III. DÉCARBONER LES BÂTIMENTS

A. LES PRÉCONISATIONS : RENFORCER L'EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE EN TENANT COMPTE DU MIX ACTUEL DES ÉTATS MEMBRES ET DES SURCOÛTS INDUITS POUR LES MÉNAGES, LES ENTREPRISES ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

1. La directive sur l'efficacité énergétique : tenir compte du mix énergétique des États membres

La directive sur l'efficacité énergétique fixe un objectif de réduction annuelle contraignant, de 9 % d'ici 2030, de la consommation d'énergie à l'échelle de l'Union européenne, chaque État membre devant déterminer une contribution nationale indicative en matière d'efficacité énergétique sur sa consommation d'énergie finale et primaire, sur la base d'une méthodologie harmonisée. Sont prévus des objectifs annuels de réduction de la consommation d'énergie de 1,7 % et de rénovation de la surface au sol des bâtiments de 3 %, dans le secteur public, ainsi que de réalisation d'économies énergie, de 1,5 % entre 2024 et 2030. Les États membres doivent appliquer un principe de primauté énergétique, en veillant à ce que leurs solutions d'efficacité énergétique soient prises en compte dans les décisions de planification, de politique et d'investissement. Ils doivent aussi réduire la précarité énergétique, en mettant en oeuvre des mesures ciblées vers les clients et utilisateurs vulnérables. Sont également prévus une planification et un suivi des installations de chauffage et de refroidissement, un renforcement des audits (pour les grands consommateurs d'énergie) ou des systèmes de qualification, d'agrément et de certification, une consolidation des droits et des obligations des consommateurs et une facilitation du recours aux clauses des marchés publics et aux contrats de performance énergétique.

Les rapporteurs estiment nécessaire de tenir compte de la spécificité des bailleurs sociaux et des réseaux d'électricité, de gaz ou de froid dans les objectifs de réduction ainsi prévus.

S'agissant des bailleurs sociaux, leur inclusion dans le champ de la directive sur l'efficacité énergétique et, plus largement, dans le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », est un sujet de préoccupation majeure.

C'est pourquoi l'Union sociale de l'habitat (USH) a indiqué que « les 3 propositions législatives en cours de révision (directive sur l'efficacité énergétique, directive sur la performance énergétique des bâtiments, ETS 62 ( * ) sur le chauffage des bâtiments) proposent de nouvelles obligations, qui, cumulées deviennent très contraignantes pour les organismes de logement social, considérés, en France, comme organisme de droit public au sens du droit européen, sans visibilité par rapport à l'impact sur l'efficacité énergétique, la décarbonisation et l'impact sur la précarité énergétique ».

Concernant les réseaux, leur intégration dans le champ de la directive sur l'efficacité énergétique soulève plusieurs questions : d'une part, la Fedene s'inquiète de l'inclusion des « infrastructures de réseaux de chaleur et de froid » aux obligations de réduction précitées ; d'autre part, RTE, GRTgaz et l'Afieg s'interrogent sur l'inclusion des « gestionnaires de réseaux » dans les parties obligées des dispositifs d'économies d'énergie.

Les rapporteurs considèrent que les États membres doivent être souverains dans l'application du principe de « primauté énergétique », plutôt favorable au gaz, qu'ils doivent pouvoir combiner avec un principe d'« efficacité carbone », plutôt utile à l'électricité.

Il est aussi crucial qu'ils puissent définir par eux-mêmes les actions d'efficacité énergétique à mettre en oeuvre, en direction des ménages en situation de précarité énergétique.

Constatant la divergence de vues entre l'Association française du gaz (AFG), qui plaide pour un principe de « primauté énergétique » , et l'UFE, qui lui préfère un principe d' « efficacité carbone » , les rapporteurs considèrent que ce sont aux États membres, et à eux seuls, de trancher.

De plus, ils estiment que les collectivités territoriales doivent être mieux associées à ces actions d'efficacité énergétique.

Ils retiennent ainsi de leur audition de la FNCCR que « les AODE doivent pouvoir intervenir dans la mise en oeuvre et le contrôle du principe de primauté de l'efficacité énergétique en matière de réseaux de distribution ».

Enfin, les rapporteurs soulignent que les contrats de performance énergétique et les critères de commande publique , qui font la quasi-unanimité parmi les personnes auditionnées ou interrogées, peuvent et doivent être utilement mobilisés dans un but d'efficacité énergétique .

Directive sur l'efficacité énergétique

18. Garantir la compétence des États membres dans l'application du principe de primauté énergétique, en leur permettant de le compléter par un principe d'efficacité carbone et de définir les actions d'efficacité énergétique à destination des ménages en situation de précarité énergétique.

19. Prendre en compte la spécificité des bailleurs sociaux dans l'appréciation de l'obligation de réduction de la consommation d'énergie en leur appliquant un statut juridique idoine.

20. Prendre en considération la spécificité des réseaux d'électricité, de gaz, de chaleur et de froid dans cette même appréciation.

21. Mieux associer les collectivités territoriales et leurs groupements, en tant qu'autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), à la mise en oeuvre des actions d'efficacité énergétique.22. Mobiliser les contrats de performance énergétique et les critères de commande publique dans un but d'efficacité énergétique.

2. La directive sur la performance énergétique : limiter les surcoûts pour les ménages, les professionnels et les collectivités territoriales

La directive sur la performance énergétique des bâtiments oblige à la construction de bâtiments « à émission nulle » , en 2027, pour les bâtiments publics, et en 2030, pour les autres. Elle prévoit également la rénovation de 15 % des bâtiments existants les moins performants ; les bâtiments publics et les bâtiments non résidentiels doivent atteindre la classe F, d'ici 2027, et la classe E, d'ici 2030, et les bâtiments résidentiels la classe F, d'ici 2030, et la classe E, d'ici 2033, un calendrier devant être fixé par les États membres pour atteindre des classes plus élevées, d'ici 2040 ou 2050. Les États membres doivent notamment instituer des guichets uniques, des aides financières ou une assistance technique, pour aider les ménages vulnérables, réduire la pauvreté énergétique ou soutenir le logement social. Le non-subventionnement des chaudières à combustible fossile est appliqué, à compter du 1 er janvier 2027, une possibilité d'interdiction de ces chaudières étant ouverte aux États membres. Pour la bonne application de ces dispositions, il est prévu de renforcer les plans nationaux de rénovation des bâtiments (d'ici le 30 juin 2024), d'instituer un « passeport de rénovation du bâtiment » (d'ici le 31 décembre 2024), d'harmoniser les « certificats de performance énergétique » (en prévoyant une grille de A à G, en réduisant leur durée de validité de 10 à 5 ans pour certaines classes et en les appliquant aux rénovations majeures et aux bâtiments publics), de préciser les règles d'inspection (qualité de l'air, mobilité durable, plan d'inspection) ou de conforter les bases de données (en instituant de nouvelles bases ou de nouveaux indicateurs et en garantissant leur accessibilité).

Compte tenu de la « flambée des prix des énergies », les rapporteurs estiment crucial que la mise en oeuvre des nouvelles normes de performance énergétique s'accompagne d'un soutien financier pour les constructeurs, les propriétaires ou les copropriétaires, les bailleurs et les locataires.

Ils retiennent de leur audition du HCC le coût élevé de la rénovation énergétique : « La massification de la rénovation énergétique [...] nécessite d'accroître fortement les montants investis par rapport aux tendances passées. La manière dont les instruments de politique publique répartissent l'effort entre ménages, entreprises et dépense publique doit s'inscrire dans une logique de transition juste. »

Outre cet accompagnement des coûts, la spécificité des bailleurs sociaux et des bâtiments tertiaires doit être pleinement reconnue.

L'USH s'est ainsi inquiétée de l'inclusion des bailleurs sociaux dans l'obligation de rénovation, rappelant que 1,3 à 1,8 M de logements nécessiteraient d'être rénovés : « L'article 6 du projet de directive impose aux organismes publics de rénover 3 % par an de la surface de leurs bâtiments, de manière à être transformés en bâtiments à énergie quasi nulle. Ainsi les organismes HLM français, au sens du droit européen, seraient soumis à cette obligation, au côté des bâtiments publics ».

Sur le plan de l'approvisionnement en énergie des bâtiments, trois ajustements semblent nécessaires aux rapporteurs.

Tout d'abord, un principe de neutralité technologique doit bénéficier à l'énergie nucléaire, par rapport aux énergies renouvelables, dans l'appréciation des bâtiments faiblement émissifs. Ce même principe doit aussi être appliqué aux énergies renouvelables de réseau, par rapport à celles sur site.

En effet, l'UFE a regretté devant les rapporteurs que la directive « ne tienne compte que de l'énergie issue de sources renouvelables alors que l'énergie décarbonée joue un rôle clé dans la décarbonation du parc immobilier ».

De plus, s'agissant des équipements de chauffage à énergie fossile, l'extinction prévue doit être graduelle, et non sèche, au regard du grand nombre de logements, notamment sociaux, y recourant actuellement .

Ainsi, l'AFG a indiqué aux rapporteurs que « ce serait une erreur de complètement exclure dans ces délais la possibilité de recourir aux énergies fossiles, sachant que les énergies renouvelables, notamment les EnR locales adaptées aux besoins de chauffage, ne seront pas encore pleinement déployées ».

Enfin, l'usage du biogaz pour l'alimentation en énergie des bâtiments mérite d'être expérimenté, comme s'y est d'ailleurs engagé le Gouvernement auprès de la filière biogaz, lors de la récente révision des normes bâtimentaires nationales 63 ( * ) .

La FNCCR a alerté les rapporteurs en ce sens : « La neutralité doit pouvoir rendre éligibles les productions d'énergie bas-carbone comme le biogaz. Ces boucles locales que pourraient être aussi les modèles d'autoconsommation permettront aussi de limiter la hausse des coûts des énergies. »

Au-delà de la directive en tant que telle, les rapporteurs estiment crucial de veiller à une bonne articulation entre les normes nationales et celles européennes, s'agissant notamment du diagnostic de performance énergétique (DPE) .

Sur ce point, l'USH a ainsi indiqué qu' « une attention particulière est à porter sur les étiquettes E, dont le classement d'indécence est prévu en 2034 dans la réglementation française, contre 2033 par la directive » .

Dans le même esprit, la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim) a relevé « l'inadéquation entre le DPE à la française et le certificat de performance énergétique (CPE) européen ».

Directive sur la performance énergétique

23. Accompagner par un soutien financier la mise en oeuvre des nouvelles normes en matière de performance énergétique pour les constructeurs, les propriétaires (bailleurs privés ou sociaux, monopropriétaires ou copropriétaires) et les locataires.

24. Prendre en compte la spécificité des bailleurs sociaux dans l'appréciation de l'obligation de réduction de la consommation d'énergie en leur appliquant un statut juridique idoine.

25. Prendre en considération la spécificité des bâtiments tertiaires dans la prise en considération dans cette même appréciation.

26. Appliquer un seuil d'émission, adapté, ambitieux et graduel, pour les énergies fossiles utilisées pour le chauffage et le refroidissement, plutôt qu'une interdiction sèche.

27. Appliquer une neutralité technologique entre l'énergie renouvelable et celle bas-carbone, et entre les énergies renouvelables sur site et celles de réseau, notamment dans la définition des bâtiments faiblement émissifs.

28. Prévoir l'expérimentation d'un système d'alimentation des bâtiments au biogaz.

29. Maintenir une bonne articulation entre normes européennes et nationales.


* 62 Emissions Trading Scheme (ETS) ; en français, système d'échange de quotas d'émission (SEQE).

* 63 En l'espèce la révision de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) susmentionnée.

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