Rapport d'information n° 520 (2021-2022) de Mme Françoise GATEL et M. Jean-Michel HOULLEGATTE , fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 17 février 2022

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N° 520

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 février 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) relatif à la démocratie locale ,

Par Mme Françoise GATEL et M. Jean-Michel HOULLEGATTE,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Françoise Gatel, présidente ; MM. Rémy Pointereau, Guy Benarroche, Jean-Pierre Corbisez, Bernard Delcros, Mmes Corinne Féret, Michelle Gréaume, MM. Charles Guené, Éric Kerrouche, Antoine Lefèvre, Mme Patricia Schillinger, M. Pierre-Jean Verzelen, vice-présidents ; M. François Bonhomme, Mme Agnès Canayer, M. Franck Montaugé, secrétaires ; Mmes Nadine Bellurot, Céline Brulin, MM. Bernard Buis, Laurent Burgoa, Thierry Cozic, Mmes Chantal Deseyne, Catherine Di Folco, MM. Thomas Dossus, Jérôme Durain, Mme Dominique Estrosi Sassone, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Jean-Michel Houllegatte, Mmes Muriel Jourda, Sonia de La Provôté, Christine Lavarde, Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin, Hervé Maurey, Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Philippe Mouiller, Olivier Paccaud, Philippe Pemezec, Didier Rambaud, Mme Sylvie Robert, MM. Jean-Yves Roux, Laurent Somon, Lucien Stanzione, Cédric Vial, Jean Pierre Vogel.

LISTE DES PROPOSITIONS

Recommandations

Destinataire

Échéance

1. Mieux articuler les démarches de déménagement et administratives à l'inscription sur les listes électorales afin de faciliter celle-ci

Délégation interministérielle à la transformation publique

1 an

2. Généraliser la double procuration à l'ensemble des scrutins

Ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques)

1 an

3. Expertiser (pour s'assurer de sa confidentialité) et expérimenter le vote par correspondance lors des prochaines élections locales.

Ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques)

Prochaines élections municipales (2026)

4. Garantir la réception de la propagande électorale une semaine avant le premier tour du scrutin

Ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques)

Prochaines élections municipales (2026)

5 Aligner les règles paritaires en vigueur pour les communes de plus de 1 000 habitants aux communes de moins de 1 000 habitants

Ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques)

1 an

6. Rendre automatique la protection fonctionnelle des élus locaux en cas d'agression

Ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales /

Ministère de la Justice (direction des affaires criminelles et des grâces)

1 an

7. Former, dès leur prise de mandat, les élus locaux à la gestion des situations de crise et des comportements agressifs dont ils peuvent être la cible

Associations d'élus locaux / Ministère de l'Intérieur (direction générale de la police nationale et direction générale de la gendarmerie nationale)

1 an pour les élus en cours de mandat, puis à compter des prochaines élections municipales (2026)

8. Donner à l'AMF et aux communes la faculté de se constituer partie civile en cas d'agression d'un maire

Associations d'élus locaux / Ministère de la Justice (direction des affaires criminelles et des grâces)

1 an

9. Étudier la possibilité, durant l'exercice du mandat ayant occasionné la suspension de la vie professionnelle, de cotiser au régime général de retraite à un montant identique à celui de l'emploi à temps plein abandonné afin de ne pas être pénalisé par le choix effectué notamment au moment de faire valoir ses droits à la retraite

Ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales / Ministère du Travail, de l'emploi et de l'insertion

3 ans

10. Développer des partenariats avec les établissements d'enseignement supérieur afin de faire vivre la validation des acquis d'expérience résultant de l'exercice d'un mandat électoral local

Etablissements d'enseignement supérieur / associations représentant les élus locaux

3 ans

11. Dispenser des formations communes aux élus locaux et aux conseillers citoyens autour des enjeux et des outils de la démocratie participative

Agence nationale de la cohésion territoriale (ANCT)

3 ans

12. Mettre plus fréquemment en oeuvre la technique du jugement majoritaire pour renouveler la pratique du choix démocratique

Toutes les collectivités territoriales

3 ans

13. Évaluer la fiabilité et la sécurité des technologies aujourd'hui à disposition pour le vote électronique

Ministère de l'Intérieur (bureau des élections) / Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI)

1 an

14. Encadrer plus rigoureusement la méthodologie des instituts de sondage

Instituts de sondage /

Commission des sondages

1 an

15. Organiser régulièrement dans les communes un temps, informatif et convivial, dédié à l'accueil des nouveaux habitants. Ces derniers doivent se sentir accueillis et partie prenante de leur nouvelle communauté

Communes

16. Valoriser dans les documents de communication institutionnelle le parcours citoyen des élus et l'évolution de leurs engagements pour la chose publique

Toutes les collectivités territoriales

17. Valoriser localement l'investissement citoyen en publiant un recueil des initiatives menées (« Journées citoyennes », opérations « Argent de poche » ou « Jardinons citoyen », par exemple)

Communes

18. Tirer au sort, parmi les inscrits sur la liste électorale, une partie des assesseurs des bureaux de vote

Ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques) / communes

Prochaines élections (élections au Parlement européen en 2024)

19. Étendre le Compte engagement citoyen (CEC) - qui ouvre droit à formation - aux acteurs de la démocratie implicative et participative pour reconnaître leur implication positive dans la vie de la Cité

Ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales / Ministère du Travail, de l'emploi et de l'insertion

1 an

20. Tenir occasionnellement des conseils « hors les murs », dans les quartiers

Communes /

intercommunalité

21. Rendre compte annuellement, en réunion publique et localisée dans les quartiers, du mandat et de l'avancée des projets

Communes /

intercommunalité

22. Encourager la publication annuelle d'un guide de l'engagement citoyen répondant à la question : « je suis citoyen, je veux m'impliquer, quelles sont les possibilités au niveau local ? ». Le guide insiste notamment sur la complémentarité entre le citoyen et son représentant élu.

Toutes les collectivités territoriales

23. Instaurer les Trophées annuels des bonnes pratiques de la démocratie implicative, valorisant les initiatives prises par les collectivités territoriales

Sénat

1 an

INTRODUCTION

Comment rétablir le lien de confiance entre les Français et leurs représentants, à commencer par leurs élus au niveau local ? Par quels moyens remédier au désintérêt croissant, chez certains de nos concitoyens, pour la chose publique et l'intérêt général ? Plus largement, comment redonner du sens au débat public et l'ancrer au plus proche des habitants, riverains, responsables associatifs... afin de transcender les seuls intérêts particuliers et permettre l'émergence de projets collectifs ?

Aussi lancinantes que récurrentes, ces quelques questions résument les interrogations de tout élu local aujourd'hui , dans un contexte de montée de l'abstention lors des élections et de crise de confiance à l'égard du politique. Elles portent sur les fondements même de notre système démocratique, son organisation, son fonctionnement et ses mutations.

Longtemps cantonnée à la reproduction d'un modèle unique, la démocratie locale s'ouvre désormais à de nouvelles formes d'expression et de manifestation de la volonté générale. Certes, la démocratie représentative demeure la pierre angulaire de notre système , et les élus locaux l'incarnent avec abnégation au quotidien dans nos territoires. Pour autant, comment ne pas constater qu'elle subit les contrecoups de la défiance à l'encontre des politiques ?

C'est donc sans réelle surprise que l'on a assisté, au cours de la période récente, à l'émergence d'un autre modèle d'organisation : la démocratie dite participative . Celle-ci vise à répondre à un manque ressenti par le citoyen, à un besoin d'expression non pleinement satisfait par la démocratie représentative. Parce qu'elle s'appuie sur une approche différente du débat public, cette forme « participative » de la démocratie invite aussi à revisiter les conditions de la prise de décision par les pouvoirs publics en général, et plus singulièrement dans les collectivités territoriales. Cette évolution s'est d'ailleurs trouvée favorisée par l'irruption dans notre quotidien du Numérique, qui a considérablement étendu le champ des possibles des consultations réalisables.

La forme participative de la démocratie a pu être présentée par certains observateurs comme un aboutissement indépassable et l'unique option envisageable à côté de la démocratie représentative. Tel n'est pourtant pas le point de vue de vos rapporteurs qui ont repéré, sur le terrain, une autre variation de la démocratie locale, particulièrement intéressante et porteuse d'avenir : ainsi ont-ils choisi de ranger les pratiques en question sous le concept nouveau de « démocratie implicative » . A mi-chemin entre le modèle représentatif et l'orientation participative, cette forme de démocratie opère, pour ainsi dire, la synthèse, et parfois même la réconciliation, des deux autres modes d'organisation du débat public et de la prise de décision au niveau local. Elle fait sortir le citoyen et ses élus d'un face-à-face souvent contreproductif, pour les réunir dans une relation de proximité immédiate et les associer au vivre ensemble au niveau d'une rue, d'un ensemble d'habitations, d'un quartier, d'une commune... En impliquant l'habitant, l'élu l'amène à (re)devenir un citoyen engagé dans la vie de la Cité.

C'est donc à cette plongée au coeur de la démocratie locale telle qu'elle est vécue au quotidien, qu'invite le présent rapport. Il s'est agi non seulement de cerner les tendances de fond qui travaillent nos territoires aujourd'hui, mais aussi d'en identifier les bonnes pratiques .

I. LA DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE : SORTIR DE LA CRISE EN LEVANT LES FREINS À L'ENGAGEMENT CITOYEN

Thème récurrent en particulier en période électorale, la « crise » de la démocratie représentative est évoquée depuis des années. La lassitude de l'électeur et la défiance envers les instances représentatives en sont d'incontestables signaux indicateurs, comme en témoignent les taux record d'abstention et les incivilités à l'égard des élus. Pourtant les élus locaux sont au quotidien des moteurs de la démocratie, et répondent présents sans relâche sur le terrain. L'enjeu consiste dès lors à capitaliser sur cette envie de faire en traquant les freins à l'engagement citoyen pour mieux les lever .

A. FACILITER LES DÉMARCHES POUR VOTER

1. Comprendre et répondre à la démobilisation citoyenne qui fragilise la légitimité des élus

a) La progression de l'abstention s'étend aux élections locales

Le phénomène de l'abstention n'est pas nouveau, mais il s'accentue au fil des élections et concerne désormais les élections locales. Épargné jusque-là, l'échelon communal a connu un taux de participation historiquement faible aux dernières élections municipales de 2020 avec 44,7 % au premier tour de scrutin. En 2021, les élections départementales et régionales, traditionnellement moins courues, ont connu le même phénomène, avec respectivement un record d'abstention de 65,6 % et 65,3 % 1 ( * ) .

L'évolution du taux de participation au premier tour des élections municipales de 1971 à 2020

Source : enquête du CEVIPOF, « Vertus et menaces autour de la démocratie municipale » (2020)

Cette faible participation inquiète légitimement une majorité d'élus : 46 % considèrent que cette abstention révèle un phénomène profond de désintérêt politique, et 9 % s'inquiètent de la légitimité de leur propre élection 2 ( * ) .

Il est assurément difficile d'identifier les raisons de cette forte abstention. Certes, les motifs conjoncturels tiennent leur part dans l'explication d'ensemble. En 2020, dans les départements où les admissions à l'hôpital dues à la Covid ont été élevées, le taux de participation a été plus faible de cinq points par rapport à la moyenne des autres départements , mais cet état de fait échoue cependant à rendre compte, à lui seul, de la baisse de la participation électorale de 20 %, comme le souligne Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF).

Des causes plus structurelles doivent donc être recherchées. Martial Foucault relève ainsi que l'action même de voter n'a plus la même signification dans l'esprit des citoyens : l'expansion d'une nouvelle culture consumériste tend à figer le citoyen dans une posture de consommateur . Olivier Rouquan, chercheur en sciences politiques, précise que ce comportement affecte le lien politique, l'individu veut être contenté immédiatement, à moindre coût, en conséquence de quoi il n'arrive plus à saisir l'intérêt général dans le long terme. Il ajoute qu'au surplus, le défaut de résultat de l'action publique est ressenti de manière exacerbée, alimentant un sentiment de déception et le désintérêt à l'égard de la nécessité d'aller voter .

Enfin, alors que le vote avait longtemps été intériorisé comme un devoir civique à nul autre pareil, il connaît une forme de banalisation et se range davantage aujourd'hui comme un outil de participation politique parmi d'autres.

b) L'abstention massive chez les jeunes

Dans les chiffres de l'abstention, la jeunesse occupe une place à part. Le rapport d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale, de nos collègues députés Xavier Breton et Stéphane Travert 3 ( * ) , identifie l'âge comme un déterminant important de la participation électorale. En effet, il relève qu'« au premier tour de la présidentielle de 2017, l'abstention est très supérieure à la moyenne chez les jeunes (31,6 % chez les 25-29 ans), réduite entre 40 et 49 ans, et faible chez les 50-54 ans (12,3 %). Elle augmente de nouveaux chez les personnes très âgées (42,7 % chez les 85 ans et plus) ». Au premier tour des élections régionales en 2021, le taux d'abstention chez les 18-24 ans a même atteint 87 % .

L'enquête « Une jeunesse plurielle » de l'Institut Montaigne 4 ( * ) souligne la forte désaffiliation politique parmi les 18-24 ans, principalement liée à la défiance à l'égard du système politique et à un net recul de l'attachement à la démocratie. Pourtant dans cette étude, 80 % des jeunes se disent dans le même temps attachés à la France, bien qu'ils soient plus cosmopolites et plus attachés à l'Europe que les générations précédentes. Leur faible attachement aux affiliations locales les différencie nettement des autres générations , plus localistes. Sur ce dernier point, l'Institut rappelle que parmi cette tranche d'âge se trouve aussi des individus par définition géographiquement plus mobiles, puisqu'ils sont nombreux à ne pas être encore stabilisés dans un emploi.

L'affiliation à des aires géographiques selon la génération (%)

Source : enquête de l'Institut Montaigne, « Une jeunesse plurielle » (février 2022)

Cette forte mobilité inhérente à la jeunesse amène bien évidemment à réfléchir aux modalités d'inscription sur les listes électorales . Pour pouvoir exercer son droit de vote, il faut, au préalable, être inscrit sur la liste électorale de sa commune. Or, quand 40 % d'une classe d'âge poursuit des études après le bac, souvent hors de sa commune d'origine, la question du lieu d'inscription se pose.

Actuellement, à sa majorité, chaque Français est inscrit automatiquement sur les listes électorales à condition d'avoir réalisé les démarches de recensement pouvant être effectuées à partir de l'âge de 16 ans. En cas de déménagement ou de recensement tardif, la personne peut faire une demande d'inscription auprès de sa mairie ou d'un service en ligne. Pour pouvoir participer à une élection, la démarche doit avoir été réalisée au plus tard le sixième vendredi précédant le premier tour. De plus, l'électeur ne peut voter que dans la commune d'inscription. Certains électeurs peuvent donc être empêchés d'aller voter car ne résidant plus dans cette commune. C'est particulièrement le cas des étudiants et des jeunes actifs. En 2014, nos collègues députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann 5 ( * ) relevaient que « les personnes ayant déménagé sont moins inscrites sur les listes , à caractéristiques sociales et familiales équivalentes ».

Considérant que l'inscription sur les listes électorales représente un frein significatif à la participation aux scrutins, vos rapporteurs estiment nécessaire de la faciliter en simplifiant et en coordonnant mieux les démarches administratives qui l'entourent.

Proposition n° 1 : mieux articuler les démarches de déménagement et administratives à l'inscription sur les listes électorales afin de faciliter celle-ci.

Délai : un an

Acteur(s) : délégation interministérielle à la transformation publique (DITP)

2. Ouvrir les démarches de vote pour gagner en participation

a) L'extension du vote par procuration

En application de l'article 112 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique dite loi « Engagement et proximité », le vote par procuration répond, depuis le 1 er janvier 2022, à des règles plus souples. Le mandant et le mandataire doivent toujours être inscrits sur une liste électorale, et le mandataire doit avoir la qualité d'électeur au regard de l'élection concernée par la procuration. Néanmoins, la condition d'attache du mandant et du mandataire dans la même commune a été supprimée.

Pour le mandataire, un principe demeurait : il ne pouvait disposer que d'une seule procuration. Cependant les élections municipales de 2020 y ont dérogé puisqu'elles ont été l'occasion, pour tenir compte des risques sanitaires liés à l'épidémie de Covid-19, d'expérimenter la double procuration en application de l'article 1 er de la loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l'organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et à reporter les élections consulaires 6 ( * ) .

Cet épisode n'a pas souffert de difficultés particulières et a été le moyen de favoriser le vote de personnes vulnérables ou empêchées de se déplacer. Aussi, vos rapporteurs estiment-ils le moment venu de généraliser ce qui n'était, pour l'heure, qu'une expérimentation limitée dans le temps.

Proposition n° 2 : généraliser la double procuration à l'ensemble des scrutins.

Délai : un an

Acteur(s) : ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques)

b) L'expérimentation du vote par correspondance

Le vote à distance est pratiqué dans de nombreux pays d'Europe , que ce soit de manière généralisée comme en Grande-Bretagne ou en Allemagne, ou seulement pour quelques catégories d'électeurs, comme en Autriche ou en Hongrie. Dans tous ces pays, le vote par correspondance est en constante progression. Lors des élections au Bundestag en 2017 par exemple, 28,6 % du corps électoral allemand a voté par correspondance.

En France, ce dispositif a eu cours entre 1946 et 1975 pour des catégories limitées d'électeurs : ceux retenus loin de leur commune par des obligations légales ou pour motif de santé. Le risque de fraudes a toutefois motivé l'adoption de la loi n° 75-1329 du 31 décembre 1975 modifiant certaines dispositions du code électoral qui a, notamment, supprimé le caractère général du dispositif.

Aujourd'hui, seules deux catégories d'électeurs ont accès au vote à distance :

- les Français de l'étranger pour les seules élections législatives. En 2017 par exemple, 120  000 électeurs avaient déclenché la procédure ;

- les personnes incarcérées, à condition d'avoir conservé la jouissance de leurs droits civiques. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice leur avait autorisé le vote par correspondance pour les élections européennes en 2019, et la précitée loi du 27 décembre 2019 l'a généralisé à l'ensemble des scrutins.

Certes, cette modalité de vote présente des inconvénients. La France compte en effet un nombre élevé de circonscriptions par rapport à ses voisins européens, ce qui complique l'organisation d'un tel vote. De plus, elle organise généralement deux tours de scrutin, contrairement aux pays anglo-saxons qui n'en comptent qu'un. Surtout, le coût et la multiplicité des acteurs peuvent freiner l'envie de généraliser un tel dispositif .

La chaîne indicative des acteurs intervenant dans l'organisation d'un vote par correspondance

Source : Sénat, rapport d'information n° 240 (2020-2021) de François-Noël Buffet, « Le vote à distance, à quelles conditions ? »

Néanmoins, ce système de vote permettrait de redynamiser la participation électorale. Aujourd'hui, les conditions de mise en oeuvre seraient bien différentes de celles prévues en 1946, offrant alors plus de garanties de sécurité. En effet, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a publié des standards internationaux guidant l'instauration d'un vote par correspondance .

Au regard de ces standards, notre collègue François-Noël Buffet, dans son rapport d'information « Le vote à distance, à quelles conditions ? » 7 ( * ) , relève cinq conditions nécessaires à toute mise en oeuvre d'un tel dispositif :

- ne l'envisager que comme un dispositif complémentaire du vote à l'urne ;

- une bonne organisation dans la confection et l'acheminement des plis : quatre enveloppes (de transmission, d'identification, de vote et d'expédition), ainsi que les bulletins et une note explicative sont nécessaires. En Allemagne, chaque enveloppe est de couleur différente pour éviter la confusion. Il faut également penser à imprimer le bulletin de tous les candidats dans un souci d'égalité. En termes opérationnels, la base d'adresses doit être fiabilisée et les acteurs coordonnés ;

- garantir la sécurité du dispositif : cela passe par une vérification de l'identité de l'électeur, un suivi des plis en continu et le contrôle de leur conservation dans un lieu sécurisé, ainsi qu'un contrôle indépendant ;

- envisager une refonte du calendrier électoral pour permettre les délais d'acheminement du matériel, la limite étant de ne pas trop espacer les scrutins pour éviter une démobilisation dans l'entre-deux-tours ;

- réorganiser les bureaux de vote et le dépouillement pour éviter le risque de double vote.

Vos rapporteurs ont bien conscience que ce seul outil ne permettra pas de lutter contre les causes profondes de l'abstention que sont notamment l'âge, le diplôme ou la perte de confiance dans la politique. Cependant, il favorise la participation des électeurs empêchés de manière temporaire, à l'heure où la mobilité est un facteur d'absence aux urnes .

Proposition n° 3 : expertiser (pour s'assurer de sa confidentialité) et expérimenter le vote par correspondance lors des prochaines élections locales.

Délai : prochaines élections municipales (2026)

Acteur(s) : ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques)

En complément, vos rapporteurs jugent opportun de sécuriser le délai d'envoi de la propagande électorale . En effet, les élections départementales et régionales de 2021 ont été marquées par des retards importants dans la distribution des documents électoraux aux électeurs. Un envoi suffisamment en amont du jour du premier tour de scrutin préviendra ce risque de retard, tout en augmentant le temps accordé aux électeurs pour prendre connaissance des programmes des candidats. Si cette précaution calendaire était étendue à l'envoi de la propagande du second tour de scrutin, elle aurait bien évidemment une incidence sur le délai accordé entre les deux tours de scrutin, celui-ci étant actuellement d'une semaine pour les élections municipales et départementales (en application de l'article L. 56 du code électoral) ainsi que régionales (en application de l'article L. 336 du même code).

Proposition n° 4 : garantir la réception de la propagande électorale une semaine avant le premier tour du scrutin.

Délai : prochaines élections municipales (2026)

Acteur(s) : ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques)

B. COMBLER LES FAILLES DE LA REPRÉSENTATIVITÉ

1. Le profil des élus locaux : l'exemple des maires

Sans prétendre dresser une typologie exhaustive, vos rapporteurs se sont cependant intéressés à distinguer quelques grandes caractéristiques de cet ensemble si riche de diversité que constituent les élus locaux. À cet égard, l'enquête précitée du CEVIPOF livre un certain nombre de grands enseignements concernant le maire, figure emblématique parmi les élus locaux.

En moyenne, les maires sont âgés de 59,4 ans , soit sept ans de plus que celui des conseillers municipaux (c'est-à-dire l'équivalent d'à peine plus que la durée d'un mandat municipal de six ans). L'écart se réduit toutefois dans les agglomérations de plus de 30 000 habitants, puisqu'il tourne autour de quatre à cinq ans.

L'âge des maires selon la taille de la commune

à l'issue des élections municipales en 2020

Source : enquête précitée du CEVIPOF

En cohérence avec cette ventilation en fonction de l'âge, l'étude des caractéristiques socioprofessionnelles montre que quatre maires sur dix sont des retraités , constat identique pour les hommes et les femmes, alors que les retraités ne représentent que 25 % des administrés. Environ 20 % des maires sont des cadres ou exercent des professions intellectuelles supérieures. Les inactifs, au sens de l'INSEE, ne représentent que 2,7 % des maires, alors qu'ils constituent en moyenne le groupe le plus nombreux parmi les administrés.

Le seuil discriminant est celui des 3 500 habitants . Sous ce seuil, les maires sont largement issus des catégories « professions intermédiaires » et « inactifs ». Au-delà, ils appartiennent davantage aux catégories dites « CSP+ ».

L'origine professionnelle des maires

à l'issue des élections municipales en 2020

Source : enquête précitée du CEVIPOF

Ce déficit de représentativité dans l'âge et la catégorie socioprofessionnelle se retrouve également dans le domaine de la répartition des mandats entre les hommes et les femmes, malgré l'instauration de quotas au cours de la période récente.

La répartition du mandat de maire entre les hommes et les femmes,

par taille de communes, à l'issue des élections municipales en 2020

Source : enquête précitée du CEVIPOF

Dans cette forte dispersion géographique, il convient néanmoins d'observer que :

- 25 % des maires des communes de plus de 100 000 habitants étaient des femmes au lendemain des élections municipales en 2020 ;

- cinq des dix plus grandes villes de France ont une femme à leur tête 8 ( * ) ;

- le taux de féminisation est plus élevé dans les communes de moins de 3 500 habitants, avec 20,3 % de femmes maires de communes de moins de 1 000 habitants . Et ce, alors qu'elles sont 37,6 % dans les conseils municipaux des communes de moins de 1 000 habitants, contre 48,5 % pour les communes de plus de 1 000 habitants.

2. Faire progresser la parité à l'échelon communal

Si la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 a marqué le début d'une féminisation des élus locaux, le mouvement est encore timide : en 2020, les femmes représentent 19,8 % des maires contre 16 % en 2014. En projetant par exemple une augmentation du taux de féminisation de 2 % à chaque élection municipale, il faudrait attendre 2092 pour atteindre la parité effective s'agissant de la répartition du mandat de maire entre les hommes et les femmes.

Dans le bloc communal, les intercommunalités demeurent, elles aussi, éloignées de la parité effective. Avant la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite « Loi NOTRe »), la France comptait 32 % de conseillères communautaires, 31 % après cette loi et 33 % en 2020. Imposant un seuil de 15 000 habitants pour bénéficier des avantages liés à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), cette loi a encouragé les territoires à opérer des fusions, conduisant à une diminution du nombre de postes de conseillers communautaires par communes, souvent au détriment des femmes. Lorsqu'un seul siège est disponible, il échoit souvent au maire, c'est-à-dire souvent à un homme.

Au niveau départemental , une étude en cours au sein de l'association « Elles aussi » sur le bilan des binômes départementaux montre qu'à ce jour, ce sont les hommes qui sont la plupart du temps à l'initiative de ce binôme 9 ( * ) . Souvent, même les femmes qui ont de l'expérience politique n'ont pas de réelle maîtrise sur le binôme.

Les « zones blanches » les plus emblématiques et problématiques de la parité restent cependant les communes de moins de 1 000 habitants et les intercommunalités. Lors de son audition, Nadine Kersaudy, vice-présidente de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) en charge de la parité, a d'ailleurs fait valoir qu'environ 70 % des communes ne sont pas concernées par les règles de parité, étant sous le seuil des 1 000 habitants .

Pour pallier cette carence en représentativité, vos rapporteurs souscrivent à la disposition relative aux communes de moins de 1 000 habitants et prévue par la proposition de loi, déposée par notre collègue députée Élodie Jacquier-Laforge, visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal, adoptée par l'Assemblée nationale le 3 février 2022 et transmise au Sénat 10 ( * ) . Cette disposition est reprise dans la proposition suivante.

Proposition n° 5 : aligner les règles paritaires en vigueur pour les communes de plus de 1 000 habitants aux communes de moins de 1 000 habitants.

Délai : un an

Acteur(s) : ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques)

La mise en place de cette mesure de parité au sein de toutes les communes aura nécessairement un impact positif sur la présence des femmes au sein des intercommunalités .

C. ENTRETENIR L'ENGAGEMENT DES ÉLUS

1. Renforcer la protection des élus locaux victimes d'incivilités

La détérioration du lien social et la défiance à l'égard du politique se manifeste de plus en plus dans notre pays par des expressions de colère. Ainsi, 53 % des maires interrogés dans l'enquête du CEVIPOF indiquent avoir été victimes d'incivilités et 29 % de menaces verbales ou écrites . Plus précisément, 70 % des maires sortants réélus en 2020 déclarent avoir subi une forme d'incivilité, contre 46 % des nouveaux maires « expérimentés » (c'est-à-dire ayant exercé les fonctions d'adjoint au maire ou de conseiller municipal auparavant) et 32 % pour les nouveaux maires (sans expérience).

La première source de difficultés auxquelles les maires sont confrontés et qui peuvent déboucher sur des faits de violence sont les dépôts sauvages (gravas, ordures...). Les atteintes aux biens de la commune (dégradations, vols) arrivent en deuxième position.

Les actes dont sont victimes les maires

Source : enquête précitée du CEVIPOF

Au surplus, les maires considèrent que la situation s'est dégradée au cours des cinq dernières années .

L'évolution des incivilités à l'égard des maires

au cours des cinq dernières années

Source : enquête précitée du CEVIPOF

Lors de son audition par votre délégation, David Lisnard, nouveau président de l'Association des maires de France (AMF), a rappelé que l'AMF avait lancé un observatoire de ces phénomènes afin d'accompagner les élus.

À la suite de ces constats, plusieurs avancées ont été obtenues. La loi précitée du 27 décembre 2019 dite « Loi Engagement et proximité » comportait des points positifs. En effet, désormais, les élus locaux bénéficient d'un régime de protection qui s'apparente à la protection fonctionnelle des agents publics 11 ( * ) .

Pourtant, en pratique en conseil municipal, il reste difficile de faire part d'une décision qui engage une dépense pour la protection fonctionnelle d'un élu. L'automaticité de ce dispositif éviterait des incompréhensions , voire des tensions. C'est pour cette raison que vos rapporteurs formulent la proposition suivante.

Proposition n° 6 : rendre automatique la protection fonctionnelle des élus locaux en cas d'agression.

Délai : un an

Acteur(s) : ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales / ministère de la Justice (direction des affaires criminelles et des grâces)

L'AMF a également mis en place, en lien avec la gendarmerie nationale, et plus récemment avec la police nationale, des formations à l'attention des élus pour les aider à appréhender les situations de crise . Au total, 15 000 maires et adjoints au maire ont été formés, dont 14 000 avec la gendarmerie nationale. Des formateurs du groupement d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) ont parfois été mis à contribution, sur le thème de la gestion des menaces et des situations de crise.

Considérant cette initiative particulièrement pertinente, vos rapporteurs jugent nécessaire qu'elle soit désormais pérennisée dans le temps et forme donc la recommandation suivante.

Proposition n° 7 : former, dès leur prise de mandat, les élus locaux à la gestion des situations de crise et des comportements agressifs dont ils peuvent être la cible.

Délai : un an pour les élus en cours de mandat, puis à compter des prochaines élections municipales (2026)

Acteur(s) : associations d'élus locaux / ministère de l'Intérieur (direction générale de la police nationale - DGPN - et direction générale de la gendarmerie nationale - DGGN -)

Lors de son audition, David Lisnard a également remarqué que les associations départementales de maires peuvent se constituer partie civile en cas d'acte commis à l'encontre d'un maire. Il a indiqué être en faveur de la même possibilité pour l'AMF, nécessitant une évolution de l'article 2-19 du code de procédure pénale. Cela permettrait, grâce au recours à des avocats spécialisés de rayonnement national, de veiller à ce que les procédures puissent prospérer, alors que les classements sans suite restent aujourd'hui trop nombreux . En outre, cette évolution serait l'occasion de médiatiser, lorsqu'il le faut, certaines actions, et d'alourdir la sanction à l'encontre de l'auteur des faits (en raison de la possibilité d'une indemnisation supplémentaire).

Vos rapporteurs considèrent qu'accorder cette faculté à l'AMF, mais aussi aux communes elles-mêmes, sera un progrès dans la protection juridique des maires et un signal fort de reconnaissance de l'importance de leur rôle dans le fonctionnement de la démocratie locale.

Proposition n° 8 : donner à l'AMF et aux communes la faculté de se constituer partie civile en cas d'agression d'un maire.

Délai : un an

Acteur(s) : associations d'élus locaux / ministère de la Justice (direction des affaires criminelles et des grâces)

2. Reconnaître l'engagement des élus locaux

A l'occasion des élections municipales en 2020, près de 60 % des maires sortants ont été réélus, soit un taux de renouvellement conséquent de 40 % .

Par ailleurs, la plupart des maires élus il y a près de deux ans disposent d'une antériorité politique, à peine 5 % d'entre eux n'étaient pas élus auparavant comme conseillers municipaux ou premiers adjoints. La trajectoire politique des maires élus s'inscrit donc dans la durée. L'engagement municipal dépasse largement la fonction de maire. En effet, selon l'enquête du CEVIPOF, une forte majorité de nouveaux maires exerçait déjà soit une fonction de conseiller municipal (68 %), soit une fonction d'adjoint (32 %) au cours de la mandature précédente.

Le devenir des maires en 2020

Source : enquête précitée du CEVIPOF

Lors de son audition, Martial Foucault a rappelé que pas un seul pays au monde rapporté à sa population n'est capable de mobiliser un million de candidats à une élection locale, comme le fait la France .

Cependant, en 2020, près d'un maire sortant sur trois (30 %) n'était pas candidat à sa propre succession . Ce pourcentage s'explique par la difficulté à mener de front une vie professionnelle et un mandat, mais aussi par la délicate conciliation entre une vie personnelle et la fonction de maire. Dans une moindre mesure, prend sa part le sentiment de ne plus pouvoir gouverner la commune comme initialement envisagé.

En 2018, votre délégation faisait déjà remarquer, dans le rapport d'information de nos collègues Josiane Costes, Bernard Delcros et Charles Guené « Faciliter l'exercice des mandats locaux : le régime indemnitaire » 12 ( * ) , que choisir de se dédier entièrement à ses missions d'élu local ne devait pas constituer un sacrifice disproportionné. Ainsi, « résoudre la crise des vocations, c'est aussi donner aux futurs élus l'assurance que leur parcours électif ne les pénalisera pas pour le reste de leur vie professionnelle et personnelle ».

Aussi, pour faciliter la transition entre la vie professionnelle et le mandat électif, les rapporteurs appuient la recommandation, déjà formulée en 2018, d'étudier la possibilité, durant l'exercice du mandat ayant occasionné la suspension de la vie professionnelle, de cotiser au régime général de retraite à un montant identique à celui de l'emploi à temps plein abandonné.

Proposition n° 9 : étudier la possibilité, durant l'exercice du mandat ayant occasionné la suspension de la vie professionnelle, de cotiser au régime général de retraite à un montant identique à celui de l'emploi à temps plein abandonné afin de ne pas être pénalisé par le choix effectué notamment au moment de faire valoir ses droits à la retraite.

Délai : 3 ans

Acteur(s) : ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales / ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion

Compte tenu de l'exigence croissante en temps et en investissement personnel nécessaire à l'exercice d'un mandat local, l'article 105 de la loi dite « Engagement et proximité » a prévu un principe d'accompagnement des élus locaux à travers des formations professionnelles adéquates, via un compte professionnel de formation. La loi précitée permet un élargissement de l'offre locale de formations professionnelles en s'adaptant le plus possible aux besoins des élus. Le droit individuel à la formation (DIF) bénéficie également aux élus pour des formations nécessaires à leur reconversion professionnelle. En application de l'article L. 1221-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT), les organismes de formation qui souhaitent former les élus locaux doivent, au préalable, obtenir un agrément du ministre chargé des collectivités territoriales. C'est par exemple le cas de Sciences Po Lyon qui, pour son programme de formation de 2022, a inscrit la maîtrise des finances locales, le rôle de l'élu dans la transition énergétique et climatique ou encore la maîtrise du mécénat territorial 13 ( * ) .

S'ils saluent comme une avancée très positive l'accompagnement en formation professionnelle des élus, vos rapporteurs considèrent qu'il s'agit désormais de la faire vivre et de lui donner autant de consistance matérielle que possible.

Proposition n° 10 : développer des partenariats avec les établissements d'enseignement supérieur afin de faire vivre la validation des acquis d'expérience résultant de l'exercice d'un mandat électoral local.

Délai : 3 ans

Acteur(s) : établissements d'enseignement supérieur et associations représentant les élus locaux

II. LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE : TIRER LES ENSEIGNEMENTS DES RETOURS D'EXPÉRIENCE

Parallèlement à une démocratie représentative en recherche d'un nouveau souffle pour réaffirmer toute sa légitimité, une nouvelle forme de démocratie a émergé au niveau local au cours de la période récente : la démocratie participative . Protéiforme, cette nouvelle modalité d'expression du citoyen tire notamment profit de l'extension du champ des pratiques ouverte par le développement du numérique. Dans son sillage, de nouveaux acteurs trouvent leur place aux côtés des élus locaux et les comportements électoraux évoluent sous l'emprise croissante des sondages.

Si ce mode de participation du citoyen mérite d'être encouragé dans le souci de revitaliser la démocratie locale, il n'en comporte pas moins des limites : à travers tous les procédés participatifs (permanents ou ponctuels), on ne peut que souvent regretter l'absence d'un véritable échange entre les citoyens et leurs élus, quand ce n'est pas la confiscation du débat par des habitués de ces instances. La démocratie participative peut représenter un complément utile à la démocratie représentative, mais elle ne peut pas s'y substituer .

A. MOBILISER AUTOUR DES INSTANCES PARTICIPATIVES

1. Encourager la participation : l'exemple des conseils citoyens

Qu'elle soit simplement « consultative » (c'est-à-dire que les citoyens interviennent en amont du processus décisionnel afin d'éclairer les élus) ou « décisionnelle » (c'est-à-dire que les citoyens soient en capacité de décider par eux-mêmes de projets), la démocratie participative se caractérise par un foisonnement des dispositifs locaux de participation citoyenne : conseils de quartier, conseils citoyens, comités consultatifs, conseils de jeunes, conseils de sages, conseils de femmes... Toutes ces instances ont pour objectif de favoriser la citoyenneté et la participation des habitants à la vie de la Cité. Elles constituent aussi une ressource importante d'informations sur le fonctionnement de la commune.

Les instances participatives permanentes et ponctuelles

Source : Guide du mandat participatif, « Quelle place pour la concertation citoyenne ? »,
Association des maires d'Ile-de-France (AMIF)

Parmi elles, vos rapporteurs souhaitent en particulier mieux faire connaître les conseils citoyens . Instaurés par la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine qui rend obligatoire la participation citoyenne, ces conseils sont des structures obligatoires, indépendantes des pouvoirs publics, chargées de porter la voix des habitants des quartiers prioritaires de la ville (QPV) dans l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation des contrats de ville.

Les trois principes de la circulaire du 15 octobre 2014 encadrant la création des conseils citoyens

Sans en faire un bilan exhaustif, les résultats de cette instance sont néanmoins contrastés. Les sept années qui se sont écoulées depuis la création de cet outil participatif aident à identifier les questions en jeu et les problématiques clés relatives à la participation citoyenne .

Dispositif obligatoire et permanent, le conseil citoyen a le mérite d'être parfois la seule instance de concertation en place localement . C'était à l'origine le cas dans la commune de Corbeil-Essonnes , pour laquelle le choix a été fait de créer un seul conseil citoyen pour les quatre QPV. Lors de son audition par vos rapporteurs, Pierre Michel, son président, a estimé que le conseil citoyen était la seule forme de participation permettant de répondre au besoin d'engager le citoyen dans la démocratie locale. Le soutien des élus locaux, des préfets, et en particulier du Centre de ressources de la politique de la ville 14 ( * ) , a permis au conseil de constituer une équipe opérationnelle, avec des membres aux origines et aux compétences variées. Bien que l'entité ait mis du temps à prendre ses marques, une décision du 28 janvier 2022 de la municipalité de Corbeil-Essonnes vient concrétiser la coopération entre élus et citoyens par l'institution de rendez-vous mensuels du conseil citoyen avec le nouvel interlocuteur officiel, le directeur de cabinet du maire.

À Sarcelles , le dispositif a également bien pris. Trois conseils citoyens ont été créés et ont, dès le début, participé à la création du contrat de ville de l'époque. Les conseillers citoyens sont systématiquement conviés pour concertation sur les projets de la commune et aux commissions d'appels à projets dans le cadre de l'attribution de subventions aux associations. Le conseil a également représenté les habitants au comité d'engagement national de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) qui décide des projets locaux à financer. Selon Laura Menaceur, auparavant membre du conseil citoyen, cette expérience a été extrêmement valorisante pour les habitants de Sarcelles qui se sont sentis écoutés. Il faut d'ailleurs souligner que dans ce cas précis, l'objectif initial d'intéresser les citoyens à la chose publique a très bien fonctionné : Laura Menaceur, engagée dans la démarche par curiosité selon son témoignage, a poursuivi son engagement citoyen au sein de l'équipe municipale où elle occupe désormais des fonctions d'adjointe au maire en charge du patrimoine foncier, de l'urbanisme réglementaire et du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU).

Malgré ces retours positifs, nombreuses sont les limites rencontrées par ces conseils. Pour fonctionner, la participation citoyenne a besoin d'un terreau local favorable et d'une ambiance collaborative . À cet égard, quatre problématiques interrogent les rapporteurs.

La première est celle de la légitimité de ces conseillers citoyens . Tirés au sort, sans compétence particulière, ni formation, il ne va pas de soi pour ces habitants de donner un avis sur des sujets aussi techniques que ceux de la politique de la ville. Leur légitimité ne se joue pas sur le terrain de la représentativité, dont Pierre Michel rappelle qu'elle est l'apanage des élus, mais bien sur celle de « l'expertise habitant ». Ce même conseiller fait remarquer que le conseil citoyen est « un collectif d'habitants et d'associations qui réfléchit, propose et interpelle ».

Cette question rejoint celle de leur rôle : nombreux sont ceux qui ne parviennent pas à définir où commence et où s'arrête leur « pouvoir ». Les conseillers citoyens auditionnés par vos rapporteurs ont relevé qu'ils représentent un relais supplémentaire entre les citoyens et leurs élus en portant la parole des habitants, leurs avis et leurs ressentis, mais aussi en jouant le rôle de lanceurs d'alertes. D'ailleurs, l'article 155 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté leur a offert un pouvoir d'interpellation, leur permettant de saisir le préfet de difficultés particulières rencontrées par les habitants. Cependant, ils n'ont pas le pouvoir de décider, et ne doivent pas se concevoir comme un contrepouvoir face aux élus. Pour aider efficacement les habitants des quartiers, les membres doivent en outre être renouvelés régulièrement afin d'éviter le monopole de quelques-uns ou l'entre soi.

La troisième question porte sur les sujets devant être abordés au sein des conseils citoyens . Les auditions menées par vos rapporteurs ont fait ressortir la confusion, et parfois la frustration, des conseillers citoyens sur leurs missions. Les sujets touchant au contrat de ville sont le coeur de mission de ces conseils. En dehors de ces cas, une délimitation des compétences est nécessaire pour éviter la concurrence avec d'autres instances, comme les conseils de quartier qui ont vocation à traiter de tous les sujets. La démarche entre les acteurs locaux doit être cadrée, ce qui amène à la dernière problématique : la façon dont les élus intègrent cet outil .

Sur ce plan, tous les conseillers citoyens entendus par les rapporteurs ont souligné leur début difficile. Un conseil citoyen de Sarcelles n'avait pas été enregistré par la préfecture et n'a donc pas eu d'existence légale pendant plusieurs mois. Celui de Corbeil-Essonnes a été en flottement lors du changement de majorité. Surtout, la méfiance des élus a été particulièrement soulignée. Dans certains cas, l'installation d'un conseil citoyen leur a été imposée, ce qui n'augure pas de bonnes relations avec les conseillers par la suite.

Bien qu'attentifs aux préoccupations de leurs concitoyens, raison majeure de leur engagement dans la vie locale, les élus doivent néanmoins apprendre de la démocratie participative . Être à l'écoute des instances participatives ne va pas de soi lorsque la vie politique locale a longtemps fonctionné avec les seules instances représentatives.

Aussi, vos rapporteurs proposent de mobiliser les élus locaux et les conseillers citoyens autour de formations communes à la démocratie participative. Selon Marie-Odile Leprince, conseillère citoyenne d'Elbeuf, les formations dédiées à la politique de ville et à la démocratie participative en général (proposées par le Centre de ressources « Normanvilles » - situé à Hérouville-Saint-Clair - et un cabinet externe) ont, par exemple, largement participé à l'autonomie de fonctionnement du conseil et à sa reconnaissance par les instances partenariales comme un acteur à part entière.

Proposition n° 11 : dispenser des formations communes aux élus locaux et aux conseillers citoyens autour des enjeux et des outils de la démocratie participative.

Délai : 3 ans

Acteur(s) : Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)

2. Orienter vers des pratiques adaptées : la « Boussole de la participation »

Parmi la palette d'outils proposés, les élus locaux peuvent avoir de la peine à déterminer le chemin à suivre en matière de démarche participative, d'autant plus lorsque certains d'entre eux en sont encore au stade de l'acclimatation à cet univers foisonnant. Pour guider les collectivités dans la construction d'une démarche participative, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a donc développé une « Boussole de la participation » . Originellement destinée aux agents territoriaux, elle peut néanmoins être utilisée par toute personne impliquée dans une démarche participative, y compris les élus.

Cette application web propose deux fonctionnalités :

- la première aide la collectivité à formaliser un projet de participation, à le suivre et à en faire le bilan ;

- la seconde permet de jauger les ambitions de la collectivité afin d'adapter au mieux son projet, et de l'évaluer ex post .

Le suivi d'une démarche participative grâce à l'application
de la « Boussole de la participation »

Source : Cerema

La méthode du jugement majoritaire fait partie des pratiques qui favorisent la participation, en misant sur le consensus.

Inventé par deux chercheurs français du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Michel Balinski et Rida Laraki, ce mode de scrutin est une méthode de vote par valeurs. Les électeurs attribuent une mention à chaque candidat et peuvent attribuer la même mention à plusieurs candidats. La détermination du gagnant se fait par la médiane (c'est à dire le point d'équilibre en-deçà et au-dessus duquel se situe le même nombre de répondants) plutôt que par la moyenne.

Contrairement aux méthodes utilisant la moyenne, le jugement majoritaire utilise des échelles de mentions verbales plutôt que numériques pour évaluer les candidats. Cette possibilité permet, d'après les inventeurs du jugement majoritaire, d'offrir aux électeurs des mentions dont les acceptions sont plus homogènes et moins clivantes.

Dans la mesure où ce mode de consultation reste encore trop méconnu des collectivités territoriales et de leurs élus , vos rapporteurs proposent de diffuser plus largement la technique du jugement majoritaire.

En effet, cette technique permet de renouveler la pratique du choix démocratique. Il ne s'agit plus de procéder à un choix alternatif (et donc d'exclure certaines solutions d'emblée), mais d'exprimer des préférences, ce qui permet de dégager des consensus. Cela peut être particulièrement précieux pour un maire dans le cadre d'un choix d'aménagement controversé ou concernant un projet urbanistique sensible, par exemple .

Le jugement majoritaire introduit dans le cadre du budget participatif de la ville de Paris

En septembre 2021, pour la première fois , la ville de Paris a décidé d'utiliser le vote au jugement majoritaire pour sélectionner, parmi 217 projets, les lauréats à son budget participatif.

Pour les évaluer, les électeurs avaient le choix entre quatre mentions représentées par des « émoticônes » : « j'adore », « j'aime bien », « pourquoi pas ? » et « je ne suis pas convaincu.e ».

À l'issue de la consultation, un profil a été dégagé pour chaque projet, indiquant son score dans chacune des mentions. La mention majoritaire est celle à partir de laquelle au moins 50 % des votants ont attribué cette mention ou une meilleure mention . Les projets sont alors classés selon leur mention majoritaire. En cas de mention majoritaire identique, les projets sont départagés au regard du pourcentage obtenu dans la mention supérieure.

Le choix des projets selon la technique de la mention majoritaire

Source : notice de la ville de Paris sur le jugement majoritaire

Avec cette technique de vote, un seul tour suffit pour désigner les projets gagnants, tandis que la possibilité de s'exprimer sur tous les projets facilite le consensus.

Proposition n° 12 : mettre plus fréquemment en oeuvre la technique du jugement majoritaire pour renouveler la pratique du choix démocratique.

Délai : 3 ans

Acteur(s) : toutes les collectivités territoriales

B. EVALUER L'IMPACT DU NUMÉRIQUE EN MATIÈRE DE DÉMOCRATIE

1. Prendre la mesure de la place de la démocratie participative numérique au niveau local

En matière de démocratie participative, la multiplication de l'offre est largement favorisée par le développement des outils numériques, regroupés sous le vocable de « technologies citoyennes » (ou encore de l'anglicisme « civic techs »). Ce terme désigne les nouvelles technologies permettant de concrétiser la participation citoyenne numérique, mais aussi plus largement les entreprises qui commercialisent ces outils auprès des collectivités territoriales.

Les outils numériques s'avèrent être de puissants vecteurs de participation. Ils peuvent être classés en trois types de démarches :

- la simple mise en ligne d'informations , apparentée à une démarche unilatérale de la part des collectivités. Dans ce cas, l'avis des citoyens n'est pas sollicité mais la diffusion de l'information permet une plus grande transparence ;

- la consultation , qui permet de demander l'avis de citoyens ciblés afin de connaître leur opinion sur un projet. Mais leurs remarques ne seront pas forcément retenues ;

- la co-construction , qui associe de manière active les citoyens à la prise de décision finale. Leur avis doit être pris en compte afin de pouvoir modifier le projet.

Depuis 2018, le think tank « Décider ensemble » a créé un baromètre de la démocratie locale numérique. Bien que portant sur un nombre de réponses restreint (quelques dizaines), l'analyse des données des années 2018 et 2021 montre néanmoins que les collectivités territoriales se sont largement emparées des outils numériques . Cette appropriation a naturellement été renforcée par la crise sanitaire. En 2020 après les dernières élections municipales, de nombreuses collectivités ont mis en place un service de la participation et 78 % souhaitaient développer de nouveaux outils.

En 2021, les collectivités territoriales consacrent aux démarches participatives un budget et des moyens humains plus importants qu'en 2018 . Alors qu'elles n'étaient que 16 % à y consacrer entre 3 à 5 équivalent temps plein (ETP) en 2018, elles sont désormais 32 % en 2021. Désormais, quasiment toutes possèdent au moins un site web, alors que 12 % d'entre elles n'avaient encore mis aucun outil numérique en place en 2018.

Au total, les collectivités disposent majoritairement d'applications contributives d'idéation (appels à projets, à idées) et de questionnaires ou outils de sondage en ligne. Parmi les démarches, les collectivités territoriales misent donc surtout sur l'information et la concertation, la co-construction recueillant moins d'adhésion .

Les dispositifs numériques mis en place par les collectivités territoriales

Source : Baromètre de la démocratie locale numérique, « Décider Ensemble » (édition 2021)

Pour ce faire, elles sont souvent accompagnées par des entreprises des « civic techs » . C'est le cas pour 58 % d'entre elles.

En s'engageant dans cette démarche, les collectivités espèrent inciter les citoyens à participer davantage à la vie locale , en particulier les publics éloignés, comme les jeunes, mais aussi faire émerger de nouvelles idées pour l'amélioration du territoire.

En effet, la démocratie numérique vise un double impact , sur les citoyens et sur les collectivités territoriales :

- l'augmentation de la participation citoyenne au niveau local, au travers d'une meilleure compréhension du fonctionnement des collectivités et, donc, d'une plus grande confiance dans l'action publique, permise par la transparence et la traçabilité de la démarche de la collectivité ;

- le perfectionnement de la gestion locale, en optimisant les projets, en surmontant les conflits et en créant du lien social au travers de la richesse et de la disponibilité des contributions citoyennes. Ainsi, la perception de la collectivité par les citoyens s'en trouve améliorée.

Pour exemple, Electis, organisation à but non lucratif, noue des partenariats avec un certain nombre de collectivités. La première a été la ville de Neuilly-sur-Seine qui a lancé la plateforme « Neuilly vote » pour organiser des scrutins sur des sujets très locaux, notamment culturels. Par ce biais, le cinéma a été repris en régie municipale et les citoyens votent pour fixer la programmation.

2. Comprendre que le Numérique n'est pas un « remède miracle »

Bien que le Numérique constitue un atout indéniable pour la démocratie locale, y recourir présente aussi des limites, dont il s'agit d'être conscient .

Aujourd'hui, 13 millions de Français seraient concernés par la « fracture numérique » . Ce terme désigne les inégalités d'accès aux technologies de l'information et de la communication (la « fracture numérique de premier degré »), mais aussi dans l'utilisation de ces technologies (la « fracture numérique de second degré »). Ainsi, le Numérique peut aider à créer un autre lieu de participation... mais avant tout au bénéfice de ceux de nos concitoyens qui sont déjà à l'aise avec ces outils. Pour éviter cette barrière, certaines initiatives locales ont vu le jour. Par exemple, dans le prolongement du cas précédemment évoqué, la médiathèque de Neuilly-sur-Seine propose un espace d'aide au vote sur une tablette .

Par ailleurs, une partie de la jeunesse, pourtant à l'aise avec l'utilisation des réseaux sociaux, n'interagira pas avec l'administration à travers ces outils . La démarche numérique n'est donc pas la réponse miracle pour une participation accrue des jeunes à la vie politique locale. Pour encourager les jeunes à s'engager, il faut d'abord les convaincre que leur parole est légitime et les intéresser aux questions politiques.

Le Numérique ne remplacera jamais le lien direct entre les acteurs concernés . Or, comme la crise sanitaire l'a souligné, certains citoyens se retrouvent exclus de facto du processus de délibération en cas de restriction de la présence physique.

Enfin, la démocratie numérique ne va pas sans poser des questions de transparence et de sécurité . Malgré leur développement, les technologies de vote en ligne souffrent encore d'un manque de transparence technique. Pour cette raison, la chercheuse Enka Blanchard, qui a soutenu en 2019 une thèse sur les aspects humains de l'authentification et des systèmes de vote, appelle à la transparence du fonctionnement de ces systèmes informatiques de consultation ou de votation. Aujourd'hui, elle relève que la grande majorité des projets est confiée à des prestataires de services n'ayant aucune obligation de produire du code ouvert. Le client potentiel se retrouve donc avec une application à la main du prestataire.

En matière de sécurité, tout l'enjeu est de pouvoir à la fois garantir l'anonymat du votant, mais aussi s'assurer de son identité . L'acceptation du vote électronique passe par une protection suffisamment élevée des systèmes d'information. Enka Blanchard souligne, en outre, l'avantage de pouvoir créer des systèmes vérifiables qui permettent à tout votant d'être sûr que son vote a été correctement comptabilisé .

Dans ces conditions, vos rapporteurs jugent indispensable une évaluation des technologies de vote électronique afin de s'assurer de leur fiabilité et de leur sécurité, conditions nécessaires et préalables à leur utilisation.

Proposition n° 13 : évaluer la fiabilité et la sécurité des technologies aujourd'hui à disposition pour le vote électronique.

Délai : un an

Acteur(s) : ministère de l'Intérieur (bureau des élections) / Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI)

C. CLARIFIER LA PARTICIPATION DES SONDAGES ÉLECTORAUX DANS LE PROCESSUS ELECTORAL

1. Renforcer la rigueur méthodologique de la fabrication des sondages

Parallèlement à la mise en place des instances participatives venant d'être évoquées, d'autres outils se sont imposés, de manière plutôt inattendue, comme les vecteurs de la participation des citoyens dans le champ de la démocratie locale : les sondages électoraux .

Dès 1977, ils ont été encadrés par la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion . Ce cadre législatif a ensuite été précisé par la loi n° 2016-508 du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections , dont l'article 6 définit le sondage comme « quelle que soit sa dénomination, une enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d'une population par l'interrogation d'un échantillon ».

La publication et la diffusion d'un sondage sont ainsi placées sous le contrôle de la Commission des sondages auprès de laquelle sont déposés une série de renseignements sur l'objet du sondage et la méthode retenue (choix et composition de l'échantillon, date de réalisation, critères de redressement des résultats bruts du sondage...). La violation de ces obligations est punie d'une amende de 75 000 euros.

Cependant, malgré cet encadrement, la récente enquête intitulée « Dans la fabrique opaque des sondages » menée par Luc Bronner, grand reporter au journal « Le Monde » et auditionné par votre délégation, pose la question de la fabrication de ces sondages et de la consommation de ce type d'information. Cette enquête jette en effet une lumière crue sur la fragilité méthodologique des sondages : les critères de qualité demandés par certains commanditaires ne le sont pas par tous. En outre, le contrôle des panels n'est pas assuré depuis le passage à des sondages téléphoniques et en ligne. Parce que le processus est moins coûteux, certains instituts de sondage ont notamment recours à des « access panels » : des panels de consommateurs recrutés sur Internet, sans contrôle, en échange d'une rémunération, pour donner leur opinion. Au surplus, leur taille n'assure pas toujours une représentativité correcte. Luc Bronner fait ainsi remarquer que les panels des sondages relatifs aux élections régionales en 2021 étaient proches de 400 personnes, quand en comparaison ceux commandés par « Le Monde » s'appuient sur un échantillon de l'ordre de 15 000 personnes. Or, la taille par trop réduite d'un panel ne permet pas d'extrapoler de manière fiable les résultats à l'ensemble de la population.

Cette absence de rigueur méthodologique pose bien évidemment problème alors que les sondages jouent désormais un grand rôle dans les décisions publiques. Volens nolens , ils outrepassent de plus en plus fréquemment leur rôle de photographie à l'instant « t » en orientant les comportements électoraux , leur pouvoir d'influence étant bien souvent décuplé par les reprises via les chaînes d'information en continu. Lors des dernières élections régionales en 2021 en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) par exemple, une liste en cours de constitution a annoncé se retirer avant même son dépôt sur la seule base des sondages électoraux alors publiés sur cette région.

L'enquête du « Monde » relève que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) se fonde, lui aussi, sur les prédictions issues des sondages électoraux pour définir les temps de parole au cours des campagnes électorales.

Luc Bronner ajoute que les interrogations auxquelles font face les panélistes ne correspondent pas toujours à la réalité de la vie sociale. Classer les propositions de manière hiérarchisée représente un biais principiel, une opinion étant peu structurée, fracturée, d'autant plus qu'elle n'est pas toujours soutenue par des partis politiques ou des convictions religieuses. De plus, en fonction de la formulation des questions, les réponses peuvent être très différentes. Le journaliste souligne enfin que, le choix des électeurs se cristallisant très peu de temps avant le vote, parfois le jour même, un sondage intervenant six mois avant ne constitue donc pas un reflet des intentions de vote de la société.

Dans l'optique de combler cet angle mort dans la fabrication des sondages , les rapporteurs enjoignent les instituts qui les produisent à renforcer leur méthodologie en s'appliquant à conditionner la qualification des « études » en « sondages » à des critères de qualité précis, ainsi que les y invite la législation en vigueur.

Proposition n° 14 : encadrer plus rigoureusement la méthodologie des instituts de sondage.

Délai : un an

Acteur(s) : instituts de sondage / Commission des sondages

2. Veiller au traitement approprié des sondages dans les médias

Si les sondages présentent un intérêt, encore faut-il les appréhender et les analyser avec beaucoup de précaution et de rigueur. C'est précisément là que le travail du journaliste, qui les relaie, prend toute son importance . Or, les relations entre les médias et les sondages sont délicates à régir en raison de leur lien étroit avec la liberté d'expression.

Pour Luc Bronner, avant d'édicter une nouvelle loi, encore faudrait-il déjà commencer par mieux faire appliquer la réglementation en vigueur. Par exemple, la loi précitée du 25 avril 2016 a renforcé la transparence des sondages, notamment en introduisant l'obligation de publier les marges d'erreur . Or, pour les élections régionales déjà évoquées en PACA, l'Ifop ne les avait pas publiées, alors même qu'elles allaient de 36 % à 46 %. La loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l'élection du Président de la République étend d'ailleurs cette obligation, pour l'élection présidentielle à venir, à toute publication, initiale ou reprise, des résultats d'un sondage relatif à cette élection.

À cet égard, vos rapporteurs rappellent que la Commission des sondages est chargée « d'étudier et de proposer des règles garantissant l'objectivité et la qualité des sondages électoraux diffusés ou publiés ». En cas de violation de la loi par un institut de sondage ou un commanditaire, la Commission peut publier un communiqué de presse ou ordonner la diffusion de « mises au point ». En revanche, elle ne dispose d'aucun pouvoir de réglementation ni de sanction. Le 28 octobre 2021, elle a d'ailleurs publié un communiqué de presse 15 ( * ) dans lequel elle condamne la présentation trompeuse d'un sondage par une chaîne de télévision.

D. AVOIR CONSCIENCE DES LIMITES DU MODELE PARTICIPATIF

Apparues dans le champ de l'urbanisme , les diverses formes de démocratie participative (allant de la simple consultation à la prise de décision) ont été institutionnalisées dans les années 1980 en France. Elles ont progressivement été perfectionnées et désormais une large palette d'outils (baromètres, ateliers, balades, conférences, sites...) est à la disposition des collectivités territoriales.

Toutefois, toutes les opérations relevant de cette démarche ne mobilisent pas autant les citoyens les unes que les autres . Pour ne pas déboucher sur un résultat décevant en termes de participation, elles doivent porter sur des sujets représentant un réel enjeu pour les habitants des collectivités qui les organisent. Afin d'éclairer ce facteur clef de réussite, vos rapporteurs se sont plus particulièrement attachés à l'analyse de deux outils emblématiques de la démocratie participative : le budget participatif et le référendum local.

1. Evaluer l'intérêt du budget participatif

Le budget participatif est un procédé de démocratie participative par lequel les habitants d'une ville peuvent décider de l'affectation d'une partie du budget de leur collectivité . Cette démarche se traduit par l'allocation d'une enveloppe budgétaire destinée à financer des projets proposés et votés par les habitants. Ainsi, un véritable pouvoir décisionnaire est accordé aux citoyens, l'objectif étant d'engager des politiques répondant le mieux possible aux attentes des citoyens.

Les cinq critères de qualification d'une démarche en budget participatif

Source : « Les budgets participatifs en Europe : des services publics au service du public » ,
Yves Sintomer et al., La Découverte (2008)

Depuis 2014 et le lancement d'un budget participatif par les communes de Paris et de Bordeaux, la démarche n'a cessé de se développer sur l'ensemble du territoire. Pourtant, elle présente deux limites majeures : l'enveloppe est réduite, elle ne dépasse souvent pas les 5 % du budget de la collectivité, et la participation est faible . Même conséquente en valeur absolue, l'enveloppe de 100 millions d'euros du budget participatif de Paris en 2019, par exemple, ne représentait que 6 % du budget total d'investissement de la ville. De plus, cette enveloppe est morcelée en plusieurs centaines de projets, les choix dans sa ventilation n'attirant finalement que 10 % des Parisiens. L'effet produit peut donc paradoxalement se révéler contraire à celui attendu de l'adhésion du citoyen, puisqu'une majorité d'habitants ne prenant pas part au vote, ils peuvent toujours s'opposer à la mise en oeuvre des projets.

À Saint-Cloud , la démarche a été de présenter aux habitants l'ensemble du budget de la commune et elle a donc supposé un réel effort pédagogique. En effet, auditionné par votre délégation, Eric Berdoati, le maire de cette collectivité et représentant de l'Association des maires d'Ile-de-France (AMIF), a précisé que « ce n'est pas en montrant un petit morceau du budget qu'on explique sa complexité et la nécessité d'équilibrer les recettes et les dépenses. D'ailleurs, il peut constituer un gadget pour détourner l'attention de la totalité du budget ». Ainsi, le bénéfice retiré a été d'éduquer le citoyen au budget. Pour autant, cette action de pédagogie citoyenne n'a pas entraîné un regain de participation aux élections suivantes, relève Eric Berdoati. Cet outil ne peut donc pas être la seule réponse à la désaffection des urnes, et doit bien s'inscrire dans une démarche plus globale « d'aller vers » les citoyens.

De plus, ce type d'opération participative, comme beaucoup d'autres, soulève souvent une limite financière : l'appel à un cabinet spécialisé dans la participation, qui présente certes l'avantage d'avertir des risques et des pièges dans lesquels il ne faut pas tomber, mais qui a également un coût que les petites communes ne peuvent pas se permettre . La nécessité de la formation des élus locaux sur les outils participatifs, souhaitée par vos rapporteurs, trouve donc ici une nouvelle illustration.

2. Cibler le référendum local sur des sujets à fort enjeux

En application de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République , l'article 72-1 a ouvert le référendum local à toutes les collectivités territoriales. Dans les conditions prévues par la loi organique n° 2003-705 du 1 er août 2003 relative au référendum local , « les projets de délibération ou d'acte relevant de la compétence d'une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité ».

Les conditions de mise en oeuvre du référendum local

Les articles LO. 1112-1 et suivants du code général des collectivités territoriales (CGCT) encadrent la mise en oeuvre du référendum local :

- l'exécutif local est seul compétent pour proposer à l'assemblée délibérante l'organisation d'un référendum sur un projet relevant de sa compétence ;

- seuls les électeurs peuvent voter, et non tous les habitants ;

- l'assemblée délibérante fixe le jour du scrutin qui ne peut avoir lieu moins de deux mois après la transmission au représentant de l'Etat du texte sur lequel portera le vote ;

- le représentant de l'Etat peut s'opposer à tout projet de référendum organisé sur un objet ne relevant pas de la compétence de la collectivité organisatrice ;

- le référendum ne peut pas être organisé dans les six mois précédant le renouvellement (intégral ou partiel) de l'assemblée délibérante, et il ne peut pas non plus être organisé le même jour que d'autres élections ou consultations statutaires ;

- la délibération organisatrice et l'objet du référendum ne peuvent pas compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle ;

- les dépenses liées à l'organisation du référendum sont à la charge de la collectivité organisatrice.

De portée décisionnelle lorsqu'au moins la moitié des électeurs inscrits a pris part au scrutin et qu'il a réuni la majorité des suffrages exprimés, le référendum prend la forme d'un avis consultatif dans le cas contraire.

Peu de collectivités y ont toutefois recours : seulement une dizaine chaque année 16 ( * ) . Ce peu d'engouement de la part des élus locaux à le mettre en oeuvre s'explique en partie par la participation mineure qu'ont rencontré la plupart de ces scrutins. Ainsi par exemple, en novembre 2021, conformément aux promesses de campagne du candidat élu maire en 2020, un premier référendum annuel est organisé au Kremlin-Bicêtre sur l'emplacement et les horaires du marché, mais celui-ci n'a réuni que 6,5 % des électeurs.

Pourtant, le « Grand débat national », qui s'est déroulé en 2019 en réponse au mouvement des gilets jaunes, a montré un réel intérêt des citoyens pour le référendum local . En effet, 80 % des contributeurs à ce débat se sont déclarés favorables à un recours plus fréquent à ce type de référendum, notamment pour renouer le lien entre les élus locaux et les citoyens. La mise en place de référendums est également plébiscitée pour consulter plus directement le citoyen sur l'utilisation de l'argent public, au niveau local comme au niveau national.

Les trois premières propositions issues du « Grand débat national » pour améliorer la participation des citoyens

Source : données de la synthèse « Démocratie et citoyenneté » du « Grand débat national »

Le dispositif n'est toutefois pas plébiscité pour tous les thèmes . Les référendums sont surtout attendus pour permettre la participation du citoyen aux grandes orientations et aux grands sujets de société. En revanche quand les enjeux du référendum sont faiblement identifiés ou peu intéressants, la participation présente le risque d'être réduite et le dispositif semble alors disproportionné.

Vos rapporteurs soulignent que l'outil du référendum local paraît donc surtout adapté sur des sujets à fort enjeux pour les habitants, dans le cas contraire la mobilisation court le risque d'être décevante.

III. LA DÉMOCRATIE IMPLICATIVE, MOTEUR D'UN RENOUVEAU

Dans un contexte où la démocratie représentative rencontre des difficultés ( cf . partie I) et où le modèle participatif présente certaines limites ( cf . partie II), il nous semble possible de promouvoir un modèle alternatif et complémentaire de démocratie locale , en phase avec les attentes de nos concitoyens et correspondant à des pratiques innovantes d'ores et déjà mises en oeuvre par les élus locaux : la démocratie dite implicative.

Comme le relève avec constance notre délégation, les élus locaux agissent en permanence comme des « inventeurs de solutions » . Et précisément, lors des auditions conduites par vos rapporteurs, de nouvelles pratiques démocratiques sont ressorties, visant à restaurer la confiance des citoyens dans nos territoires. Ce sont ces pratiques que vos rapporteurs ont voulu mettre en évidence, en les regroupant sous le concept de démocratie implicative. Extrêmement diverses, elles ont néanmoins toutes pour point commun de chercher à ancrer le citoyen dans la vie locale, à susciter son intérêt et son envie de s'engager, le cas échéant au travers de très petits projets partagés, pour finalement l'amener à assumer entièrement ses devoirs et exercer pleinement ses droits civiques.

Vos rapporteurs ont souhaité comprendre ces processus de démocratie implicative et voir comment ils sont en train de transformer la pratique démocratique .

A. INITIER UNE DYNAMIQUE D'ENTRAÎNEMENT CHEZ LE CITOYEN

La démocratie implicative vise un effet d'entrainement . L'intention qui la sous-tend consiste à rechercher l'implication des citoyens sur des projets très locaux, pour aboutir à des engagements plus forts par la suite : de la participation au scrutin électoral à l'acte de candidature sur une liste, en passant par l'investissement personnel sur d'autres projets.

1. Être en proximité et sur les sujets présentant un enjeu pour le citoyen

À côté des signes alarmants du désengagement du citoyen du champ de la démocratie représentative, demeure fort heureusement une soif d'implication . Il n'est qu'à rappeler la mobilisation des Français au quotidien dans la vie associative, la vigueur du bénévolat ou encore la générosité des dons pour de grandes causes. Pour vos rapporteurs, la démocratie implicative est particulièrement illustrée par l'engagement associatif et l'initiation à l'éducation civique et citoyenne pratiquée à l'école.

D'ailleurs, souvent la vie associative fournit un vivier, notamment dans les communes les plus petites, pour la vie politique . L'engagement associatif conduit alors à se faire identifier, puis assez fréquemment à se voir proposer de prendre des responsabilités dans la vie politique locale, au travers d'un mandat.

D'une manière générale, et contrairement à une idée reçue, en matière d'engagement dans la vie politique, la France est une nation sans équivalent. Avec un million de candidats aux élections locales , elle occupe une place en pointe dans le monde. Près d'un électeur sur 100 est conseiller municipal et le nombre de communes sans candidat reste marginal : 64 aux élections municipales de 2014 et 106 aux élections de 2020 17 ( * ) .

Même parmi le public spécifique des jeunes souvent pointés du doigt pour leur désintérêt supposé à l'égard de la chose publique, la page de l'engagement sur des valeurs n'est pas irrémédiablement tournée. Mais les formes de l'engagement sont différentes et elles passent désormais moins par les canaux traditionnels (les partis politiques ou les syndicats, notamment), ainsi que l'attestent l'attractivité auprès des jeunes d'événements comme la « Marche pour le climat » ou « Z Event » (levée de fonds en ligne pour les associations caritatives) 18 ( * ) . Les réseaux sociaux jouent par contre un rôle d'entrainement très fort dans ces mouvements de mobilisation.

Impliquer les jeunes

La réponse aux défis de l'implication des jeunes n'est pas différente de celle à apporter pour les autres catégories de population. Lors de son audition, Katharina Zuegel a ainsi insisté sur le fait que « pour encourager les jeunes à s'engager, il faut d'abord les convaincre que leur parole est légitime et les intéresser aux questions politiques » .

Le succès de l'application pour téléphones mobiles Elyze, par exemple, démontre qu'il est possible d'innover en la matière. Cette application a connu, au cours des derniers mois, un succès spectaculaire. Elle « entend réconcilier les jeunes avec la politique » et fonctionne sur un principe simple. Jusqu'à 500 propositions des candidats à l'élection présidentielle sont soumises à l'utilisateur. Chaque proposition est brièvement résumée et, d'un clic, il est possible soit de la valider, soit de la rejeter, soit d'exprimer un avis neutre. Au bout d'un nombre significatif de réponses, l'utilisateur visualise les candidats supposés lui convenir le mieux et, uniquement sur la base de ses préférences, il peut ainsi se situer sur l'échiquier politique. Les jeunes créateurs de cet outil, Grégoire Cazcarra et François Mari, visent à reconnecter les primo-votants avec les urnes et, avant cela, avec la vie politique.

Sous certaines conditions, la démocratie implicative permet de capter cette énergie citoyenne et de lui donner un débouché positif.

Tout d'abord, c'est l'adhésion à des enjeux, des valeurs, des idées, des intérêts qui conduit l'individu à s'impliquer : il ne peut y avoir de réelle participation sans adhésion. Un des ressorts à travailler consiste donc à renforcer cette adhésion, et force est de constater que la commune est la collectivité la plus armée pour le faire.

Dans son avis relatif au « Renforcement de la participation aux élections des instances à gouvernance démocratique » 19 ( * ) , le Conseil économique, social et environnemental (CESE) soulignait plusieurs déterminants des taux de participation à différentes catégories d'instances représentatives (et donc pas uniquement aux élections politiques). Sur la base d'une enquête par questionnaire, il ressort que le premier facteur susceptible d'empêcher le vote, de le motiver ou de le faciliter réside dans la proximité . Ne pas connaître les candidats, ne pas avoir la possibilité de les rencontrer, est particulièrement mis en avant dans les réponses justifiant l'abstention.

Même à l'échelle de la commune, qui est pourtant celle de la plus grande des proximités, ce sentiment d'adhésion peut se distordre. Le niveau micro-local ne représente plus automatiquement un creuset permettant de faire communauté. La raison en est que certains habitants ne font que passer dans les communes, au gré de leur parcours résidentiel ou professionnel, et ne se fixent que tardivement . Signe de cette instabilité, les communes voient souvent leur population se renouveler à plus de 20 % entre deux scrutins municipaux.

Partant de ce constat d'un lien fort entre, d'une part, le sentiment d'adhésion et, d'autre part, une proximité avec le territoire et ceux qui le font vivre (au premier rang desquels les élus locaux), vos rapporteurs jugent nécessaire de développer les initiatives visant à affermir cette relation.

De telles initiatives représentent un enjeu fort pour les communes, mais aussi à l'échelon intercommunal . En effet, les intercommunalités n'occupent souvent qu'une place subsidiaire dans la connaissance par le citoyen du paysage institutionnel qui l'entoure au niveau local. L'usager peine parfois à comprendre leur intérêt et les services qu'il est en droit d'en attendre, quand l'électeur ne sait fréquemment pas comment sont élus ses représentants à cet échelon.

Proposition n° 15 : organiser régulièrement dans les communes un temps, informatif et convivial, dédié à l'accueil des nouveaux habitants. Ces derniers doivent se sentir accueillis et partie prenante de leur nouvelle communauté.

Délai : -

Acteur(s) : communes

Comment renforcer le sentiment d'appartenance au niveau local ?

Quelques exemples

Au rang des causes de l'abstention, Gilles Mentré souligne que celle-ci provient aussi du « sentiment que le vote est inutile ». En d'autres termes, l'adhésion n'est au rendez-vous que lorsque les enjeux sont réels, et poser une question sans enjeu ne mobilisera guère, voire entretiendra le sentiment d'inutilité et de défiance à l'égard de l'engagement citoyen considéré comme vide de sens. Pour susciter l'implication du citoyen dans les affaires locales, il est donc essentiel que les matières soumises à discussion soient porteuses d'enjeux et d'intérêts pour les participants . Le projet, ou le choix mis en discussion, ne doit pas être du domaine de l'accessoire ou du détail, mais bien un sujet qui compte pour les citoyens.

2. (Re)connaître les bonnes pratiques de l'implication

Susciter l'engagement de ses concitoyens fait désormais partie à part entière de la mission des élus . D'ailleurs, l'étude des programmes proposés par les candidats lors des élections municipales en 2020 fait ressortir qu'ils contenaient une « référence unanime à la concertation », ainsi que l'a souligné Martial Foucault. Un autre signe de l'attention portée par les élus à cette dimension réside dans le fait qu'il est désormais très fréquent que les équipes (municipales ou départementales) comprennent un maire-adjoint ou un vice-président à la citoyenneté, à la concertation ou à l'implication citoyenne, selon les terminologies retenues.

Les élus sont d'abord des citoyens qui ont franchi un cap dans leur engagement . Il n'existe pas en effet deux mondes étanches et repliés sur leur quant-à-soi : d'un côté, le monde des élus, et de l'autre, le monde des citoyens. Au contraire, le continuum permet d'affirmer que de « citoyen à élu », il n'y a qu'un pas.

Plusieurs communes, comme Orgeval , valorisent le parcours de leurs élus : ils sont invités à commenter leur expérience de citoyen, leur parcours et leurs engagements jusqu'à leur candidature. Romainville , dans son journal municipal, présente un portrait de chaque élu au conseil municipal, majorité et opposition comprises, avec trois questions dont la dernière est formulée ainsi : « Pourquoi avoir fait le choix de l'engagement municipal ? ». Ces pratiques peuvent inspirer l'ensemble des collectivités territoriales, selon vos rapporteurs.

Proposition n° 16 : valoriser dans les documents de communication institutionnelle le parcours citoyen des élus et l'évolution de leurs engagements pour la chose publique.

Délai : -

Acteur(s) : toutes les collectivités territoriales

Valoriser les temps électoraux représente une voie complémentaire de celle du partage d'expérience des élus, « Voter est une fête » pourrait en être le slogan. La commune d' Orgeval , par exemple, souhaite faire des journées électorales « des évènements empreints de la même énergie et passion qu'une journée de manifestation festive », comme l'avait souligné son maire, Hervé Charnallet, lors de son audition par votre délégation.

Il existe de nombreux autres temps et formats dédiés à l'implication citoyenne. Vos rapporteurs en fournissent ici quelques exemples.

La « Journée citoyenne » est désormais déployée dans plus de 1 000 communes et pourrait encore être mieux relayée.

Pour tous, la « Journée citoyenne »

Née en 2008 dans l'agglomération mulhousienne, à Berrwiller , la « Journée citoyenne » permet, sur une journée, de mobiliser les habitants, volontaires et solidaires, autour d'un projet d'amélioration de leur cadre de vie (réalisation de petits chantiers dans des lieux symboliques et utiles). Elle favorise la communication intergénérationnelle entre les habitants.

Relayée par l'AMF en partenariat avec l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS), cette action se décline désormais de plusieurs façons à travers plus de 1 000 communes .

La « Journée citoyenne » participe du renouvellement de l'action publique en fédérant les communes, les agents municipaux et les partenaires locaux (associations, entreprises...), en favorisant l'échange entre les habitants, toutes générations et toutes classes sociales confondues, et en créant ainsi un lien fort et fédérateur .

Au travers de cette opération, est illustrée l'idée selon laquelle les maires , par leur proximité avec les citoyens et par les leviers d'action dont ils disposent, sont les plus aptes à mettre en oeuvre des politiques de prévenance, en privilégiant le développement du lien social et du vivre-ensemble. Ils répondent ainsi à l'envie de la population de s'engager dans des actions locales concrètes.

Les opérations liées à l'espace public se sont multipliées ces dernières années. Les actions de propreté, de ramassage des déchets, de nettoyage des rues, de défis propreté dans les quartiers, ont fait l'objet de nombreux relais dans les médias. Un peu moins connues sont les opérations relatives au jardinage. Il en existe pourtant de nombreuses : « Jardinons ensemble », « Jardins partagés », « Jardins citoyens »...

Pour tous, l'opération « Jardinons citoyen »

Dans la commune de Chateaugiron , la démarche « Jardinons citoyen » est née d'une initiative locale relative à l'aménagement et l'entretien des espaces verts publics, en complémentarité avec les services municipaux.

Cette initiative a permis de créer des échanges et de la convivialité entre voisins et avec les passants . Elle a même fini par devenir un prétexte à un engagement citoyen pour les nouveaux arrivants dans le cadre du mieux vivre ensemble.

Destinée aux jeunes, l'opération « Argent de poche » est proposée par certaines communes, au titre du programme « Ville Vie Vacances » qui s'adresse prioritairement aux enfants et aux jeunes en difficulté des QPV afin qu'ils puissent bénéficier d'activités culturelles, civiques, sportives et de loisirs, ainsi que d'une prise en charge éducative pendant les vacances.

Pour les jeunes, l'opération « Argent de poche »

Le dispositif « Argent de poche » donne la possibilité aux adolescents âgés de seize à dix-huit ans de travailler sur de petits chantiers de proximité (sur une demi-journée, par exemple) et de participer ainsi à l'amélioration de leur cadre de vie.

Ces chantiers se déroulent à l'occasion des congés scolaires et ils donnent lieu en contrepartie à une indemnisation, dans la limite de 15 euros par jeune et par jour .

Pendant cette demi-journée, les jeunes intègrent l'équipe communale et sont encadrés par un « agent-tuteur » qui les accompagne dans leur mission.

Afin de respecter la réglementation du travail, les jeunes ne sont jamais amenés à prendre des risques ou à utiliser des outils motorisés dans leurs différentes missions.

Proposition n° 17 : valoriser localement l'investissement citoyen en publiant un recueil des initiatives menées (« Journées citoyennes », opérations « Argent de poche » ou « Jardinons citoyen », par exemple).

Délai : -

Acteur(s) : communes

L'implication du citoyen passe par ce type d'actions impulsées par les collectivités territoriales et plus particulièrement les communes, mais elle peut également se nourrir d'événement plus ritualisés dans notre calendrier républicain, à savoir les élections et leur organisation. Celle-ci repose largement sur les maires qui ont la charge de s'assurer du bon déroulement des opérations électorales le jour du scrutin. Or, à cet égard, la tenue des bureaux de vote devient un enjeu de plus en plus problématique dans certaines communes, et pas uniquement les plus petites d'entre elles. Il est difficile de trouver le nombre requis de présidents et d'assesseurs, au point que l'ouverture des bureaux le dimanche matin puisse parfois être une question pendante pour certains maires jusqu'à la veille au soir.

C'est la raison pour laquelle vos rapporteurs estiment utile de s'inspirer du tirage au sort des jurés d'assises pour désigner une partie des assesseurs. Non seulement cette désignation viendra suppléer aux difficultés croissantes rencontrées par les maires, mais l'implication dans la bonne tenue du scrutin, au coeur d' un lieu chargé de la symbolique républicaine (le bureau de vote, l'isoloir, l'urne, la liste électorale, la présentation d'un document d'identité et de la carte électorale...), peut éveiller chez les citoyens tirés au sort un nouvel intérêt pour le volet représentatif de la démocratie.

Vos rapporteurs précisent néanmoins que, selon eux, les formules liées au tirage au sort doivent plutôt être réservées à des actions exceptionnelles (comme par exemple, la désignation des assesseurs pour un bureau de vote) visant à susciter l'implication , que correspondre à une pratique trop fréquente et trop générale visant à pallier une carence durable en termes d'engagement.

Proposition n° 18 : tirer au sort, parmi les inscrits sur la liste électorale, une partie des assesseurs des bureaux de vote.

Délai : prochaines élections (élections au Parlement européen en 2024)

Acteur(s) : ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques) / communes

Quelle que soit la forme qu'elle prend, l'implication citoyenne mérite d'être reconnue et valorisée .

Cette valorisation peut bien évidemment prendre la forme d'une reconnaissance dans les actions de communication de la collectivité : pages dédiées dans les journaux, rubrique du site Internet, campagne d'affichage « citoyen engagé », journée ou cérémonie de l'engagement en mairie ou hors les murs...

Une reconnaissance en droit a également été obtenue avec la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2917 relative à l'égalité et à la citoyenneté qui permet aux membres des conseils citoyens, lorsqu'ils ont un emploi salarié, de bénéficier d'un jour de congé. En principe non rémunéré, ce jour de congé peut être utilisé pour participer aux instances internes du Conseil et aux instances de pilotage du contrat de ville.

Vos rapporteurs estiment toutefois qu'une nouvelle étape doit être franchie en matière de reconnaissance de l'implication du citoyen au niveau local. Dans cette perspective, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels , dite « Loi travail », constitue une source d'inspiration. Elle a en effet institué le Compte engagement citoyen (CEC), dispositif d'État destiné à reconnaître et à valoriser l'engagement bénévole de responsables associatifs très investis. Ce compte permet, sous réserve de conditions d'éligibilité, de bénéficier de droits à formation supplémentaires crédités sur le compte personnel de formation. Ouvert sous condition aux responsables associatifs, il pourrait aussi, aux yeux de vos rapporteurs, profiter aux acteurs de la démocratie implicative afin de décerner une contrepartie à leur engagement au service de la Cité et de donner une valeur professionnalisante aux actions qu'ils ont aidées à mener à bien.

Proposition n° 19 : étendre le Compte engagement citoyen (CEC) - qui ouvre droit à formation - aux acteurs de la démocratie implicative et participative pour reconnaître leur implication positive dans la vie de la Cité.

Délai : un an

Acteur(s) : ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales / ministère du Travail, de l'emploi et de l'insertion

B. SE RENOUVELER DANS L'EXERCICE DU MANDAT LOCAL

1. Aller vers le citoyen

« La démocratie ne se résume pas à l'élection » a insisté Yvan Lubraneski, maire de Les Molières, lors de son audition par votre délégation. Comme en écho, Gilles Mentré ajoute qu'« un système fondé sur le blanc-seing ne peut plus fonctionner ». En d'autres termes, la démocratie ne trouve son point d'achèvement ni dans l'acte de voter ni dans le fait d'avoir été élu. Au contraire, l'élection doit marquer le point de départ d'une relation de confiance entre le citoyen et ses représentants élus locaux. Or, la démocratie implicative invite précisément à revisiter la nature de cette relation : si la décision finale reste aux élus, le processus pour en forger le contenu devient néanmoins plus collectif .

Aussi, dans cette perspective, l'objectif de l'élu local consiste-t-il à aller au-devant du citoyen pour « l'embarquer » dans un projet collectif et l'amener à s'intéresser à la vie locale en lui donnant de la chair . À cet égard, de nombreuses bonnes pratiques ont été identifiées par vos rapporteurs : assemblées délibératives filmées et retransmises sur Internet, conseils municipaux « hors les murs » dans les quartiers de la commune, comptes-rendus de mandat annuels effectués par les élus de la majorité devant les habitants dans les quartiers, assises de la proximité consistant en des réunions élus / citoyens et portant sur des sujets micro locaux... Toutes ont en partage une philosophie commune : aller à la rencontre du citoyen pour lui donner l'envie de s'investir à son tour.

Vos rapporteurs souhaitent mettre en avant dans leurs propositions certaines de ces pratiques qui peuvent être inspirantes et témoignent d'un réel souci de proximité, d'écoute et d'attention de la part des élus locaux.

Proposition n° 20 : tenir occasionnellement des conseils « hors les murs », dans les quartiers.

Délai : -

Acteur(s) : communes / intercommunalités

Proposition n° 21 : rendre compte annuellement, en réunion publique et localisée dans les quartiers, du mandat et de l'avancée des projets.

Délai : -

Acteur(s) : communes / intercommunalités

Vos rapporteurs ont la conviction qu'une démocratie implicative organisée autour d' un élu en responsabilité d'arbitre final, entouré d'acteurs agissants, impliqués et investis , renforcera au final la démocratie locale et la légitimité de ses représentants.

Positionné comme le pilote d'un écosystème où chacun s'investit à sa juste mesure, l'élu local n'affaiblit pas son rôle dans cette forme de démocratie, il le conforte. Les citoyens impliqués n'entrent pas en concurrence face à lui, mais chacun prend sa part, à la place qui lui revient, dans le projet de vie en commun. L'élu local devient ainsi rien moins que le chef d'orchestre de collectifs variés, qui pour s'accorder ont besoin de la vision globale que détient l'élu.

Proposition n° 22 : encourager la publication annuelle d'un guide de l'engagement citoyen répondant à la question : « je suis citoyen, je veux m'impliquer, quelles sont les possibilités au niveau local ? ». Le guide insisterait notamment sur la complémentarité entre le citoyen et son représentant élu.

Délai : -

Acteur(s) : communes

Cette démocratie implicative se déploie au quotidien dans nos territoires et elle induit un changement de posture dans l'exercice du pouvoir local . Vos rapporteurs insistent sur la tournure d'esprit différente qu'elle implique et qui a été résumée ainsi par Yvan Lubraneski : « ce n'est pas la même chose de définir un projet et d'y travailler avec les usagers et les acteurs concernés, que de décider sans eux. Plus les participants autour de la table seront nombreux, plus le travail sera fructueux. La présence des opposants est très importante, car ils soulèvent les difficultés les plus sensibles et finissent par consentir au projet à l'issue du processus. Et le consentement évite le contentieux ».

Le renouvellement de la pratique des réunions publiques

dans la commune de Les Molières

Yvan Lubraneski a décrit devant votre délégation comment sa municipalité aborde désormais les réunions publiques qu'elle organise et l'état d'esprit qui y règne .

Auparavant dans cette commune, les réunions publiques étaient l'occasion pour les élus et l'administration, placés à la tribune, de communiquer face à un parterre d'habitants. Dorénavant, tous les participants sont réunis en cercle . Même si l'on reconnait le maire et les élus de l'équipe municipale, la parole est passée à chacun à tour de rôle. Si une idée est bonne, quelle que soit son origine (c'est-à-dire qu'elle émane d'un élu ou d'un citoyen), elle va suivre toutes les étapes dans un cadre institutionnel. Et c'est le collectif qui décide si l'idée est bonne ou mauvaise.

Yvan Lubraneski précise qu' « une bonne concertation donne in fine la parole au maire pour décider, après avoir écouté et construit. Le choix reste aux élus qui sont là pour ça. Il ne s'agit pas de réinventer la cogestion » .

Une des clés de cette démocratie implicative est de donc dépasser le stade de la communication pour prendre en considération les propositions citoyennes et aboutir à de vrais engagements .

2. Instaurer un cercle vertueux entre l'élu et le citoyen

La « démarche implicative » se doit d'être abordée avec pragmatisme , car elle rompt avec certaines habitudes et peut initialement soulever des interrogations ou des doutes, voire même des critiques. En effet, devoir systématiquement faire entrer les citoyens dans le processus décisionnel, peut aboutir à la paralysie de la prise de décision. En outre, un trop plein de projets soumis à la concertation saturera les participants, avec pour conséquence de produire un désengagement contraire à l'effet recherché. De même, un cycle trop long de discussions peut ralentir la prise de décision et finalement empêcher d'avancer sur des choix politiques pourtant déjà examinés et arbitrés durant la campagne électorale.

Par ailleurs, vos rapporteurs sont bien conscients que certains projets, d'avant-garde ou novateurs, n'auraient pas nécessairement vu le jour, s'ils n'avaient pas fait l'objet d'une concertation auprès des citoyens . Que l'on songe aux projets de nouveaux modes de transport dans les communes, de sauvegarde de certains secteurs, de plans de piétonisation ou de construction d'équipements structurants, par exemple. Les élus doivent souvent argumenter sans relâche avec leurs administrés, faire face à des pétitions et à des manifestations..., même si ultérieurement les citoyens eux-mêmes reconnaitront le bien fondé de tel ou tel projet, le temps donnant raison à certaines initiatives visionnaires.

Toutefois, vos rapporteurs soulignent que le point de vue strictement inverse peut également être défendu avec justesse. À savoir que certains projets sont parfois très difficiles, voire impossibles, à mettre en oeuvre du fait que le temps de la discussion, de l'implication des habitants, n'a pas été pris . Ces projets rencontrent ensuite des oppositions et suscitent parfois des contentieux, enlisant ou mettant un terme aux ambitions de la collectivité.

Aussi, vos rapporteurs estiment-ils important de bien fixer les règles du jeu en amont de toute démarche implicative .

Le vademecum de la démarche implicative réussie

• Mettre en jeu des questions qui touchent les citoyens ;

• Expliquer le contexte, donner les éléments à chacun pour comprendre la situation et le pourquoi de l'ouverture de la décision ;

• Partager le diagnostic et prendre le temps de le faire ;

• Poser l'objet de la discussion, de la décision, et dire, à l'inverse, quelles sont les choses non négociables ou non soumises au débat. Exprimer les contraintes de la structure, du processus ;

• Définir le rôle de chacun, et notamment celui des élus ;

• Exprimer les règles du processus (par exemple, une nouvelle mesure doit se traduire par une économie équivalente) ;

• Établir un calendrier et rappeler que le processus ne peut pas s'étendre à l'infini ;

• Expliciter les modes de règlement des désaccords, pour ne pas se retrouver en situation de blocage.

Comme toute politique publique, ces démarches peuvent aussi faire l'objet d'une évaluation , concernant tant les procédures que les résultats obtenus. À cet égard, vos rapporteurs renvoient au guide de l'évaluation de la participation publié par l'Institut de la concertation et de la participation 20 ( * ) . À destination des praticiens, ce travail collectif présente différentes approches de l'évaluation des politiques et des dispositifs de concertation et de participation, des points d'alerte et des recommandations.

Sans ressortir à proprement parler de cette logique d'évaluation mais davantage afin de faire connaître les initiatives des collectivités territoriales en matière de démocratie implicative, vos rapporteurs recommandent la création d'un trophée permettant de distinguer annuellement les bonnes pratiques identifiées dans ce domaine.

Proposition n° 23 : instaurer les Trophées annuels des bonnes pratiques de la démocratie implicative, valorisant les initiatives prises par les collectivités territoriales.

Délai : un an

Acteur(s) : Sénat

La conviction de vos rapporteurs est en effet que la démocratie implicative crée un cercle vertueux au plan local .

Tout d'abord, les projets soumis à cette concertation sont gagnants , dès lors que celle-ci n'est pas seulement menée dans une visée informative, mais dans une optique d'amélioration. Ces projets en ressortent plus solides, avec des idées nouvelles de mise en oeuvre, et ils sont relayés par des citoyens qui se sont sentis impliqués et concernés.

Les effets se révèlent également positifs sur le lien entre les citoyens et leurs élus . Les premiers gagnent une meilleure compréhension du fonctionnement des collectivités, une plus grande confiance dans l'action publique, sans compter des services et / ou des projets répondant encore mieux à leurs attentes. Selon Yvan Lubraneski, « le citoyen participant à cet exercice se frotte aux difficultés des élus, et comprend quels sont les freins et les accélérateurs. Cela crée une sorte de cohésion où chacun reste dans son rôle ».

Enfin, au travers de l'exercice implicatif, le rôle de l'élu local se trouve conforté et renouvelé . Il en ressort enrichi et toujours aussi essentiel : faire germer l'implication citoyenne au service d'un territoire. Au final, en tant que décisionnaire public, l'élu local ancre sa légitimité dans un processus où chacun a pu contribuer et se sentir pleinement partie prenante. Une anecdote rapportée par Éric Berdoati illustre avec humour combien ce changement de posture peut se révéler positif, « lors de la première réunion, un administré m'a dit qu'il n'avait pas voté pour moi, mais qu'il répondait présent à mon initiative. À la fin de la concertation, il m'a confié qu'il regrettait de ne pas avoir voté pour moi ! ».

CONCLUSION

La démocratie locale sait se renouveler . Forte de ses élus locaux, elle s'est progressivement acclimatée à de nouvelles formes de participation citoyenne qui trouvent désormais leur place dans les territoires. Loin d'être exclusifs les uns des autres ou même en concurrence, ces différents modes d'expression s'inscrivent dans une réelle complémentarité. Ainsi la démocratie s'enrichit-elle à être tout à la fois représentative, participative et implicative.

Sa version implicative, en particulier, ne doit pas être sous-estimée en ce qu'elle peut apporter comme ciment citoyen au niveau local. Elle ouvre une approche différente, pragmatique et directement opérationnelle pour ramener certains de nos compatriotes, aujourd'hui éloignés des grands choix politiques, dans le champ de la démocratie . Pour cette raison, elle doit être encouragée et ses bonnes pratiques le plus largement diffusées, ce à quoi vos rapporteurs ont voulu contribuer au travers de leur mission d'information.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du 17 février 2022, la délégation aux collectivités territoriales a autorisé la publication du présent rapport.

COMPTE-RENDU DE LA REUNION DU JEUDI 17 FÉVRIER 2022

Examen du rapport sur la démocratie locale

Mme Françoise Gatel, présidente . - La démocratie locale est un sujet lancinant et préoccupant. Il est nécessaire de la revivifier.

Au cours de plusieurs séances plénières, nous avons recueilli les points de vue de politologues, de directeurs de rédaction... Le directeur de rédaction du journal Ouest France a d'ailleurs décidé de ne plus publier de sondages. En revanche, il publie des témoignages de Français, qui s'adressent aux candidats ou plus généralement à la France. Les personnes interviewées sont issues de différents milieux et expriment leurs attentes.

Nous avons aussi rencontré et auditionné des think tanks , des responsables associatifs et naturellement des élus locaux. Nous avons besoin de tout le pays et de tous ses citoyens pour entretenir et revivifier la démocratie.

Avec Jean-Michel Houllegatte, nous avons réalisé des auditions complémentaires. En particulier, nous avons auditionné des membres de conseils citoyens, conseils créés dans le cadre de la politique de la ville. Ces membres nous ont fait part de leur expérience, de leurs suggestions et parfois de leurs insatisfactions sur la question de la démocratie.

Au Sénat, une mission d'information sur la redynamisation de la culture citoyenne a été lancée à l'initiative du groupe RDSE. Nous avons rencontré les rapporteurs de cette mission. À l'Assemblée nationale, une mission a été réalisée sur l'engagement local et la parité, par deux députés. Cette mission a déjà fait l'objet d'une proposition de loi.

Compte tenu des travaux déjà menés sur la démocratie locale, nous pourrions nous demander quel est l'intérêt des travaux de la notre délégation. Avec Jean-Michel Houllegatte, nous avons souhaité apporter un éclairage particulier. Nous avons notamment travaillé sur les bonnes pratiques et leur diffusion.

Conformément au rapport de la vice-présidente Pascale Gruny sur les lignes directrices des travaux de contrôle, nos propositions ont été mises à votre disposition, mardi dernier, sur Demeter.

Durant nos travaux, nous avons toujours gardé à l'esprit les questions suivantes : comment remédier au désintérêt croissant chez certains de nos concitoyens pour la chose publique ? Par quels moyens retisser le lien entre les Français et leurs représentants élus au niveau local ? Le Président de l'Assemblée des départements de France (ADF), François Sauvadet, a regretté devant notre délégation que les Français eussent le sentiment qu'aucune élection n'influe sur leur vie. De ce fait, il est difficile de les intéresser à la chose publique. Comment redonner du sens au débat public et le replacer au plus proche des habitants, afin que la vie de la cité transcende les seuls intérêts particuliers, sans contester la légitimité de la démocratie représentative ?

Pour répondre à ces interrogations, il nous est apparu nécessaire de passer en revue les trois formes de démocratie.

La démocratie représentative est la garante d'une société de droit et de l'intérêt général.

Pour ce qui est de la démocratie participative, son émergence est récente à l'échelle de notre histoire politique, mais les injonctions à son égard envahissent quelque peu l'espace public. Dans le cadre de cette démocratie, les élus, issus de la démocratie représentative, écoutent les citoyens. Cette démocratie génère parfois de la frustration chez les citoyens, qui estiment qu'ils devraient prendre eux-mêmes les décisions.

Il existe enfin une troisième forme de démocratie. Avec Jean-Michel Houllegatte, nous l'avons appelée « démocratie implicative ». Cette démocratie nous paraît riche d'avenir. En effet, elle amène le citoyen, par de petits engagements locaux, à participer concrètement à l'action publique, à l'échelle de la commune, du quartier ou du voisinage. Elle donne au citoyen un intérêt à s'investir.

M. Jean-Michel Houllegatte, corapporteur . - Les dispositifs de démocratie participative foisonnent. En effet, il existe les conseils de quartier, les comités consultatifs, les conseils de jeunes, les conseils de sages, les conseils de femmes... Ces instances permettent de favoriser la citoyenneté et la participation des habitants à la vie de la cité. Elles constituent aussi une véritable ressource d'informations sur le fonctionnement de la commune. Le conseil citoyen illustre cet apport dans les quartiers de la politique de la ville. Nous avons entendu des témoignages sur le fonctionnement de cette instance à Sarcelles, Elbeuf ou encore Corbeil-Essonnes. Au regard de ces témoignages, il nous semble qu'il serait utile de dispenser des formations communes aux élus locaux et aux conseillers citoyens autour des enjeux et des outils de la démocratie participative.

Le développement de cette forme de démocratie se trouve simplifié et amplifié par l'introduction du numérique dans les processus de consultation, ainsi que l'a souligné Katarina Zuegel, représentante d'un think tank travaillant sur les technologies citoyennes. Toutefois, la fracture numérique, l'illectronisme et le caractère très impersonnel de ce type de consultations représentent autant d'écueils difficilement surmontables. La sécurité de ces dispositifs est également sujette à caution. Pour cette raison, il serait nécessaire d'évaluer la fiabilité et la sécurité des technologies disponibles pour le vote électronique et la concertation citoyenne.

Notre conception de la participation s'étend au rôle que jouent les sondages dans le champ démocratique. Les sondages relatifs à des personnalités politiques occupent en effet une place croissante dans le processus électoral, comme l'ont montré les dernières élections locales. Ils encouragent et amplifient les comportements stratèges de certains électeurs. Or, les conditions de réalisation de ces études ne satisfont pas pleinement à un critère de rigueur, tandis que certains professionnels du journalisme tendent à estimer que le rôle des sondages est disproportionné, au point de ne plus les commenter, comme l'a d'ailleurs annoncé le journal Ouest France. Nous sommes donc favorables à un encadrement plus rigoureux de la méthodologie des instituts de sondage.

Les discours autour de la démocratie participative tendent parfois à véhiculer la représentation d'un système dans lequel le « citoyen participant » s'érigerait par opposition aux élus. D'ailleurs, la démocratie participative est parfois mal perçue par les élus eux-mêmes, qui peuvent avoir le sentiment que leur légitimité, acquise par l'élection, est remise en question dans et par les démarches participatives.

Tel n'est pas le cas de la démocratie implicative. Dans cette version, chacun reste à sa place et aucune remise en question n'est à l'ordre du jour. La démocratie implicative vise un effet d'entraînement. L'objectif est de rechercher l'implication des citoyens sur des projets très locaux, afin de susciter leur intérêt, voire leur adhésion, pour aboutir à des implications plus fortes par la suite : de la participation au scrutin électoral à l'acte de candidature sur une liste, en passant par l'engagement sur d'autres projets. Les ressorts de cet engagement local, voire micro-local, résident dans l'adhésion à des valeurs partagées, la proximité et l'existence d'enjeux réels lors de la prise de décision. Pour renforcer l'implication, de nouveaux outils et de nouvelles pratiques se sont mis en place dans les communes ces dernières années. En voici quelques exemples :

- organiser régulièrement dans les communes un temps informatif et convivial, dédié à l'accueil des nouveaux habitants ;

- tenir occasionnellement des conseils municipaux « hors les murs » de la mairie ;

- rendre compte annuellement, en réunion publique et localisée dans les quartiers, du mandat de la municipalité et de l'avancée des projets.

Dans ce cadre, nous estimons importante la reconnaissance que la collectivité peut alors témoigner aux citoyens qui s'impliquent dans une action ou un projet aux côtés de l'équipe municipale, par exemple. Loin d'être anecdotique, il s'agit d'un geste fort qui contribue à conforter le pacte social qui est le nôtre. À cet égard, nous jugerions pertinent d'étendre le Compte Engagement Citoyen (CEC) - qui ouvre droit à formation pour les bénévoles associatifs - aux acteurs qui s'impliquent dans la vie de leur cité.

Afin de favoriser la mise en place de ces logiques implicatives et de leur cercle vertueux, certains outils peuvent venir enrichir l'arsenal de l'élu local. Il en est ainsi de la technique dite du jugement majoritaire, qui permet de renouveler la pratique du choix démocratique. Il ne s'agit plus de procéder à un choix alternatif et binaire, mais d'exprimer des préférences. Une telle technique permet de dégager des consensus, ce qui peut être précieux dans le cadre d'un choix d'aménagement controversé ou d'un projet urbanistique sensible pour une collectivité territoriale.

Pour ancrer cette version de la démocratie locale, lui offrir la visibilité qu'elle mérite et diffuser les bonnes pratiques, nous considérons qu'il serait bienvenu d'instaurer des trophées annuels des bonnes pratiques de la démocratie implicative. Ces trophées valoriseraient les initiatives prises par les collectivités territoriales dans ce domaine.

En conclusion, si la démocratie locale a longtemps été cantonnée à la reproduction d'un modèle unique, elle s'ouvre désormais à de nouvelles formes d'expression et de manifestation de la volonté générale. Certes, la démocratie représentative demeure la pierre angulaire de notre système, mais elle subit les contrecoups de la défiance à l'encontre des politiques. Aussi a-t-on assisté à l'irruption à ses côtés, ces dernières années, de la démocratie participative, qui propose un autre mode d'organisation du débat public et invite à revisiter les conditions de la prise de décision par les pouvoirs publics en général, notamment les collectivités territoriales.

Cette orientation participative présentant cependant certaines limites, les collectivités et leurs élus tendent à imaginer des modalités encore différentes pour intéresser et associer le citoyen au débat démocratique. L'objectif consiste alors à sortir de la caricature d'un face-à-face stérile entre l'élu et l'administré, pour entrer dans une relation exigeante, plus mature et équilibrée, nouant un partenariat « gagnant-gagnant » entre ces deux figures indépassables de la démocratie locale que sont l'élu local et le « citoyen-habitant ». Il s'agit de la voie de la démocratie implicative.

Avec Françoise Gatel, nous sommes fermement convaincus que cette forme de démocratie est porteuse de sens et qu'elle doit être encouragée en ce qu'elle ouvre une approche différente, pragmatique et directement opérationnelle pour ramener certains de nos compatriotes, aujourd'hui éloignés des grands choix politiques, dans le jeu de la démocratie, à commencer par le niveau local.

Mme Françoise Gatel, présidente . - En ce qui concerne la démocratie représentative, il est important de faciliter l'adhésion de nos concitoyens à la chose publique. Des outils devraient être mis en place et la culture devrait évoluer.

En particulier, les démarches de déménagement et les démarches administratives devraient être mieux articulées avec l'inscription sur les listes électorales. Dans le projet de loi 3DS, Madame Amélie de Montchalin souhaitait renforcer le principe « dites-le-moi une fois ». Dès lors qu'un citoyen donne une information à une administration, l'information devrait être reprise par toutes les administrations utiles à la vie du citoyen.

Hier, en Commission des lois, nous avons rediscuté de la double procuration, dans le cadre de la proposition de notre collègue Philippe Bonnecarrère et de collègues centristes. J'entends les réserves à ce sujet : la double procuration pourrait inviter des personnes à détourner le vote de sa neutralité. Nous devons toutefois nous intéresser à cette question.

Nous pourrions aussi expertiser le vote par correspondance. Il avait été pratiqué dans notre pays, puis abandonné en raison de problématiques de confidentialité et de respect de la liberté des électeurs.

Lors des dernières élections intermédiaires, la propagande électorale a été livrée tardivement. Nous devons absolument garantir la réception de la propagande électorale une semaine avant le premier tour du scrutin. Pour les élections régionales, un problème s'était aussi posé entre les deux.

Enfin, une partie des assesseurs des bureaux de vote pourrait être tirée au sort parmi les inscrits sur la liste électorale, ce qui aurait pour vertu d'associer étroitement le citoyen à la fabrique du suffrage universel et de lui faire prendre la mesure de la symbolique du bureau de vote. Des citoyens pourraient certes se montrer réticents à ce sujet. Ceci étant, nombreux sont les citoyens qui ne pensent pas à proposer leur participation. Il serait ainsi opportun de les solliciter, sachant que de nombreux maires éprouvent des difficultés à constituer les bureaux de vote.

Par ailleurs, la parité a progressé (les femmes représentent actuellement un peu moins de 20 % des maires, contre 16 % en 2014). Toutefois, elle reste insuffisante. La volonté d'améliorer la parité est désormais, je pense, partagée par les associations d'élus. La question de l'abaissement du nombre d'habitants pour les scrutins de liste est désormais évoquée de manière plus apaisée. Un tel abaissement permettrait d'atteindre la parité et permettrait aussi d'éviter le « bashing » des représentants des communes non concernées par les scrutins de liste.

La question de la parité dans les intercommunalités a été évoquée, dans le cadre de la proposition de loi sur l'engagement et la proximité examinée par le Sénat. Le gouvernement lui-même a indiqué qu'il était très difficile d'atteindre la parité dans les intercommunalités. La représentation de chaque commune est déterminée en fonction du poids de sa population. Les communes ne comptent souvent qu'un représentant. Selon la loi, le représentant doit être le maire, sauf si celui-ci souhaite déléguer sa représentation à un de ses adjoints. Exiger la parité dans les exécutifs pourrait déséquilibrer la composition des intercommunalités : la représentation des plus grandes communes pourrait être renforcée, tandis que celle des plus faibles communes pourrait être affaiblie (celles-ci ne comptent qu'un représentant et le maire est encore très souvent un homme).

L'enjeu est d'encourager les femmes à devenir maires.

Les lignes directrices pour les travaux de contrôles issues des propositions de notre collègue Pascale Gruny nous amènent à soumettre ses propositions à la sagacité de nos collègues.

Mme Catherine Di Folco . - Merci Madame la Présidente pour le travail réalisé. J'ai pris connaissance du tableau qui reprend vos 23 préconisations.

Il me semble que la démocratie implicative s'exerce déjà, notamment à travers la vie associative. Dans les territoires ruraux, c'est d'abord au sein des associations que les citoyens s'engagent. Souvent les citoyens s'impliquent ensuite au sein du conseil municipal. En effet, nous nous adressons fréquemment à ces citoyens quand nous constituons une liste pour les prochaines élections municipales. Le milieu associatif constitue un vivier de personnes impliquées.

Je ne sais pas si ce point pourrait apparaître dans vos travaux.

M. Jean-Michel Houllegatte, corapporteur . - Merci pour cette réflexion. Le sujet n'est toujours pas épuisé. Plusieurs institutions s'y intéressent. Nos collègues députés ont réalisé un rapport d'information intitulé « Renforcer la participation électorale et la confiance dans la démocratie représentative ».

Nos collègues du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sont, eux, en train de mener une mission sur l'engagement de la vie associative. Ils estiment que cet engagement est peut-être le premier pas de l'engagement citoyen.

À travers l'usage du concept de démocratie implicative, nous souhaitons mettre en avant l'appropriation par les citoyens de leur cadre de vie. Dans le cadre de la politique de la ville, des « diagnostics en marchant » sont réalisés. Ils permettent aux habitants et aux élus de découvrir ensemble leur cadre de vie. Nous souhaiterions aussi que les citoyens s'approprient un espace relationnel de proximité. Dans les quartiers, toutes les personnes ne se connaissent pas. Nous souhaitons favoriser les relations de voisinage. In fine, l'objectif est que les citoyens adhèrent à un système de valeurs communes et partagent les valeurs de la République.

Nous souhaitons favoriser les engagements complémentaires aux engagements associatifs.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Il existe un écosystème actif dans les territoires. La chose publique est fabriquée par les élus bénévoles et par les personnes engagées dans la vie associative. Les activités sportives et culturelles proposées aux enfants par les associations permettent de renforcer la vie sociale.

Toutefois, nous proposons un dispositif complémentaire. Des personnes n'ont pas le temps de s'engager ou n'y pensent pas. Ceci étant, certaines d'entre elles pourraient se tourner vers la chose publique en raison de leurs propres centres d'intérêt. Par exemple, dans le cadre de l'établissement d'un plan vélo, un diagnostic pourrait être partagé par la commune, l'association de cyclistes et les personnes qui se déplacent en vélo. La participation des personnes à un projet spécifique pourrait éveiller leur esprit citoyen.

Les citoyens pourraient aussi participer à la rénovation de l'espace public. Dans ma commune, alors que nous rénovions une rue, trois habitants ont fait part de leur souhait de participer au choix des plantations et à leur entretien. Nous avons alors créé le « Jardinons citoyen ». Dans la rue concernée, qui compte 40 habitations, 30 personnes participent une fois par mois à la matinée « Jardinons citoyen ». Elles enlèvent les mauvaises herbes, puis déjeunent ensemble. Par ailleurs, les nouveaux habitants participent bien volontiers à cette initiative mise en place il y a plusieurs années. En outre, certains des habitants concernés se sont engagés dans la vie associative, puis dans le conseil municipal.

Nous souhaitons ainsi donner aux citoyens des occasions de « faire » et de « fabriquer ». Les « diseurs » et les « faiseurs » sont distingués, car s'il est important que chacun puisse « faire entendre sa voix », la possibilité de « faire » offerte aux citoyens représente une grande valeur citoyenne.

En tout cas, l'engagement associatif et celui des élus comptent parmi les fondements de la vie citoyenne.

M. Jean-Michel Houllegatte, corapporteur . - Le titre du rapport du CESE est précisément « L'engagement bénévole, indispensable facteur de cohésion sociale et de citoyenneté ». Notons que les associations rencontrent actuellement des difficultés à mobiliser des bénévoles.

Mme Agnès Canayer . - Je vous félicite pour les travaux réalisés sur l'implication de nos concitoyens. Je pense aussi que c'est l'engagement par le « faire » qui permettra d'impliquer au mieux les citoyens. D'ailleurs, nous sommes nombreux dans cette assemblée à nous engager dans la vie associative.

Ceci étant, je suis dubitative quant aux questions du tirage au sort. Nous avons tenté la mise en place du tirage au sort pour les conseils citoyens, dans le cadre de la politique de la Ville. Les résultats des tests n'ont jamais été très probants. Je serais davantage favorable à l'engagement volontaire et à la reconnaissance de la place des bénévoles, sachant que nos associations rencontrent en effet des difficultés.

Pour favoriser l'éducation à la citoyenneté, des passerelles devraient être créées entre les écoles et les institutions. Les élus locaux devraient se rendre dans les écoles pour expliquer leur travail. De même, les écoles devraient visiter les mairies.

Mme Françoise Gatel, présidente . - L'intéressement à la démocratie est lié à notre éducation. Chacun devrait être intéressé par l'action publique, qui concerne des moments essentielles de notre vie (la petite enfance, l'éducation, la mobilité...). Le gène de l'appartenance à une communauté devrait être introduit à l'école et dans la famille. Quand la famille est engagée sur le plan associatif ou citoyen, l'engagement fait partie de la culture des enfants.

Si la famille ne s'engage pas dans la communauté, elle doit toutefois porter un regard respectueux sur la chose publique et ne pas prendre l'attitude d'un consommateur. La mairie ne doit pas être critiquée dans le cercle familial.

Par ailleurs, l'éducation civique est obligatoire à l'école.

De nombreuses communes comptent des conseils des jeunes. Ces conseils permettent de créer des liens entre les élus adultes et les enfants. Ils fonctionnent sur la base du volontariat et de l'engagement des élus et des écoles. Ils sont particulièrement riches quand ils sont portés par des enseignants qui travaillent en étroite collaboration avec la mairie. Nous devons encourager les initiatives de ce type à l'école, afin de développer le sentiment d'appartenance à une communauté. Des enseignants proposent à des classes de visiter l'Assemblée nationale ou le Sénat ou invitent des élus jeunes.

Pour construire une démocratie active, le virus de la démocratie doit être inoculé chez les jeunes.

M. Jean-Michel Houllegatte, corapporteur . - Nos collègues de l'Assemblée nationale ont émis plusieurs propositions, notamment la proposition 22 - renforcer l'éducation à la citoyenneté dans le parcours scolaire.

Depuis quasiment vingt ans, aucune loi sur la démocratie locale ou sur la manière de la vivifier n'a été publiée. La loi dite « Vaillant », qui a mis en place les conseils de quartier, date de 2002. Compte tenu des travaux en cours à l'Assemblée nationale et au Sénat, des évolutions pourraient être apportées dans les prochaines années.

M. Guy Benarroche. - Merci pour vos travaux. La question de la démocratie sera de plus en plus préoccupante. La recherche de solutions est toujours la bienvenue. Nous devons être ouverts à toutes les propositions, sachant que nous avons déjà reçu des maires qui proposaient des solutions originales.

Les dispositifs mis en place pour favoriser la démocratie citoyenne ne fonctionnent pas toujours. Dans ma commune, la mise en place des conseils des jeunes, il y a quinze ans, n'a pas permis d'augmenter la participation électorale.

Les « faiseurs » et les « diseurs » sont distingués. Toutefois, certaines personnes réalisent des actions, dans le cadre de leur vie personnelle, mais pas dans le cadre de la vie politique. Lors de mon parcours écologiste, j'ai constaté que de nombreuses personnes ont changé leur vie personnelle et leur rapport à leur société. Elles mènent des actions, mais pas au niveau du pays, de la commune ou du département, parce qu'elles ne font plus confiance à l'action publique pour changer leur vie. La politique et la commune sont considérées comme des biens de consommation. Dans notre société, tous les sujets (la santé, la sexualité, la politique...) sont considérés comme des biens de consommation. Tant que cette conception perdurera, il sera difficile de lutter uniquement dans le domaine politique.

Mme Françoise Gatel, présidente . - La démocratie ne sera pas revivifiée par la loi.

Si le vote devient obligatoire, le taux de participation aux élections sera bien sûr élevé. Toutefois, le sentiment d'appartenance à la communauté ne sera pas forcément accru. La démocratie doit être portée, sur le territoire, par les familles, les élus, les écoles et les associations.

Notre rapport à la société est en effet un rapport de consommation. Le remède est dans l'amélioration de l'efficacité de l'action publique. Les personnes auront confiance en elle une fois que les élus réaliseront des actions qui servent les citoyens.

La gratuité des services ne permet pas de responsabiliser les citoyens. Chacun doit contribuer à la vie de la commune, sans remettre en cause le principe de la solidarité.

M. Jean-Michel Houllegatte, corapporteur . - Nous devons distinguer les lieux et les liens.

La commune est notre lieu d'habitation. À partir de notre lieu d'habitation, des liens doivent être créés et partagés autour des valeurs républicaines.

Actuellement, nous privilégions les liens, notamment des liens virtuels, qui créent d'autres lieux, externes à la commune.

Nous souhaitons réhabiliter le terme « habitat ». L'habitat n'est pas seulement le lieu où nous habitons, il est aussi l'endroit où nous exerçons notre citoyenneté.

Nous avons insisté, dans nos travaux, sur la nécessité de reconnaître les personnes qui s'impliquent quotidiennement dans des actions et qui créent des liens.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Je vous propose d'adopter nos propositions. Êtes-vous favorables à ce que nous votions sur l'ensemble des propositions, plutôt que sur chaque proposition ? Puis-je considérer que ces propositions font consensus ?

Les membres de la délégation se prononcent en faveur d'un vote global.

Les propositions sont adoptées à l'unanimité.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mercredi 3 novembre 2021

• Elodie JACQUIER-LAFORGE et Raphaël SCHELLENBERGER,

députés, suite à leur rapport d'information flash sur « la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal ».

Jeudi 4 novembre 2021

• Table ronde sur « les élus aujourd'hui »

M. Martial FOUCAULT, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) ;

M. Olivier ROUQUAN, chercheur en sciences politiques.

Jeudi 2 décembre 2021

• Mme Katharina ZUEGEL, co-directrice du Think tank « Décider ensemble » ;

• Table ronde sur « les médias et la démocratie locale »

M. François-Xavier LEFRANC, rédacteur en chef du journal « Ouest-France » ;

M. Luc BRONNER, grand reporter au journal « Le Monde ».

Jeudi 9 décembre 2021

• Table ronde sur « la parité dans les exécutifs locaux »

Mme Cécile GALLIEN, maire de Vorey (Haute-Loire) et référente du groupe de travail pour la promotion des femmes dans les exécutifs locaux à l'Association des Maires de France (AMF) ;

Mmes Danièle BOUCHOULE et Reine LEPINAY, coprésidentes de l'association « Elles aussi » ;

Mme Nadine KERSAUDY, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) en charge de la parité.

Jeudi 16 décembre 2021

• Table ronde sur « comment les collectivités territoriales redynamisent-elles l'engagement citoyen au niveau local ? »

M. Yvan LUBRANESKI, maire de Les Molières, vice-président de l'AMRF et président des Maires ruraux de France en Essonne ;

MM. Hervé CHARNALET, maire d'Orgeval et Éric BERDOATI, maire de Saint-Cloud, représentants de l'Association des maires d'Île-de-France (AMIF) ;

M. Gilles MENTRE, co-fondateur de l'association Electis.

Mercredi 19 janvier 2022

• Echange de vues avec la mission d'information du Sénat sur « comment redynamiser la culture citoyenne ? »

MM. Stéphane PIEDNOIR et Henri CABANEL, sénateurs et, respectivement, président et rapporteur de la mission d'information.


* 1 Source ministère de l'Intérieur.

* 2 Source : enquête du CEVIPOF précitée.

* 3 Assemblée nationale, rapport d'information n° 4970 (2021-2022).

* 4 Février 2022.

* 5 Rapport d'information sur les modalités d'inscription sur les listes électorales, Assemblée nationale, n° 2473 (2014-2015).

* 6 La loi prévoyait également la venue à domicile du commissariat ou de la gendarmerie pour établir la procuration.

* 7 Sénat, rapport d'information n° 240 (2020-2021).

* 8 Anne Hidalgo pour Paris, Michèle Rubirola pour Marseille, Jeanne Barseghian à Strasbourg, Martine Aubry à Lille et Johanna Rolland à Nantes.

* 9 Les résultats définitifs de cette étude devraient être connus dans le courant de l'année.

* 10 Proposition de loi n° 451 (2021-2022).

* 11 À la suite de cette loi, deux circulaires ont été adressées par le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, aux parquets afin que ceux-ci portent une attention particulière aux agressions à l'encontre des élus et aux plaintes qu'ils déposent :

- la circulaire du 6 novembre 2019 relative au traitement judiciaire des infractions commises à l'encontre des personnes investies d'un mandat électif et au renforcement des échanges d'informations entre les élus locaux et les procureurs de la République ;

- la circulaire du 7 septembre 2020 visant à renforcer le suivi judiciaire des auteurs d'infractions commises à l'encontre des élus locaux.

* 12 Sénat, rapport d'information n° 642 (2017-2018).

* 13 Cf. site internet de Sciences Po Lyon, rubrique « formations des élus ».

* 14 Soutenus par l'Agence nationale de cohésion territoriale (ANCT) et divers partenaires locaux, les Centres de ressources de la politique de la ville sont répartis régionalement sur tout le territoire et ont vocation « à faciliter et à qualifier l'action des professionnels de la ville » (cf. site cohesion-territoires.gouv.fr).

* 15 https://www.commission-des-sondages.fr/hist/communiques/communique-sondages-elections-presidentielles-28-octobre-2021.htm

* 16 Cf. Gilles Mentré, « Démocratie, rendons le vote aux citoyens », (p. 163).

* 17 Source : direction générale des collectivités locales (DGCL).

* 18 Cf. « Génération engagée » (VA Éditions) de Grégoire Cazcarra et Léna Van Nieuwenhuyse. Les auteurs y estiment notamment que « notre génération s'agace de la langue de bois, veut de la spontanéité ».

* 19 Avis de décembre 2021.

* 20 https://i-cpc.org/document/levaluation-de-la-participation-principes-et-recommandations/

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