EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 29 juin 2022 sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport d'information de Mmes Frédérique Puissat, Corinne Féret et M. Martin Lévrier, rapporteurs et rapporteure, sur France compétences.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons Frédérique Puissat, Corinne Féret et Martin Lévrier, qui nous présentent leur rapport d'information sur France compétences et font du même coup un bilan de l'application d'une loi emblématique du quinquennat, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Mme Frédérique Puissat , rapporteur . - La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a profondément réformé la formation professionnelle et l'apprentissage, en laissant davantage de liberté aux individus et de responsabilité aux entreprises. Au coeur du nouveau système se trouve France compétences, établissement public de l'État chargé depuis 2019 de réguler, de financer et d'évaluer les principaux dispositifs, dont l'apprentissage et le compte personnel de formation.

Après trois années de mise en oeuvre, le nouveau système a enclenché une dynamique considérable en faveur de la formation professionnelle et de l'alternance. Toutefois, les besoins de financement induits par cette croissance n'ont pas été anticipés, ce qui appelle des ajustements budgétaires et stratégiques. Il n'est aujourd'hui plus question de bouleverser le cadre fixé en 2018, mais de trouver des leviers de régulation, afin d'assurer le juste financement de dispositifs qui pourraient être recentrés sur les objectifs d'employabilité et d'insertion professionnelle.

M. Martin Lévrier , rapporteur . - Concernant l'apprentissage, la réforme a connu un indéniable succès quantitatif : le nombre de contrats d'apprentissage signés chaque année est passé de 321 000 en 2018 à 732 000 en 2021. Près de 1 500 centres de formation d'apprentis (CFA) ont ainsi été créés depuis la réforme.

Cette dynamique s'est appuyée sur une libéralisation de l'apprentissage. Financé par les opérateurs de compétences aux niveaux de prise en charge fixés par les branches professionnelles, l'apprentissage peut s'appuyer sur des CFA qui s'implantent librement sur le territoire, sous réserve d'être certifiés, et bénéficier d'aides de l'État largement amplifiées depuis la crise sanitaire.

Si cette progression est observée dans toutes les régions et pour tous les niveaux de formation, elle a surtout bénéficié à l'enseignement supérieur : 62 % des contrats signés en 2021 concernaient une formation post-baccalauréat, alors qu'ils ne représentaient que 38 % des contrats d'apprentissage en 2018. Il faut se féliciter de cette dynamique, mais nous considérons que les formations en apprentissage de niveaux inférieurs au baccalauréat pourraient être davantage soutenues, ces niveaux de qualification étant associés à de plus importantes difficultés d'insertion professionnelle.

Le compte personnel de formation (CPF) a également connu une forte croissance à la suite de sa rénovation par la loi du 5 septembre 2018. Le nombre de formations financées a quasiment doublé chaque année : de 517 000 en 2019 à 984 000 en 2020 et plus de 2 millions en 2021.

Le recours au CPF a été stimulé par sa désintermédiation au moyen de l'application « Mon compte formation », par l'alimentation des comptes en euros plutôt qu'en heures et par la simplification de l'éligibilité des formations.

Toutefois, ce recours porte de moins en moins sur les formations les plus qualifiantes et les plus adaptées aux besoins de compétences des entreprises. Ainsi, les formations les plus demandées en 2020 étaient les langues vivantes, la préparation au permis de conduire et les actions de formation destinées aux créateurs et repreneurs d'entreprise - lesquelles ont souvent un faible lien avec l'entrepreneuriat. Une petite minorité de formations vise à l'obtention d'une certification inscrite au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).

Le conseil en évolution professionnelle (CEP) connaît pour sa part une évolution conforme aux attentes, même s'il reste relativement peu connu : plus de 140 000 actifs occupés ont mobilisé le dispositif en 2021 contre 100 937 en 2020.

D'autres dispositifs relevant d'enveloppes fermées sont trop peu dotés, à l'image du projet de transition professionnelle (PTP) qui a succédé au congé individuel de formation : moins de 20 000 dossiers de PTP ont été pris en charge en 2021 dans le cadre d'une enveloppe totale de 553 millions d'euros.

De même, alors que les entreprises de 50 à 299 salariés ont été exclues du bénéfice des fonds mutualisés, les montants alloués au plan de développement des compétences des entreprises de moins de 50 salariés - 540 millions d'euros en 2022 - ne sont pas à la hauteur des enjeux d'adaptation des compétences à venir.

Par conséquent, les dispositifs de formation professionnelle font désormais la part belle à l'initiative des individus, au détriment des besoins des entreprises.

Mme Corinne Féret , rapporteure . - La réforme a placé au centre de ces dispositifs une structure de régulation et de financement unique. France compétences, créé par la loi du 5 septembre 2018, réunit dans un même établissement public les missions précédemment dévolues à quatre structures : le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Cnefop), le Comité paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation (Copanef), le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), ainsi que la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP).

France compétences a notamment pour mission d'assurer la répartition et le versement des fonds issus des contributions des employeurs au financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage.

En matière de régulation et de contrôle, il revient notamment à l'établissement d'organiser le CEP des actifs occupés, d'établir le RNCP et le répertoire spécifique, et d'émettre des recommandations sur le niveau de prise en charge des formations en alternance.

France compétences a également un rôle d'observation et d'évaluation, notamment en matière de transparence des coûts et de qualité des actions de formation.

Les attributions de France compétences n'en font pas le pilote du système, qui reste complexe et émietté. Elles permettent cependant à l'établissement d'être en relation technique et financière avec les principaux acteurs de la formation professionnelle et de l'alternance : l'État, qui en assure la tutelle et bénéficie d'un concours financier pour le financement de la formation des demandeurs d'emploi ; la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire du CPF ; les onze opérateurs de compétences (OPCO), qui, dans leur champ économique respectif composé de plusieurs branches professionnelles, assurent le financement des contrats d'apprentissage et de professionnalisation, apportent un concours au développement des compétences des entreprises de moins de 50 salariés, ainsi qu'un appui technique aux branches professionnelles.

Mme Frédérique Puissat , rapporteur . - Placé au centre des nouveaux circuits financiers mis en place par la loi du 5 septembre 2018, France compétences prend en particulier en charge deux postes de dépenses ouverts dans une logique de guichet. Il s'agit, d'une part, des dotations versées aux OPCO pour répondre à leurs besoins de financement des contrats d'apprentissage et des contrats de professionnalisation ; et, d'autre part, de la dotation versée à la Caisse des dépôts et consignations pour assurer le financement du CPF.

La large ouverture de ces dispositifs, qui ne s'est pas accompagnée de nouveaux moyens de financement, a créé des besoins non couverts par les ressources de France compétences. Ces dernières proviennent essentiellement du produit de la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance (Cufpa), ainsi que de la contribution supplémentaire à l'apprentissage (CSA) et de la contribution dédiée au financement du CPF pour les titulaires d'un CDD, qui sont désormais toutes collectées par les Urssaf et les caisses de la mutualité sociale agricole (MSA). La montée en puissance, au-delà des anticipations, de l'apprentissage et du recours au CPF n'a fait que creuser un déséquilibre structurel, présent depuis la réforme et centralisé au niveau de France compétences.

Le déficit de France compétences pourrait ainsi avoisiner 5,9 milliards d'euros en 2022, après avoir atteint 4,6 milliards d'euros en 2020 et 3,2 milliards d'euros en 2021.

Or France compétences ne dispose que de leviers de régulation très limités pour juguler les dépenses, notamment celui des recommandations aux branches en vue de la détermination des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage et celui du renouvellement de l'enregistrement des certifications professionnelles.

Les dotations exceptionnelles de l'État votées en lois de finances, à hauteur de 2,7 milliards d'euros en 2021, au demeurant insuffisantes, ne constituent pas une solution pérenne. De même, le recours croissant à l'emprunt bancaire, qui fait peser sur l'établissement une charge d'intérêts de près de 5 millions d'euros en 2022, n'est pas soutenable. Ces mesures ponctuelles devront donc rapidement céder le pas à des décisions structurelles.

M. Martin Lévrier , rapporteur . - En matière de gouvernance du système de formation professionnelle et d'apprentissage, la place de France compétences fait l'objet de malentendus.

Le conseil d'administration de l'établissement, conçu comme une instance de gouvernance quadripartite, réunit des représentants de l'État, des organisations syndicales et patronales représentatives au niveau national et interprofessionnel et des régions, ainsi que des personnalités qualifiées. Toutefois, cet organe est actuellement moins une instance de décision qu'un espace d'information et d'échanges, les décisions politiques étant prises en amont par l'État, ce qui est source de frustrations.

En tant que parties prenantes à la gouvernance et au financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage, les partenaires sociaux et les conseils régionaux demandent légitimement à être davantage associés à la réflexion et aux décisions stratégiques.

Plutôt que de créer une nouvelle structure qui se superposerait à France compétences, nous préconisons d'associer de manière plus systématique les principaux acteurs de la formation professionnelle, dont les partenaires sociaux, à la définition des objectifs et des orientations stratégiques pour les atteindre, sous la forme de réunions avec le ministre du travail. Autrement dit, nous préférons mettre en place un « chevau-léger » plutôt qu'une « grosse cavalerie ». Ces réunions pourraient aboutir, à partir de diagnostics partagés, à la définition d'une trajectoire pluriannuelle de retour à l'équilibre financier du système. L'assemblée générale de France compétences, qui est plus large que le conseil d'administration et qui est actuellement peu mobilisée, pourrait voir son rôle renforcé en matière de discussion des orientations qui seraient ainsi définies.

Le conseil d'administration a mis en place des commissions spécialisées qui produisent, selon les organisations qui y sont représentées, des travaux intéressants qui ne peuvent pas suffisamment être exploités par les administrateurs. Il conviendrait de renforcer leurs moyens et de remonter plus systématiquement leurs travaux aux administrateurs en amont des délibérations.

Afin de responsabiliser les principaux acteurs, y compris l'État, il serait souhaitable que le conseil d'administration soit effectivement associé à la régulation financière du système. Or, le cadre réglementaire actuel ne le permet pas.

Tout d'abord, les administrateurs de France compétences doivent composer avec le fléchage réglementaire de certaines dépenses. En particulier, le montant de la dotation pour le financement de la formation des demandeurs d'emploi, affectée au plan d'investissement dans les compétences (PIC), a été fixé par décret pour les années 2019 à 2022.

En outre, France compétences n'a pas de marge de manoeuvre sur les postes de dépenses qui relèvent d'une logique de guichet, comme les dotations pour l'apprentissage et le CPF.

Le cadre réglementaire actuel prévoit que le conseil d'administration de France compétences affecte le produit des contributions qui sont reversées à l'établissement aux différents dispositifs qu'il finance dans les limites de fourchettes prédéterminées, exprimées sous forme de pourcentage des ressources. Ce système a rapidement montré ses limites, si bien que les fourchettes initiales ont été élargies dès décembre 2020. Surtout, cet exercice restera vain tant que les recettes de France compétences seront insuffisantes pour financer les dépenses : en 2022, les seules dépenses liées à l'alternance pourraient représenter plus de 100 % des recettes.

Il ne paraît donc pas pertinent de maintenir la référence à des fourchettes. En revanche, le conseil d'administration devrait être en capacité de délibérer et de se prononcer par un vote sur un budget global.

Mme Corinne Féret , rapporteure . - Par ailleurs, il serait légitime que les branches professionnelles soient associées au pilotage du système. La réforme de 2018 a conféré aux branches un rôle important en matière de fixation des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage comme en matière de certification professionnelle. Toutefois, celles-ci ne participent pas en tant que telles à la gouvernance de France compétences, puisque les partenaires sociaux sont représentés au conseil d'administration au niveau interprofessionnel.

Les relations entre France compétences et les branches apparaissent limitées et à sens unique. En pratique, l'opérateur s'adresse souvent aux OPCO lorsqu'un dialogue avec les branches est nécessaire.

Il paraît possible de mieux prendre en compte les particularités des branches professionnelles. Les principales branches pourraient ainsi être entendues une fois par an par la commission Recommandations de France compétences sur les orientations stratégiques de leur politique de formation. Il serait également opportun d'instituer un dialogue plus régulier et plus ouvert entre les services de l'établissement et les branches concernant la procédure de révision des coûts-contrats.

En matière de gouvernance territoriale, la réforme semble avoir complexifié la situation.

La réforme de 2018 revient pour une large part à un dessaisissement des régions. En matière d'apprentissage, celles-ci ont vu la majeure partie de leurs compétences transférées aux branches professionnelles et aux OPCO. Concernant la formation professionnelle, la loi confie toujours à la région une compétence d'organisation et de financement, qui s'apparente néanmoins à un rôle d'animation sans véritables prérogatives.

Les comités régionaux de l'emploi, de l'orientation et de la formation professionnelles (Crefop) restent les instances quadripartites de coordination locale. Ils fonctionnent de manière très variable selon les régions. En outre, il n'existe pas à ce jour de relation structurée entre les Crefop et France compétences, qui ne joue pas le rôle d'animation anciennement dévolu au Cnefop.

Les territoires et, plus spécifiquement, les bassins d'emploi sont néanmoins des échelons pertinents de définition des politiques en matière de formation professionnelle. Dans cette perspective, les Crefop devraient pouvoir disposer des études prospectives et des données, émanant notamment des branches, qui leur permettraient de produire une réflexion stratégique. Les priorités ainsi fixées par les Crefop pourraient servir de base à des expérimentations régionales menées avec le soutien de France compétences.

Les OPCO ont succédé aux organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) avec des compétences nouvelles. Ils ont également dû continuer d'assurer jusqu'en 2021, à titre transitoire, la collecte des contributions des employeurs à la formation professionnelle et à l'apprentissage. Ils ont ainsi été soumis, au cours de leurs premières années de fonctionnement, à des défis humains et organisationnels.

Bien qu'ils soient des opérateurs nationaux, les OPCO doivent pouvoir garantir des services de proximité aux entreprises et à leurs salariés. Leur présence dans les territoires est toutefois inégale. Nous considérons, au regard de l'exemple probant de l'OPCO des entreprises de proximité, que l'implantation locale des OPCO pourrait être développée à travers une présence opérationnelle, ainsi qu'une présence d'élus sous forme de commissions paritaires régionales.

Nos auditions ont fait apparaître que les OPCO tendent à se substituer aux branches comme interlocuteurs des pouvoirs publics, tandis que leur offre de services aux entreprises n'a pas encore trouvé le bon positionnement. Nous proposons que les OPCO soient recentrés sur leur mission première d'accompagnement des entreprises, ce qui pourrait passer par une modification de leur accord constitutif.

Mme Frédérique Puissat , rapporteur . - Pour retrouver des marges de manoeuvre afin de prolonger la logique de la réforme, il convient d'abord d'adapter le financement mutualisé de la formation professionnelle aux besoins du marché du travail.

Sans remettre en cause la liberté des actifs d'accéder à la formation professionnelle de leur propre initiative à l'aide du CPF, il paraît possible de mieux maîtriser son pilotage et de le recentrer sur les enjeux d'employabilité et de parcours professionnels.

Afin de responsabiliser les bénéficiaires et d'élever l'intérêt des formations prises en charge, nous proposons d'instaurer un reste à charge pour l'utilisateur du CPF, même modique, en cas de formation ne débouchant pas sur une certification inscrite au RNCP. Seraient ainsi concernées certaines des formations les plus demandées dans le cadre du CPF, telles que la préparation au permis de conduire ou les formations en langues étrangères.

Le reste à charge que nous proposons d'instaurer pour les utilisateurs du CPF pourrait cependant être supprimé, d'une part, en cas de co-financement par l'employeur, afin de promouvoir la co-construction des parcours de formation ; d'autre part, en cas de validation du projet de formation dans le cadre d'un CEP, afin d'améliorer l'accompagnement des utilisateurs.

Afin de développer les pratiques d'abondement du CPF par l'employeur, qui restent marginales, la négociation collective apparaît comme un levier pertinent. Nous préconisons donc d'encourager la conclusion d'accords collectifs prévoyant des mesures d'abondement en inscrivant ce thème de négociation au titre des dispositions d'ordre public dans le code du travail et en étendant cette négociation obligatoire à toutes les entreprises de 50 salariés et plus.

Il convient par ailleurs de renforcer la lutte contre la fraude au CPF et le démarchage abusif, même si leur impact financier reste à ce jour limité : environ 15 000 comptes ont été atteints au total, d'après la Caisse des dépôts et consignations.

Le mode de financement de la formation des demandeurs d'emploi mérite également d'être réévalué. Les fonds mutualisés de la formation professionnelle y contribuent pour une large part, à travers France compétences, dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (PIC). Cette contribution est rattachée au budget de l'État par le biais d'un fonds de concours. Son montant a été fixé à 1,632 milliard d'euros pour 2021 et 1,684 milliard d'euros pour 2022.

La légitimité de ces versements est contestée : le pilotage du plan étant maîtrisé par l'État, en s'inscrivant pour partie dans le cadre des pactes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC), les entreprises ont le sentiment d'être « payeurs aveugles » sur ce volet où elles ne voient pas de retour sur investissement. Dans un référé d'avril 2021, la Cour des comptes avait relevé le « fort éparpillement » des actions financées par le PIC. Parmi celles-ci figure par exemple la Garantie jeunes, remplacée depuis le 1 er mars dernier par le contrat d'engagement jeune.

Les partenaires sociaux appellent ainsi à distinguer, au sein du PIC, ce qui relève de dispositifs apportant des réponses concrètes aux besoins de compétences des entreprises, que peuvent financer les contributions des employeurs, et les priorités d'ordre national relevant de la responsabilité financière de l'État.

Cette clarification devrait conduire à plafonner la dotation de France compétences au PIC à un montant fixé par accord entre les partenaires sociaux. En outre, il nous semblerait cohérent que cette dotation diminue concomitamment à l'amélioration de la situation du marché du travail. La contribution de France compétences au PIC pourrait évoluer, de manière contra-cyclique, en fonction de l'évolution du taux de chômage.

En sens contraire, il serait souhaitable, et plus transparent, d'améliorer le recours des demandeurs d'emploi au CPF, qui est lui aussi alimenté par la contribution formation des employeurs.

Nous soulignons également l'importance de prendre en compte, le moment venu, les observations du comité scientifique chargé de l'évaluation du PIC.

M. Martin Lévrier , rapporteur . - Il convient en outre de mieux réguler l'apprentissage, sans freiner son développement.

Tout d'abord, la détermination des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage - le « coût-contrat » - pourrait être davantage encadrée.

La réforme de 2018 a confié aux branches professionnelles le soin de déterminer les niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage, sous la supervision de France compétences, qui doit assurer la convergence de ces niveaux et contribuer à l'équilibre financier du système. Les opérateurs de compétences financent ensuite les CFA selon les niveaux de prise en charge définis pour chaque formation en apprentissage.

Afin d'assurer la convergence des coûts, France compétences émet des recommandations aux branches professionnelles lorsque celles-ci proposent des niveaux de prise en charge trop divergents. Si les branches ne prennent pas en compte ces recommandations, le niveau de prise en charge concerné est déterminé par décret.

Le premier exercice de détermination des niveaux de prise en charge a été lancé en 2019. France compétences a constaté que 70 % des valeurs fixées par les branches étaient convergentes. Ses recommandations, émises sur les valeurs non convergentes, ont été suivies à 98 % par les branches professionnelles.

Un nouvel exercice de détermination des coûts-contrats a été engagé à la fin de 2021, en prenant en compte l'observation des charges moyennes des CFA qui ont pu être collectées grâce à la remontée de leurs comptes analytiques au titre de l'année 2020. Ces données comptables ont révélé un écart d'environ 20 % entre le coût moyen observé et la moyenne des niveaux de prise en charge.

France compétences a donc invité les branches à ajuster leurs niveaux de prise en charge pour qu'ils soient plus proches des coûts réels des CFA, sur la base des données collectées. Cet exercice a nécessité un délai plus important qu'envisagé, car France compétences a considéré que ces coûts observés n'avaient pas été suffisamment pris en compte par les branches dans leurs premières propositions de niveaux de prise en charge.

Après ces deux exercices de détermination des coûts-contrats, nous considérons que les leviers de régulation de l'apprentissage doivent être renforcés pour assurer sa soutenabilité. En particulier, les recommandations de France compétences doivent pouvoir mieux prendre en compte l'observation des coûts.

Nous proposons donc qu'une concertation soit menée entre France compétences et les branches, afin d'engager un mouvement général de diminution des niveaux de prise en charge, pour les rapprocher des coûts réels des CFA.

Il conviendra d'élaborer une démarche qui préserve la viabilité des CFA et la dynamique en faveur de l'apprentissage, tout en assurant le juste financement et la soutenabilité du système. Dans ce cadre, il faut accorder davantage de temps aux branches pour faire évoluer ces coûts-contrats, et il convient de mieux les accompagner dans cet exercice.

Le maintien d'une formation en apprentissage de qualité dans un contexte de forte croissance des effectifs passe par le renforcement du soutien aux investissements des CFA. Les représentants des CFA que nous avons entendus estiment le besoin de financement en investissement à 700 millions d'euros pour 2022.

Il existe, pour soutenir ces dépenses d'investissement, des enveloppes budgétaires à la main des conseils régionaux. France compétences finance ainsi deux enveloppes : l'une pour le fonctionnement, à hauteur de 138 millions d'euros, l'autre pour l'investissement, à hauteur de 180 millions d'euros. Les conseils régionaux disposent ensuite de ces enveloppes pour soutenir les CFA. Alors que l'enveloppe consacrée au soutien du fonctionnement était sous-consommée, le Gouvernement a autorisé par décret la fongibilité des enveloppes, ce qui permet de donner plus de latitude aux régions pour soutenir les investissements des CFA.

Nous proposons d'aller plus loin en prévoyant que les montants alloués par l'État varient en fonction de l'évolution des effectifs d'apprentis, car les dotations fixées en 2018 ne semblent plus adaptées à la croissance de l'apprentissage.

Les besoins spécifiques pourraient en outre être mieux identifiés dans le cadre de la prise en charge des contrats d'apprentissage. À cet égard, nous considérons qu'une étude doit être menée par France compétences pour évaluer les besoins spécifiques des apprentis et des CFA dans les territoires d'outre-mer, afin de s'assurer de la bonne adaptation des dispositifs et de proposer, le cas échéant, les ajustements nécessaires.

Par ailleurs, nous regrettons que la part de personnes handicapées parmi les nouveaux entrants en apprentissage stagne depuis 2015, malgré les dispositifs de soutien existants. Celles-ci pourraient bénéficier d'un soutien renforcé grâce à l'enveloppe régionale d'aide au fonctionnement des CFA.

Ensuite, en complément de la régulation des coûts, il est possible d'agir sur les ressources destinées au financement de l'apprentissage.

La taxe d'apprentissage a été intégrée à la contribution unique pour la formation professionnelle et l'apprentissage (Cufpa) depuis la réforme de 2018. Elle est fixée à 0,68 % de la masse salariale. Sa part principale (0,59 %) finance l'apprentissage et son solde (0,09 %) des formations initiales technologiques et professionnelles hors apprentissage.

Cette taxe connaît toutefois de nombreuses exemptions et exonérations. Certains secteurs d'activité ou catégories d'employeurs ne sont pas redevables de la taxe d'apprentissage : associations, fondations, coopératives agricoles, mutuelles, organismes HLM, secteur de l'enseignement, etc . En outre, les entreprises d'Alsace et de Moselle sont assujetties à des taux réduits.

Ces exemptions sont le fruit d'une sédimentation de mesures de soutien sectorielles dont la pertinence n'apparaît plus forcément justifiée. En effet, tous les employeurs de droit privé peuvent recruter des apprentis et bénéficier à ce titre des aides de l'État s'ils y sont éligibles. On pourrait donc envisager, au nom d'un principe d'équité, que tous les employeurs privés participent au développement de l'apprentissage, qui favorise l'insertion des jeunes sur le marché du travail. Ce principe a été défendu par les partenaires sociaux dans leur accord-cadre du 14 octobre 2021 sur l'adaptation de la réforme.

Nous proposons donc qu'une concertation soit engagée avec les employeurs aujourd'hui dispensés de taxe d'apprentissage pour que, à terme, et selon une application progressive, tous les employeurs de droit privé susceptibles d'accueillir des apprentis soient redevables de cette taxe.

Cette extension devra être précédée d'une évaluation de ses impacts sur les acteurs économiques et les territoires concernés, en veillant à ne pas mettre en péril certains secteurs d'activité. Les exonérations aujourd'hui prévues pour les petites entreprises pourraient ainsi être maintenues, afin de ne pas les fragiliser.

Enfin, nous identifions un dernier levier à actionner en matière d'apprentissage : la modulation du coût-contrat pour les formations qui bénéficient d'autres sources de financement public. La loi a prévu la possibilité d'une telle modulation, mais le Gouvernement ne l'a, à ce stade, pas utilisée.

L'objectif de cette modulation serait d'atténuer le niveau de prise en charge versé à des organismes de formation publics compte tenu des financements ou avantages matériels dont ils peuvent bénéficier par ailleurs et qui leur permettent de réduire leur coût par apprenti. C'est en particulier le cas des lycées ou établissements d'enseignement supérieur publics accueillant un public mixte d'étudiants et d'apprentis.

Il serait donc opportun d'évaluer précisément les coûts et les sources de financement des organismes bénéficiant à la fois de la prise en charge au contrat et d'autres financements publics, afin d'engager, sur cette base, une modulation du coût-contrat pour éviter une différence de traitement selon les CFA.

Mme Corinne Féret , rapporteure . - France compétences dispose par ailleurs d'un levier de régulation des formations en tant que gestionnaire des répertoires des diplômes et titres à finalité professionnelle.

En effet, les diplômes et les titres délivrés au nom de l'État sont enregistrés de droit dans les répertoires, qu'il s'agisse du répertoire national de la certification professionnelle (RNCP) ou du répertoire spécifique (RS).

L'enregistrement dans ces répertoires des autres certifications professionnelles, qui émanent d'organismes privés ou des branches, est soumis à l'avis conforme de France compétences. À défaut d'enregistrement de leurs certifications, les organismes de formation ne peuvent bénéficier des fonds mutualisés, notamment ceux du CPF. France compétences détient ainsi une prérogative déterminante pour réguler les certifications et contrôler la qualité de la formation professionnelle.

L'établissement s'est engagé dans cette mission dès 2019 et a réalisé un travail de qualité, qui a été salué par les acteurs de la formation. Face au nombre de demandes d'enregistrement, ses délais de traitement se sont toutefois allongés considérablement. Ils se sont établis à six mois en 2021 et au début de l'année 2022, mais France compétences s'est donné pour objectif de ramener ce délai à cinq mois pour la fin 2022, puis entre trois et quatre mois en 2023. Nous considérons que France compétences doit atteindre, à compter de 2023, un délai moyen de traitement des demandes de trois mois et qu'il ne devrait pas dépasser un délai de six mois pour y répondre, compte tenu des attentes des acteurs et de l'importance de cette mission pour la qualité des formations.

Enfin, nous avons examiné les moyens et les missions de France compétences en tant qu'établissement public, pour s'assurer qu'il pouvait exercer ses activités dans de bonnes conditions.

L'établissement a dû, dès sa création, structurer son organisation interne, afin de se mettre en état d'assurer les missions qui lui ont été confiées par la loi. France compétences disposait alors d'un plafond d'emplois de 70 équivalents temps plein (ETP), mais ce niveau ne tenait pas compte des missions supplémentaires qui lui avaient été confiées et qui n'étaient pas assurées par les instances qui l'ont précédé. L'établissement a donc dû assurer ses missions avec de fortes contraintes d'effectifs associées à des difficultés de recrutement. Ces difficultés sont progressivement levées grâce à l'augmentation du plafond d'emplois accordés à France compétences, qui a été fixé à 86 ETP par la loi de finances pour 2022. Cette augmentation est bienvenue pour que France compétences puisse assurer ses missions dans de bonnes conditions et renforcer ses capacités de régulation.

Pour financer ses dépenses de fonctionnement et d'investissement, France compétences bénéficie du produit d'une fraction des contributions des entreprises pour la formation professionnelle et l'apprentissage. Alors qu'il est un établissement public administratif sous tutelle de l'État, France compétences ne bénéficie pas de crédits du budget de l'État, ce qui est atypique. Ainsi que le recommande la Cour des comptes dans son rapport sur France compétences, paru la semaine dernière, nous considérons que les dépenses de fonctionnement et d'investissement de l'établissement devraient être financées par une subvention pour charge de service public issue du budget de l'État.

Après presque quatre ans d'existence, une revue des missions de l'établissement pourrait également être engagée. Nous invitons donc le ministère du travail, en concertation avec France compétences, à identifier les missions pour lesquelles l'établissement n'est pas l'opérateur le plus efficient ou adapté, afin que celui-ci puisse se concentrer sur ses principales missions de financement et de régulation.

France compétences est notamment chargé de la gestion du système d'information des associations « Transition Pro », alors que l'établissement n'a pas de lien juridique avec ces associations et qu'il est le régulateur des projets de transition professionnelle mis en oeuvre par ces associations. Cette mission pourrait donc lui être retirée.

Nous avons également examiné le rôle de la médiatrice de France compétences, qui est chargée d'instruire les réclamations individuelles des usagers du conseil en évolution professionnelle (CEP) et des projets de transition professionnelle (PTP).

Les demandes adressées à la médiatrice sont en progression, mais celle-ci n'est pas encore assez visible pour les usagers. Plus largement, les différents médiateurs intervenant dans le champ de la formation professionnelle et de l'apprentissage souffrent aussi de ce manque de visibilité. Nous proposons donc la mise en place d'un registre public des médiateurs compétents en matière de formation professionnelle et d'apprentissage.

En outre, pour certains dispositifs, l'offre de médiation est inexistante. Le médiateur de France compétences n'est par exemple pas compétent pour traiter des projets de reconversion professionnelle des salariés démissionnaires, dispositif pourtant très proche des PTP qui figurent déjà dans son périmètre. Le médiateur de France compétences pourrait donc élargir son champ d'action à ce dispositif.

Mme Frédérique Puissat , rapporteur . - En conclusion, le système mis en place par la réforme de 2018 a ouvert la voie à un développement quantitatif remarquable de l'apprentissage et à une démocratisation de la formation professionnelle, mais il doit désormais être piloté et financé.

À cette fin, les décisions structurelles qui doivent être prises relèvent de deux ordres.

D'une part, il est nécessaire d'assurer un meilleur pilotage stratégique de cette politique en faveur du développement des compétences professionnelles des actifs. Des choix structurels de financement s'imposent également, et devront être faits par le Gouvernement en concertation avec les partenaires sociaux.

D'autre part, le rôle et les moyens de France compétences doivent être confortés, pour lui permettre d'assurer effectivement sa mission de régulateur.

La préservation de la dynamique lancée par cette réforme nécessite que l'ensemble des acteurs se mobilisent pour assurer la soutenabilité et la performance du système.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci pour ce rapport très complet sur un sujet particulièrement technique.

M. Philippe Mouiller . - Ce rapport était attendu par les acteurs de l'apprentissage. Il apporte des réponses aux questions que nous avions posées au moment de l'examen de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, et qui portaient sur les missions, l'organisation et le financement de France compétences.

Une partie importante de ce rapport est consacrée aux difficultés de financement de l'établissement, le déficit s'élevant à 5,9 milliards d'euros en 2022. Comment envisagez-vous l'avenir ? En effet, si la réussite de l'apprentissage est à saluer, son financement est en complet décalage avec les besoins.

Le rapport propose des pistes de financement complémentaires, qui consisteraient notamment à élargir le champ des employeurs assujettis à la taxe d'apprentissage. Toutefois, faut-il aussi modifier les taux de la Cufpa, de la CSA ou du financement complémentaire du CPF pour les CDD ? Autrement dit, sera-t-il nécessaire de créer des charges supplémentaires pour les entreprises ? L'économie générale du système est en jeu. Certaines structures ne risquent-elles pas d'avoir à s'acquitter de charges très lourdes ?

Un autre volet porte sur l'orientation du montant des coûts-contrats. Est-elle judicieuse ? En effet, un certain nombre de CFA qui étaient inquiets de la réforme se portent en réalité mieux que jamais.

Quant au conseil d'administration de France compétences, il avait donné lieu à d'abondantes discussions lors de l'examen de la loi tant en ce qui concerne sa composition que son orientation et ses missions. L'inquiétude portait sur le fait que le Gouvernement finisse par travailler sans associer l'établissement. Or, votre rapport préconise noir sur blanc que le ministre organise des réunions, ce qui revient à constater que le dialogue entre le Gouvernement et les OPCO opère de manière directe, sans intermédiaires. Quelle place pour les partenaires sociaux et les régions ?

Une autre question porte sur le financement des OPCO. Où en est-on ?

Enfin, concernant le handicap, l'enjeu est-il celui du financement ou bien celui de l'adaptation des structures de formation à l'accueil des personnes handicapées ? La réforme prévoyait la mise en place de référents handicap dans les CFA ; ces référents existent sur le papier, mais qu'en est-il en réalité ?

M. Olivier Henno . - Merci aux rapporteurs pour la qualité de leur travail, qui fera date.

Lors de l'examen de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, un certain nombre d'objectifs avaient été fixés, en particulier celui de ne pas éloigner de la décision les partenaires sociaux et les conseils régionaux. Le Gouvernement avait tenté de nous rassurer sur ce point, mais la promesse n'a pas été tenue.

En matière de financement et de régulation du système, les résultats ne sont pas là.

La gouvernance, rassemblée autour de France compétences, devait donner lieu à une décision claire et limpide. On craignait là une forme de recentralisation, et nous n'avions pas tort.

Par conséquent, compte tenu de l'absence de résultats, considérez-vous qu'il faudrait régler et adapter la loi telle qu'elle est ou bien que nous devrions remettre l'ouvrage sur le métier et légiférer à nouveau sur la formation professionnelle, même si on l'a déjà beaucoup fait ?

Mme Michelle Meunier . - Vous dites qu'il faut une décision structurelle pour améliorer la gouvernance de France compétences. En outre, M. Lévrier a précisé que les décisions se prenaient en amont du conseil d'administration de l'établissement, en mentionnant la possibilité d'un élargissement du rôle de l'assemblée générale. Le rapport comporte-t-il des recommandations précisant cette possibilité ?

Mme Frédérique Puissat , rapporteur . - Le rapport a été le fruit d'un consensus entre les rapporteurs. Chacun d'entre nous se montrera certainement plus libre dans les réponses qu'il fera maintenant.

Monsieur Mouiller, le rapport était d'autant plus attendu que le système est en péril - il faut avoir le courage de le dire. Les dettes s'accumulent, et les déficits accumulés depuis le 1 er janvier 2019, date à laquelle l'instance a été créée, sont importants. En outre, la crise liée à l'épidémie de covid-19 a eu pour effet de diminuer les recettes de l'établissement. Le récent rapport de la Cour des comptes sur France compétences a eu un certain retentissement.

Comment donc juguler le déficit de 5,9 milliards d'euros ? Pour l'heure, le seul outil dont dispose le directeur général de France compétences est le recours à l'emprunt, à hauteur de 5 milliards d'euros. Pourtant, dès 2020, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances (IGF) avaient tiré la sonnette d'alarme.

Concernant les économies que l'on pourrait réaliser, il convient de rappeler l'existence de charges qui s'imposent à France compétences, en particulier le PIC. Les partenaires sociaux considèrent que, sur les 9,6 milliards d'euros de recettes affectées à France compétences, 1,6 milliard d'euros relève du « hold-up », car il est capté par l'État pour financer des actions qui échappent à la politique des employeurs finançant l'établissement. La révision des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage ne sera donc pas suffisante pour atteindre l'équilibre.

Quant au conseil d'administration de France compétences, faut-il donner plus ou moins de voix aux partenaires sociaux ? Compte tenu de l'ampleur du déficit et de l'insuffisance des ressources, réviser la pondération des voix ne suffirait pas. Cela est d'autant plus vrai que France compétences est une instance de régulation et non une instance stratégique. Par conséquent, nous avons considéré que l'unique possibilité de développer une stratégie sur la formation est de se positionner au-dessus de France compétences, au niveau du ministre, de façon que les décisions prises en concertation avec les partenaires sociaux contribuent à réguler le fonctionnement de l'établissement tout en lui garantissant un équilibre financier. Le débat sur ces orientations se ferait dans le cadre de l'assemblée générale, plus large que celui du conseil d'administration de France compétences.

Monsieur Henno, vous nous demandez si les partenaires sociaux et les conseils régionaux sont encore dans la boucle : non, ils ne le sont plus. Je ne crois pas non plus qu'il puisse y avoir une instance qui soit en mesure de réguler les financements. Quant à la gouvernance, je considère qu'elle n'est pas limpide. En effet, lors de son audition, le directeur général de France compétences nous a clairement laissé entendre que le président de France compétences ne s'en laisserait certainement pas conter par un fonctionnaire d'État.

Or, parmi toutes les personnes que nous avons entendues, il n'y avait aucun élu - à une exception près -, et le président de France compétences ne s'est jamais manifesté. Ceci donne l'impression que l'instance est complètement gérée par des fonctionnaires. Les résultats ne sont donc pas au rendez-vous en ce qui concerne la gouvernance.

Enfin, le nombre d'apprentis en situation de handicap augmente, et nous en sommes tous satisfaits. Toutefois, par rapport à l'évolution globale du nombre de contrats d'apprentissage, la tendance est à la baisse. Sans doute faut-il réactiver le dispositif du référent handicap. L'enjeu est important, tout comme celui de l'apprentissage dans les outre-mer.

M. Martin Lévrier , rapporteur . - Les objectifs fixés lors de l'examen de la loi ont-ils été atteints ? Il s'agissait de former plus d'apprentis et de développer la formation continue. Or l'apprentissage s'est envolé, puisque l'on est passé de 300 000 à 700 000 contrats et que plus de 2 millions de personnes se forment désormais par le biais du CPF. L'objectif de la loi est donc parfaitement atteint. En revanche, les moyens manquent, puisque le déficit frôle les 6 milliards d'euros. Il est temps que l'État prenne ses responsabilités et que la solution soit recherchée ailleurs que dans un recours à l'emprunt.

Le coût-contrat a son importance, car il existe effectivement une distorsion entre ce qui a été envisagé de manière théorique et la réalité, la différence pouvant atteindre 20 %. Si l'on choisit de baisser les coûts, il faudra diminuer les redevances, ce qui conduira à une économie d'échelle, certainement insuffisante, mais qu'il convient d'analyser, car il ne faudrait pas que l'apprentissage devienne un lieu de bénéfices exorbitants pour les CFA.

Pour ce qui est de la recentralisation, mon approche est différente de celle de mes collègues. En politique, la recentralisation vise à redonner la main à l'État ; or la réforme visait à privilégier les branches pour la création des CFA, des certifications professionnelles, etc . Certes, les régions ont perdu en responsabilité, mais cela au profit des branches et pas de l'État. D'où l'envol de l'apprentissage, avec un doublement du nombre de centres de formation.

Il est vrai que les partenaires sociaux, en particulier les employeurs, ont déploré un manque de visibilité sur le PIC. Toutefois, quand une entreprise forme un salarié, le bénéfice n'est pas uniquement pour elle-même et il n'y a rien de choquant à ce que ce salarié la quitte après sa formation. Le PIC sert aussi à former des demandeurs d'emploi, de sorte que son manque de visibilité n'a rien de choquant. L'essentiel est que les formations conduisent les personnes à l'emploi.

Dans les économies induites et non chiffrées, il faut prendre en compte le fait que les jeunes en apprentissage ne sont pas inscrits dans d'autres formations, comme l'université, qui ont un coût réel pour l'État. Comment intégrer ces économies réalisées par d'autres ministères ?

Enfin, sur le handicap, une réponse facile consisterait à dire que l'envolée de l'apprentissage concerne surtout un public post-baccalauréat, qui compte peu d'étudiants en situation de handicap. Ce n'est pas complètement faux, mais je rappelle que le nombre des jeunes en apprentissage au niveau du baccalauréat a doublé, sans que la proportion des personnes en situation de handicap augmente. Le sujet de leur accès à l'apprentissage mérite donc d'être creusé.

Mme Corinne Féret , rapporteure . - Nous avons cherché à privilégier une approche consensuelle, sans pour autant rogner sur nos convictions concernant cette réforme.

Le titre que nous avons retenu pour ce rapport d'information reflète l'équilibre que nous recherchions : « France compétences face à une crise de croissance ». Le nombre d'apprentis a considérablement progressé, ce dont nous pouvons nous réjouir, mais l'établissement est confronté à des difficultés financières, d'organisation et de fonctionnement, y compris dans ses relations avec le ministère, les OPCO et les entreprises. Nous voulions montrer que nous nous interrogions sur le bien-fondé de cette loi et l'évolution de son application.

La part d'apprentis en situation de handicap stagne à 1,1 % ou 1,2 %, malgré l'obligation d'un référent handicap dans les CFA. C'est bien trop peu. Un progrès s'impose.

Sur le CPF, nous avons souligné la nécessité de renforcer la lutte contre la fraude et le démarchage abusif. Le phénomène est inacceptable. Notre rapport est complexe mais se veut extrêmement concret, et nous avons détaillé les moyens de lutter contre ces deux fléaux. Une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale à ce sujet. Nous préconisons de légiférer pour limiter ce démarchage abusif, qui peut conduire des demandeurs d'emploi à se précipiter vers le CPF sans être correctement informés.

Enfin, nous avons fait un point dans le rapport sur la situation dans les outre-mer. L'une de nos propositions vise à mener une étude spécifique sur le coût de l'apprentissage dans ces territoires, en tenant compte des particularités locales.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Je soumets au vote l'ensemble des recommandations des rapporteurs, ainsi que le titre du rapport.

Les recommandations des rapporteurs et le titre du rapport sont adoptés.

La commission des affaires sociales autorise la publication du rapport d'information.

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