instance quadripartite, le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Cnefop), et, d'autre part, deux instances paritaires, le Comité paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation (Copanef) et le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP).

Afin de simplifier cette gouvernance et de rationaliser les missions exercées par les différents acteurs, l'article 36 de la loi a donc créé au 1 er janvier 2019 France compétences, une structure de régulation et de financement fusionnant ces trois instances ainsi que la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP) .

France compétences est un établissement public à caractère administratif doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière.

Le directeur général de France compétences exerce la direction de l'institution dans le cadre des orientations définies par son conseil d'administration, composé de trois représentants de l'État, deux représentants des régions, cinq représentants des organisations syndicales de salariés et trois représentants des organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel, ainsi que de deux personnalités qualifiées.

« Structure de gestion » ayant vocation à « associer l'État, les régions et les partenaires sociaux dans une démarche de transparence et d'ouverture », France compétences a été pensé comme une structure « à la fois nationale et légère », au conseil d'administration « à la fois ouvert et resserré » 35 ( * ) . Devenu la seule instance de gouvernance nationale de la formation professionnelle et de l'apprentissage, France compétences a néanmoins un rôle bien délimité. Ses missions sont déterminées par la loi, notamment à l'article L. 6123-5 du code du travail.

Les missions de France compétences

Financement et répartition

- Assurer la répartition et le versement des fonds issus des contributions dédiées au financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage, en fonction des conditions d'utilisation des ressources allouées, des effectifs et des catégories de public, en les affectant respectivement :

• à la Caisse des dépôts et consignations, pour le financement du CPF ;

• à l'État, pour la formation des demandeurs d'emploi ;

• aux OPCO, selon leur champ d'intervention, pour l'aide au développement des compétences au bénéfice des entreprises de moins de 50 salariés et pour le financement de l'alternance ;

• aux régions, pour le financement des centres de formation d'apprentis (CFA) ;

• à l'Agence de services et de paiement (ASP), pour le versement de l'aide au financement du permis de conduire des apprentis ;

• aux opérateurs du CEP des actifs occupés ;

• aux associations « Transitions Pro », pour le financement des PTP ;

• aux fonds d'assurance-formation de non-salariés ;

• au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) pour le financement des frais de formation des apprentis employés par les collectivités et établissements publics territoriaux ;

- Reverser aux OPCO des branches concernées les montants perçus au titre des contributions supplémentaires ayant pour objet le développement de la formation professionnelle continue créées par un accord professionnel national ;

- Établir, diffuser et actualiser périodiquement des tables de correspondance des branches et entreprises adhérentes des OPCO, en vue de faciliter les déclarations des employeurs, et de guider l'affectation aux OPCO des fonds collectés par les Urssaf et les caisses de MSA.

- Prendre toute mesure visant à l'équilibre du budget dont France compétences a la charge 36 ( * ) ;

Régulation et contrôle

- Organiser le CEP à destination de l'ensemble des actifs occupés, hors agents publics ;

- Établir le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et le répertoire spécifique ;

- Reconnaître des instances de labellisation pouvant délivrer la certification Qualiopi 37 ( * ) ;

- Mettre en oeuvre un système d'information national commun aux ATPro 38 ( * ) ;

- Émettre des recommandations sur :

• le niveau et les règles de prise en charge du financement de l'alternance afin de favoriser leur convergence et de concourir à l'objectif d'équilibre financier du système de la formation professionnelle continue et de l'apprentissage ;

• les modalités et règles de prise en charge des financements alloués au titre du CPF, en vue de leur harmonisation sur l'ensemble du territoire et de la soutenabilité du système de la formation professionnelle continue et de l'apprentissage ;

• la qualité des formations effectuées ;

• l'articulation des actions en matière d'orientation, de formation professionnelle et d'emploi ;

• la garantie de l'égal accès de tous les actifs à la formation professionnelle continue et à l'apprentissage ;

• toute question relative à la formation professionnelle continue et à l'apprentissage, notamment à leurs modalités d'accès et à leur financement ;

Observation et évaluation

- Assurer la veille, l'observation et la transparence des coûts et des règles de prise en charge en matière de formation professionnelle, lorsque les prestataires perçoivent un financement public ou mutualisé, en collectant les informations transmises par les prestataires de formation et en publiant des indicateurs permettant d'apprécier la valeur ajoutée des actions de formation ;

- Contribuer au suivi et à l'évaluation de la qualité des actions de formation dispensées en émettant notamment un avis sur le référentiel national Qualiopi ;

- Suivre la mise en oeuvre des contrats de plan régionaux de développement des formations et de l'orientation professionnelles (CPRDFOP) ;

- Consolider, animer et rendre publics les travaux des observatoires prospectifs des métiers et des qualifications (OPMQ) des branches professionnelles ;

- Financer des enquêtes de satisfaction pour évaluer la qualité de l'offre de service, au regard notamment des missions des OPCO.

France compétences est placé sous la tutelle de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Il est lié à l'État par une convention triennale d'objectifs et de performance (COP) qui définit les modalités de financement, la mise en oeuvre des missions et les modalités de suivi de l'activité de l'institution. La COP 2020-2022, structurée en quatre grands axes et huit objectifs stratégiques, a été signée le 1 er avril 2020. Pour la Cour des comptes, « la faiblesse des indicateurs de suivi de cette dernière, qui n'a pas été corrigée à l'occasion du premier exercice de suivi réalisé en 2021, limite toutefois son intérêt » 39 ( * ) .

b) Un opérateur au coeur du système aux moyens de régulation limités

Rapidement opérationnel, France compétences a, dès 2019, émis ses premières recommandations relatives aux niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage, sélectionné les opérateurs régionaux du CEP, mis en place sa commission de la certification professionnelle et mené la procédure de reconnaissance des instances de labellisation qualité. Au cours des années 2020 et 2021, l'établissement a progressivement investi son rôle de régulateur, notamment au moyen du levier du renouvellement des certifications professionnelles.

Les attributions de France compétences lui permettent d'être en relation avec l'ensemble des acteurs de la formation professionnelle et de l'alternance. La Cour des comptes relève cependant que ces relations sont de nature principalement technique et financière 40 ( * ) .

France compétences au coeur du système
de la formation professionnelle et de l'alternance

Source : Commission des affaires sociales

Les rapporteurs se sont intéressés aux relations que France compétences a construites avec certains de ces acteurs afin d'apprécier la place de l'établissement en tant que régulateur.

(1) La place stratégique de la Caisse des dépôts et consignations

La loi du 5 septembre 2018 a substantiellement étendu le rôle de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) en matière de formation professionnelle en lui confiant la gestion du CPF . Il lui incombe désormais :

- d'assurer la gestion administrative, technique et financière du dispositif ;

- d'adapter le système d'information du CPF pour permettre la gestion en toute autonomie par les titulaires de comptes de leurs droits en euros et le paiement direct des organismes de formation ;

- d'assumer, en tant que tiers de confiance, un rôle stratégique dans les relations entre acteurs de la formation professionnelle .

La Caisse des dépôts a déployé des outils et des procédures de contrôle de l'éligibilité des actions de formation afin de réguler le catalogue « Mon compte formation » : publication de guides et de règles de saisie, campagnes de rappels à l'ordre, de mises en garde et d'avertissements, mises en demeure ciblées en cas de défaut d'habilitation à former ou à certifier ou encore de contenus de formation sans rapport avec la certification visée 41 ( * ) .

La Caisse conclut avec l'État une convention triennale d'objectifs et de performance qui définit notamment la part des ressources destinée à financer les frais de mise en oeuvre de ses missions.

France compétences intervient en remboursant à la CDC les paiements qu'elle a réalisés. La relation entre la Caisse des dépôts et France compétences est donc avant tout d'ordre financier et s'inscrit dans le cadre d'une convention-cadre de partenariat en date du 9 mars 2020. Si la loi prévoit que la Caisse des dépôts rend compte trimestriellement à France compétences de l'utilisation de ses ressources et de ses engagements financiers 42 ( * ) , la Caisse lui fournit désormais chaque semaine un état précis de la montée en charge du CPF afin que l'établissement dispose d'informations quasiment en temps réel.

Indépendamment de France compétences, la Caisse des dépôts reçoit les ressources supplémentaires prévues par un accord collectif de branche et destinées à financer l'abondement du CPF. Elle peut également recevoir des abondements supplémentaires versés par les employeurs hors accord collectif 43 ( * ) .

Les échanges entre la CDC et France compétences portent également sur des questions de fond, liées notamment aux problématiques de qualité ou aux certifications professionnelles. La Caisse a été invitée à intervenir au conseil d'administration de France compétences afin de compléter l'information des administrateurs.

Enfin, la Caisse des dépôts centralisera à compter de 2023 le solde de la taxe d'apprentissage et affectera les montants collectés aux établissements éligibles en fonction des choix des employeurs formulés via une plateforme dématérialisée.

(2) Des échanges continus avec les opérateurs de compétences

À la suite de la loi du 5 septembre 2018, onze opérateurs de compétences (OPCO) , couvrant chacun un champ économique cohérent constitué de plusieurs branches professionnelles, ont été agréés par l'État au 1 er avril 2019, succédant aux vingt organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Il s'agit d'associations nationales constituées de manière paritaire par les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs représentatives dans les branches qui les composent.

Ces opérateurs ont vu leur rôle évoluer par rapport aux anciens OPCA. Ainsi, ils ont désormais pour mission d'assurer le financement des contrats d'apprentissage et de professionnalisation, selon les niveaux de prise en charge fixés par les branches, et d'apporter en la matière un appui technique à ces dernières. En revanche, la collecte des contributions à la formation professionnelle et à l'apprentissage, que les OPCO ont continué à assurer de manière transitoire de 2019 à 2021, est transférée aux Urssaf et aux caisses de la mutualité sociale agricole (MSA).

France compétences n'exerce aucune tutelle sur les OPCO . En revanche, une convention d'objectifs et de moyens (COM) est conclue entre chaque OPCO et l'État, qui prévoit les modalités de financement, le cadre d'action ainsi que les objectifs et les résultats attendus des opérateurs dans la conduite de leurs missions 44 ( * ) .

Les échanges entre France compétences et les OPCO sont néanmoins réguliers et prennent notamment la forme d'enquêtes trimestrielles sur le plan de développement des compétences (PDC) dans les entreprises de moins de 50 salariés et d'enquêtes mensuelles sur l'alternance concernant en particulier le prévisionnel de trésorerie des OPCO.

Le niveau de la dotation de chaque OPCO au titre du PDC des entreprises de moins de 50 salariés est fixé par France compétences à partir du produit de la collecte, cette enveloppe pouvant être complétée à l'aide des ressources propres de l'OPCO.

France compétences fournit des données aux OPCO pour leur permettre de remplir leur rôle d'appui technique aux commissions paritaires nationales de l'emploi et de la formation professionnelle (CPNE) des branches relevant de leur champ pour la détermination des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage. En sens contraire, les OPCO recensent les questions des CPNE pour les relayer à France compétences. Ils remplissent un rôle d'interface opérationnelle entre les CPNE et France compétences, notamment pour la transmission des NPEC via une plateforme dématérialisée.

Au titre de son objectif stratégique n° 2 (« Améliorer l'identification des besoins en compétences des entreprises »), la COP 2020-2022 prévoit que France compétences doit s'assurer de la bonne exécution du service de proximité des OPCO auprès des très petites, petites et moyennes entreprises au moyen d'enquêtes de satisfaction menées auprès des entreprises relevant de leur périmètre. Dans cette perspective, la collecte d'une enquête menée conjointement avec la Dares et le Céreq, portant sur l'année 2020, a été finalisée fin 2021 45 ( * ) .

(3) Une relation distante avec les branches professionnelles

Si les partenaires sociaux sont représentés au conseil d'administration de France compétences au niveau interprofessionnel, les branches ne participent pas en tant que telles à sa gouvernance. Les organisations de branche sont en revanche représentées au sein des OPCO ( cf. supra ).

• Dans le cadre de leur mission de détermination des niveaux de prise en charge (NPEC) des contrats d'apprentissage , les branches n'ont pas de contact direct structuré avec France compétences, qui s'appuie sur les OPCO pour les accompagner dans cette procédure. Une fois celle-ci lancée, il revient à la commission paritaire nationale de l'emploi et de la formation professionnelle (CPNE) de chaque branche de se prononcer sur l'ensemble des certifications relevant de son périmètre. Pour l'exercice 2022, France compétences a mis à disposition un tableau indiquant les charges moyennes observées par certification ou par niveau et domaine de spécialité sur la base des remontées comptables des CFA.

Après analyse des NPEC remontés par les CPNE, le conseil d'administration de France compétences peut émettre des recommandations afin de favoriser leur convergence et de concourir à l'objectif d'équilibre financier du système.

• Par ailleurs, France compétences a pour mission d'enregistrer au RNCP ou au répertoire spécifique les certifications créées par des organismes privés, y compris les certificats de qualification professionnelle (CQP) créés par les branches. La commission de la certification professionnelle de France compétences se prononce par un avis conforme sur les demandes d'enregistrement. Cette mission ne s'exerce pas uniquement vis-à-vis des branches mais de tous les organismes certificateurs privés . En revanche, les diplômes professionnels portés par des ministères sont enregistrés « de droit » sur avis conforme d'une commission professionnelle consultative (CPC) ( cf. infra , III. C).

Les avis rendus par la commission représentent un levier important de régulation de l'offre de formations professionnelles : d'après France compétences, alors que le taux d'acceptation par la CNCP des demandes d'enregistrement au RNCP était de 88 % en 2017, il est de 41 % en 2021 pour la commission de la certification de France compétences.

(4) La marginalisation des régions

Représentées au sein du conseil d'administration de France compétences, les régions sont parties prenantes de la gouvernance de la formation professionnelle et de l'apprentissage.

En matière d'apprentissage, le rôle des régions est désormais cantonné à la gestion des deux enveloppes résiduelles qui leur sont versées chaque année par France compétences pour apporter un financement complémentaire aux CFA quand des besoins d'aménagement du territoire et de développement économique le justifient 46 ( * ) : au total, 138 millions d'euros en matière de fonctionnement et 180 millions d'euros en matière d'investissement 47 ( * ) .

Dans le cadre d'une convention conclue avec France compétences , chaque région doit remonter à l'opérateur des indicateurs sur ses dépenses de fonctionnement et d'investissement en matière d'apprentissage et communiquer la liste des CFA qu'elle finance. Les indicateurs pour 2020 et 2021 étant en cours de transmission, France compétences sera prochainement en mesure d'établir un premier bilan du financement des CFA par les régions.

2. ... qui subit le déséquilibre structurel du système
a) Un système déficitaire dès 2020

Chargé de la répartition des ressources et du financement des dispositifs de formation, France compétences se trouve au centre des nouveaux circuits financiers mis en place par la loi du 5 septembre 2018.

Principaux dispositifs financés par France compétences

Source : Commission des affaires sociales

France compétences finance un large réseau d'acteurs de la formation professionnelle et de l'apprentissage et prend en particulier en charge deux postes de dépenses ouverts dans une logique de guichet :

- en matière d'alternance, France compétences verse aux OPCO, par le biais d'une enveloppe d'attribution initiale ainsi que d'une enveloppe complémentaire, dite de « péréquation interbranches », des fonds correspondant à leurs besoins de financement des contrats d'apprentissage , des contrats de professionnalisation et des Pro-A 48 ( * ) ;

- elle assure le financement du CPF à travers le versement d'une dotation à la Caisse des dépôts et consignations, qui en assure la gestion ( cf. supra ).

Le cadre réglementaire du budget de France compétences prévoit que l'établissement fixe chaque année le montant des différentes dotations à sa charge dans la limite de fourchettes, représentant notamment entre 5 % et 35 % des dépenses pour le financement du CPF et entre 55 % et 83 % des dépenses pour le financement de l'alternance 49 ( * ) . Même si les fourchettes ont été révisées en décembre 2020 pour permettre une plus grande souplesse 50 ( * ) , ce système s'est rapidement montré inopérant face au dynamisme de ces postes de dépense.

Dès 2019-2020, une mission des inspections générales a conclu qu'à la suite de la réforme, qui a étendu les dispositifs de guichet en lieu et place d'enveloppes fermées, « l'équilibre financier des dispositifs n'est pas garanti à moyen terme et demeure incertain à long terme » 51 ( * ) . En effet, à défaut d'augmentation de la fiscalité et de création de nouvelles ressources, la montée en puissance du recours au CPF et de l'apprentissage a créé des besoins de financement non couverts par les recettes de France compétences. La croissance au-delà des anticipations du recours à ces dispositifs ouverts n'a fait que creuser ce déséquilibre structurel.

Pour les représentants patronaux auditionnés par les rapporteurs, la question de l'équilibre financier du système représente « l'impensé absolu de la loi de 2018 ».

La réforme du financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage a en effet été réalisée « à "iso rendement" en maintenant le même niveau de prélèvements obligatoires » 52 ( * ) . De surcroît, la crise sanitaire a significativement diminué les recettes de France compétences en 2020 et 2021.

De 2019 à 2021, les OPCO se sont chargés à titre transitoire de l'ensemble de la collecte des contributions obligatoires. Comme le relève la Cour des comptes, le montant global de ces collectes n'est pas disponible car une fraction en était conservée par les OPCO 53 ( * ) .

Pendant cette période, le financement des contrats d'apprentissage, des contrats de professionnalisation et des Pro-A a été assuré au moyen d'une dotation complémentaire de France compétences au titre de la « péréquation interbranches ». Ce dispositif permet de couvrir tous les engagements au titre de l'alternance auxquels les OPCO ne peuvent pas faire face, ce qui revient, pour la Cour des comptes, à « centraliser à France compétences le déficit comptable des sections alternance des OPCO » 54 ( * ) . S'élevant à 5,8 millions d'euros en 2020 55 ( * ) et 5,4 milliards d'euros en 2021 , les dépenses au titre de la péréquation interbranches représentent le premier poste de dépenses de France compétences. Toutefois, en pratique, l'établissement ne décaisse que les montants nécessaires aux OPCO pour assurer le paiement des échéances liées à leur section « Alternance ».

À l'issue de cette période transitoire et du transfert de la collecte aux Urssaf et aux caisses de MSA, les ressources reversées à France compétences se composent :

- de la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance (Cufpa) , créée par l'article 37 de la loi du 5 septembre 2018, qui regroupe la contribution à la formation professionnelle (CFP) et la taxe d'apprentissage (TA) 56 ( * ) ; elle est assise sur la masse salariale avec un taux de cotisation de 1,23 % pour les entreprises jusqu'à 10 salariés et de 1,68 % au-delà ;

- de la contribution supplémentaire à l'apprentissage (CSA) , due par les structures assujetties à la TA dont l'effectif annuel moyen est supérieur à 250 salariés et où le nombre de contrats en alternance (contrat de professionnalisation, contrat d'apprentissage, convention industrielle de formation par la recherche) n'atteint pas 5 % de l'effectif ; le taux de la CSA varie entre 0,05 % et 0,60 % de la masse salariale en fonction du nombre d'alternants et de la taille de l'entreprise ;

- de la contribution dédiée au financement du compte personnel de formation pour les titulaires d'un contrat à durée déterminée (CPF-CDD) , dont le taux est fixé à 1 % du revenu d'activité retenu pour le calcul des cotisations sociales des titulaires d'un CDD pour les employeurs d'au moins onze salariés.

En 2022, les recettes inscrites au budget de France compétences s'élèvent ainsi à 9,58 milliards d'euros .

Ces produits s'avèrent loin d'être suffisants pour couvrir toutes les charges de France compétences ( cf . tableau ci-dessous).

Charges budgétaires de France compétences
(en millions d'euros)

Objet

Destinataires
du financement

Budget initial pour 2022

Formation des demandeurs d'emploi

État

1 684 M€

Projet de transition professionnelle

Associations « Transition Pro »

500 M€

Conseil en évolution professionnelle

Opérateurs du CEP

100 M€

Aide au développement des compétences au bénéfice des entreprises de moins de 50 salariés

OPCO

540 M€

Compte personnel de formation

Caisse des dépôts et consignations

2 600 M€

Alternance : financement des dépenses des actions de l'alternance, péréquation interbranches, aide au financement des CFA, aide au permis de conduire au bénéfice des apprentis, financement de l'alternance dans la fonction publique

OPCO, régions, Agence de services et de paiement, CNFPT

7 885 M€

Fonctionnement et investissements

22 M€

Intérêts sur concours bancaires

5 M€

Total des charges

13 336 M€

Source : France compétences

Les prévisions de charges initiales au titre de l'alternance s'élèvent à elles seules à 7,9 milliards d'euros. En réalité, les dépenses à ce titre pourraient s'élever cette année à 10 milliards d'euros au total, compte tenu des prévisions de charges ajustées en mars 2022 57 ( * ) . Elles consommeraient alors à elles seules la totalité des ressources prévisionnelles de France compétences ( cf . graphique ci-après).

Après avoir atteint 4,6 milliards d'euros en 2020 et 3,2 milliards en 2021 58 ( * ) , le déficit de France compétences pourrait ainsi avoisiner 5,9 milliards d'euros en 2022 (alors que le budget initial affichait un déficit de 3,8 milliards).

Résultat prévisionnel 2022 de France compétences
(en millions d'euros)

Source : Commission des affaires sociales d'après les données de France compétences

b) Des dotations exceptionnelles de l'État

Une première réaction de l'État est intervenue sous la forme de deux dotations exceptionnelles qui sont prises en compte dans le résultat de 2021 :

- une dotation de 750 millions d'euros votée en loi de finances initiale pour 2021 ;

- une dotation de 2 milliards d'euros prévue par la seconde loi de finances rectificative (LFR) pour 2021.

S'ajoutent à ces montants une dotation complémentaire aux ATPro de 100 millions d'euros en 2021 afin de soutenir le projet de transition professionnelle dans le cadre du Plan de relance.

Alors que le versement de la première subvention exceptionnelle était « subordonné au vote par le conseil d'administration de l'institution, au plus tard le 30 novembre 2021, d'un budget à l'équilibre pour 2022 » 59 ( * ) , cette condition a été supprimée par la 2 e LFR pour 2021 60 ( * ) car elle est rapidement apparue irréalisable. En effet, en dehors des leviers que constituent le pilotage de la détermination des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage, d'une part, et les décisions rendues sur l'enregistrement des certifications professionnelles, d'autre part, France compétences ne dispose pas d'outils propres qui permettraient de redresser sa situation financière .

Outre qu'elles sont insuffisantes, ces dotations de l'État ne constituent pas une solution pérenne pour assurer l'équilibre financier du système . Selon les informations fournies par France compétences, des crédits permettant de financer une nouvelle dotation exceptionnelle à l'établissement pourraient néanmoins être demandés dans le cadre du prochain projet de loi de finances rectificative.

c) Un recours croissant à l'emprunt bancaire

Pour faire face à ses difficultés de trésorerie, France compétences a été contraint de recourir à plusieurs reprises à des concours bancaires. Comme le prévoit la réglementation, leur terme ne peut être supérieur à douze mois 61 ( * ) .

Fin 2019, près de 400 millions d'euros avaient d'abord été empruntés pour couvrir le début de l'exercice 2020.

À compter de septembre 2020, un crédit renouvelable d'un maximum de 1,5 milliard d'euros sur douze mois a été contracté. 540 millions d'euros ont effectivement été empruntés au total.

En 2021, de nouveaux crédits ont été sollicités pour douze mois. Cinq banques ont accordé à France compétences des concours financiers à hauteur de 1,725 milliard d'euros maximum .

Compte tenu de l'aggravation de la situation financière de l'établissement avec un déficit prévisionnel de 5,9 milliards d'euros, le directeur général de France compétences a été autorisé à négocier un nouvel emprunt d'une durée de douze mois à compter de septembre 2022 avec un plafond de 5 milliards d'euros 62 ( * ) . Contrairement aux années précédentes, France compétences a bénéficié du soutien des services de l'État et de l'Agence France Trésor dans la négociation de cet emprunt. La charge d'intérêts représenterait 4,7 millions d'euros pour France compétences en 2022.

Pour les rapporteurs, ce recours croissant à l'emprunt bancaire n'est pas soutenable et devra rapidement céder le pas à des décisions structurelles .


* 35 Étude d'impact du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, p. 170.

* 36 Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 - Article 239.

* 37 Art. L. 6316-2 du code du travail.

* 38 Art. L. 6323-17-2 du code du travail.

* 39 Cour des comptes, France compétences , observations définitives, juin 2022.

* 40 Ibid.

* 41 Rapport annuel de gestion « Mon compte formation » 2020.

* 42 Art. L. 6333-5 du code du travail.

* 43 Art. L. 6333-3 du code du travail.

* 44 Art. L. 6332-2 du code du travail.

* 45 Rapport annuel sur la mise en oeuvre de la COP en 2021, France compétences, mars 2022.

* 46 Art. L. 6211-3 du code du travail.

* 47 Arrêté du 2 décembre 2020 fixant la répartition du fonds de soutien à l'apprentissage aux régions et à la collectivité de Corse et arrêté du 2 décembre 2020 fixant le montant et la répartition de l'enveloppe investissement prévue à l'article L. 6211-3 du code du travail aux régions et à la collectivité de Corse.

* 48 Reconversions ou promotions par alternance.

* 49 Art. R. 6123-25 du code du travail.

* 50 Décret n° 2020-1739 du 29 décembre 2020 relatif au recouvrement et à la répartition des contributions dédiées au financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle.

* 51 Conséquences financières de la réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle , rapport IGF-IGAS, avril 2020.

* 52 Cf . étude d'impact du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, p. 183.

* 53 Cour des comptes, France compétences , observations définitives, juin 2022.

* 54 Ibid.

* 55 Le montant de la péréquation interbranches a été exceptionnellement élevé en 2020 en raison de la reprise par les OPCO des contrats d'apprentissage signés avant le 1 er janvier 2020. Toutefois, les décaissements effectifs de France compétences ont été beaucoup plus réduits en pratique (1,3 milliard d'euros).

* 56 Plus précisément, si la part principale de la taxe d'apprentissage est reversée à France compétences, le solde de la taxe sera reversé à compter de 2023 à la Caisse des dépôts et consignations.

* 57 Source : Cour des comptes.

* 58 Les comptes de 2021 ne sont pas encore définitifs.

* 59 Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 - Article 239.

* 60 Loi n° 2021-1549 du 1 er décembre 2021 de finances rectificative pour 2021 - Article 12.

* 61 Art. R. 6123-8 du code du travail.

* 62 Délibération du conseil d'administration de France compétences n°2022-04-09 du 21 avril 2022.

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