B. UN MODÈLE À RÉPLIQUER EN TIRANT LES LEÇONS DE L'EXPÉRIENCE ACCUMULÉE AU COURS DES DIX DERNIÈRES ANNÉES

Le Gouvernement a annoncé, en juillet dernier, le lancement d'un appel à projets doté de 300 millions d'euros pour financer six nouveaux IHU.

Si les rapporteurs spéciaux sont favorables à l'extension de ce modèle, ils estiment que les pouvoirs publics doivent s'attacher à créer les conditions de réussite des futurs IHU, en tirant les leçons des deux premières vagues et en préservant l'excellence de l'écosystème dans lequel ils ont vocation à prospérer.

1. Réunir les conditions de la réussite des six futurs IHU

Les rapporteurs spéciaux ont acquis la conviction, au cours de leurs travaux, que le succès des IHU tient notamment à l'autonomie que leur confère leur statut de fondation de coopération scientifique .

En effet, les IHU créés sous cette forme ont chacun une gouvernance, un budget, et des services (financiers, de ressources humaines, etc.) qui leur sont propres. Cette caractéristique constitue un gage de flexibilité dans les procédures, mais aussi de réactivité et de proximité pour les entreprises ; selon les informations transmises aux rapporteurs spéciaux, ce statut est très apprécié des industriels, qui seraient a contrario moins enclins à s'engager aux côtés des IHU si ces derniers étaient des structures d'État à 100 % publiques.

L'existence d'une personne morale constitue également un avantage compétitif au regard de la propriété intellectuelle, pour les raisons évoquées supra . Partant, ce modèle juridique semble le plus à même de permettre une coopération effective entre le public et le privé .

Enfin, le statut de fondation permet d'attirer de grands talents internationaux . En effet, les délais de recrutement et le niveau des rémunérations proposées dans le système classique demeurent peu incitatifs, tandis que du fait de leur statut, les établissements publics n'ont pas la possibilité de recruter directement. À l'inverse, une fondation correctement dotée est en mesure d'embaucher, qui plus est à un salaire attractif et compétitif.

Dans ce contexte, il convient de relever que le président du jury international des IHU, Richard Frackowiak, a fait part de son incompréhension, lors de la décision de modifier les règles de l'appel à projets pour la 2 ème vague des IHU. Remettant à cette occasion sa démission au Gouvernement, le président du jury international a regretté « qu'on veuille arrêter l'un des principes majeurs des projets IHU, qui est celui d'être basés sur des fondations, et que le jury trouvait excellent [...] c'est selon nous un élément absolument fondamental des IHU pour que, dans le continuum entre recherche fondamentale, recherche clinique et recherche translationnelle, ils fassent le lien entre les universités, les organismes, les hôpitaux et l'industrie » 36 ( * ) .

Pour les rapporteurs spéciaux, les futurs IHU ne doivent donc pas être intégrés à la gestion d'une université, d'un hôpital ou d'un organisme de recherche, afin de bénéficier d'une réelle autonomie leur conférant des avantages comparatifs . Partant, et à rebours des choix qui ont été réalisés lors du lancement de la 2 ème vague d'appels à projets, il importe d'autoriser à nouveau la création de structures juridiques dotées de la personnalité morale pour porter les IHU .

Recommandation n° 8 : autoriser les projets d'IHU à se construire sur une fondation de coopération scientifique (SGPI, comité de pilotage des IHU).

Les rapporteurs relèvent également que les IHU pour lesquels des fondations préexistaient (comme Imagine ou l'ICM), et qui pouvaient donc s'appuyer sur des fonds extérieurs et une visibilité internationale déjà bien ancrée, semblent fonctionner sur des bases plus solides que ceux pour lesquels la fondation a été créée de novo , grâce à la dotation de l'État.

Dans ce contexte, il serait souhaitable que les projets retenus lors de la 3 ème vague s'appuient sur des centres déjà bien établis , à la tête de réseaux structurés, de nature à garantir un rayonnement significatif des structures labellisées . Ce critère de sélection serait à même de favoriser une bonne insertion des IHU dans leur écosystème et une diffusion large des innovations en santé.

Recommandation n° 9 : sélectionner prioritairement les projets d'IHU portés par des structures déjà bien établies, à la tête de réseaux structurés, afin de favoriser une diffusion large des innovations en santé (comité de pilotage des IHU).

Enfin, de manière plus générale, les rapporteurs spéciaux s'interrogent sur la grande diversité qui caractérise les IHU ; chaque structure a en effet des modalités de gouvernance, d'organisation et de fonctionnement qui lui sont propres, avec des résultats variables. L'expérience accumulée au cours des dix dernières est à cet égard précieuse, et pourrait être davantage mise à profit.

Les rapporteurs estiment donc que les IHU existants devraient être directement associés aux réflexions préalables au lancement du nouvel appel à projets , ou tout du moins consultés sur les fondamentaux à retenir dans la labellisation de nouvelles structures.

À cet égard, les rapporteurs notent que les IHU travaillent actuellement à l'élaboration d'un livre blanc permettant notamment d'identifier des axes d'amélioration pour l'avenir ; i l serait opportun que ce document s'attache à préciser le « modèle IHU », en s'accordant sur plusieurs points qui restent actuellement en suspens - qu'il s'agisse des objectifs assignés à ces structures, des attendus en termes de valorisation ou d'impact sur la prise en charge des patients, de la politique d'emploi, des modalités d'association des différents partenaires et de collaboration avec les CHU.

Recommandation n° 10 : associer les sept IHU existants aux travaux préalables au lancement du nouvel appel à projets IHU (SGPI).

Les rapporteurs spéciaux relèvent, enfin, l'intérêt et le soutien manifestés par les régions aux IHU . Ces derniers ont pu bénéficier, dans certains cas, d'un accompagnement financier conséquent, leur création étant appréhendée comme un élément de structuration de la recherche territoriale. Les IHU ont de facto permis de développer une très grande expertise à l'échelle locale et ainsi contribué au développement économique de leur territoire.

En tout état de cause, les régions ont vocation à jouer un rôle croissant dans la politique de recherche, comme l'a démontré le rapporteur spécial dans son rapport de septembre 2019, « Les régions, acteurs d'avenir de la recherche en France » 37 ( * ) . Très actives dans ce domaine, elles constituent souvent un partenaire de choix pour les équipes de recherche, avec lesquelles elles collaborent de façon souple et flexible, grâce à leur connaissance de l'écosystème local.

L'implication des régions ayant constitué un élément déterminant dans la réussite des IHU, les rapporteurs spéciaux estiment que ce facteur de succès gagnerait à être pris en compte dans le cadre du futur appel à projets .

Recommandation n° 11 : réfléchir à des modalités normalisées d'association des régions au pilotage et au financement des IHU (SGPI, comité de pilotage des IHU).

2. Préserver la diversité et l'excellence de l'écosystème dans lequel ces structures ont vocation à s'insérer

La forte visibilité des IHU ne doit pas conduire à surestimer leur poids dans la recherche biomédicale, tant d'un point de vue financier, qu'en termes de production bibliométrique.

En premier lieu, eu égard aux moyens dont ils disposent, l'impact transformant des IHU sur leur environnement est nécessairement limité ; à titre d'exemple, les sept IHU ont bénéficié de 28,2 millions d'euros au titre des PIA en 2019, tandis que les crédits MERRI versés aux hôpitaux la même année se sont élevées à environ 2,0 milliards d'euros.

Il existe par ailleurs plusieurs centres de recherche en sciences du vivant dont la productivité en termes de brevets et de publications se révèle comparable, en ordre de grandeur, à celle des IHU. En parallèle, d'autres modèles, comme celui de l'Institut Gustave Roussy ou de l'Institut Pasteur, ont également fait la preuve de leur capacité à lier recherche académique et recherche clinique.

In fine , les IHU n'ont pas vocation à devenir le modèle prédominant d'organisation de la recherche biomédicale en France ; ces objets doivent être appréhendés comme un outil complémentaire et accélérateur de l'écosystème existant, dont il convient donc de préserver la diversité et le caractère compétitif.

Par ailleurs, comme l'a souligné France Universités dans sa contribution écrite : « Si les IHU peuvent accélérer la recherche et l'innovation dans quelques domaines de pointe, où la France est susceptible d'exceller, ils ne pourront remplacer la nécessaire réorganisation de l'hôpital universitaire, dont le modèle construit en 1958 est jugé par beaucoup, depuis plusieurs années, comme étant à bout de souffle ».

Partant , il est primordial de donner aux établissements nationaux des moyens à la hauteur des enjeux en matière de santé . En effet, les IHU s'appuient très largement sur le personnel et les investissements consentis par les organismes de recherche et les universités ; la qualité de leurs travaux dépend donc in fine étroitement de la politique scientifique menée par leurs partenaires publics. Or, ces derniers sont confrontés à une attrition permanente de leurs moyens, résultant du sous-financement chronique dont souffre la recherche française.

Si un sursaut budgétaire semble à terme indispensable, la priorité doit être donnée dans l'immédiat à une simplification de la tuyauterie financière, afin de faciliter l'accès des chercheurs aux financements disponibles .

En premier lieu, la mise en place de règles harmonisées entre les différents guichets d'appels à projets du Mesri (ANR, Inca, ANRS-MIE), du MSS (PHRC) et du PIA 4 constituerait une première avancée notable, en réduisant la charge administrative pesant sur les équipes de chercheurs .

Les bénéfices de cette évolution seraient d'autant plus élevés qu'elle irait de pair avec la création d'un portail unique de référencement des appels à projets dans le secteur de la santé, permettant de mutualiser les catalogues.

Recommandation n° 12 : créer un portail unique de référencement des appels à projets dans le secteur de la santé, et harmoniser les règles entre les différents guichets (Mesri, MSS).

À plus long terme, il serait judicieux d'établir un mécanisme de coordination des appels à projets financés dans le champ de la santé, en garantissant une plus grande cohérence dans les programmations des différents guichets - sans pour autant dissocier les appels à projets de leur niche naturelle au sein des agences, afin d'éviter de rompre l'interdisciplinarité, essentielle pour la progression de la recherche biomédicale.

Il serait également souhaitable que les équipes puissent mobiliser de manière conjointe les fonds du Mesri ou du MSS , afin de mettre un terme à la scission entre recherche fondamentale et recherche appliquée.

Recommandation n° 13 : établir un mécanisme de coordination des appels à projets financés dans le champ de la santé, pour garantir une plus grande cohérence dans les programmations des différents guichets (Mesri, MSS).


* 36 AEF Info, « IHU : Richard Frackowiak démissionne de la présidence du jury international et conteste les arguments du gouvernement », 6 octobre 2017.

* 37 Les régions, acteurs d'avenir de la recherche en France, Rapport d'information de M. Jean-François RAPIN, fait au nom de la commission des finances n° 740 (2018-2019) - 25 septembre 2019.

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