II. RÉPONDRE À L'URGENCE SÉCURITAIRE

A. ENCOURAGER LA PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE

1. Faute de réponse adaptée des pouvoirs publics, la prévention de la délinquance ne saurait être laissée aux citoyens

La répétition ininterrompue des violences au sein de l'île a conduit les Mahorais à exprimer leur lassitude dans le cadre d'un mouvement social d'ampleur aux mois de février et mars 2018. Grève générale et opération « île morte » avaient à l'époque attiré l'attention sur le mal-être des Mahorais.

Le mouvement social du printemps 2018

À la suite de violences, et notamment de caillassages entre bandes rivales en janvier et février 2018 au lycée de Kahani, des enseignants puis des conducteurs de bus scolaires exercent leur droit de retrait les 7 et 8 février 2018 dans le contexte de manifestations de plus en plus nombreuses.

Réclamant une lutte plus énergique contre l'insécurité et, plus généralement, un rapprochement des conditions de vie des Mahorais de celles ayant cours dans l'Hexagone, le mouvement de contestation s'amplifie jusqu'à prendre la forme de grèves à partir du 20 février 2018. Le mouvement se mue ensuite en grève générale, les élus départementaux et municipaux affichant leur soutien au mouvement le 5 mars 2018 en annonçant que leurs services demeureraient fermés à compter du lendemain.

La constitution de barrages routiers et les appels à des opérations « île morte » conduisent progressivement le territoire à l'arrêt. Face à la gravité de la situation, la ministre des outre-mer, alors Annick Girardin, se déplace, « mandatée par le Président de la République », à Mayotte le 12 mars 2018. Le préfet Frédéric Veaux est remplacé par Dominique Sorain, jusqu'alors directeur de cabinet de la ministre, chargé au surplus d'animer en tant que délégué du Gouvernement une équipe interministérielle chargée de proposer des solutions à la crise.

Alors que les barrages, qui rendaient pratiquement impossible toute vie économique sur l'île, sont progressivement levés au début du mois d'avril 2018, le Premier ministre Édouard Philippe reçoit les élus mahorais et annonce le 19 avril un « plan pour l'avenir » de Mayotte, dont les contours sont détaillés par la ministre Annick Girardin le 15 mai 2018 à Mayotte, prévoyant notamment la création d'une agence régionale de santé (ARS) de plein exercice et l'augmentation des moyens alloués aux forces de l'ordre et à la lutte contre l'immigration illégale.

À la suite de ce mouvement social d'ampleur, des groupes d'auto-défense visant à prévenir les actes de délinquance se sont constitués , généralement regroupés sous la dénomination de « gilets jaunes ». Ces groupes d'auto-défense, qui réapparaissent régulièrement dans l'actualité mahoraise, constituent une réponse spontanée au sentiment d'abandon par les pouvoirs publics ressenti par des Mahorais à bout de patience.

Pour compréhensibles qu'elles soient, ces initiatives n'en sont pas moins problématiques . En premier lieu, elles remettent en cause la légitimité des seuls pouvoirs publics à intervenir dans un État de droit pour faire cesser les atteintes à l'ordre public, et contribuent à nourrir le sentiment que les forces de l'ordre ne seraient pas en mesure d'assurer leurs missions. Une telle situation n'est évidemment pas acceptable.

En second lieu, elles peuvent compliquer le travail concret des forces de l'ordre . En effet, les agissements de tels groupes, y compris en riposte à des agressions, peuvent se traduire par la commission d'infractions 51 ( * ) . D'une part, ils contribuent ce faisant à un phénomène d'escalade, qui se traduit par une surcharge de travail pour les forces de l'ordre . D'autre part, il peut être mal compris par l'opinion qu'une personne qu'elle perçoit comme victime fasse l'objet de l'attention des forces de l'ordre au même titre qu'une personne qu'elle perçoit comme agresseur.

Le développement de ces initiatives doit donc être maitrisé, sans négliger l'intérêt de la participation des Mahorais à la prévention des actes de délinquance quotidienne en alertant les forces de l'ordre dès qu'ils constatent des situations de danger ou d'atteintes à l'ordre public.

2. Poursuivre le développement récent de plusieurs dispositifs de prévention de la délinquance

Les pouvoirs publics ont récemment développé plusieurs dispositifs de prévention de la délinquance. Ceux-ci sont tout particulièrement concentrés autour des établissements scolaires. Lors de sa visite sur place, la mission a ainsi pu constater l'efficacité de plusieurs dispositifs .

En premier lieu, le colonel Olivier Capelle, commandant de la gendarmerie à Mayotte, a fait valoir auprès de la mission l'intérêt du dispositif dit des « élèves-pairs » , qui permet d'établir un canal de communication entre les gendarmes et certains élèves d'un établissement scolaire. Formés, ces « élèves-relais » sont chargés de recueillir le ressenti de certains de leurs pairs lorsque ceux-ci éprouvent des difficultés à l'exprimer auprès d'un adulte. Associant le conseiller principal d'éducation (CPE), ce dispositif, qui n'est pas spécifique à Mayotte 52 ( * ) , rend les élèves acteurs de leur sécurité et offre aux forces de l'ordre la possibilité de recueillir des informations sur d'éventuelles sources d'insécurité.

En second lieu, la mission a pu constater l'intérêt des classes dites « défense et sécurité globale », mises en place par le rectorat de l'académie de Mayotte.

Rencontre entre une classe « défense » et la mission au collège Zakia Madi de Dembéni, en présence du recteur, Gilles Halbout,
et du maire de Dembéni, Saïdi Moudjibou

Source : commission des lois du Sénat

Ces classes, créées dans l'académie de Nice en 2005, ont progressivement vu leur rôle reconnu, jusqu'à faire partie intégrante du protocole interministériel visant à développer les liens entre la jeunesse, la défense et la sécurité nationale du 20 mai 2016 53 ( * ) . Le 30 octobre 2017, la signature par le vice-rectorat et le Détachement de légion étrangère de Mayotte (DLEM) d'une convention de partenariat a permis l'instauration d'une première « classe défense » à Mayotte au collège Zakia Madi de Dembéni. L'ouverture récente en octobre 2021 d'une troisième classe au collège Bouéni M'Titi à Dzaoudzi 54 ( * ) démontre la pertinence d'un dispositif qui permet de resserrer concrètement les liens entre les forces de sécurité et les jeunes Mahorais.

En troisième lieu, Jérôme Millet, secrétaire général adjoint de la préfecture de Mayotte, a présenté à la mission sur place le dispositif des groupes de médiation citoyenne (GMC) . Ces structures, qui associent les services de l'État, le conseil départemental et six associations partenaires, s'appuient sur des « adultes relais », recrutés dans le cadre de contrats aidés « parcours emploi compétences » de trois ans, qui jouent le rôle de médiateurs déployés dans les zones criminogènes. Ces médiateurs, dont l'insertion professionnelle ultérieure est facilitée par l'expérience ainsi acquise, ont un rôle de médiation sociale, en « éteignant les éruptions de violence ». L'avantage escompté pour les forces de l'ordre est, outre la remontée d'informations utiles via des contacts identifiés au plus proche du terrain, de nature opérationnelle : le déploiement ponctuel de médiateurs le long des itinéraires des bus scolaires permet ainsi d'en prévenir, dans une certaine mesure, le caillassage. Ces groupes permettent donc de diminuer le niveau de violence et de lutter, pour les adultes qui y prennent part, contre l'oisiveté. Ils constituent ainsi un outil utile de prévention de la délinquance.

En dernier lieu, le régiment du service militaire adapté (RSMA), implanté à Combani, constitue un outil extrêmement efficace d'insertion socioprofessionnelle pour des jeunes Français de 18 à 25 ans, habitant à Mayotte et éloignés de l'emploi, soit faute de tout diplôme, soit disposant d'un diplôme ne leur permettant pas de trouver un emploi. En cas de catastrophe naturelle, le RSMA contribue également, en renfort des forces armées éventuellement mobilisées, aux plans de secours. Par ailleurs, le RSMA contribue à la valorisation du département, en participant à certains chantiers, notamment au profit des collectivités territoriales. En offrant une alternative à l'oisiveté à des jeunes ne disposant pas de débouchés professionnels immédiats, le RSMA lutte donc efficacement contre la délinquance juvénile. À titre d'exemple, le dispositif dit des « cadets citoyens », mis en oeuvre conjointement avec le commandement de gendarmerie de Pamandzi, avec le soutien du fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (FIPD) et le conseil départemental, a été souligné comme particulièrement efficace. À cet égard, l'annonce par les ministres Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu d'une allocation de 10 millions d'euros supplémentaires et la création d'une nouvelle compagnie du régiment du service militaire adapté (RSMA) à Mayotte apparaît comme une reconnaissance particulièrement bienvenue du travail accompli par le RSMA.

Proposition n° 1 : Développer les initiatives des pouvoirs publics en matière de prévention de la délinquance afin de ne pas laisser cette prévention à des groupes d'auto-défense.


* 51 À titre d'exemple, un automobiliste a récemment été placé en garde à vue au commissariat de Mamoudzou pour blessures involontaires après avoir dirigé, à la suite d'une agression, son véhicule en direction d'un groupe de jeunes, renversant deux jeunes hommes. Ce fait divers, qui a défrayé la chronique mahoraise, a conduit à une manifestation de soutien à l'homme gardé à vue devant le commissariat. Voir pour plus d'informations : Victime d'agression, il renverse et blesse ses agresseurs - Mayotte la 1ère (francetvinfo.fr) .

* 52 Il est notamment présent en Martinique.

* 53 Ce protocole, signé par les ministres de la défense, de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt le 20 mai 2016, est consultable à l'adresse suivante : https://www.education.gouv.fr/bo/16/Hebdo26/MENE1600477X.htm .

* 54 Ce sont les forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI) et non la légion étrangère qui jouent le rôle d'interlocuteur des jeunes dans le cadre de cette troisième classe. La deuxième convention avait été signée entre les autorités de la police nationale et de la gendarmerie et le collège de Kaweni 2, dit « K2 ».

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