EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 6 octobre 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Emmanuel Capus et de Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteurs spéciaux, sur la situation et l'action des missions locales dans le contexte de la crise sanitaire.

M. Claude Raynal , président . - Nous passons à la présentation des résultats des travaux de contrôle budgétaire sur la situation et l'action des missions locales dans le contexte de la crise sanitaire, conduits par les rapporteurs spéciaux de la mission « Travail et emploi », Emmanuel Capus et Sophie Taillé-Polian.

M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - Nous vous présentons ce matin, avec Sophie Taillé-Polian, les conclusions de nos travaux de contrôle budgétaire sur la situation et l'action des missions locales dans le contexte de la crise sanitaire.

Le rapport que nos collègues François Patriat et Jean-Claude Requier avaient remis en 2017 sur les missions locales dressait un bilan plutôt favorable de l'action de ces dernières en faveur de l'insertion des jeunes les plus en difficulté. Bien que ces travaux soient assez récents, nous avons considéré que la crise sanitaire, dont les jeunes sont parmi les premières victimes, justifie de se pencher de nouveau sur le sujet. Cela a constitué pour nous l'occasion d'assurer un suivi de certaines recommandations formulées par nos prédécesseurs et d'en émettre de nouvelles.

Les missions locales ont été créées en 1982. Elles constituent, avec Pôle emploi et les Cap emploi, l'un des trois principaux réseaux du service public de l'emploi. Elles ont vocation à accueillir tout jeune de 16 à 25 ans rencontrant des difficultés particulières d'accès à l'emploi ; il y en avait 1,3 million fin 2020.

L'action des missions est spécifiquement tournée vers ceux qui ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation, soit la majorité des jeunes accueillis. Elle s'articule autour du parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea). La Garantie jeunes, mieux connue, constitue la modalité la plus intensive de ces parcours et présente la particularité de permettre le bénéfice d'une allocation mensuelle.

Les missions locales, constituées sous forme associative ou de groupement d'intérêt public (GIP), bénéficient de multiples sources de financement, au risque d'ailleurs d'un certain éclatement. L'État reste de loin leur principal financeur. Sa contribution, qui s'élevait à 339 millions d'euros en 2020, est très fortement dynamique, du fait de la montée en puissance de la Garantie jeunes, dont près de 90 000 jeunes bénéficiaient fin 2020. Néanmoins, cela masque une attrition des moyens structurels de fonctionnement des missions locales depuis 2018. Nous recommandons que ces moyens structurels soient désormais stabilisés, afin que les nombreuses missions qui leur sont confiées puissent continuer d'être exercées dans de bonnes conditions. C'est d'autant plus important que l'épreuve de la crise est particulièrement brutale pour les jeunes aux plans matériel, moral, sanitaire comme au plan de l'accès à l'emploi. Les missions locales paraissent donc plus indispensables que jamais.

Dans l'ensemble, en dépit des confinements, les missions locales sont parvenues à maintenir le contact avec les jeunes qu'elles suivaient. Selon une enquête de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) de mai 2020, près d'une mission locale sur deux assurait être parvenue à maintenir le contact avec au moins 80 % des jeunes qu'elle accompagnait. Seulement une mission locale sur dix déclarait n'avoir pu maintenir le contact qu'avec 10 à 50 % d'entre eux.

La qualité du lien d'accompagnement s'est cependant nettement dégradée du fait du recours imposé à des modalités d'accompagnement à distance. Ont ainsi été constatées certaines difficultés liées à des carences d'équipements, à des problèmes de connexion, à un manque de connaissance de ces outils ou à des conditions de confinement mal adaptées. Ces difficultés étaient le plus souvent liées à la situation du jeune, mais parfois également à l'équipement des conseillers des missions locales.

Du fait de la fermeture de nombre de structures, les entrées en Pacea et en Garantie jeunes se sont pratiquement interrompues au printemps 2020. Un rattrapage a eu lieu à l'automne. Les résultats ont finalement été proches de ceux de l'année 2019.

Désormais, nous attendons que les missions locales participent pleinement à la mise en oeuvre du plan de relance. Des objectifs extrêmement ambitieux, notamment un doublement des entrées annuelles en garantie jeunes, ont été fixés. Ils ne paraissent que difficilement atteignables, mais contribuent à enclencher une dynamique positive.

Des moyens exceptionnels ont été alloués, représentant une rallonge budgétaire d'environ 50 % de leur dotation annuelle. Nous alertons sur le fait que leur utilisation pourrait être source de problèmes de gestion pour les missions locales. Celles-ci ont en effet dû procéder à des recrutements en contrats à durée déterminée, voire à des agrandissements temporaires de locaux. Ainsi, une trop brusque « réduction de la voilure » budgétaire pourrait les fragiliser financièrement. Nous recommandons donc de dresser dès que possible un bilan de l'utilisation de ces moyens supplémentaires exceptionnels, afin d'adapter progressivement l'enveloppe allouée aux missions locales en fonction des contraintes de gestion que le surcroît d'activité imposé par la crise a générées.

Nous dénonçons également la multiplication des dispositifs et des acteurs du plan « 1 jeune, 1 solution », au risque d'une certaine dispersion de l'action publique.

Outre la Garantie jeunes, le plan de relance prévoit de développer massivement les contrats aidés.

Nous relevons un risque réel de concurrence entre les dispositifs, source de perte d'efficacité. Le dispositif d'accompagnement intensif des jeunes (AIJ) de Pôle emploi et le Pacea sont très proches et leurs modalités d'articulation sont inutilement complexes. Nous préconisons de clarifier la répartition des publics entre Pôle emploi et les missions locales, en réservant la prise en charge des jeunes ayant des difficultés particulières d'insertion sur le marché du travail à ces dernières, qui disposent de la plus grande expertise à l'égard des publics concernés.

De ce point de vue, on peut relever que le « revenu d'engagement » pour les jeunes annoncé par le Président de la République, dont les contours précis sont encore totalement inconnus, pourrait limiter les phénomènes de concurrence, en harmonisant les conditions d'accès à une aide financière pour les jeunes en parcours d'insertion, afin de leur permettre de s'orienter plus facilement vers l'acteur du service public de l'emploi ou le dispositif le plus adapté à leurs besoins et projets.

Mme Sophie Taillé-Polian , rapporteure spéciale . - L'analyse de la situation des missions locales nous a conduits à porter des observations plus structurelles sur leur gouvernance et leur mode de financement.

La gouvernance nationale du réseau des missions locales a connu des évolutions profondes au cours de la dernière décennie, avec le remplacement en 2016 du Conseil national des missions locales (CNML) placé auprès du Premier ministre par le délégué ministériel aux missions locales (DMML), placé auprès du secrétariat général des ministères sociaux. Ce dernier a été supprimé à son tour en 2018, l'essentiel de ses attributions ayant été reprises par l'Union nationale des missions locales (l'UNML) et par la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). La plupart des acteurs auditionnés ont regretté cette suppression, qui s'est faite sans aucune évaluation préalable. Le DMML constituait en effet un interlocuteur bien identifié et précieux par chaque mission locale, notamment pour remonter les revendications au Gouvernement.

L'UNML a su trouver sa place et a indéniablement renforcé son action d'animation du réseau. Néanmoins, l'accroissement de son champ d'intervention n'est pas exempt de limites : toutes les missions locales n'y sont pas forcément adhérentes. Certains syndicats critiquent le fait que l'UNML assure un double rôle d'organisation patronale et de représentant et d'animateur du réseau. Selon nous, une concertation doit s'engager entre l'ensemble des parties prenantes pour remettre à plat la gouvernance et réinstaurer une instance publique nationale, si possible interministérielle, d'animation et de pilotage du réseau.

La question des modalités de financement des missions locales est cruciale. Le financement par l'État des missions locales intègre une logique de performance, réformée en 2019.

Jusqu'en 2018, les missions locales recevaient un financement, au titre de l'accompagnement des publics en garantie jeunes, indexé sur le nombre d'entrées dans le dispositif, sur la base d'un forfait de 1 600 euros par jeune. Depuis 2019, cette logique a été abandonnée au profit d'une logique de performance plus large. Les nouvelles directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) sont désormais tenues d'organiser chaque année un dialogue de gestion avec chaque mission locale relevant de leur zone géographique, pour faire un bilan de l'année précédente et déterminer les objectifs de l'année en cours sur 10 indicateurs clés. L'atteinte des objectifs dans ce cadre conditionne l'attribution d'une part variable de leur dotation annuelle, soit 10 % de l'enveloppe. Cette part peut sembler faible mais elle n'est pas négligeable compte tenu du budget très serré des missions locales.

Ce dispositif soulève un certain nombre de critiques.

La démarche de performance repose sur la classification des missions locales du réseau en vingt groupes homogènes, sur la base de critères objectifs. Ce système a évidemment sa légitimité, car il permet de fixer des objectifs pertinents et réalistes aux structures. Cependant, de nombreux acteurs auditionnés ont relevé que ce système avait également pour effet pervers d'induire une forme de mise en concurrence entre les missions locales. Sans revenir sur le principe de classification, nous préconisons tout de même que le dialogue de gestion s'attache à laisser davantage de place, en parallèle et dans une logique plus individualisée, à la prise en compte des progrès réalisés au fil du temps par une même mission locale.

Le principal problème est néanmoins ailleurs. Pour la plupart des acteurs auditionnés, la liste des indicateurs retenue tend à privilégier exagérément les objectifs de retour immédiat à l'emploi. Cela ne reflète qu'imparfaitement la vocation historique des missions locales : proposer un accompagnement plus global des jeunes, dans un objectif d'autonomie et d'émancipation. Une tension grandissante se fait jour entre l'esprit initial de création des missions locales et une conception de plus en plus stricte de l'insertion professionnelle, au risque de faire évoluer le modèle original de la mission locale vers une forme de « Pôle emploi jeunes ». D'ailleurs, cela se reflète dans le mode de gouvernance. Ce constat est d'autant plus problématique que la crise sanitaire et économique a fragilisé la situation des jeunes. Ceux-ci ont plus que jamais besoin d'un accompagnement global partant de leurs besoins concrets, impliquant de mobiliser l'ensemble des ministères sociaux.

L'évaluation de l'efficacité de l'action des missions locales doit aussi se fonder sur une approche plus large. Cela vaut, par exemple, pour l'évaluation des « sorties positives » du parcours d'accompagnement. En l'état, sont considérées comme positives les seules sorties en emploi ou en alternance, à l'exclusion de toute sortie en formation professionnelle. Selon le ministère, la formation professionnelle faisant partie des outils à mobiliser durant le parcours, elle ne saurait être considérée comme une sortie positive. Cette approche est contestable : la formation professionnelle peut difficilement être appréhendée comme un bloc monolithique. Pour un jeune ayant suivi avec succès une formation dite « préqualifiante » ou « de premier niveau » lors de son Pacea, l'accès à une formation qualifiante de nature à permettre d'accéder à un emploi stable et de qualité doit assurément être considéré comme une sortie « positive ».

Le dispositif de performance appliqué aux missions locales constitue une forme de dévoiement de l'esprit de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), puisque la logique de résultats est ici conjuguée à une approche strictement ministérielle, à rebours de l'approche interministérielle, décloisonnée et organisée par politiques publiques que la LOLF a entendu impulser.

En effet, le ministère du travail tend à adopter une vision restrictive de la politique de l'emploi. Concernant les publics jeunes, la levée des freins périphériques à l'emploi, par un accompagnement en matière de santé, de logement ou de mobilité, est absolument décisive. C'est la raison pour laquelle la mesure de la performance des missions locales doit laisser une place à l'évaluation de leurs actions en la matière. Nous proposons une évaluation du dialogue de gestion. En ce sens, la question du financement rejoint celle de la gouvernance.

Il convient de tirer parti de la création des Dreets afin de mieux croiser les approches de l'insertion sociale et de l'insertion professionnelle.

Il faudrait également, comme l'avaient préconisé François Patriat et Jean-Claude Requier, généraliser à l'échelon local la tenue de conférences des financeurs, pour créer les conditions d'un dialogue de gestion où chaque collectivité concernée apporterait ses compétences : la région en matière d'orientation et de formation, les départements en matière d'action sociale.

On le voit aujourd'hui, le financement des missions locales reste encore très dépendant du financement des collectivités territoriales. Un tour de table général permettrait aux missions locales d'aborder leur développement de manière plus apaisée et assurerait à toutes les collectivités locales la possibilité de créer, sur leurs compétences propres, les clés de la convergence, en vue d'accompagner les jeunes vers l'autonomie.

Mme Frédérique Puissat , rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales . - Ce rapport nous permet de faire un point d'étape avant l'examen du projet de loi de finances (PLF). Concernant la Garantie jeunes, pour laquelle les objectifs d'entrée ont été doublés dans le cadre du plan de relance, le dimensionnement des structures a souvent posé question et nécessitait quelquefois d'être adapté.

Certaines des structures mises en place sur le territoire ont plus de places que de jeunes, notamment l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Epide), dont le fonctionnement a d'ailleurs un coût significatif. Vous affirmez que le revenu d'engagement est mort-né. Je ne sais pas s'il est mort ; en tout cas, il n'est pas né ! Il semble souhaitable de maintenir a minima un lien en matière financière, de sorte que les dispositifs ne se fassent pas concurrence, ce qui porterait préjudice aux jeunes.

Enfin, les dispositifs mis en oeuvre par les missions locales soulèvent certaines questions. Hier, j'ai échangé avec les représentants du groupe Burger King France. Alors que l'entreprise crée 3 000 emplois de plus chaque année, elle peine à recruter, notamment les jeunes. Selon les représentants du groupe, les missions locales ne constituent pas forcément le meilleur dispositif ; l'aide à l'apprentissage, entre autres, est préférable, en ce qu'elle facilite le recrutement.

Un arbitrage doit être fait, notamment sur les fonds accordés aux missions locales, dans la perspective d'une dégressivité lente des aides apportées dans le cadre du plan de relance, visant à amortir le choc de la sortie de crise. J'espère que, lors de l'examen du PLF, nous trouverons un accord avec les rapporteurs de la commission des finances.

M. Claude Raynal , président. - Trop de consensus tue la politique, madame !

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je veux remercier Mme Taillé-Polian et M. Capus de ce rapport. Il y a quelques années, le modèle des missions locales a pu parfois être remis en cause. Finalement, il n'en est rien, et les missions locales ont même été renforcées.

Beaucoup de structures coexistent : Pôle emploi, les missions locales et, pour ce qui concerne la formation, les régions. Dans la région Grand Est, bon nombre de jeunes passent à côté des dispositifs ou n'y sont pas éligibles. N'existe-t-il pas des dispositifs plus « courts » permettant de garantir l'accès à l'emploi des jeunes éloignés du travail ? Des dispositifs de ce genre peuvent être proposés dans les régions ; ils sont plus ciblés et offrent des formations suivies d'emploi. Il est nécessaire de procéder à des arbitrages : la surabondance des dispositifs nuit à leur efficacité et consomme beaucoup d'argent public.

M. Claude Raynal , président . - Votre rapport ne fait pas état de difficultés financières particulières. J'entends vos préoccupations quant aux modalités d'articulation des apports des départements et des régions avec les crédits de l'État, et les difficultés générées par ces circuits de financements fonctionnant « en silo ». Ce sujet du multi-financement revient sans cesse...

Lors de l'examen du PLF de l'an dernier, ma collègue Agnès Canayer et moi-même avions défendu l'augmentation des fonds dévolus aux missions locales. Votre rapport n'aborde pas ce point. Cela signifie-t-il que le Gouvernement, in fine , a eu raison de passer outre notre demande ?

M. Antoine Lefèvre . - Je souscris aux propositions de nos rapporteurs, notamment à celles qui visent à stabiliser les dispositifs existants ; il est temps d'y mettre de l'ordre. Je veux, moi aussi, souligner le rôle essentiel qu'ont joué les missions locales à l'occasion de la crise sanitaire, d'autant que cela a été peu médiatisé. Beaucoup de ces missions ont tenu à l'organisation de leurs activités en présentiel, tandis que Pôle emploi a privilégié le télétravail.

Il faut revenir à une gouvernance plus centralisée. Je souscris à la proposition des rapporteurs de confier la gestion de l'ensemble des dispositifs ciblés sur les jeunes en difficulté d'insertion aux missions locales : cela apporterait de la lisibilité.

Quel est l'avenir du revenu d'engagement ? Je m'interroge sur les effets de seuil qui pourraient conduire certains jeunes à quitter leurs formations pour en bénéficier. Nous devons rester très attentifs à ce sujet. Avez-vous de la visibilité sur le contenu de ce revenu ? Le plan de relance a permis de doubler les places en garantie jeunes. Qu'en sera-t-il à l'avenir ?

M. Jean-Marie Mizzon . - Je remercie également les rapporteurs de la qualité de leurs travaux. Les missions locales ont été créées en 1982 pour répondre à un besoin conjoncturel qui, en fin de compte, est devenu structurel. Les missions locales ont vocation à accueillir les jeunes en difficulté d'insertion dans l'emploi. Ces jeunes, avant de se trouver dans cette situation, étaient en difficulté scolaire. Dès lors, un apprentissage dédié aux jeunes de moins de seize ans ne pourrait-il pas être expérimenté sur certains territoires ? Il permettrait aux jeunes concernés de saisir la chance de se professionnaliser directement via l'apprentissage, sans passer par les missions locales.

M. Éric Jeansannetas . - Je veux rendre hommage aux missions locales, qui, même lors du premier confinement, ont tout fait pour maintenir le lien entre les jeunes. N'oublions pas que les jeunes ciblés sont très éloignés de l'emploi. Le travail demandé aux conseillers est donc considérable.

Pendant le premier confinement, les missions locales n'avaient d'autre choix que de prendre en charge les difficultés globales des jeunes - logement, cohabitation familiale ou sociale difficile... -, revenant ainsi à l'essence du rapport Schwartz de 1981.

Beaucoup d'entre nous sont présidents de missions locales. Nous pouvons parfois avoir le sentiment que celles-ci sont instrumentalisées à la fois par l'État, pour afficher des sorties positives en emploi, et par les régions, pour des sorties en formation. Par le passé, on a même vu l'association Régions de France revendiquer la mainmise sur les missions locales. L'État et les régions ont fini par trouver un consensus...

Certes, il existe beaucoup de dispositifs, mais nous avons tout de même bien éclairci les choses. Votre rapport met en exergue un élément indispensable : la nécessité d'une visibilité sur l'avenir. Le nombre de conseillers des missions locales a augmenté, notamment au titre du plan de relance. On peut s'en réjouir, mais ces conseillers sont recrutés de façon précaire - ils signent parfois des contrats à durée déterminée (CDD) de six mois -, alors qu'ils travaillent eux-mêmes au service de jeunes en grande précarité.

Il sera nécessaire de suivre l'évolution des fonds exceptionnels. Un stop and go mettrait à mal la motivation et l'engagement des conseillers. Or le propre des missions locales, c'est justement de cultiver l'engagement et le militantisme de ces derniers, en faveur des jeunes en difficulté.

Les missions locales restent le dernier endroit on l'on accueille des jeunes ni en études, ni en emploi, ni en formation ( NEET ). Je remercie une fois de plus les rapporteurs de leur avoir rendu hommage ; leur action a été déterminante durant la crise.

Mme Sylvie Vermeillet . - Je salue à mon tour les rapporteurs pour la qualité de leurs travaux et pour reconnaître ainsi l'engagement des conseillers des missions locales. Je connais bien la mission locale de Dole, dans le Jura ; j'ai rencontré des conseillers absolument brillants, qui ont un réseau formidable avec les entreprises et un contact exceptionnel avec les jeunes.

Aujourd'hui, l'heure est à la reprise. Pourtant, on entend beaucoup de chefs d'entreprise se plaindre de ne pas pouvoir recruter de la main d'oeuvre. Au fond, notre pays est-il prêt à accueillir des jeunes ? Beaucoup de jeunes, qu'ils soient ou non diplômés, manifestent le désir de travailler et de trouver un emploi. Nos entreprises auraient-elles du mal à leur faire confiance ?

Mme Christine Lavarde . - On constate qu'un grand nombre d'emplois demeurent non pourvus, notamment dans des domaines qui ne nécessitent pas un niveau d'études supérieures important et pour lesquels une insertion et une formation peuvent être assurées en parallèle - Je pense notamment à des emplois dans les crèches ou encore dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Quelque chose bloque... Le nombre de structures vouées à endosser une fonction sociale d'insertion et d'accompagnement est-il insuffisant ? Il n'y a sans doute pas assez de conseillers capables de jouer ce rôle de tuteur. Au-delà des compétences pratiques et techniques, il faut donner à ces jeunes les codes qui leur permettent de devenir des acteurs du marché du travail. J'ai le sentiment que l'on se préoccupe beaucoup de l'encadrement, sans apporter de réponse concrète aux tensions du marché de l'emploi.

Mme Sophie Taillé-Polian , rapporteure spéciale. - Nous partageons tous cette volonté d'encourager les agents et les élus qui, via les missions locales, oeuvrent quotidiennement en faveur de publics en grande difficulté.

Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un problème de nombre. À la fin de l'année 2020, on comptait 1,5 million de jeunes NEET . Même si l'on parvenait à pourvoir les quelque 300 000 emplois vacants, selon l'estimation de la Banque de France, la question serait encore loin d'être réglée. Je rejoins les propos de Mme Vermeillet : un certain nombre d'entreprises semblent ne pas vouloir faire confiance aux jeunes, alors même qu'ils ont un bon niveau de qualification.

Nous parlons de jeunes qui sont en situation de rupture, souvent avec le système éducatif, parfois avec leur famille. Ils souffrent souvent de difficultés d'accès aux soins ou au logement. Beaucoup de dispositifs existent, mais ils se font concurrence, notamment parce que les missions locales doivent répondre à des objectifs très élevés. Dès lors, il conviendrait de désigner la mission locale comme chef de file, afin de mieux orienter les jeunes vers le dispositif adéquat.

Si les contours du « revenu d'engagement » restent flous, j'espère au moins que des mesures seront prises pour harmoniser les dispositifs, de sorte que chaque jeune puisse trouver une solution appropriée sans être contraint de choisir entre une formation adaptée et une aide financière.

S'agissant du dispositif de performance, les missions locales se trouvaient en difficulté dès lors qu'aucune sortie positive vers l'emploi n'était possible. Quelquefois, les missions, convaincues du risque d'absence de sortie positive, s'abstenaient de remplir l'ensemble de leurs objectifs. Nous sommes passés d'une logique forfaitaire à une logique d'indicateurs ; c'est une bonne nouvelle. Cependant, les indicateurs choisis sont trop restrictifs.

Certaines structures associatives sont assez fragiles, ne disposant pas de beaucoup de trésorerie ou des moyens qui permettent de gérer les situations de crise - leurs fonds structurels de gestion sont réduits chaque année. De ce fait, bon nombre de missions locales hésitent à embaucher et à mettre en oeuvre le plan « 1 jeune, 1 solution ». Nous devons faire en sorte que ces associations bénéficient, dans un contexte territorial d'échange, d'une plus grande visibilité, pour construire des politiques sur la durée. Elles doivent être consolidées pour être à l'écoute des territoires et des situations individuelles des jeunes, car la nécessité d'un accompagnement global de ces publics mise en avant par le « rapport Schwartz » de 1982 reste d'actualité.

Pour conclure, il est nécessaire de maintenir une palette de solutions pour répondre aux difficultés de la jeunesse, qui sont très diverses.

M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial. - Nous partageons beaucoup de points, Madame Puissat, notamment en ce qui concerne la Garantie jeunes et la complexité du système d'accompagnement des jeunes en insertion. Si les informations dont nous disposons ne permettent pas de porter une appréciation précise du « revenu d'engagement », nous considérons à tout le moins que, s'il devait être mis en place, il constituerait l'occasion de simplifier le système et d'harmoniser ce maquis de dispositifs.

Certes, la question de l'allocation des moyens entre les différents dispositifs de la politique de l'emploi mérite toujours d'être posée dans le cadre du débat budgétaire. Cependant, je ne suis pas certain que les jeunes faisant appel aux missions locales soient les premiers concernés par l'aide à l'apprentissage et à l'embauche, compte tenu des difficultés diverses qu'ils rencontrent en matière de scolarité, de logement, de santé, de mobilité. Ces dispositifs paraissent donc souvent plus complémentaires que substituables.

Le rapporteur général a également souligné le nombre important de dispositifs et leur complexité. C'est justement parce que nous partageons ce constat que nous recommandons d'orienter en priorité les jeunes très éloignés de l'emploi vers les missions locales, qui agissent comme un guichet unique.

Lors de nos auditions, monsieur le Président, nous avons eu peu de remontées qui indiqueraient que les crédits exceptionnels du plan de relance seraient insuffisants pour atteindre les objectifs fixés dans ce cadre. La tension réside plus sur les moyens structurels des missions locales, que nous proposons de stabiliser. Mais sur les crédits « exceptionnels », l'enjeu est avant tout celui de la capacité des missions locales à les consommer. D'autre part, comme j'ai eu l'occasion de le dire, il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas de « casse » à la sortie de la crise. Ainsi, nous préconisons de faire un bilan de l'utilisation des moyens humains et immobiliers qui ont été déployés pour adapter l'évolution des crédits en conséquence.

Monsieur Mizzon nous interrogeait sur une éventuelle ouverture de l'apprentissage aux jeunes de moins de 16 ans : pourquoi pas ? Toutefois, nous avons centré notre rapport sur l'action des missions locales pendant la crise. Le public étudié est donc celui de populations en situation d'extrême précarité. Il ne nous appartenait pas, dans le cadre de notre rapport, d'étudier les raisons de cette précarité.

Monsieur Jeansannetas, nous partageons la même analyse. C'est pourquoi nous proposons de confier la prise en charge des jeunes rencontrant des difficultés particulières d'insertion sur le marché du travail aux seules missions locales. Nous recommandons aussi de dresser un bilan de l'utilisation de leurs moyens par les missions locales, ce qui devrait aboutir à leur donner plus de visibilité sur l'avenir.

Je ne sais pas si je suis capable de répondre aux questions de Mmes Vermeillet et Lavarde sur la capacité de notre pays à faire confiance à nos jeunes. Le chômage des jeunes n'est pas qu'une problématique française : il est beaucoup plus élevé en Espagne, par exemple. Cette question, vaste, dépasse le cadre d'un contrôle budgétaire et financier sur les missions locales. Notre rapport consistait à souligner leur rôle pour réinsérer les jeunes éloignés de l'emploi. Il ne nous revenait pas d'étudier les politiques de l'emploi et de l'apprentissage dans leur ensemble.

M. Claude Raynal , président . - Je vous remercie.

La commission a autorisé la publication de la communication des rapporteurs spéciaux sous la forme d'un rapport d'information.

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