II. UNE SOUS-CONSOMMATION RÉGULIÈRE QUI LIMITE L'IMPACT DU FEI ET LES SOLUTIONS À METTRE EN PLACE POUR Y REMÉDIER

A. UNE SOUS-CONSOMMATION IMPORTANTE AUX FACTEURS MULTIPLES

1. Une sous-consommation récurrente

Entre les LFI 2018 et 2022, 480 millions d'euros en AE et 291,3 millions d'euros en CP ont été ouverts pour le FEI conformément à l'engagement quinquennal du Gouvernement. Cependant, les quatre premières années d'exécution (2018-2021) révèlent une consommation inférieure aux objectifs avec 246,9 millions d'AE et 180,3 millions de CP consommés soit, en moyenne, respectivement 66,7 % et 79 % des crédits ouverts.

Ainsi, 123 millions d'euros d'AE et 47,7 millions d'euros de CP n'ont pas été consommés.

Évolution de la consommation des crédits FEI ouverts en LFI
entre 2018 et 2021

(en millions d'euros)

total des crédits ouverts

exécution

crédits non consommés

taux de consommation

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

2018

40

36

36,7

29,2

3,3

6,8

91,75

81,11

2019

110

65

78,5

47,3

31,5

17,7

71,36

72,77

2020

110

60

50,7

55,2

59,3

4,8

46,09

92,00

2021

110

67

81

48,6

29

18,4

73,64

72,54

2022

110

63,3

total 2018/2022

480

291,3

246,9

180,3

123

47,7

66,73

79,08

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires (projets et rapports annuels de performance)

Il convient cependant de souligner que cette sous consommation s'explique, en partie, par des règles et redéploiements budgétaires.

Premièrement, une partie de la réserve de précaution 43 ( * ) est imputée sur les crédits du FEI. Ainsi, entre 2018 et 2021, 15,5 millions d'euros en AE et 9,4 millions d'euros en CP ont été gelés.

Évolution de la réserve imputée sur les crédits FEI entre 2018 et 2021

(en euros)

AE

CP

2021

4 400 000

2 680 000

2020

4 400 000

2 400 000

2019

5 500 000

3 250 000

2018

1 200 000

1 080 000

Total

15 500 000

9 410 000

Source : commission des finances du Sénat à partir des réponses de la direction du budget

Par ailleurs, le choix a parfois été fait de redéployer des crédits ouverts au titre du FEI sur d'autres dépenses d'investissement structurants. Ainsi, 7 millions d'euros ont été mobilisés chaque année depuis 2019, pour le financement du volet « sport » des CCT.

De surcroit, en 2019 , un transfert de 7,5 millions d'euros est intervenu au profit du programme 214 du ministère de l'éducation nationale, pour un projet de collège à Saint-Martin s'inscrivant dans la dynamique de reconstruction après l'ouragan Irma (cette somme n'a donc pas été comptabilisée dans l'exécution 2019 du FEI). Il en est de même pour la construction d'un poste d'inspection frontalier en Guyane pour 1,4 million d'euros (le maître d'ouvrage de ce projet n'étant pas une collectivité mais le grand port maritime, ce projet ne relevait pas du FEI et les crédits ont été redéployés vers le port).

En 2020 , 14,3 millions d'euros ont servi au financement de la liaison routière entre Maripasoula et Papaïchton, en Guyane.

En 2021 , 15 millions d'euros ont été redéployés pour financer une partie du soutien exceptionnel de l'État à la collectivité territoriale de Guyane (CTG).

Enfin, le FEI a également servi de source de financement pour des dépenses supplémentaires, apparues en cours de gestion et relevant d'arbitrages interministériels. À ce titre, le ministère a financé en 2020, à partir des crédits ouverts pour le FEI et à titre exceptionnel :

- le déplafonnement du complément national du POSEI 44 ( * ) (pour la diversification agricole) pour 6,3 millions d'euros ;

- le financement de l'aide à la politique de santé en Polynésie française pour 10,1 millions d'euros ;

- le financement des observateurs de l'ONU (UNOPS) 45 ( * ) pour les opérations de révision des listes électorales en Nouvelle-Calédonie (1,4 million d'euros en 2019, 1,1 million d'euros en 2020).

Si la réserve de précaution est une pratique obligatoire aux dérogations très limitées, la pratique de redéploiements quasi systématiques à compter de 2019 pour financer des opérations d'investissement ne relevant pas du FEI ou des dépenses supplémentaires apparues en gestion interroge . En effet, le FEI ne peut être considéré comme une variable d'ajustement lors des arbitrages ministériels.

En raison de ces redéploiements et de la réserve de précaution, les crédits réellement disponibles pour le FEI se sont élevés, entre 2019 et 2021, à respectivement 78 %, 52 % et 82 % des crédits ouverts en AE.

Utilisation des crédits FEI ouverts en LFI depuis 2019

(en euros)

Source : DGOM

Part des crédits, en AE, programmés, gelés, redéployés et annulés
entre 2019 et 2021

Source : Commission des finances à partir des données DGOM

Cette pratique, qui minore les crédits alloués au FEI, devrait donc cesser et les rapporteurs spéciaux préconisent fermement une sanctuarisation des crédits du FEI.

Dans ce contexte, il apparait important, pour les rapporteurs spéciaux, de figer l'enveloppe dédiée au FEI et de ne pas l'utiliser pour financer les aléas de gestion ou projets non financés par ailleurs.

Recommandation n° 10 : Sanctuariser les crédits alloués au FEI lors de la LFI et mettre fin aux redéploiements récurrents en cours de gestion.

2. Des AE non programmées lors de la sélection des dossiers qui expliquent largement la sous consommation du fonds

La sous consommation s'explique largement par un engagement des AE inférieur aux crédits ouverts en LFI.

En effet, comme mentionné supra, en 2020 et 2021, sur les 110 millions d'euros ouverts en loi de finances initiale, seuls respectivement 63,3 millions d'euros et 85,4 millions d'euros ont été programmés pour les projets sélectionnés.

Ces niveaux de programmation interrogent donc sur les procédures et les critères de sélection dans un contexte où les élus auditionnés ont fait part de projets prioritaires non retenus pour un financement par le FEI ou, plus rarement, à des taux inférieurs à ceux demandés et ouvre la voie à de possibles redéploiements précoces.

Ainsi, on constate que les crédits de paiement ouverts présentent des taux de consommation corrects malgré la baisse enregistrée en 2021, qui s'explique en partie par l'impact de la crise sanitaire (cf. infra ), contrairement aux autorisations d'engagement qui présentent un décalage beaucoup plus important entre les ouvertures en LFI et la consommation, en raison, notamment, de leur non programmation en début de gestion.

3. Le manque d'ingénierie comme autre cause de la sous-consommation du FEI

Ce constat, partagé entre la DGOM et les élus locaux, n'est pas spécifique aux seuls projets financés par le FEI mais concerne l'intégralité des investissements en outre-mer.

En effet, comme les rapporteurs l'avaient déjà signalé dans leur rapport budgétaire dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances 2022 ou dans leur rapport pour suite à donner à celui de la Cour des comptes relatif aux financements de l'État en outre-mer, les collectivités d'outre-mer se caractérisent, assez généralement, par un manque d'ingénierie qui s'explique essentiellement par une prédominance des emplois de catégorie C et la rareté des emplois de catégorie A en capacité de porter et d'accompagner les projets.

Par ailleurs, la rareté du foncier, son insécurité juridique, de même que des contraintes en termes de normes de sécurité spécifiques aux territoires d'outre-mer (en raison notamment des contraintes géographiques intrinsèques : risques sismiques ou climatiques, topographie, insularité...) rendent le besoin en ingénierie encore plus prégnant.

Il en résulte des projets qui peinent à démarrer ou à s'achever.

4. Un impact réel mais relativement faible de la crise sanitaire sur l'avancement des projets sélectionnés

Sur les 426 projets sélectionnés entre 2016 et 2021 , 384 sont achevés ou en cours de réalisation dans les délais initialement envisagés et 31, soit 7,3 %, enregistrent un retard.

Ces retards s'expliquent en partie par la crise sanitaire mais pas uniquement. Ainsi, 13 projets ont été reportés en raison de la crise, cette cause pouvant parfois s'ajouter à d'autres problèmes spécifiques aux territoires (intempéries, mouvements sociaux dans les territoires...).

Par ailleurs, certains retards (5) résultent de problèmes liés aux prestataires (désaccords, contentieux).

Enfin, les rapporteurs spéciaux notent que 11 projets (soit 2,6 %) ont été abandonnés ou n'ont jamais été lancés sans que des explications aient pu être fournies plus précisément.


* 43 Prévue par l'article 51 de la LOLF, la réserve de précaution consiste à rendre indisponible, dès le début de la gestion, une fraction des crédits ouverts en lois de finances. Constituée en début de gestion par l'application, sur chaque programme, de taux de mise en réserve différenciés sur le titre 2 (0,5 % des crédits ouverts au titre des dépenses de personnel en 2020) et les autres titres des programmes du budget général (3 % en moyenne pour les autres dépenses en 2020), celle-ci constitue pour le Gouvernement une enveloppe de crédits plus facilement mobilisables pour faire face aux aléas survenant en cours de gestion.

* 44 Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité : outil de mise à disposition d'aides européennes et nationales au secteur agricole pour les RUP.

* 45 United Nations Office for Project Services : bureau des Nations unies pour les services d'appui aux projets.

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