L'ESSENTIEL

La réforme de 2018 a enclenché une dynamique considérable en faveur de l'apprentissage et de la formation professionnelle, mais elle n'a pas anticipé les besoins de son financement. Sans remettre en cause ces avancées, il est nécessaire de réguler le système afin d'assurer sa soutenabilité et sa performance.

LE SUCCÈS MAL ANTICIPÉ DE LA RÉFORME

UN BILAN FLATTEUR MALGRÉ DES ANGLES MORTS

• La révolution de l'apprentissage a surtout bénéficié à l'enseignement supérieur

La réforme de l'apprentissage a rencontré un indéniable succès quantitatif. Le nombre de contrats d'apprentissage signés chaque année est ainsi passé de 321 000 en 2018 à 732 000 en 2021, soit une augmentation de 128 %. Cette hausse est observée dans toutes les régions françaises et à tous les niveaux de formation. Près de 1 500 centres de formation d'apprentis (CFA) ont été créés depuis la réforme.

Contrats d'apprentissage signés en 2018 et 2021
selon le niveau de la formation préparée

Source : Commission des affaires sociales d'après les données de la Dares

Cette progression est principalement due à l'augmentation du nombre d'apprentis pour des formations de niveaux supérieurs au baccalauréat . En 2021, les contrats d'apprentissage signés pour des formations relevant de l'enseignement supérieur ont représenté 62 % du total des contrats d'apprentissage conclus cette année. Si les rapporteurs se félicitent que l'apprentissage ait connu une telle progression dans l'enseignement supérieur, ils regrettent que le nombre d'apprentis préparant des formations aux niveaux inférieurs ou égal au baccalauréat, même s'il a fortement progressé depuis 2018, n'ait pas connu une dynamique comparable. Il convient donc de porter une attention particulière au développement de l'alternance pour ces formations et d'identifier les moyens de la soutenir.

• Les dispositifs de formation professionnelle font la part belle aux initiatives individuelles au détriment des besoins des entreprises

Le compte personnel de formation (CPF) a également connu une forte croissance à la suite de sa rénovation par la loi du 5 septembre 2018 avec un quasi doublement chaque année du nombre de formations financées : de 517 000 en 2019 à 984 000 en 2020 et plus de 2 millions en 2021 . Le recours au CPF a été stimulé par sa désintermédiation, l'alimentation des comptes en euros plutôt qu'en heures et la simplification de l'éligibilité des formations.

Le recours au CPF apparaît de moins en moins porté sur les formations répondant aux besoins de compétences des entreprises.

Ainsi, les formations les plus demandées en 2020 étaient les formations en langues vivantes et civilisations étrangères, la préparation au permis de conduire et les actions de formation destinées aux créateurs et repreneurs d'entreprise, lesquelles ont souvent un faible lien avec l'entrepreneuriat. Une petite minorité de formations visent à l'obtention d'une certification inscrite au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).

Le conseil en évolution professionnelle (CEP) connaît pour sa part une évolution conforme aux attentes , même s'il reste relativement peu connu : plus de 140 000 actifs occupés ont mobilisé le dispositif en 2021 après 100 937 en 2020.

D'autres dispositifs relevant d'enveloppes fermées sont trop peu dotés , à l'image du projet de transition professionnelle (PTP) qui a succédé au congé individuel de formation (CIF) : moins de 20 000 dossiers ont été pris en charge en 2021 dans le cadre d'une enveloppe totale de 553 millions d'euros. De même, alors que les entreprises de 50 à 299 salariés ont été exclues du bénéfice des fonds mutualisés, les montants alloués au plan de développement des compétences (PDC) des entreprises de moins de 50 salariés (540 millions d'euros en 2022) ne sont pas à la hauteur des enjeux d'adaptation des compétences à venir .

UNE RÉFORME AU FINANCEMENT NON ASSURÉ

• La réforme a placé une structure de régulation et de financement unique au coeur d'un système qui reste complexe

France compétences , créé par la loi du 5 septembre 2018, réunit dans un même établissement public les missions précédemment dévolues à quatre structures : le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Cnefop), le Comité paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation (Copanef), le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) ainsi que la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP).

France compétences a pour mission d'assurer la répartition et le versement des fonds issus des contributions des employeurs au financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage.

En matière de régulation et de contrôle, il revient notamment à France compétences d'organiser le CEP des actifs occupés, d'établir le RNCP et le répertoire spécifique (RS) et d'émettre des recommandations sur le niveau de prise en charge des formations en alternance .

France compétences a également un rôle d'observation et d'évaluation , notamment en matière de transparence des coûts et de qualité des actions de formation.

Les attributions de France compétences n'en font pas le pilote d'un système qui reste complexe et émietté. Elles permettent cependant à l'établissement d'être en relation technique et financière avec les principaux acteurs de la formation professionnelle et de l'alternance : l'État, qui en assure la tutelle et bénéficie d'un concours financier pour le financement de la formation des demandeurs d'emplois ; la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire du CPF ; les 11 opérateurs de compétences (OPCO) qui, dans leur champ économique respectif composé de plusieurs branches professionnelles, assurent le financement des contrats d'apprentissage et de professionnalisation, apportent un concours au PDC des entreprises de moins de 50 salariés et un appui technique aux branches professionnelles.

France compétences au coeur du système de la formation professionnelle
et de l'alternance

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

• France compétences subit le déséquilibre structurel du système

Placé au centre des nouveaux circuits financiers mis en place par la loi du 5 septembre 2018, France compétences prend en particulier en charge deux postes de dépenses ouverts dans une logique de guichet :

- les dotations versées aux OPCO pour répondre à leurs besoins de financement des contrats d'apprentissage et des contrats de professionnalisation ;

- la dotation versée à la Caisse des dépôts et consignations pour assurer le financement du CPF .

La large ouverture de ces dispositifs, qui ne s'est pas accompagnée de de nouveaux moyens de financement, a créé des besoins non couverts par les ressources de France compétences.

Ces dernières proviennent essentiellement du produit de la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance (Cufpa) ainsi que de la contribution supplémentaire à l'apprentissage (CSA) et de la contribution dédiée au financement du CPF pour les titulaires d'un CDD, désormais collectées par les Urssaf et les caisses de MSA.

La montée en puissance, au-delà des anticipations, de l'apprentissage et du recours au CPF n'a fait que creuser un déséquilibre structurel, présent depuis la réforme et centralisé au niveau de France compétences .

Le déficit de France compétences pourrait ainsi avoisiner 5,9 milliards d'euros en 2022 après avoir atteint 4,6 milliards d'euros en 2020 et 3,2 milliards en 2021.

Résultat prévisionnel 2022 de France compétences

(en millions d'euros)

Source : Commission des affaires sociales d'après les données de France compétences

Or, France compétences ne dispose que de leviers de régulation très limités pour juguler les dépenses, notamment celui des recommandations aux branches en vue de la détermination des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage et celui du renouvellement de l'enregistrement des certifications professionnelles.

Les dotations exceptionnelles de l'État votées en lois de finances (2,75 milliards d'euros en 2021), outre qu'elles sont insuffisantes, ne constituent pas une solution pérenne. De même, le recours croissant à l'emprunt bancaire, qui fait peser sur l'établissement une charge d'intérêts de près de 5 millions d'euros en 2022, n'est pas soutenable. Ces mesures ponctuelles devront donc rapidement céder le pas à des décisions structurelles .

RESPONSABILISER LES ACTEURS DE LA GOUVERNANCE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLES ET DE L'APPRENTISSAGE

À LA RECHERCHE D'UN « ESPACE STRATÉGIQUE »

• Le rôle de France compétences, un malentendu

Le conseil d'administration de France compétences, conçu comme une instance de gouvernance quadripartite , réunit des représentants de l'État, des organisations syndicales et patronales représentatives au niveau national et interprofessionnel et des régions, ainsi que des personnalités qualifiées. Toutefois, cet organe est actuellement moins une instance de décision qu'un espace d'information et d'échanges , les décisions politiques étant prises en amont par l'État, ce qui est source de frustrations.

En tant que parties prenantes à la gouvernance et au financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage, les partenaires sociaux et les conseils régionaux demandent légitimement à être davantage associés à la réflexion et aux décisions stratégiques.

Plutôt que de créer une nouvelle structure qui se superposerait à France compétences, les rapporteurs préconisent d'associer de manière plus systématique les principaux acteurs de la formation professionnelle , dont les partenaires sociaux, à la définition des objectifs et des orientations stratégiques pour les atteindre, sous la forme de réunions avec le ministre du travail. Ces réunions pourraient aboutir, à partir de diagnostics partagés, à la définition d'une trajectoire pluriannuelle de retour à l'équilibre financier du système . L'assemblée générale de France compétences, qui est actuellement peu mobilisée, pourrait voir son rôle renforcé en matière de discussion des orientations ainsi définies.

• Le cadre actuel ne favorise pas la responsabilisation des acteurs

Afin de responsabiliser les principaux acteurs, y compris l'État, il serait souhaitable que le conseil d'administration de France compétences soit effectivement associé à la régulation financière du système. Or, le cadre réglementaire actuel ne le permet pas.

D'abord, les administrateurs de France compétences doivent composer avec le fléchage réglementaire de certaines dépenses . En particulier, le montant de la dotation pour le financement de la formation des demandeurs d'emploi, affectée au plan d'investissement dans les compétences (PIC), a été fixé par décret pour les années 2019 à 2022.

En outre, France compétences n'a pas de marge de manoeuvre sur les postes de dépenses qui relèvent d'une logique de guichet , telles les dotations pour l'apprentissage et le CPF.

Le cadre réglementaire actuel prévoit que le conseil d'administration de France compétences affecte le produit des contributions qui sont reversées à l'établissement aux différents dispositifs qu'il finance dans les limites de fourchettes prédéterminées . Ce système a rapidement montré ses limites, si bien que les fourchettes initiales ont été élargies dès décembre 2020. Surtout, comme l'observe la Cour des comptes 1 ( * ) , il restera inopérant tant que les recettes de France compétences seront insuffisantes pour financer les dépenses : en 2022, les seules dépenses liées à l'alternance pourraient représenter plus de 100 % des recettes. Il ne paraît donc pas pertinent de maintenir cette référence à des fourchettes.

Le conseil d'administration doit délibérer et se prononcer par un vote sur un budget global.

• Les branches professionnelles devraient être associées au pilotage

La réforme de 2018 a conféré aux branches professionnelles un rôle important en matière de fixation des niveaux de prise en charge (NPEC) des contrats d'apprentissage comme en matière de certification professionnelle. Toutefois, elles ne participent pas en tant que telles à la gouvernance de France compétences, les partenaires sociaux étant représentés au conseil d'administration au niveau interprofessionnel.

Les relations entre France compétences et les branches apparaissent limitées et à sens unique. En pratique, l'opérateur s'adresse souvent aux OPCO lorsqu'un dialogue avec les branches est nécessaire.

Il paraît possible de mieux prendre en compte les particularités des branches dans le pilotage du système. Les principales branches pourraient ainsi être entendues une fois par an par la commission Recommandations de France compétences sur les orientations stratégiques de leur politique de formation. Il serait également opportun d'instituer un dialogue plus régulier et plus ouvert entre les services de l'établissement et les branches concernant la procédure de révision des NPEC.

UNE ORGANISATION À RAPPROCHER DES TERRITOIRES ET DES ENTREPRISES

• La réforme a complexifié la gouvernance territoriale de l'apprentissage et de la formation professionnelle

La réforme de 2018 revient pour une large part à un dessaisissement des régions . En matière d'apprentissage, celles-ci ont vu la majeure partie de leurs compétences transférées aux branches professionnelles et aux OPCO. Concernant la formation professionnelle, la loi confie toujours à la région une compétence d'organisation et de financement, qui s'apparente néanmoins à un rôle d'animation sans véritables prérogatives.

Les comités régionaux de l'emploi, de l'orientation et de la formation professionnelles (Crefop), instances quadripartites de coordination locale, fonctionnent de manière très variable selon les régions. En outre, il n'existe pas à ce jour de relation structurée entre les Crefop et France compétences, qui ne joue pas le rôle d'animation anciennement dévolu au Cnefop.

Les territoires et, plus spécifiquement, les bassins d'emploi sont néanmoins des échelons pertinents de définition des politiques en matière de formation professionnelle . Dans cette perspective, les Crefop devraient pouvoir disposer des études prospectives et des données , émanant notamment des branches, qui leur permettraient de produire une réflexion stratégique . Les priorités ainsi fixées par les Crefop pourraient servir de base à des expérimentations régionales menées avec le soutien de France compétences.

• Le positionnement des OPCO nécessite des ajustements

Les OPCO, opérateurs qui ont succédé aux organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) avec de nouvelles compétences, ont également dû continuer à assurer jusqu'en 2021, à titre transitoire, la collecte des contributions des employeurs à la formation professionnelle et à l'apprentissage. Ils ont ainsi été soumis, au cours de leurs premières années de fonctionnement, à des défis humains et organisationnels.

Opérateurs nationaux, les OPCO doivent pouvoir assurer des services de proximité aux entreprises et à leurs salariés sur l'ensemble du territoire national. Leur présence dans les territoires est toutefois inégale. Pour les rapporteurs, l'implantation locale des OPCO pourrait être développée à travers une présence opérationnelle, ainsi qu'une présence d'élus sous forme de commissions paritaires régionales.

Les OPCO tendent à se substituer aux branches comme interlocuteurs des pouvoirs publics tandis que leur offre de services aux entreprises n'a pas encore trouvé le bon positionnement. Un recentrage sur leur mission première d'accompagnement des entreprises pourrait être affirmé par une modification de leur accord constitutif .

RETROUVER DES MARGES DE MANOEUVRE POUR PROLONGER LA LOGIQUE DE LA RÉFORME

ADAPTER LE FINANCEMENT MUTUALISÉ DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE AUX BESOINS DU MARCHÉ DU TRAVAIL

• Recentrer le CPF sur les enjeux d'employabilité

Sans remettre en cause la liberté des actifs d'accéder à la formation professionnelle de leur propre initiative à l'aide du CPF, il paraît possible d'introduire des mécanismes de régulation du dispositif qui permettraient à la fois de mieux maîtriser son pilotage et de le recentrer sur les enjeux d'employabilité et de parcours professionnels .

Afin de responsabiliser les bénéficiaires et d'élever l'intérêt des formations prises en charge, les rapporteurs recommandent d'instaurer un reste à charge pour l'utilisateur du CPF, même modique, en cas de formation ne débouchant pas sur une certification inscrite au RNCP.

Seraient ainsi concernées certaines des formations les plus demandées dans le cadre du CPF, telles que la préparation au permis de conduire ou les formations en langues étrangères.

Ce reste à charge pourrait être supprimé :

- en cas de co-financement par l'employeur , afin de promouvoir la co-construction des parcours de formation ;

- en cas de validation du projet de formation dans le cadre d'un CEP , afin d'améliorer l'accompagnement des utilisateurs.

La négociation collective apparaît comme un levier pertinent afin de développer les pratiques d'abondement du CPF par l'employeur , qui restent marginales. Les rapporteurs préconisent donc d'encourager la conclusion d'accords prévoyant des mesures d'abondement en inscrivant ce thème au titre des dispositions d'ordre public sur la négociation d'entreprise, et en étendant cette négociation obligatoire à toutes les entreprises de 50 salariés et plus.

Il convient par ailleurs de renforcer la lutte contre la fraude au CPF et le démarchage abusif , même si leur impact financier reste à ce jour limité.

• Revoir les modalités de la contribution de France compétences au PIC

Les fonds mutualisés de la formation professionnelle contribuent pour une large part, à travers France compétences, au financement de la formation des demandeurs d'emploi dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences. Cette contribution est rattachée au budget de l'État par le biais d'un fonds de concours. Son montant a été fixé à 1,632 milliard d'euros pour 2021 et 1,684 milliard d'euros pour 2022.

La légitimité de ces versements est contestée : le pilotage du plan étant maîtrisé par l'État, en s'inscrivant pour partie dans le cadre des pactes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC), les entreprises ont le sentiment d'être « payeurs aveugles » sur ce volet où ils ne voient pas de retour sur investissement. Les partenaires sociaux appellent ainsi à distinguer, au sein du PIC, ce qui relève de dispositifs apportant des réponses concrètes aux besoins de compétences des entreprises, que peuvent financer les contributions des employeurs, et les priorités d'ordre national relevant de la responsabilité financière de l'État.

Cette clarification devrait conduire à plafonner la dotation de France compétences au PIC à un montant fixé par accord entre les partenaires sociaux . En outre, il serait cohérent que cette dotation diminue concomitamment à l'amélioration de la situation du marché du travail.

La contribution de France compétences au PIC pourrait évoluer, de manière contracyclique, en fonction de l'évolution du taux de chômage.

ACTIONNER LES LEVIERS DE RÉGULATION ET DE FINANCEMENT POUR LA SOUTENABILITÉ DE L'APPRENTISSAGE

• Une nécessaire régulation par la maîtrise du « coût-contrat »

Depuis la réforme de 2018, les OPCO assurent le financement des contrats d'apprentissage et de professionnalisation au niveau de prise en charge (NPEC) fixé par les branches professionnelles , en tenant compte des recommandations émises par France compétences. À défaut, les NPEC sont fixés par décret. Par ses recommandations, France compétences a pour mission de favoriser la convergence et de concourir à l'objectif de l'équilibre financier du système.

Le premier exercice de détermination des NPEC a été initié en 2019. France compétences a constaté que 70 % des valeurs fixées par les branches étaient convergentes. Il a donc émis des recommandations pour 30 % d'entre elles et ses recommandations ont été suivies à 98 % par les branches professionnelles. Un nouvel exercice de détermination des NPEC a été engagé fin 2021 en prenant en compte l'observation des charges moyennes des CFA qui ont pu être collectées grâce à la remontée des comptes analytiques au titre de l'année 2020. Ces données ont alors mis en lumière un écart d'environ 20 % entre le coût moyen observé (6 600 €) et la moyenne des niveaux de prise en charge (8 350 €).

Un écart d'environ 20 % a été observé entre les charges des CFA et le niveau moyen de prise en charge des contrats d'apprentissage.

Alors que France compétences avait invité les branches à prendre en considération ces coûts observés dans la détermination des nouveaux NPEC, il a constaté que les travaux des branches n'en avaient pas suffisamment tenu compte. En conséquence, son conseil d'administration a accordé aux branches un délai supplémentaire pour qu'elles puissent ajuster leurs valeurs en fonction de l'analyse des coûts, avant l'émission des recommandations de France compétences.

Au regard des résultats obtenus, les rapporteurs considèrent que les leviers de régulation de l'apprentissage doivent être renforcés pour assurer sa soutenabilité . En particulier, les recommandations doivent pouvoir mieux prendre en compte l'observation des coûts.

Une concertation devrait être menée entre France compétences et les branches afin d'engager un mouvement général de diminution des NPEC pour les rapprocher des coûts observés pour les CFA.

Cette concertation doit permettre d'élaborer une démarche qui préserve la viabilité des CFA et la dynamique en faveur de l'apprentissage, tout en assurant le juste financement et la soutenabilité du système. Il conviendra, dans ce cadre, de laisser davantage de temps aux branches pour faire évoluer les NPEC et de mieux les accompagner dans cet exercice.

• Sécuriser les financements des CFA et des besoins de prise en charge spécifiques

Les besoins de financement pour l'investissement dans les CFA sont évalués à 700 millions d'euros en 2022 . Compte tenu de la structuration du financement de l'apprentissage et de la croissance du nombre d'apprentis, il est nécessaire de soutenir davantage les investissements des CFA pour préserver la qualité de la formation. À ce titre, les rapporteurs se félicitent que le Gouvernement ait permis la fongibilité des enveloppes budgétaires, l'une consacrée au fonctionnement et l'autre à l'investissement, accordées aux régions pour le soutien des CFA 2 ( * ) . Alors que les montants alloués aux régions (138 millions d'euros pour le fonctionnement et 180 millions d'euros pour l'investissement) ont été fixés en 2018, le nombre d'apprentis a plus que doublé et près de 1 500 CFA ont été créés. Les rapporteurs proposent donc de faire varier le montant des enveloppes régionales de soutien aux CFA selon l'évolution du nombre d'apprentis .

Les besoins spécifiques pourraient en outre être mieux identifiés dans le cadre de la prise en charge des contrats d'apprentissage. À cet égard, les rapporteurs considèrent qu'une étude doit être menée par France compétences pour évaluer les besoins spécifiques des apprentis et des CFA dans les territoires d'outre-mer , afin de s'assurer de la bonne adaptation des dispositifs et de proposer, le cas échéant, les ajustements nécessaires. Par ailleurs, les rapporteurs regrettent que la part de personnes handicapées parmi les nouveaux entrants en apprentissage stagne depuis 2015 malgré les dispositifs de soutien existants. Un soutien renforcé pourrait être leur être apporté par l'enveloppe régionale d'aide au fonctionnement des CFA.

• Achever la réforme de la taxe d'apprentissage

Le financement de l'apprentissage est théoriquement assuré par le produit de la taxe d'apprentissage (TA), devenue une composante de la contribution unique à la formation professionnelle et à l'apprentissage (Cufpa) depuis la loi du 5 septembre 2018. La taxe, collectée par les Urssaf, est assise sur la masse salariale au taux de 0,68 %.

Toutefois, la taxe d'apprentissage n'est pas due pour certaines catégories d'employeurs et pour les entreprises exerçant dans certains secteurs d'activité : associations et fondations non lucratives, enseignement, mutuelles, coopératives agricoles, organismes HLM, etc . Son taux est par ailleurs réduit en Alsace et en Moselle. Compte tenu des besoins de financement et de la place considérable de l'apprentissage dans la formation et l'insertion professionnelle des jeunes, il apparaît nécessaire d'ajuster le champ d'application de la taxe d'apprentissage . Alors que toutes les entreprises peuvent bénéficier des aides publiques à l'apprentissage dès lors qu'elles remplissent les critères d'éligibilité, il semble de moins en moins justifié qu'une partie d'entre elles ne soient pas redevables de la taxe. Les exemptions, fondées sur des critères géographiques, de secteur d'activité ou de catégorie d'employeur, sont le fruit d'une sédimentation de mesures de soutien sectorielles et doivent donc être revues.

En conséquence, les rapporteurs proposent d'engager une concertation avec les employeurs aujourd'hui dispensés de taxe d'apprentissage pour qu'à terme, et selon une application progressive, tous les employeurs de droit privé susceptibles d'accueillir des apprentis soient redevables de la taxe d'apprentissage . Cette extension devra être précédée d'une évaluation de ses impacts sur les acteurs économiques et les territoires concernés, en veillant à ne pas mettre en péril certains secteurs d'activité. Les exonérations aujourd'hui prévues pour les petites entreprises pourraient ainsi être maintenues afin de ne pas les fragiliser.

• Limiter la contribution des entreprises au financement des formations en apprentissage bénéficiant d'autres ressources publiques

La loi du 5 septembre 2018 a ouvert la possibilité de moduler les NPEC des contrats d'apprentissage lorsque la formation bénéficie d'autres sources de financement public , en fonction de critères et selon un montant déterminés par décret. Or le Gouvernement n'a, à ce stade, pas prévu une telle modulation, dont l'objectif était de pouvoir atténuer le NPEC versé à des organismes de formation publics compte tenu des financements ou avantages matériels dont ils peuvent bénéficier par ailleurs et qui leur permettent de réduire leur coût par apprenti. C'est particulièrement le cas des lycées ou établissements d'enseignement supérieur publics accueillant un public mixte d'étudiants et d'apprentis.

La mutualisation des coûts de structure ou l'atténuation des charges pour les organismes publics sont de nature à créer une différence de traitement selon les CFA. Il serait donc opportun d'évaluer précisément les coûts et les sources de financement des organismes bénéficiant à la fois de la prise en charge au contrat et d'autres financements publics.

Il conviendra d'appliquer une modulation du coût-contrat lorsque la formation par apprentissage bénéficie d'autres sources de financement public, selon des critères définis par décret.

POURSUIVRE LA RATIONALISATION DES CERTIFICATIONS PROFESSIONNELLES

Depuis la loi du 5 septembre 2018, le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et le répertoire spécifique (RS) sont établis et actualisés par France compétences 3 ( * ) :

- les certifications professionnelles, enregistrées au RNCP, attestent de compétences et de connaissances acquises nécessaires à l'exercice d'activités professionnelles ;

- les certifications et habilitations enregistrées au RS correspondent à des compétences professionnelles complémentaires aux certifications professionnelles (habilitations, compétences transversales ou spécialisations).

Sauf pour les diplômes et titres délivrés au nom de l'État, les demandes d'inscription aux répertoires des certifications nécessitent l'avis conforme de la commission de la certification de France compétences . L'opérateur détient ainsi une prérogative déterminante pour réguler les certifications et contrôler la qualité de la formation professionnelle : à défaut d'enregistrement de leurs certifications, les organismes de formation ne peuvent pas bénéficier des fonds de la formation professionnelle, notamment ceux du CPF.

France compétences a ainsi procédé, en 2020, à l'instruction de 2 100 dossiers puis, en 2021, au renouvellement intégral des certifications inscrites au RS ainsi qu'au traitement de 1 000 dossiers visant une inscription au RNCP. En 2021, le taux d'acceptation des demandes s'est élevé à 41 % pour le RNCP et 18 % pour le RS. Si tous les acteurs entendus par les rapporteurs saluent la grande qualité du travail effectué par France compétences , les délais d'examen des demandes de certification apparaissent trop longs pour les acteurs de la formation professionnelle. Le délai moyen de traitement d'une demande d'inscription au RNCP s'est établi à 6 mois en 2021 et au début de l'année 2022, mais France compétences s'est donné pour objectif de ramener ce délai à 5 mois pour la fin 2022, puis entre 3 et 4 mois en 2023.

Les rapporteurs considèrent que France compétences doit se fixer pour objectif d'atteindre un délai moyen de traitement des demandes de 3 mois à compter de 2023 et de respecter un délai maximum de 6 mois.

En outre, l'État, France compétences et les branches professionnelles doivent poursuivre leurs travaux pour mieux coordonner les certifications et renforcer ainsi les passerelles et équivalences entre les différents diplômes et titres, selon l'approche par « blocs de compétences » engagée par la réforme de 2018. À cette fin, les rapporteurs proposent de développer les certificats de qualification professionnelle (CQP) inter-branches et d'ouvrir l'obtention des CQP par la voie de l'apprentissage. Ils recommandent en outre de donner à France compétences un rôle d'harmonisation des procédures de certification afin de créer un corpus commun de méthodes et de règles de fonctionnement aux commissions professionnelles consultatives ministérielles chargées de se prononcer sur les diplômes et titres de l'État.

FRANCE COMPÉTENCES, UN ÉTABLISSEMENT À CONFORTER DANS SON RÔLE ET SES MOYENS

UN ÉTABLISSEMENT AU FINANCEMENT ATYPIQUE ET INITIALEMENT SOUS-DIMENSIONNÉ

Créé au 1 er janvier 2019, France compétences a dû rapidement structurer son organisation interne afin de se mettre en état d'assurer les missions qui lui ont été confiées par la loi . Au moment de sa création, France compétences disposait d'un plafond d'emplois de 70 équivalents temps plein (ETP) mais ce niveau ne tenait pas compte des missions supplémentaires qui avaient été confiées à France compétences et qui n'étaient pas assurées par les instances qui l'ont précédé. L'établissement a donc dû assurer ses missions avec de fortes contraintes d'effectifs associées à des difficultés de recrutement. Alors qu'en 2019 le plafond d'emplois était fixé à 70 ETP, France compétences n'a compté en moyenne que 60 ETP au cours de l'année.

Ces difficultés sont progressivement levées par l'augmentation du plafond d'emplois accordés à France compétences en loi de finances : 74 ETP en loi de finances pour 2021 puis 86 ETP en loi de finances pour 2022. Cette augmentation est bienvenue pour que France compétences puisse assurer ses missions dans de bonnes conditions et renforcer ses capacités de régulation.

Pour assurer ses missions, France compétences dispose d'un budget de fonctionnement et d'investissement relativement limité et maîtrisé.

Dépenses de fonctionnement et d'investissement de France compétences

2019

2020

2021

2022

Budget voté

20 509 648

20 589 381

21 992 683

22 294 101

Budget réalisé

15 144 722

17 704 811

Source : Commission des affaires sociales d'après les données de France compétences.

Pour financer ses dépenses de fonctionnement et d'investissement, France compétences bénéficie du produit d'une fraction des contributions des entreprises pour la formation professionnelle et l'apprentissage dont le montant est arrêté par son conseil d'administration. Son mode de financement est donc atypique : alors qu'il est un établissement public administratif sous tutelle de l'État, France compétences ne bénéficie pas de crédits du budget de l'État. Ainsi que le recommande la Cour des comptes 4 ( * ) , les rapporteurs considèrent que les dépenses de fonctionnement et d'investissement de France compétences devraient être financées par une subvention pour charge de service public issue du budget de l'État.

UN ÉVENTAIL DE COMPÉTENCES À OPTIMISER

• Ajuster la liste des missions de France compétences

Aux côtés de ses missions de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l'apprentissage, France compétences doit assurer certaines activités qui apparaissent plus éloignées de son coeur de métier. La loi du 5 septembre 2018 lui a confié le soin de mettre en oeuvre un système d'information national commun aux associations « Transitions Pro » (ATPro). Or, France compétences agit pour compte de tiers , n'ayant aucun lien juridique avec ces associations. Cette mission génère une confusion des rôles , France compétences étant par ailleurs régulateur du dispositif du projet de transition professionnelle (PTP), alors que les ATPro assurent la prise en charge du PTP. Il conviendrait donc que cette mission soit retirée à France compétences au profit de l'État ou d'une tête de réseau des ATPro.

De même, il n'apparaît pas forcément pertinent que France compétences soit chargé de reconnaître les instances de labellisation pouvant délivrer la certification « Qualiopi », alors que les organismes certificateurs sont normalement accrédités par le Cofrac et que France compétences n'a pas d'autres prérogatives en matière de certification qualité.

Plus largement, le ministère du travail, en concertation avec France compétences, devrait identifier les missions pour lesquelles France compétences n'est pas l'opérateur le plus efficient ou adapté , afin que l'établissement puisse se concentrer sur ses principales missions de financement et de régulation.

• Renforcer la visibilité et le champ d'action du médiateur de France compétences

France compétences dispose d'une médiatrice , nommée en 2019, chargée d'instruire les réclamations individuelles des usagers du conseil en évolution professionnelle (CEP) et des projets de transition professionnelle (PTP).

Saisi de 318 demandes en 2019, 320 en 2020, puis 350 en 2021, le service de médiation de France compétences n'est pas encore assez visible pour les usagers : il ne figure que très rarement sur les sites internet des opérateurs du CEP et des ATPro. Plus largement, les différents médiateurs intervenant dans le champ de la formation professionnelle et de l'apprentissage souffrent d'un manque de visibilité : les rapporteurs recommandent donc la mise en place d'un registre public des médiateurs compétents en matière de formation professionnelle et d'apprentissage.

En outre, il existe certains dispositifs pour lesquels l'offre de médiation est inexistante . Le médiateur de France compétences n'est par exemple pas compétent pour traiter des projets de reconversion professionnelle des salariés démissionnaires, dispositif pourtant très proche des PTP qui figurent déjà dans son périmètre. Le médiateur de France compétences pourrait donc élargir son champ d'action à ce dispositif.


* 1 Cour des comptes, France compétences , observations définitives, juin 2022.

* 2 Le décret n° 2021-1850 du 28 décembre 2021 relatif à l'utilisation des ressources allouées aux régions pour les dépenses de fonctionnement et d'investissement des centres de formation d'apprentis a autorisé la fongibilité de l'enveloppe de fonctionnement vers celle d'investissement.

* 3 Articles L. 6113-1 à L. 6113-10 du code du travail.

* 4 Cour des comptes, France compétences , observations définitives, juin 2022.

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