II. L'ACTIVITÉ DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE À L'APCE ENTRE LES SESSIONS D'HIVER ET DE PRINTEMPS

A. LA TENUE, EN MARS, D'UNE SESSION EXTRAORDINAIRE CONSACRÉE À L'AGRESSION MILITAIRE CONTRE L'UKRAINE ET À LA RÉACTION DU CONSEIL DE L'EUROPE

1. La convocation d'un Comité mixte et d'un Bureau extraordinaires dès le 25 février

Le 24 février 2022, malgré les tentatives de médiation diplomatique du Président de la République française et du Chancelier de la République fédérale d'Allemagne auprès du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine ordonnait aux troupes russes massées à la frontière avec l'Ukraine et déployées au Belarus de mener une « opération militaire spéciale » contre cet autre État membre du Conseil de l'Europe. Cette décision, qui a immédiatement donné lieu à la condamnation du Président de l'APCE, du Président du Comité des Ministres et de la Secrétaire générale de l'Organisation, a conduit M. Tiny Kox à réclamer la tenue d'un Comité mixte, réunissant le Comité des Ministres et les représentants de l'APCE, ainsi qu'un Bureau exceptionnel dans la foulée, pour évoquer les suites à donner à cette situation.

Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, en tant que vice-présidente de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, et M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche), président du groupe ADLE , ont assisté à ces travaux, en leur qualité de membres de droit de ces deux instances.

À la suite d'un échange de vues entre les participants à la réunion du Comité Mixte, le Comité des Ministres a décidé formellement, en application de l'article 8 du Statut du Conseil de l'Europe (traité de Londres de 1949), de suspendre avec effet immédiat la Fédération de Russie de ses droits de représentation au sein de l'Organisation.

De fait, la Russie a immédiatement perdu la possibilité de déléguer un ambassadeur au Comité des Ministres, des parlementaires à l'APCE et des élus locaux au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, ou encore un représentant au sein des différents comités du Conseil de l'Europe, tel le Comité pour la prévention de la torture. Le Bureau de l'APCE, réuni dans la foulée, a quant à lui décidé la tenue d'une session plénière extraordinaire, à Strasbourg et en ligne, pour débattre d'une demande d'avis du Comité des Ministres sur une exclusion de la Russie du Conseil de l'Europe. Par voie de conséquence, la réunion de la Commission permanente de l'Assemblée parlementaire, qui devait se tenir à Berlin le 11 mars, a été reportée à une date ultérieure.

2. Une session extraordinaire, la deuxième de l'histoire de l'APCE, dévolue au seul sujet de l'attaque injustifiée de la Russie contre l'Ukraine et de ses conséquences au sein du Conseil de l'Europe
a) Une allocution, en visioconférence, de M. Denys Shmyhal, Premier ministre de l'Ukraine

Le premier après-midi de cette séance extraordinaire dictée par la situation dramatique causée en Ukraine par la Fédération de Russie, le lundi 14 mars, a été marqué par l'allocution solennelle, en visioconférence depuis Kiev, du Premier ministre de l'Ukraine, M. Denys Shmyhal. Cette courte intervention, en direct, n'a pas donné lieu à des échanges avec les membres de l'Assemblée parlementaire.

Rendant hommage à la population civile et aux combattants résistant courageusement à l'agression des forces russes, le Premier ministre de l'Ukraine a notamment estimé que le retour à l'APCE de la délégation russe, en 2019, avait montré que le monde comprenait mal la menace réelle que représente le régime de Vladimir Poutine. Il a regretté que l'Europe, à cette occasion, ait choisi la voie de l'apaisement au lieu de la défense des valeurs de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'Homme.

Pour Denys Shmyhal, le monde a enfin ouvert les yeux. Dix-huit jours de guerre ouverte ont conduit à des milliers de morts, à la perte de près de 90 enfants, à des milliers d'Ukrainiens privés de nourriture, d'eau et de chauffage, à la destruction de centaines d'écoles, à des bombardements d'hôpitaux, ou encore à des centrales nucléaires au bord de la catastrophe. Tout cela alors que, en signant la convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, la Russie s'était engagée à promouvoir le droit à la vie, la liberté et la paix.

Les autorités russes affirment qu'il n'y a pas de guerre et qu'elles ne font que mener une « opération militaire spéciale ». Or, plus de 12 000 soldats russes ont été tués et 389 chars, 1 249 véhicules de transport de troupe, 77 avions de chasse et 90 hélicoptères ont été détruits. Pareilles conséquences contredisent manifestement le discours officiel du Kremlin.

Le Premier ministre de l'Ukraine a affirmé que la Russie et son Président Vladimir Poutine ont commencé une guerre à grande échelle au centre de l'Europe, laquelle peut dégénérer en troisième guerre mondiale ou en catastrophe nucléaire. Accusant les dirigeants russes de mener des violations flagrantes des lois de la guerre et estimant que la punition, pour ce qu'il a qualifié d'actes de « terrorisme et génocide », ne peut être évitée, il a exigé l'exclusion immédiate de la Fédération de Russie du Conseil de l'Europe et demandé la mise en place de zones d'exclusion aérienne en Ukraine, pour protéger les civils.

Enfin, M. Denys Shmyhal a souhaité que soit mis fin aux mensonges et à la haine diffusée par la propagande russe. Après avoir appelé à l'unité des efforts pour protéger et défendre non seulement son pays mais également toute l'Europe, il a remercié tous les États qui apportent leur soutien à l'Ukraine, ainsi qu'à ses populations déplacées.

b) La communication du Président du Comité des Ministres

Lundi 14 mars après-midi, l'APCE a entendu une communication du Président en exercice du Comité des Ministres, M. Benedetto Della Vedova, Sous-secrétaire d'État au ministère italien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale.

Le Président du Comité des Ministres a déploré que la guerre d'agression « répugnante, non provoquée, injustifiable, contraire à toutes les normes les plus fondamentales du droit international et aux considérations d'humanité », menée par la Fédération de Russie ait engendré l'une des plus graves catastrophes humanitaires en Europe depuis la seconde guerre mondiale, si ce n'est la plus grave. Il a considéré que la Russie et le Belarus en portent l'entière responsabilité et que les instigateurs devront répondre de leurs crimes. Dans cet esprit, il a salué la décision du Procureur général de la Cour pénale internationale d'ouvrir, motu proprio , une enquête sur les crimes de guerre commis en Ukraine, pour lesquels des preuves sont déjà en train d'être rassemblées, ainsi que l'activation de la Cour européenne des droits de l'Homme par le gouvernement ukrainien pour identifier des mesures provisoires contre la Fédération de Russie.

Il s'est ensuite félicité de l'activation du Mécanisme de Moscou de l'OSCE, par lequel une mission d'experts indépendants sera mandatée pour recueillir des informations et des preuves sur les violations et les abus commis dans le cadre de la guerre contre le peuple ukrainien, de même que de l'appel lancé par les dirigeants de l'Union européenne au Conseil européen de Versailles pour que la Russie respecte pleinement les obligations qui lui incombent en vertu du droit humanitaire international en garantissant un accès humanitaire sûr et sans entrave aux victimes et aux personnes déplacées et en autorisant le passage en toute sécurité des civils qui souhaitent quitter les zones de conflit.

La communauté internationale ne pouvait rester indifférente à une telle barbarie. Le Conseil de l'Europe, dépositaire et gardien des principes fondamentaux de coexistence, de respect des droits de l'Homme, n'est pas resté indifférent : le 25 février, son Comité des Ministres a voté la suspension avec effet immédiat de la Fédération de Russie de ses droits de représentation ; le 2 mars, il a détaillé les nombreuses conséquences juridiques et financières de cette suspension inédite ; le 10 mars, il a lancé une consultation de l'Assemblée parlementaire en vue d'un retrait de la Russie de l'Organisation.

Se félicitant de la coordination étroite, depuis le début de la crise, entre le Comité des Ministres, l'APCE et la Secrétaire générale, M. Benedetto Della Vedova a insisté sur l'attention qui sera accordée à l'avis que l'Assemblée parlementaire doit émettre sur l'appartenance de la Russie au Conseil de l'Europe. Il s'est déclaré triste pour les terribles souffrances du peuple ukrainien et a espéré que demeure intacte l'ambition de créer une maison européenne commune et une communauté de démocraties toujours plus forte, comme l'avaient souligné les chefs d'État et de gouvernement dans leur communiqué à l'issue de leur premier Sommet à Vienne, en 1993.

Face aux 3 millions de réfugiés fuyant l'Ukraine, selon le HCR, et au 1,8 million de personnes déplacées, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la République de Moldavie et la Roumanie ont fourni un effort remarquable. L'Italie est prête à prendre toute sa part, le pays ayant accueilli d'ores et déjà 30 000 personnes. Pour faire face à l'urgence, des solutions innovantes ont été imaginées, comme l'utilisation de biens immobiliers confisqués à la criminalité organisée. De même, un soutien budgétaire direct de 110 millions d'euros a été accordé à l'Ukraine.

Le Président du Comité des Ministres a conclu en se déclarant réconforté de voir comment les organisations de la société civile et une multitude de citoyens ordinaires accueillent les réfugiés. Il a plaidé pour que, à l'instar du Conseil européen lors de sa réunion informelle à Versailles, le Conseil de l'Europe félicite le peuple ukrainien pour le courage dont il fait preuve dans la défense de son pays et des valeurs de liberté, de démocratie et d'État de droit.

Au cours des échanges qui ont suivi la communication de M. Benedetto Della Vedova, Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, a observé qu'en déclenchant une guerre totalement injustifiée contre l'Ukraine, la Fédération de Russie avait replongé le continent dans les affres d'un conflit armé à l'issue imprévisible. Soulignant que, le 1 er mars, la Cour européenne des droits de l'Homme avait pris des mesures provisoires urgentes sur les attaques militaires contre les civils, les écoles et les hôpitaux, elle a demandé quelles initiatives la présidence du Comité des Ministres entendait prendre pour veiller à la mise en oeuvre de cette décision juridictionnelle et, de manière plus générale, quelles actions concrètes les services du Conseil de l'Europe allaient engager pour soutenir l'Ukraine et sa population sur le long terme.

Le Président du Comité des Ministres a répondu qu'il est difficile de penser à des initiatives concrètes du Conseil de l'Europe visant à mettre un terme à la guerre. Toutefois, cela ne signifie pas que rien ne soit possible, notamment à travers des échanges avec les autorités russes, afin de mettre en oeuvre les mesures provisoires décidées par la Cour européenne des droits de l'Homme. En tout état de cause, quelles que soient les décisions des autorités russes, elles ne resteront pas sans conséquence.

c) L'intervention de la Secrétaire générale de l'Organisation

Les séances plénières du 14 mars se sont achevées par une intervention de la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe, Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ, elle-aussi suivie d'échanges avec les membres de l'APCE.

Après avoir rendu hommage au Premier ministre et au peuple de l'Ukraine et qualifiée de « choquante et consternante » l'agression permanente de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, la Secrétaire générale a considéré que le Conseil de l'Europe, comme d'autres organisations internationales mais aussi comme les gouvernements et Parlements, devait soutenir l'Ukraine de manière concrète. Les actions de la Russie constituant une violation flagrante du statut de 1949, elle s'est déclarée heureuse que le Comité des Ministres ait pu convenir de la suspension de la représentation du pays de manière aussi claire et rapide.

Rappelant que la Russie reste actuellement toujours soumise à la juridiction de la Cour européenne des droits de l'Homme, Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ a insisté sur le fait qu'il ne doit pas y avoir d'attaques militaires contre des civils ou des biens civils et que les établissements médicaux doivent être épargnés.

Depuis cette suspension de la représentation de la Russie, ses autorités ne se sont pas retirées du Conseil de l'Europe, ni n'ont fait marche arrière dans leur campagne brutale en Ukraine. La grave violation de l'article 3 du Statut demeure donc et il appartient au Comité des Ministres de déterminer ce qu'il convient de faire maintenant, le cas échéant.

La raison d'être du Conseil de l'Europe est de protéger et de promouvoir les normes européennes en matière de droits de l'Homme, de démocratie et de primauté du droit, dans l'intérêt de chaque citoyen. La Russie est un pays dont les souffrances ne sont pas comparables à celles de l'Ukraine, mais c'est néanmoins un État dont les droits fondamentaux sont retirés aux citoyens. Et si la conclusion inévitable des événements actuels était que la Fédération de Russie doive quitter le Conseil de l'Europe, ce serait aussi une sorte de tragédie pour le peuple russe, qui ne sera plus protégé par la convention européenne des droits de l'Homme et ne pourra plus faire appel à la Cour européenne des droits de l'Homme.

La leçon à en tirer est que là où les normes communes se fracturent, les gens souffrent. Il faut donc redoubler d'efforts pour garantir que le Conseil de l'Europe reste au coeur de la vie du continent, ce qui passe notamment par des ressources adéquates.

La Fédération de Russie, tenue de respecter ses engagements financiers conformément aux programme et budget 2022-2025, n'a pas effectué son premier versement annuel, qui aurait dû intervenir il y a deux semaines. Heureusement, certains États membres ont déjà déclaré que le Conseil de l'Europe ne devra pas être pénalisé financièrement à la suite de sa décision de suspendre la représentation de la Fédération de Russie.

Outre un soutien de l'Organisation aux États membres prenant en charge les réfugiés arrivés d'Ukraine, le Conseil de l'Europe a mobilisé la Commissaire aux droits de l'Homme et la représentante spéciale sur les migrations et les réfugiés, ainsi que la Banque de développement qui a consenti une importante contribution financière à l'Ukraine.

La Secrétaire générale a rappelé qu'à la fin de 2021, elle avait effectué une visite officielle en Ukraine, à sa frontière administrative avec la Crimée et au contact des ONG locales. Elle a indiqué que le Conseil de l'Europe y retournera, quand la violence aura cessé, pour accompagner les gens au mieux.

En conclusion, Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ a souligné que le Conseil de l'Europe n'est pas une organisation de sécurité et qu'il ne fera pas, à lui seul, cesser l'agression qui se déroule actuellement. Chacun doit, néanmoins, réaliser un examen de conscience pour faire ce qui est juste. Pour les années à venir, il importe de défendre des valeurs dans l'intérêt de chaque Européen ; dans l'immédiat, il faut apporter soutien et solidarité au peuple ukrainien.

Lors des échanges qui ont suivi ce propos liminaire, Mme Nicole Duranton (Eure - Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) a exprimé sa solidarité avec le peuple ukrainien et estimé que, après son agression, la Russie de Vladimir Poutine ne pouvait pas rester membre du Conseil de l'Europe. Elle a demandé à la Secrétaire générale quelle étaient ses marges de manoeuvre, tant que la Russie reste partie à la convention européenne des droits de l'Homme, et quelles actions elle entendait mener face à la crise des réfugiés et déplacés. Elle a aussi souhaité savoir quelles conséquences seraient tirées de cette crise majeure sur le fonctionnement du Conseil de l'Europe, afin qu'il soit demain en pleine capacité de promouvoir la sécurité démocratique sur le continent.

En réponse, Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ a estimé que c'est à travers l'application de standards, l'application des droits de l'Homme, de la démocratie et de l'État de droit que le Conseil de l'Europe forge la sécurité démocratique, qui s'applique aussi aux réfugiés et déplacés. Elle a considéré qu'il était difficile d'envisager que la Russie demeure membre à part entière de l'Organisation, alors que son agression contre l'Ukraine se poursuit. Il est vrai que personne n'a vu cette crise advenir et le Conseil de l'Europe ne peut que renouveler la demande d'arrêt de la guerre et d'un retour au dialogue.

d) L'adoption d'un avis, débattu pendant une journée entière, en faveur de l'exclusion de la Russie au Conseil de l'Europe

Toute la journée du mardi 15 mars, l'Assemblée parlementaire a débattu en séance plénière et approuvé à l'unanimité, par 216 voix, un avis de la commission des questions politiques et de la démocratie, sur le rapport de Mme Ingjerd Schou (Norvège - PPE/DC), concernant l'application de l'article 8 du Statut du Conseil de l'Europe demandant au Comité des Ministres de prononcer le retrait de la Fédération de Russie de l'Organisation et la cessation de sa qualité d'État membre. Quelque 167 membres de l'APCE étaient inscrits à ce débat, dont 13 membres de la délégation française. Le lendemain du débat, le Comité des Ministres, suivant en cela la position de l'Assemblée parlementaire, a décidé de l'exclusion de la Russie du Conseil de l'Europe avec effet immédiat, sur le fondement de l'article 8 du traité de Londres portant statut de l'Organisation ; dans la foulée, le drapeau russe et la plaque commémorant la date d'adhésion du pays ont été retirés du parvis du Palais de l'Europe.

En ouverture de la discussion générale, la rapporteure s'est adressée aux parlementaires ukrainiens, en déplorant qu'eux-mêmes et leurs concitoyens soient les victimes d'une guerre d'agression dont les dirigeants de la Fédération de Russie portent l'entière responsabilité. Elle a considéré que la liste d'orateurs témoignait du fait que le sujet à l'ordre du jour était une situation historique appelant des mesures extraordinaires.

En travaillant avec le Comité des Ministres et le Secrétaire Général, l'APCE avait jusqu'à présent rendu le Conseil de l'Europe plus uni. Il est, hélas, dévastateur d'envisager de priver plus de 140 millions d'Européens de leur accès à la Cour européenne des droits de l'Homme.

Cette agression russe est en cours depuis 2014 mais, depuis le 24 février, elle est devenue une guerre totale. Une guerre qui a fait des milliers de victimes civiles, dont des centaines de morts. Elle a déplacé des millions de personnes à l'intérieur et à l'extérieur de l'Ukraine. Elle a causé une dévastation totale.

L'APCE se doit d'être aux côtés du peuple ukrainien pour défendre son droit à vivre dans un État indépendant et souverain dont l'intégrité territoriale est respectée. Il faut faire tout ce qui est possible pour que les hostilités cessent immédiatement et pour contribuer à la résolution de la crise humanitaire. Indépendamment de leur proximité géographique avec l'Ukraine, tous les États membres devraient jouer un rôle dans l'accueil des Ukrainiens et la fourniture d'une assistance.

En 1989, Mikhaïl Gorbatchev évoquait, devant l'Assemblée parlementaire, l'idée qu'il se faisait de la maison commune européenne. Trois décennies plus tard, le pessimisme et l'animosité sont de mise face à cette guerre d'agression, qui a réinstallé la peur en Europe.

À travers son débat, l'APCE s'unit pour condamner cette guerre d'agression, qui constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies, du Statut du Conseil de l'Europe, ainsi que des obligations et engagements de la Fédération de Russie en tant que membre de l'Organisation. Un avis clair est requis, si possible unanime. Une APCE et un Conseil de l'Europe unis, c'est une Organisation plus forte.

Cette guerre est un point de non-retour. Dans la maison commune européenne, il n'y a pas de place pour un agresseur : il est donc proposé de demander à la Fédération de Russie de se retirer du Conseil de l'Europe. Il s'agit là d'un message fort au Comité des Ministres. Mais indépendamment de la décision que cet organe décisionnel prendra, le Conseil de l'Europe doit continuer à tendre la main au peuple russe, dont une grande partie ne soutient pas cette guerre et n'a pas accès à des informations indépendantes et objectives à son sujet. De ce fait, il serait opportun de trouver les moyens d'offrir une plate-forme à tous les Russes qui partagent les valeurs du Conseil de l'Europe.

S'exprimant au nom du groupe ADLE, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) a regretté la tragédie en cours, qui frappe d'abord les Ukrainiens, depuis 2014, à cause d'une guerre menée par la Russie selon des formes qu'ont connue les Géorgiens, les Moldaves, les Tchétchènes, les Syriens avant eux. Une tragédie pour les Russes, ensuite, sur lesquels Poutine referme le couvercle du cercueil de la guerre froide. Une tragédie aussi pour l'Europe, dont le travail de trente ans de réconciliation vient de voler en éclats. Enfin, une tragédie pour la démocratie.

Le groupe ADLE demande solennellement l'exclusion de la Russie du Conseil de l'Europe le plus vite possible. Il le fait le coeur lourd car, de fait, les citoyens russes perdront la protection de la Cour européenne des droits de l'Homme. Mais il le fait convaincu qu'une Russie démocratique rejoindra, le moment venu, le Conseil de l'Europe, car le peuple russe n'est pas condamné à la dictature.

Ce combat contre la dictature, les Ukrainiens le mènent avec une incroyable mobilisation. Quand un peuple tout entier lutte pour son existence, l'Histoire montre qu'il finit par gagner. Les gouvernements européens aident l'Ukraine avec des fonds, des armes, des sanctions contre la nomenklatura, tout en maintenant ouverte la ligne de la négociation. Toutes les familles en Europe se mobilisent aussi pour donner et pour accueillir des ressortissants ukrainiens. Ce combat, le Conseil de l'Europe y prend lui aussi toute sa part et il doit mobiliser tous ses moyens : il faudrait qu'un recours soit déposé contre la Russie devant la Cour européenne des droits de l'Homme, que les dirigeants du Conseil de l'Europe se rendent en Ukraine, que les travaux en cours à l'APCE sur la Russie s'accélèrent et soient achevés. Les six mois qui viennent doivent être utiles aux Ukrainiens.

Le groupe ADLE votera l'avis en faveur d'un retrait de la Russie, conscient qu'il s'agit d'un message pour les Ukrainiens et aussi pour tous les Européens qui ont créé pendant quarante ans un espace de droit et de démocratie en partage.

Mme Nicole Duranton (Eure - Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) a exprimé son total soutien au peuple ukrainien, aux victimes de la guerre et aux parlementaires ukrainiens, qui avaient alerté en vain. Elle a regretté qu'ils n'aient pas été écoutés, jugeant nécessaire d'être maintenant plus qu'à la hauteur de cette situation qui déstabilise toute l'Europe.

Les autorités russes semblent essayer de prendre l'Assemblée parlementaire de vitesse, puisque le porte-parole du Kremlin a lui-même évoqué un retrait du Conseil de l'Europe, tandis que le ministère russe des Affaires étrangères a publié un communiqué de presse infâmant pour le Conseil de l'Europe. Face à l'intolérable, la Fédération de Russie doit assumer elle-même les conséquences de ses actes mais elle n'a pas pour autant procédé à une notification officielle de son retrait pour le moment.

Les conséquences d'un retrait de la Russie, notamment pour la société civile russe qui ne pourra plus faire appel à la Cour européenne des droits de l'Homme ou pour les personnes vivant sur les territoires occupés par la Fédération de Russie, ne doivent pas être sous-estimées. Mais le chemin difficile sur lequel le Conseil de l'Europe se trouve désormais engagé, il ne l'a pas choisi. C'est le Président de la Fédération de Russie qui l'a choisi, en déconnectant progressivement son pays des valeurs du Conseil de l'Europe, en massant les troupes russes en vue d'une invasion planifiée de l'Ukraine, en ordonnant à ses armées d'attaquer les civils, de bombarder les hôpitaux, de violer les droits humains.

La Fédération de Russie ne peut plus, en l'état, rester membre du Conseil de l'Europe. Vladimir Poutine a bafoué les valeurs de cette Organisation, qu'il ne faut pas laisser piétiner.

Il convient malgré tout de former le voeu que les Ukrainiens puissent retrouver rapidement leur pays, que les négociations en cours débouchent sur un cessez-le-feu et que les réfugiés puissent retourner dans leur pays en sécurité.

M. André Gattolin (Hauts-de-Seine - Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) a observé que l'APCE se trouvait face à une décision désormais incontournable. Ne pas voter l'exclusion de la Fédération de Russie reviendrait à donner un blanc-seing aux dirigeants du Kremlin à l'abolition de toutes les règles qui caractérisent le Conseil de l'Europe. Ce serait donner un blanc-seing à une guerre injuste, sale, « dégueulasse », systématiquement non conventionnelle où sont ciblés des maternités, des hôpitaux, des populations civiles, notamment avec des bombes à sous-munitions. Ce serait aussi donner un blanc-seing à d'éventuelles futures attaques contre d'autres États membres.

Ne pas voter l'exclusion de la Russie ne serait pas seulement un aveu de faiblesse, ce serait également une perte de sens total, un signe de démission, un permis de tuer donné aux dirigeants de la Fédération de Russie. Il y a trois ans, en réintégrant la Fédération de Russie en son sein, l'Assemblée parlementaire a offert une chance aux dirigeants de ce pays de se réinscrire dans le droit et les règles internationales. Ils n'en ont pas tenu compte.

Malgré les divergences qui ont existé avec d'autres délégations de l'APCE, les parlementaires de la délégation de la Turquie devraient prendre conscience que leur pays est de plus en plus enserré par les alliés de la Fédération de Russie. Il faut donc agir ensemble, unanimement, pour protéger les peuples ukrainiens et tous les Européens, en excluant la Fédération de Russie du Conseil de l'Europe.

M. Jacques Le Nay (Morbihan - Union Centriste) a observé que les travaux de l'APCE sont marqués, depuis 2014, par les actions de la Fédération de Russie. L'Assemblée parlementaire a régulièrement constaté des manquements de ce pays aux obligations contractées lors de son adhésion au Conseil de l'Europe en 1996.

L'annexion de la Crimée par la force a marqué un véritable tournant, qui a abouti à une suspension des droits des parlementaires russes. Malgré les efforts déployés pour renouer le dialogue, force est de constater que la Russie n'a pas su saisir la main qui lui a été tendue en 2019. L'intransigeance des autorités russes dans le cas d'Alexeï Navalny illustre l'échec de ce dialogue. De même, le raidissement des positions concernant des arrêts importants de la Cour européenne des droits de l'homme est manifeste. Le refus d'appliquer certains arrêts ne se limite pas au seul gouvernement. En 2016, c'est la Cour constitutionnelle russe qui a refusé l'application d'un arrêt de la Cour de Strasbourg, remettant ainsi en cause la hiérarchie des normes.

À la suite de l'agression contre l'Ukraine, le maintien de la Russie au sein du Conseil de l'Europe ne peut plus être toléré. Cela est regrettable mais il faut tirer toutes les conséquences de cette agression. C'est une question de crédibilité. Pourquoi être partie à une convention si, dans les faits, on refuse de l'appliquer et si on en conteste fondamentalement les valeurs ?

Dupes une première fois, les membres de l'APCE ne doivent pas se laisser avoir une seconde fois. La Russie pose aujourd'hui un défi sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Il ne s'agit pas de déclencher une troisième guerre mondiale mais il n'est pas pour autant question de laisser cette guerre se dérouler sans réagir, d'autant que les sanctions internationales finiront par porter leurs fruits.

Plus de 2 100 personnes seraient mortes à Marioupol, illustrant le retour de la barbarie en Europe. Le Conseil de l'Europe ne peut accepter cela de l'un de ses membres. La Russie de Poutine n'a plus sa place à l'APCE.

Mme Alexandra Louis (Bouches du Rhône - Agir Ensemble) a souligné que le ciel d'Europe s'est obscurci, rappelant que personne n'est à l'abri du retour des tyrannies et des velléités de puissance qui ont si funestement marqué l'histoire du continent.

L'agression du peuple ukrainien par la Russie de Vladimir Poutine est une ignominie, et cela a commencé en 2014 avec l'annexion de la Crimée. L'Assemblée parlementaire avait déjà suspendu les droits de la délégation russe, avant de la réintégrer. Tout cela pour ce résultat. Le 2 mars, les droits de représentation de la Fédération de Russie ont été à nouveau suspendus à l'échelle de tous les organes du Conseil de l'Europe.

En ces jours sombres où des femmes, des hommes et des enfants n'ont d'autre choix cruel que de fuir ou de se battre pour vivre, quel rôle doit avoir le Conseil de l'Europe lorsque l'un de ses États membres viole les valeurs qui le lient aux 46 autres ?

La décision de l'APCE doit être claire : la Fédération de Russie doit être exclue du Conseil de l'Europe car elle s'est placée volontairement en contradiction avec les droits humains. Il en va de la crédibilité de l'Organisation, et donc de sa légitimité demain pour agir face à ceux qui bafouent ses valeurs et sèment la terreur. Évidemment, cette décision indispensable est un déchirement car la Cour européenne des droits de l'Homme représente, pour le peuple russe, et particulièrement pour ceux qui se battent pour la démocratie et la justice, un phare éclairé dans la nuit. Pour cette raison, il ne faut pas couper le lien avec la société civile russe car c'est avec elle qu'il faudra construire l'avenir.

Au-delà de la question de l'exclusion de la Russie, il faut activer tous les leviers dont dispose le Conseil de l'Europe et, au besoin, en créer de nouveaux pour tenter de ramener la paix et la justice, pour protéger les civils et les réfugiés et lutter contre la désinformation car la guerre se joue aussi sur ce plan. Plus que jamais, le Conseil de l'Europe doit agir stratégiquement pour assurer à tous la plus exhaustive protection de leurs droits. Il est en outre indispensable que les exactions et les crimes commis cessent mais également qu'ils soient punis. C'est pourquoi la mise en oeuvre d'une commission d'enquête et l'institution d'un tribunal spécial est indispensable.

Aujourd'hui, fort heureusement, une union se dessine au sein de l'APCE, offrant une note d'espoir aux peuples ukrainien et européens. Cependant, la paix et la démocratie sont un engagement de chaque instant, dans un équilibre très fragile. Ainsi que le disait Albert Camus : « Celui qui dit ou qui écrit que la fin justifie les moyens et celui qui dit et qui écrit que la grandeur se juge à la force, celui-là est responsable absolument des hideux amoncellements de crimes qui défigurent l'Europe contemporaine. » Cette citation est d'une cruelle actualité aujourd'hui. Face à cette tragédie, les membres de l'APCE ne sauraient être ceux qui acceptent que force soit loi.

M. Alain Milon (Vaucluse - Les Républicains), premier vice-président de la délégation française, a tout d'abord exprimé sa solidarité avec l'Ukraine et salué les membres de la délégation ukrainienne, qui avaient tiré la sonnette d'alarme sans que l'urgence de leur propos soit totalement perçue. Il a ensuite appelé la Russie à cesser ses actions militaires et à retirer ses forces de la totalité du territoire ukrainien, immédiatement et sans condition, ainsi qu'à respecter pleinement l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine à l'intérieur de ses frontières reconnues au niveau international.

La raison d'être du Conseil de l'Europe est la défense de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'Homme. Depuis plusieurs années, en dépit des mains tendues, la Fédération de Russie dirigée par Vladimir Poutine s'écarte de ces valeurs. L'illustrent tout particulièrement l'annexion de la Crimée, l'occupation de certains territoires, l'affaire Navalny, la dissolution de l'ONG Memorial, la contestation croissante d'arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme. Mais l'invasion de l'Ukraine, cette guerre à grande échelle lancée le 24 février, marque une rupture majeure. Selon le ministère russe des Affaires étrangères, le cours des événements est devenu irréversible mais uniquement par la volonté de la Russie, qui a déclenché cette guerre de manière préméditée en faisant semblant de vouloir négocier. Aujourd'hui, elle viole les droits humains élémentaires en attaquant des civils, en utilisant de manière cynique les couloirs humanitaires, en bombardant l'hôpital pédiatrique de Marioupol. Ce sont ses troupes qui n'hésitent pas à arrêter des maires ukrainiens, attaquant ainsi les bases de la société démocratique ukrainienne.

Il faut réagir avec calme et fermeté, en demandant le retrait de la Fédération de Russie du Conseil de l'Europe. La crédibilité de l'Organisation est en jeu, même si les conséquences de ce retrait pour le peuple russe sont importantes. Ce calme et cette fermeté doivent aussi conduire à user de tous les éléments disponibles pour étayer les violations des droits fondamentaux en Ukraine, et enfin à tirer des conséquences de long terme sur le fonctionnement du Conseil de l'Europe, pour lui permettre d'être pleinement en capacité de promouvoir la sécurité démocratique du continent.

Mme Marie-Christine Dalloz (Jura - Les Républicains) a relevé que, depuis l'agression armée totalement injustifiée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, le 24 février, l'Europe se trouve confrontée à une situation extrêmement grave qui fait resurgir les souvenirs les plus sombres et craindre un embrasement du continent. Le conflit qui oppose désormais deux États membres du Conseil de l'Europe est dramatique, les victimes civiles se comptant par centaines, les migrants par centaines de milliers et des villes se trouvant détruites, des populations assiégées, sans oublier la menace nucléaire.

La paix et la démocratie sont des valeurs essentielles mais fragiles. Elles semblent acquises lorsque tout va bien mais les faits de ces jours-ci montrent qu'elles sont menacées. Il faut donc les défendre.

Le Conseil de l'Europe a été fondé en 1949 dans une optique de réconciliation des peuples européens. Afin d'atteindre son objectif de promotion les droits de l'Homme, il s'est doté de la convention européenne des droits de l'Homme. Dix ans plus tard, en 1959, la Cour européenne des droits de l'Homme a été créée afin de faire respecter cette convention. En tant qu'organe parlementaire de l'Organisation, l'APCE se doit d'oeuvrer à la préservation de ces valeurs.

Dès le 25 février, le Comité des Ministres a suspendu les droits de représentation de la Fédération de Russie. Cette décision a été prise en concertation avec l'Assemblée parlementaire. Elle était nécessaire. Parallèlement, le 1 er mars, la Cour européenne des droits de l'Homme a demandé à la Fédération de Russie de ne pas entreprendre d'attaques militaires contre des civils et de préserver les écoles et les hôpitaux. Il est évident que ces réactions sont insuffisantes et qu'il faut d'ores et déjà réfléchir aux actions que l'APCE devra entreprendre pour contribuer à la résolution de ce conflit. Lorsqu'il s'agira, ensuite, de trouver une voie de réconciliation, il faudra faire preuve de la plus grande fermeté à l'égard de l'intégralité et de la souveraineté de l'Ukraine car ces principes ne sont pas négociables.

Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, a souligné que la tenue d'une session extraordinaire de l'APCE témoignait de la gravité de la situation dans laquelle le continent européen se trouve plongé depuis le lancement par le pouvoir russe d'une attaque armée totalement injustifiée contre l'Ukraine et sa population. Elle-même élue d'un territoire français fortement marqué par les deux guerres mondiales du XX e siècle, elle a déclaré qu'elle n'aurait jamais imaginé vivre en direct des événements et voir des images lui remémorant aussi intensément les leçons les plus sombres de l'histoire.

La Fédération de Russie, en adhérant au Conseil de l'Europe, s'était engagée à poursuivre un ensemble de buts partagés, un idéal humaniste et de progrès. Son Président actuel, en choisissant délibérément de lancer une guerre d'agression contre l'Ukraine, bafoue les valeurs qui sont chères aux membres de l'Assemblée parlementaire. M. Poutine a renié la parole donnée et plongé l'Europe toute entière dans une crise que la création du Conseil de l'Europe, en 1949, visait justement à éviter.

L'Organisation a su réagir dès le 25 février, au lendemain de cette offensive massive, en suspendant les droits de représentation de la Fédération de Russie. De même, le 1 er mars, la Cour européenne des droits de l'Homme a demandé au gouvernement russe de s'abstenir d'attaquer les civils, les écoles et les hôpitaux. Malheureusement, cela ne suffit pas, ne suffit plus. Après 20 jours de combats meurtriers, de bombardements, de tueries de civils, de rapts et de tortures, chaque jour amène son lot d'atrocités perpétrées par le Président russe, qu'il convient de distinguer de son peuple, victime lui-aussi, mais à moindre échelle que le peuple ukrainien.

Cette guerre, voulue par une seule personne qui a le fantasme de la « Grande Russie », dont le régime avait droit de vie ou de mort sur chacun de ses habitants, est non seulement complètement folle mais de surcroît elle met en danger toute l'Europe. Aujourd'hui, c'est l'Ukraine qui est un pays martyr et demain ? Où s'arrêtera cet homme qui visiblement n'a aucune envie de désescalade ?

La Fédération de Russie a franchi la ligne rouge. Par attachement aux valeurs du Conseil de l'Europe, il faut le dire clairement : il n'est pas possible de maintenir la Fédération de Russie au sein de l'Organisation. L'accepter serait une forme de complicité passive. Alors oui, le peuple russe sera, une fois de plus, lésé. Mais l'argument de la convention et de la Cour européenne des droits de l'Homme est contreproductif. Conserver la Russie comme État membre risquerait de laisser penser que, peut-être, existent des circonstances atténuantes, ce qui ne manquerait pas d'alimenter les réseaux sociaux truffés de fake news . Il ne faut pas transiger et, au contraire, faire preuve de fermeté.

Bien sûr, lorsque l'Ukraine sera à nouveau en paix, en État souverain et indépendant, et dès lors que la Fédération de Russie aura changé et souhaitera sincèrement se conformer aux valeurs du Conseil de l'Europe, il sera de nouveau possible d'accueillir le peuple russe et de dialoguer avec ses dirigeants. C'est ce qui a pu être accompli à la fin de la Seconde guerre mondiale, entre la France et l'Allemagne, et c'est ainsi qu'a été créé le Conseil de l'Europe. Dans l'immédiat, un vote massif de l'avis proposé, sans avoir la main qui tremble, s'impose.

Après avoir rendu hommage à la population ukrainienne, M. Christian Klinger (Haut-Rhin - Les Républicains) a jugé qu'il était nécessaire de montrer la solidarité des Européens avec l'Ukraine, compte tenu des multiples violations des droits de l'homme observées aujourd'hui.

La situation en Ukraine est plus qu'alarmante, comme le montrent les bombardements sur Marioupol. Les habitants sont privés d'eau, de gaz et d'électricité. La nourriture commence à manquer cruellement. Les immeubles sont bombardés sans relâche par les forces russes qui n'hésitent pas à viser la population civile. Face à ces violations des droits humains, il faut venir en aide aux réfugiés qui souhaitent demander l'asile et ne pas réitérer les erreurs de 2015 et 2016 : l'Italie et la Grèce s'étaient alors retrouvées seules en première ligne pour accueillir des millions de réfugiés syriens fuyant la guerre.

Cette fois, c'est notamment la Pologne et la Roumanie qui sont en première ligne ; les autres États membres de l'Union européenne doivent leur prêter assistance, grâce à une répartition des réfugiés, en tenant évidemment compte de leurs préférences et de leurs attaches.

Il ne faut pas s'y tromper, cette guerre est appelée à durer et le nombre de réfugiés à augmenter. Le cap des 3 millions de réfugiés est franchi et les experts tablent sur 5 millions prochainement. Dans ce contexte, le Conseil de l'Europe doit rester actif pour permettre un accueil respectueux des droits et garantir que toutes ces personnes qui souhaitent quitter l'Ukraine puissent le faire. La Commissaire aux droits de l'Homme pourrait notamment assister la Commission européenne et les États membres à cet effet. Par ailleurs, il conviendra de permettre aux ressortissants des États tiers vivant en Ukraine de pouvoir se rendre dans d'autres pays européens, afin de regagner leur pays d'origine s'ils le souhaitent. Dans cette situation d'urgence, l'accueil sans condition doit être organisé, sachant que la volonté de la plupart des réfugiés est de regagner leur Ukraine natale dès la fin du conflit.

M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - Les Républicains) a souligné que l'attaque armée totalement injustifiée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, le 24 février, avait plongé l'Europe dans une situation d'une gravité extrême. Élu lui aussi d'un territoire particulièrement traumatisé par les horreurs des deux guerres mondiales du XX e siècle, il s'est déclaré stupéfait de voir resurgir une telle menace et déterminé à faire tout son possible pour éviter l'embrasement du continent.

Les Alsaciens ont connu l'évacuation en 1939, beaucoup d'aïeux ont été enrôlés de force dans la Wehrmacht en 1942 et l'annexion de fait de l'Alsace par Hitler a été un traumatisme terrible. Aujourd'hui, la guerre qui déchire deux pays frères, la Russie et l'Ukraine, est épouvantable. Le bilan est déjà extrêmement lourd : des milliers de victimes civiles, des millions de réfugiés, des villes détruites, des populations assiégées sans eau ni nourriture et un risque nucléaire avéré.

L'année de naissance du Conseil de l'Europe coïncide avec la date de naissance de certains parlementaires. La convention européenne des droits de l'Homme et la Cour européenne des droits de l'Homme ont aussi vu le jour après la seconde guerre mondiale afin de favoriser la réconciliation durable des peuples européens. Cet objectif, considéré comme acquis, est brutalement remis en cause.

Les membres de l'APCE ont pourtant pour mission d'oeuvrer pour la préservation de la paix et de la démocratie. Les droits de représentation de la Fédération de Russie au Conseil de l'Europe ont été, à juste titre, suspendus par le Comité des Ministres dès le lendemain de l'attaque. Il n'aurait pas été acceptable qu'un État membre bafouant les droits à la vie et à la vie familiale, ainsi que l'interdiction de la torture et des traitements inhumains prévus par les articles 2, 3 et 8 de la convention européenne des droits de l'Homme puisse continuer à exercer toutes ses prérogatives.

Les demandes faites à la Russie de ne plus perpétrer d'attaques militaires contre des civils et de préserver les écoles et les hôpitaux ont été vaines. Le non-respect des couloirs humanitaires est un scandale absolu. Chaque matin, les dégâts humains et matériels causés s'aggravent et ces informations tragiques deviennent presque habituelles.

Si le dialogue est utile et nécessaire, le maintien de la Russie au sein du Conseil de l'Europe est aujourd'hui indéfendable. À plus long terme, lorsque sera négocié le règlement du conflit, il faudra exiger la souveraineté de l'Ukraine et l'intégralité de son territoire. Céder sur ce point s'avèrerait extrêmement dangereux pour d'autres pays européens, comme la Moldavie et la Géorgie. Pour l'heure, il faut marquer la solidarité avec le peuple ukrainien et allier la diplomatie à la fermeté des sanctions.

M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union Centriste) a déploré que, deux ans seulement après la guerre au Haut-Karabakh, un nouveau conflit éclate entre deux États membres du Conseil de l'Europe. Un conflit d'une ampleur qui secoue tout le continent et qui interroge très directement les valeurs de l'Organisation. Il a regretté que tous les efforts diplomatiques déployés pour l'éviter n'aient pas porté leurs fruits.

L'agression russe contre l'Ukraine, déclenchée le 24 février dernier, est inacceptable. La suspension par le Comité des Ministres de la Fédération de Russie de ses droits de représentation au Conseil de l'Europe, dès le 25 février, était une première étape absolument nécessaire. Elle est néanmoins clairement insuffisante, même si le chemin qui suit va conduire à priver, à terme, les citoyens russes de recours devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Vladimir Poutine ne laisse pas le choix aux membres de l'APCE. La suspension des pouvoirs des parlementaires russes en 2014 n'a pas permis d'obtenir des avancées notables sur la situation en Ukraine. Leur retour en 2019 non plus, et il n'a en rien permis d'éviter la guerre.

Certes, les questions de défense et de sécurité ne relèvent pas de la compétence du Conseil de l'Europe. Toutefois, le préambule de la convention européenne des droits de l'Homme rappelle que l'Organisation doit renforcer les liens entre ses États membres, profondément attachés au respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qui constituent les assises mêmes de la justice et de la paix dans le monde. Ces valeurs ne sont pas partagées aujourd'hui par la Fédération de Russie. Les bombardements qui s'intensifient et visent directement les populations civiles pour les effrayer, ou la création de couloirs humanitaires menant vers la Russie ou le Belarus montrent le cynisme des dirigeants russes, qui ne prennent nullement en considération les droits des populations ukrainiennes. Bien au contraire, Poutine et son entourage sont à l'origine de massacres et de véritables crimes de guerre.

Les ONG et les journalistes relayent une situation particulièrement préoccupante sur le terrain. Ce conflit est la négation de toutes les valeurs défendues par le Conseil de l'Europe depuis sa création. C'est la raison pour laquelle l'APCE doit réagir, tant pour affirmer sa solidarité avec les Ukrainiens que pour rappeler son attachement aux valeurs du Conseil de l'Europe.

La Russie de Vladimir Poutine ne peut plus faire partie de cette Organisation, c'est une question de crédibilité. Enfin, il a félicité le peuple ukrainien pour son courage et lui a apporté tout son soutien.

Mme Jennifer De Temmerman (Nord - Libertés et Territoires) a tout d'abord exprimé son soutien au peuple ukrainien et aussi aux peuples voisins, qui les ont soutenus depuis le début, depuis des années, et qui sont également en première ligne. Elle a estimé que, en 2019, l'APCE avait été naïve, en n'entendant pas les avertissements des parlementaires ukrainiens. Dans l'Histoire, il y avait eu des précédents, dont les leçons n'ont pas été tirées.

À l'époque, beaucoup ont cru que c'était le mieux à faire pour le peuple russe, victime d'un pouvoir décadent et despotique. Il pouvait ainsi continuer à saisir la Cour européenne des droits de l'Homme. Mais finalement, pour quels résultats ?

Même si c'est un peu tard et si cela ne changera pas la situation actuelle, le peuple ukrainien et tous ceux qui ont eu la lucidité de le soutenir depuis des années ont droit à des excuses pour cette naïveté. Le Conseil de l'Europe a été créé aux lendemains d'une guerre terrible, dans l'espoir d'éviter un nouvel embrasement. Est-ce la fin d'une illusion ? La paix en Europe ne tient désormais qu'à un fil. Il ne faut pas regarder ailleurs : se montrer faible face à un monstre n'épargnera personne.

Aujourd'hui, l'APCE a l'opportunité de se racheter, en adoptant d'une seule voix et sans faiblir l'exclusion de la Fédération de Russie. Chacun a le devoir d'être à la hauteur du courage du peuple ukrainien. Il faut pour cela entendre les requêtes de ceux qui avaient averti et qui n'ont pas été écoutés auparavant, y compris au sujet d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus du territoire ukrainien.

Les représentants du peuple doivent tenir compte de leurs concitoyens. En Flandre, telle entreprise affrète des camions pour convoyer des dons, tel maire accueille sous son toit une famille ukrainienne. Ils attendent tous de la cohérence dans le vote de leur parlementaire à Strasbourg. Un grand écrivain russe, correspondant de Gandhi, a écrit « le gouvernement est une réunion d'hommes qui fait violence au reste des hommes » . Les pommes tombent parfois loin des arbres. C'est ce qui se passe actuellement en Russie. Il convient, en outre, de ne pas oublier les opposants à Poutine, car c'est peut-être par eux que pourra revenir la lumière.

L'avis voté aujourd'hui n'est qu'une pierre. Mais une pierre est un rempart contre une barbarie ; une pierre peut vaincre un géant ; et une pierre fait une maison. Demain, l'Ukraine se reconstruira. Aujourd'hui, il faut lui apporter un soutien sans faille et tenter d'endiguer un déferlement de violence.

M. Olivier Becht (Haut-Rhin - Agir Ensemble) a considéré que l'invasion brutale de l'Ukraine par la Russie signait le retour de la guerre en Europe. Avec la chute du mur de Berlin, beaucoup pensaient pouvoir jouir des dividendes de la paix ; l'Histoire rappelle avec brutalité que les Européens sont tous Ukrainiens. Face à cette agression armée d'un État membre du Conseil de l'Europe par un autre, une seule solution s'impose : l'exclusion de l'agresseur.

Une majorité a défendu, il y a quelques années, le maintien de la Russie dans l'Organisation car il apparaissait utile que les Russes puissent continuer à bénéficier de la protection de la Cour européenne des droits de l'Homme. Hélas, le chemin inverse a été pris. Si l'exclusion de la Russie de la famille de la grande Europe est aujourd'hui inévitable, il est indispensable de spécifier qu'il s'agit bien de la Russie de Vladimir Poutine. Nul n'est éternel au pouvoir et on peut fonder l'espoir que le peuple russe trouvera la force de mettre un jour à sa tête un dirigeant qui renouera avec les valeurs communes du Conseil de l'Europe.

Il faut que la Russie sache que, ce jour-là, elle pourra retrouver la place et le rang qui sont les siens dans cette grande famille européenne. Il faudra aussi, le temps venu, que l'Organisation réfléchisse à sa propre évolution. En effet, les valeurs sont fondamentales mais elles ne sont que des piliers du temple. Pour tenir debout, ces valeurs ont besoin du ciment des coopérations concrètes qui permettent une prospérité partagée. C'est le chemin qu'ont dessiné les Pères fondateurs, en 1950, en invitant les États à se réunir pour bâtir autour de l'énergie les conditions d'une prospérité commune.

Le Conseil de l'Europe ne pourra survivre sans évoluer sur ce même chemin. À l'heure où les Accords de Paris sur le climat conduisent, d'ici 2050, vers une société sans énergie fossile, personne ne peut espérer vivre en paix sur le continent sans associer chaque État de la grande Europe à cet immense défi qui conditionnera le développement économique futur et le bien-être des populations. Il est donc indispensable de travailler sans tarder aux conditions qui permettront, avec la Russie de l'après-Poutine, de bâtir une Paix durable, comme celle installée après 1945 entre États de l'actuelle Union européenne. Au niveau de la Grande Europe, le Conseil de l'Europe a toute sa légitimité pour oeuvrer à la réalisation de cet objectif.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page