TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 30 juin 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le bilan de l'intégration de la gendarmerie au ministère de l'intérieur.

M. Claude Raynal , président . - Notre commission a demandé à la Cour des comptes, sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 58 de la LOLF, par un courrier du 20 janvier 2020, de réaliser une enquête portant sur « le bilan de l'intégration de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur ».

Ce rapport intervient près de 11 ans après le rattachement organique et fonctionnel de la gendarmerie au ministère de l'intérieur, qui avait été permis par la loi du 3 août 2009. Il s'agissait de l'aboutissement d'un processus engagé en 2002 quand le ministre de l'intérieur est devenu responsable de l'emploi de la gendarmerie nationale, rattachée au ministère de la défense et placée sous statut militaire, au profit du ministère de l'intérieur.

Notre commission, et particulièrement Philippe Dominati, rapporteur spécial des crédits de la mission « sécurités », a estimé important qu'un travail de fond soit fait après cet anniversaire symbolique, afin d'effectuer le bilan de cette intégration au ministère de l'intérieur, et d'envisager des pistes d'amélioration des synergies entre les deux forces.

Pour présenter son enquête, la Cour des comptes est aujourd'hui représentée par le président de la quatrième chambre, M. Gilles Andréani, accompagné des magistrats qui ont conduit ces travaux. Pour répondre aux constats de la Cour et aux observations du rapporteur spécial sont également présents le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Christian Rodriguez, et le directeur général adjoint de la police nationale, M. Jérôme Léonnet.

Sans plus attendre, je cède la parole à M. Gilles Andréani pour nous présenter l'enquête réalisée par la Cour.

M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes . - Je vous remercie de nous avoir conviés et d'avoir choisi ce rapport. Le choix de ce sujet nous a beaucoup intéressés. Nous avons travaillé dans d'excellentes conditions, grâce au concours du ministère de l'intérieur. Nous avons étudié notamment la question des mutualisations, des coopérations et des complémentarités opérationnelles.

Le résultat est un rapport d'une centaine de pages, complété par des annexes.

Vous l'avez dit vous-même, le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur ne constitue pas une révolution mais l'aboutissement d'un processus engagé en 2002 lorsque le ministère de l'intérieur est devenu l'autorité d'emploi de la gendarmerie au profit de la sécurité intérieure. La loi préserve le statut militaire des gendarmes avec tout ce qu'il implique en termes de disponibilité, de logement, et d'attributions traditionnelles. Par conséquent, l'organisation de la sécurité intérieure reste duale et repose sur deux forces, l'une civile et l'autre militaire, et il n'y a pas de projet de rapprochement organique dans cette loi.

Comment s'articule au sein du même ministère, la gendarmerie et la police nationales ? Comment ces deux forces distinctes coproduisent-elles de la sécurité au profit des citoyens ? Le premier point est la répartition territoriale, les forces de police et de gendarmerie sont organisées selon des principes complémentaires. La gendarmerie dans son organisation privilégie le maillage et la présence sur le territoire, et la police privilégie le regroupement dans des commissariats à taille critique, l'intervention et le suivi judiciaire. Les procédures en gendarmerie peuvent se faire sur le lieu de l'intervention, alors qu'elles ont davantage lieu au commissariat pour la police. Le maillage territorial correspond à ces spécificités, mais n'a pas évolué depuis 2014. Ce maillage mériterait d'être adapté en fonction des évolutions démographiques. La zone gendarmerie a vu sa population croître davantage que la zone police.

Un rapport de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales a souligné ces mêmes éléments : la répartition actuelle mérite d'être adaptée en fonction des évolutions démographiques, des évolutions de la délinquance et de la criminalité. Il y a donc des raisons de fond d'examiner à nouveau la répartition entre les deux zones. Nous avons été d'une relative prudence, car cette question est soulevée par le Livre blanc de la sécurité intérieure. Sans trancher ces débats, nous avons voulu mettre sur la table tous les éléments pertinents.

Certaines circonscriptions de sécurité publique gagneraient ainsi à être incorporées en zone gendarmerie, et des zones périurbaines denses gagneraient sans doute à passer en zone police.

Les deux forces ont travaillé intensément pour déterminer un ensemble de critères, repris dans le Livre blanc, qui consiste à recommander une modification du seuil traditionnel de compétence de la gendarmerie nationale, c'est-à-dire les zones inférieures à 20 000 habitants, et de reporter ce seuil à 30 000 habitants en examinant au cas par cas ce qu'on peut faire des circonscriptions situées en zone intermédiaire, en concertation avec les élus. Il y a sur cette question une attitude de bon sens, qui pourrait conduire à modifier la répartition des zones au terme d'un processus de concertation et d'une analyse de l'évolution de la délinquance.

Il existe également deux problèmes spécifiques. S'agissant des villes chef-lieu de départements : la police souhaite qu'elles restent sous sa compétence même lorsque les critères géographiques ne sont pas remplis. Le deuxième problème est celui lié à l'éventuelle existence de départements entiers passés en zone gendarmerie, ce qui poserait des problèmes en termes d'articulation avec l'autorité préfectorale, en termes de maintien de l'ordre et d'articulation avec le renseignement territorial.

Pour ce qui concerne la gendarmerie, il y a eu un effort d'adaptation au territoire, le ratio moyen de 900 habitants par gendarme n'ayant guère évolué récemment. Autour de cette moyenne, on trouve des variations importantes. On peut citer des cas où le niveau des effectifs est inférieur à la moyenne nationale, alors que la délinquance y est supérieure, comme le Val-d'Oise. Le travail d'ajustement doit donc se poursuivre.

Le sujet suivant concerne les synergies opérationnelles et des dispositifs de coordination.

Au niveau central, les principales structures de coordination sont l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) et l'Unité de coordination des forces mobiles (UCFM), qui ont fait l'objet de progrès récents. L'UCLAT reste un échelon de coordination nécessaire, en dépit des récentes modifications de la lutte contre le terrorisme.

Sur le plan local, le préfet de département est compétent, à l'exception de la petite couronne parisienne, où le préfet de police exerce le rôle de coordination. La Cour des comptes avait précisément proposé de revenir sur cette particularité de l'agglomération parisienne et de restituer l'autorité fonctionnelle des préfets de départements de la petite couronne parisienne. Il n'y a plus de force de gendarmerie dans cette zone, donc elle échappe à notre sujet.

De manière générale, l'autorité du préfet est reconnue, et s'appuie sur des instruments de coordination. La Coordination Opérationnelle Renforcée dans les Agglomérations et les Territoires (CORAT) donne lieu à l'établissement de conventions entre les deux forces. Il nous semble que ce dispositif pourrait être davantage utilisé et modernisé.

Sur le plan de la police judiciaire, nous avons deux forces qui restent relativement cloisonnées. Le traitement des affaires de délinquance et de criminalité relève pour 65 % de la police nationale et pour 35 % de la gendarmerie.

Les offices centraux sont pilotés pour dix d'entre eux par la police et pour quatre d'entre eux par la gendarmerie, en fonction des points forts de chacune des deux forces. Le fonctionnement de ces offices est en théorie mixte mais reste très orienté vers leurs forces de référence. Les tableaux d'effectifs sont en général mal honorés par la force minoritaire au sein de ces offices, il y a donc là sans doute des progrès à faire.

S'agissant du renseignement sur la criminalité organisée, ce dernier est assuré par le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (SIRASCO), auquel contribue la gendarmerie. Cette dernière a toutefois également mis en place un service central du renseignement criminel, qui pourrait être rapproché du SIRASCO afin d'assurer un meilleur partage des informations.

Sur les cybercriminalités, il y a dans le Livre blanc une reconnaissance du rôle de chef de file de la gendarmerie nationale.

Nous évoquons également le sujet du renseignement territorial, dont votre commission s'est déjà emparée dans un rapport du 7 octobre 2015 du rapporteur spécial Philippe Dominati, qui proposait notamment la fusion de la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) de la gendarmerie et du service central du renseignement territorial (SCRT) de la police nationale. Nous allons plutôt dans ce sens, puisque nous pensons que la dualité des chaines de renseignement pose un problème d'articulation et de coordination. Les autorités avec lesquelles nous avons dialogué au cours de notre enquête sont plutôt enclines à consolider l'existant qu'à trouver des réponses dans une organisation nouvelle.

Les forces d'intervention spécialisées, composées des réseaux déconcentrés du GIGN et du RAID, ont des principes qui ne coïncident pas, puisque les antennes du GIGN sont sous la responsabilité des commandants régionaux de gendarmerie alors que le RAID reste sous la responsabilité du directeur général de la police nationale. Nous souhaitons que ces réseaux soient rendus davantage compatibles.

Le rapport évoque également la question des mutualisations, qui n'est pas une fin en soi, mais a pour objectif de mieux exercer ces compétences à moindre coût.

En termes d'économies budgétaires, nous nous sommes intéressés aux domaines dans lesquels les services de deux forces pouvaient encore renforcer leurs mutualisations.

Si, sur certains sujets, et notamment en matière de coopération internationale, les mutualisations sont assez avancées, des marges persistent.

La police nationale a fait de son côté un effort de regroupement au sein d'un service à compétence nationale de ses moyens de police technique et scientifique, alors que la gendarmerie a des positionnements plus territorialisés. Des rapprochements de ces moyens peuvent être envisagés, dans la mesure où il y a des mutualisations à rechercher.

Sur le sujet plus ancien du numérique, la mutualisation a bien fonctionné pour les systèmes d'information et de communication, grâce à la création en 2010 d'un service dédié, le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure, le STSISI, qui a procédé à une réelle intégration des forces de police et de gendarmerie, avec un leadership technologique plutôt du côté de la gendarmerie.

Un autre sujet plus délicat et qui est en pleine évolution concerne les mutualisations des fonctions de soutien. Il y a sur ce sujet, une politique volontariste au niveau régional et national.

Au niveau national, il faut noter la création d'un service de l'achat, de l'innovation et de la logistique du ministère de l'intérieur (SAILMI), sous l'égide du secrétariat général du ministère de l'Intérieur en 2019. Ce service fonctionne au bénéfice de l'ensemble des services, à l'exclusion de la direction générale de la sécurité intérieure.

Au niveau territorial, les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'Intérieur, les SGAMI, procèdent, depuis leur création en 2014, d'une volonté d'intégrer les fonctions de soutien de la police et de la gendarmerie.

La participation de la gendarmerie est plutôt limitée en termes d'effectifs, avec seulement 280 agents de la gendarmerie sur les 4 000 agents de ces services. Cependant, les fonctions assumées par les SGAMI pour la gendarmerie sont plus limitées. Il y a des raisons pour expliquer ces différences, expliquées dans le rapport, en particulier en matière immobilière. Dans les autres domaines, des gains de mutualisation pourraient encore être atteints notamment dans le cadre des négociations actuelles concernant les garages automobiles et les échelons de maintenance des véhicules des deux forces.

Au total les gains de mutualisation restent difficiles à apprécier sur le plan budgétaire. Alors que les documents liés à la loi de programmation des finances publiques indiquent un gain escompté de 225 millions d'euros, nous pensons que ces estimations gagneraient à être précisées et détaillées.

Le rapport rappelle également les liens maintenus par la gendarmerie avec le ministère des armés, ces liens ne remettant pas en cause l'intégration de la gendarmerie au sein du ministère de l'Intérieur.

Si la mutualisation de la formation continue pourrait être renforcée, la mutualisation de la formation initiale, en raison du statut militaire de la gendarmerie, n'est guère envisageable.

Les conséquences budgétaires du rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur appellent deux considérations principales. D'abord, les gendarmes ont bénéficié du rattachement, en termes de parcours professionnel, d'indemnité et de rémunération. Il y a donc eu, à travers les plans de revalorisation indemnitaire, une amélioration de la situation des personnels de la gendarmerie.

Deuxièmement l'identité militaire des gendarmes a été préservée, en particulier en ce qui concerne le logement, la formation initiale et la retraite. Un système de passerelle a été créé entre les deux corps mais il est peu utilisé.

Une ombre au tableau : comme la police, bien qu'à un moindre degré, les forces de gendarmerie ont souffert du « stop and go », 3 600 effectifs ont été supprimés entre 2009 et 2013 et 3 800 recréés entre 2013 et 2019.

Enfin, il y a un fort effet d'éviction du hors T2 au profit des dépenses de T2, soit les dépenses de personnel. Cette éviction a provoqué des difficultés sur les équipements et l'immobilier de la gendarmerie, en partie palliées entre 2015 et 2018 par les cinq plans d'urgence au titre du terrorisme et de la lutte contre l'immigration. Le rattrapage s'est interrompu en 2018, sous réserve de ce que le plan de relance pourrait apporter aux deux forces de sécurité.

Il y a un déséquilibre structurel à corriger sur le long terme, que l'expédient des plans d'urgence ou du plan de relance ne permettra pas de corriger de façon satisfaisante.

Le sous-financement affecte tout particulièrement l'immobilier, notamment du fait du casernement des personnels. Il risque de conduire à une sorte de mur immobilier et à des très grosses difficultés.

Ce que la gendarmerie appelle le « sac à dos » correspond à la méthodologie, d'ailleurs recommandée par la Cour des comptes, qui consiste à associer à chaque recrutement son coût de fonctionnement global. Si vous regardez l'évolution des dépenses de personnel et des dépenses de fonctionnement, on voit bien que le compte n'y est pas et que les gendarmes ont été recrutés, comme la police, sans que l'évolution corrélative des dépenses de fonctionnement n'ait accompagné ces recrutements. Si je dois résumer, cela signifie plus de monde mais des forces appauvries.

Une recommandation unique ici : rééquilibrer les dotations budgétaires en faveur du hors T2.

Nous avons porté notre regard sur une réforme qui s'est bien accomplie et qui est positive. Le rattachement a été bien accepté et n'a pas été remis en cause. Il y a eu des avancées substantielles, avec une volonté d'optimisation des ressources. Des difficultés demeurent, elles sont inhérentes à la coexistence des deux forces très différentes au sein d'une même entité ministérielle.

Des évolutions sont ainsi encore nécessaires, concernant la répartition des compétences sur le plan territorial. Des améliorations devront être apportées dans les années à venir, concernant la police judiciaire, le renseignement et la police technique et scientifique.

M. Philippe Dominati , rapporteur spécial . - Le rapport de la Cour des comptes confirme de manière générale les travaux de la commission des finances du Sénat. Nous avons en effet constaté, sur les dix dernières années, une forte augmentation des dépenses de titre 2 de la gendarmerie nationale, de l'ordre de 26 %, alors que les autres dépenses ont augmenté de seulement 1 %. Le rattrapage entamé par les différents plans succédant aux attentats terroristes et à la crise migratoire n'ont pas suffi à combler ce retard.

L'inquiétude que vous signalez sur le hors T2 se traduit au budget 2021 par une propension que nous avons souvent dénoncée en commission des finances. Les dépenses de personnel atteignent désormais 86 % des dépenses de la mission contre seulement 12 % en fonctionnement et 1,8 % en investissement.

Les deux principales préoccupations concernent les véhicules et l'immobilier. Dans le plan de relance, les équilibres sont modifiés en 2021 et 2022 mais nous n'avons aucune garantie sur la durée, et les déséquilibres pourraient réapparaître.

Sur l'immobilier, le besoin de financement de la gendarmerie nationale est de 200 millions d'euros pour la construction de casernes et 100 millions d'euros pour la réhabilitation. Au budget pour 2021, seuls 80 millions d'euros sont prévus, ce qui renforce l'écart et ne fait qu'accroître les inquiétudes de la commission.

Je retiendrai, concernant les synergies opérationnelles, le renseignement intérieur, déjà souligné par le Gouvernement. Nous avons le sentiment qu'un certain nombre de choses n'ont pas avancé. Cela se voit sur les zones territoriales et le renseignement intérieur. Le fléchage sur le numérique est plutôt bon, avec une prédominance de la gendarmerie.

Il me semble que la Cour ne fait que conforter l'analyse du Sénat depuis de nombreux exercices. Nous sommes dans un domaine où les ministres de l'intérieur ont rarement tenu plus d'une année. Au cours des six dernières années, nous avons eu six ministres de l'intérieur. Il me semble difficile de mettre en oeuvre des réformes structurelles dans ce contexte.

M. Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale . - Merci pour l'attention portée à la gendarmerie par le Sénat et la Cour des comptes. Depuis que la gendarmerie a rejoint le ministère de l'intérieur, que de chemin parcouru ! Nous n'imaginions pas avant 2009 que nous en serions à ce stade. Nous sommes arrivés depuis à un enrichissement partagé, avec un rapprochement avec la police nationale et une vraie synergie. Nous avons avancé, et c'est notre rôle de directeurs de conforter cette dynamique dans le respect du principe de dualité auquel nous sommes très attachés. Il n'y a pas aujourd'hui de crainte des gendarmes sur leur statut au sein du ministère de l'intérieur. Nous devons garder à l'esprit que nous sommes à la sortie d'une crise et à la veille d'une autre. Si l'on veut avoir une force de résilience et des capacités critiques, il faut accepter l'idée qu'il y ait des redondances. Sans redondance, pas de résilience. Les forces d'intervention ont été calibrées à l'époque des attentats. Il y a certes moins d'attentats aujourd'hui qu'il y a quelques années, mais presque toutes les nuits des forcenés tirent sur les gendarmes lors d'une interpellation. Toutes nos capacités d'intervention antiterroristes sont engagées sur des forcenés.

Concernant les préconisations de la Cour, je suis très favorable à la recommandation n° 9 sur les études d'impact partagées multicritères et à l'instauration d'une clause de revoyure. C'est indispensable et nous ne le faisons pas. Sur le renseignement criminel, visé par la recommandation n° 4, il s'agit d'un domaine judiciaire et il est donc difficile d'avoir accès à l'ensemble de l'information judiciaire. Le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) rédige des synthèses sur des contentieux en intégrant des éléments de la gendarmerie et a déjà un rôle de synthèse judiciaire. Le service central du renseignement criminel (SCRC) gère beaucoup plus de choses, notamment l'innovation ou la manipulation des données, et ne fait pas uniquement de la synthèse. Nous n'avons pas une couverture parfaite du périmètre des deux forces.

Par ailleurs, la gendarmerie nationale est un acteur important du renseignement territorial, au travers du service central du renseignement territorial (SCRT) qui dépend du directeur général de la police nationale et compte environ 400 gendarmes. Il est donc commun à la police et la gendarmerie, et nous travaillons actuellement sur les antennes du renseignement territorial. La gendarmerie dispose d'une chaîne qui fait de l'anticipation opérationnelle. L'activité de cette chaîne est qualifiée de renseignement, ce qui est le produit de l'histoire, mais cette compétence permet en réalité aux chefs de manoeuvrer dans les territoires. Cela représente à peu près 500 gendarmes. S'ils devaient être basculés dans le renseignement territorial, je devrais reconstituer ces chaînes et je prendrais des effectifs dans les brigades territoriales, ce qui est antinomique avec l'objectif de rapprocher le gendarme de la population. Enfin, les antennes GIGN dépendent du GIGN désormais.

Nous avons engagé une stratégie appelée Gendarmerie 20-24 (Gen 20-24) qui vise à répondre présent pour la population grâce à une sécurité sur mesure pour les territoires au travers d'un principe de proximité et de redevabilité devant les élus. Je pense que si nous étions restés au ministère de la défense, nous ne serions pas allés aussi loin et aussi vite, car au ministère de l'intérieur nous sommes mis au défi en permanence.

Nous ne pouvons pas envoyer les gendarmes face au danger sans préserver la richesse que constituent nos personnels. Cela m'amène à la formation. La formation initiale permet de construire le socle et la base d'une formation militaire. Un gendarme doit rester militaire et cela passe par la formation initiale. Nous avons des progrès à faire sur la formation continue.

Concernant les redéploiements, nous avons un manque d'effectifs en Bretagne, dont la démographie est plus importante que notre capacité à y envoyer des gendarmes. D'après l'Insee, les évolutions démographiques se concentrent à un tiers en zone police et pour deux tiers en zone gendarmerie. 60 % des habitants en zone « gendarmerie » vivent en zone urbaine et périurbaine. Nous faisons dire à l'article du code général des collectivités territoriales (CGCT) qui prévoit la répartition des zones police et gendarmerie autre chose que ce qu'il prévoit. Il ne faut pas un grand soir du redéploiement. Sur l'immobilier, vous avez totalement raison. Nous sommes l'administration avec le plus grand parc immobilier mais quand nous dépensons 1 euro pour entretenir ou investir, d'autres programmes du ministère en dépensent 3. Il s'agit d'un vrai sujet.

M. Jérôme Léonnet, directeur général adjoint de la police nationale . - La police nationale vous remercie de l'avoir associée à ce bilan. Les échanges entre la police et la gendarmerie sont bien antérieurs à 2009. Nous avons des traditions en commun dans les territoires et dans les spécialités comme la police judiciaire ou le renseignement, qui confèrent à notre relation sa pérennité. Nous en tirons un bilan de confiance.

Je voudrais revenir sur plusieurs sujets. Nous partageons ce qui a été dit sur les redéploiements. Nous avons connu des vagues de redéploiements entre 2003 et 2014, dont les inspections sont en train de tirer le bilan. Les deux directions générales travaillent à définir les critères de redéploiement, mais il faut aussi les confronter à la réalité du territoire, en travaillant avec les préfets et les élus, pour que l'investissement de chacune des deux forces soit en adéquation avec le besoin de sécurité des citoyens.

Sur la police judiciaire, les offices sont les pôles d'excellence, avec une vraie mixité qui constitue notre richesse et qui est antérieure à 2009. Nous devons la faire vivre, et pour cela, chacune des deux forces doit honorer ses engagements et réaliser les plafonds d'emplois prévus. Pour faire du renseignement criminel, qui est impératif aujourd'hui, nos offices doivent être les plus interministériels et mixtes possible, afin de parvenir à un renseignement criminel le plus fin possible.

Je suis d'accord avec ce qui a été dit sur le Sirasco. Dans le SCRC de la gendarmerie, il y a une dimension opérationnelle qui ne constitue pas un service d'analyse de renseignement. Il doit rester à la main du DGGN. Le Sirasco a quant à lui vocation à recevoir des informations, à en faire une synthèse et à la redistribuer à tous les acteurs pertinents en interministériel.

Le renseignement territorial a subi des vicissitudes que vous connaissez. En 2008, il n'y avait pas un gendarme aux renseignements généraux (RG), sur 3 500 effectifs. Aujourd'hui, le renseignement territorial compte 3 000 effectifs dont presque 400 gendarmes. Le renseignement territorial permet de chaluter l'ensemble des informations au plus près du terrain, qu'elles viennent de la sécurité publique ou de la gendarmerie. La position de la police nationale est de dire « soyons attentifs à ne pas rajouter une réforme qui est à peine fixée », sur un service qui fonctionne pour le plus grand bien des deux forces, en associant autant que possible la gendarmerie aux grandes orientations du service. Il faut que nous progressions avec les autres services de renseignement. Sur toutes les notes du renseignement territorial aujourd'hui, figurent les deux sigles de la gendarmerie et de la police, sur 50 000 notes par an, diffusées au DGGN et au DGPN. C'est l'illustration d'un rapprochement réussi et qui donne des résultats, même si sur ce sujet comme sur d'autres nous ne devons pas cesser de nous poser la question des voies de progrès.

Mme Gisèle Jourda , rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Nous avons tous pu constater, dans nos territoires, les bénéfices mais également les dégâts collatéraux résultant de l'intégration de la gendarmerie nationale au sein du ministère de l'Intérieur. Nos craintes à ce sujet ont néanmoins été rapidement dissipées.

Je m'interroge cependant sur le poids de la réserve opérationnelle dans ce processus d'intégration, étant donné que la gendarmerie a très largement recours aux réservistes. Comment évaluez-vous l'apport de la réserve, notamment sur le plan financier ?

S'agissant de la répartition des prérogatives entre la police et la gendarmerie, vous proposez dans votre rapport d'attribuer la compétence sur des bassins de délinquance particuliers à la force qui apparaitrait le mieux à même de répondre aux problèmes qui s'y présentent. Nous sommes bien conscients du fait que parmi les villes qui ont eu à faire avec la gendarmerie, nombreuses sont celles qui souhaitent désormais voir la gendarmerie s'impliquer sur des territoires urbains ou péri-urbains, mais cela me parait surprenant par rapport à la répartition des forces. Comment définit-on cette notion de bassin de délinquance ? Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

M. Philippe Paul , rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Je voudrais souligner trois points de vigilance.

J'ai quelques inquiétudes sur les effectifs, notamment sur les transferts potentiels entre la police et la gendarmerie. Il faudrait que les critères de sélection pour réaliser ces transferts prennent en compte la réalité des territoires. Il importe également de voir quelles sont les conséquences de ces transferts en termes de personnel. Pendant au moins deux ans, la réserve opérationnelle de la gendarmerie a connu des difficultés, avec une baisse des crédits importante. La directive européenne sur le temps de travail soulève également des difficultés. Nous voyons par exemple dans certains départements que les nouveaux dispositifs pour assurer les gardes de nuit créent certains remous.

Il nous faut également faire preuve de vigilance au sujet de l'immobilier, pour la gendarmerie, la police, mais également les autres armes qui composent les forces de défense de notre territoire. Rien n'a été fait pendant de nombreuses années. Notre commission a donc souhaité qu'un effort conséquent, évalué à 300 millions d'euros, soit réalisé en faveur des casernes ou des logements des personnels. Il faudrait poursuivre cet effort, mais il n'y a que 95 millions d'euros dans le budget de cette année, dont 47 millions d'euros dans le cadre du plan de relance.

Enfin, même si j'étais initialement opposé au rapprochement entre les deux structures, je constate que ce dernier évolue de manière satisfaisante. J'ai beaucoup apprécié ce que vous avez dit au sujet du numérique, du cyber, du renseignement. J'espère que vous n'aurez pas à l'avenir de difficultés avec le personnel ; nous nous rendons compte, en effet, que cela devient compliqué dans les autres armes. En matière de fidélisation, nous nous sommes rendus compte lors de nos déplacements que les personnels affectés à des postes importants et ayant réalisé de belles carrières sont très tentés de retourner dans le civil.

M. Henri Leroy , rapporteur pour avis de la commission des lois . - J'aurai trois observations pour ne pas revenir sur ce qui a été dit.

Sur la répartition territoriale, il y a une grande inquiétude sur le terrain des élus. Nous avons vu lors du déplacement du premier ministre avec le ministre de l'Intérieur dans la métropole de Toulouse comment les élus ont réagi du terrain quand ils ont évoqué cette nouvelle répartition.

La deuxième inquiétude concerne le hors titre 2. Je représente le Sénat au Beauvau de la sécurité. Or, les revendications exposées par les syndicats laissent augurer d'une répartition, dans le cadre du plan de relance, qui va aggraver les inquiétudes relatives au hors titre 2. Le plan de relance prévoit 10 milliards d'euros sur 10 ans, mais je crois qu'une grosse part sera affectée aux revendications corporatistes.

Enfin, vous l'avez signalé, la loi de 2009 a vraiment mis le doigt sur l'essentiel : enlever le statut militaire de la gendarmerie consisterait à terme à la faire disparaitre. La gendarmerie ne peut subsister dans ses qualités, ses capacités, ses missions, que par le statut militaire.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Le sujet, tel qu'il est abordé, permet d'avoir une vision panoramique sur l'évolution de deux grandes maisons au service d'un seul objectif, le déploiement de la protection et de la sécurité pour les Français en tous points du territoire.

J'ai deux questions. Vous soulignez la proportion trop importante des dépenses de personnel. Dans les recommandations, vous proposez donc de limiter les avantages indemnitaires pour retrouver des marges de manoeuvre en fonctionnement et en investissement. C'est un objectif louable mais dont la mise en oeuvre peut être compliquée. Le contexte sécuritaire et le dialogue entre l'administration et les différents syndicats de police par exemple, tendent à octroyer de nouveaux avantages à ces derniers. Je m'interroge sur la faisabilité d'une telle proposition, visant à revenir sur ces avantages, même si j'en comprends le bien-fondé sur le plan financier. Quel est votre point de vue à ce sujet ? Vous semble-t-il possible de mettre en oeuvre cette proposition ?

La répartition territoriale des compétences soulève de nombreux problèmes. Ne pourrait-on pas imaginer de revenir sur le fait que lorsqu'une zone comprend une commune chef-lieu de département, elle est systématiquement placée en zone police, quand bien même les critères démographiques plaideraient plutôt à ce qu'elle soit placée en zone gendarmerie ? Pensez-vous qu'il soit possible de faire bouger les lignes ?

M. Marc Laménie . - Les réservistes opérationnels aident beaucoup les gendarmes sur le terrain. Or, nous avons connu des difficultés pour recruter des réservistes. La réserve citoyenne demeure également modeste. Comment renforcer les liens de la gendarmerie avec la réserve opérationnelle et citoyenne ?

Vous avez évoqué les violences intrafamiliales dont sont également victimes les gendarmes, les policiers et les sapeurs-pompiers. Quels sont les dispositifs, notamment financiers, pour répondre à cette problématique ?

Enfin, le parc des voitures est vieillissant. Quelles évolutions sont envisagées ?

M. Jean-Claude Requier . - Je m'interroge sur la mutualisation des moyens, s'agissant notamment des chiens et des maîtres-chiens. Nous avons en France deux centres de formation, l'un dans le Val-de-Marne forme les chiens et maîtres-chiens policiers et l'autre, dans le Lot, ceux de la gendarmerie. Ne serait-il pas possible de fusionner ces deux centres ? Lorsque j'ai posé la question, il m'a été répondu que les chiens n'étaient pas formés de la même manière : l'un forme des chiens d'attaque et l'autre des chiens de défense. À terme, serait-il cependant possible de mutualiser cette formation ?

M. Jérôme Bascher . - Une remarque préalable étonnante : la Cour des comptes estime que les investissements sont insuffisants dans ce budget... J'imagine que ce constat est valable pour la gendarmerie, mais pas pour le budget général.

J'ai une question portant sur les « trous » d'effectifs. Les budgets votés en lois de finances comptabilisent des équivalents temps plein (ETP), mais on parle généralement de manque d'effectifs, par rapport à un certain taux de délinquance ou par rapport à un effectif théorique. Comment mesurez-vous les effectifs nécessaires ?

M. Jérôme Léonnet . - Pour répondre à la question de Madame Jourda, s'agissant de l'impact sur les réservistes, je mentionnerai simplement que l'augmentation de la réserve en police nationale nous permet de renforcer le lien avec nos concitoyens.

Vous nous avez interrogés sur la façon dont on comptabilise les bassins de délinquance. Nous avons beaucoup modifié nos indicateurs, qui restent perfectibles car assez technocratiques, mais ils nous permettent d'avoir une idée des « effectifs de référence ». Ces indicateurs nous permettent d'évaluer les charges dans les différents territoires dans lesquels nous oeuvrons. Toutefois, ces indicateurs ne veulent rien dire si on ne les confronte pas au sentiment de nos concitoyens, relayé par les élus, et aux observations du préfet, qui reste le meilleur connaisseur de ces notions sur la situation dans chacun de ces territoires. Une fois que nous nous serons mis d'accord avec la direction générale de la gendarmerie nationale sur des critères et certains territoires, il faudra les faire valider à l'échelon local. Ce dernier, sous l'impulsion du préfet, peut également être force de proposition pour suggérer des modifications auxquelles nous n'avons pas nécessairement pensé au sein de l'administration centrale, et nous sommes à son écoute.

S'agissant du recrutement et de fidélisation, la question est très importante pour la police nationale. Nous ne devons pas recruter que des policiers, mais il nous faut également recruter des gendarmes et des contractuels. L'un de nos enjeux est le recrutement de scientifiques. La gendarmerie nationale a pris de l'avance sur les systèmes d'information et d'ingénierie. Nous comptons beaucoup sur nos capacités à recruter ces scientifiques.

S'agissant de l'inquiétude sur les dépenses hors titre 2, la police nationale fait tout pour contrer cette tendance relevée à plusieurs reprises par la Cour des comptes. Nous avons réussi, au cours du dernier exercice, à endiguer légèrement la tendance sur les dépenses de titre 2, et à renforcer nos dépenses hors des dépenses de personnel, notamment pour répondre aux besoins en équipements, tels que les véhicules. La vie quotidienne des policiers est compliquée, nous devons être vigilants à ce type de dépenses.

Monsieur le rapporteur général, pour vous répondre sur la question des chefs-lieux, la police nationale estime qu'elle doit être présente dans tous les départements, dès lors que l'existence de deux forces n'est pas contestée. Les départements sont une échelle administrative essentielle dans notre dispositif. La première raison est opérationnelle : la police nationale correspond à la sécurité publique, mais aussi à la police aux frontières, aux compagnies républicaines, et à la police judiciaire. Ces compétences nécessitent une connaissance précise des territoires. La deuxième raison est que la police nationale doit être à l'image de notre société, nous avons besoin de recruter dans tous les territoires, et non pas uniquement dans les territoires urbains. Enfin, le renseignement territorial est une force commune à la police et à la gendarmerie, et pour qu'il soit efficace, il doit être commun.

Pour les violences intra-familiales, et notamment les violences dont les forces de sécurité intérieure sont victimes, la police nationale s'est dotée en août 2020 d'un groupe d'assistance aux policiers victimes. Il s'agit d'une unité appréciée par les policiers, et qui permet de répondre aux situations de détresse au sein des familles et au sein des couples.

Monsieur Requier, le sujet de la formation des maîtres-chiens, et plus précisément de la dualité entre Cannes-Ecluse et Gramat, est bien connu de la police et de la gendarmerie nationales. Nous ne sommes pas sur des doctrines et des pratiques diamétralement opposées. Ainsi, s'agissant des stupéfiants, la police nationale va se rapprocher de la gendarmerie nationale sur la méthode de formation, à la demande du ministre de l'intérieur. Faut-il un seul centre de formation ? Les deux maisons sont attachées à leur méthode de formation et d'encadrement. Une mutualisation pure et simple reste à ce jour difficile à envisager, qu'il s'agisse de la formation des maîtres-chiens ou des motocyclistes, mais nous avons des marges de progression.

Concernant la mesure des « trous » d'effectifs, nous avons aujourd'hui une mesure des effectifs plus précise qu'auparavant. Elle nous permet d'identifier des besoins, mais aussi, dans certaines territoires, des effectifs trop nombreux. Nous arrivons à peu près à lisser cette répartition, même si des difficultés subsistent dans certains territoires. Nous avons ainsi du mal à recruter dans l'est de la France. Nous avons du mal à y recruter, mais nous essayons de faire valoir les possibilités qu'offre la police nationale dans ces territoires. Nous n'avons pas d'autres possibilités dans l'immédiat, mais nous essayons de valoriser toutes les carrières dans la police nationale, comme celle de policier adjoint. Enfin, la montée en puissance de l'échelon zonal en sécurité publique, nous permet aujourd'hui de renforcer les circonscriptions en cas de difficultés ponctuelles, en cas de crise, ou plus pérenne, pour faire face à des sujets de recrutement.

M. Christian Rodriguez . - Pour revenir sur la question des réservistes, nous avons eu un parcours erratique au plan budgétaire. Nous avons désormais sanctuarisé le sujet, car le ministre a compris l'intérêt des réservistes, et nous allons d'ailleurs passer de 34 000 à 50 000 réservistes. Il nous faudra prévoir la masse salariale en conséquence, mais aussi les crédits d'équipement nécessaires. Les réservistes citoyens sont très précieux pour apporter un regard extérieur, afin d'être questionné par des individus qui ne sont pas issus de la gendarmerie nationale. Les réservistes citoyens constituent par exemple la moitié du jury de recrutement des officiers de l'école de guerre. Il s'agit d'une vraie richesse qui est encore sous-utilisée.

S'agissant des bassins de délinquance, le service statistique ministériel nous apprend que 40 % des délinquants commettent des délits dans leur commune. Certes, ces statistiques portent sur des délits résolus. Mais le bassin de délinquance n'est-il tout simplement pas la commune ? Il faut toutefois apprécier les situations au cas par cas. Nous partageons les conclusions de la police nationale : pour les brigades isolées, il n'est pas illogique de les rattacher à la sécurité publique, et vice versa. L'impulsion doit venir d'en bas, avec les élus locaux qui nous relaient les propositions de terrain. Les réformes se construisent d'abord localement.

Le dispositif de gestion des événements (DGE) nous permet de maintenir des effectifs de nuit, tout en préservant ceux de jour, au profit d'un contact avec la population. Il faut que nous fassions preuve de pédagogie sur cette question.

Sur les capacités de recrutement et de fidélisation, la gendarmerie nationale s'est engagée depuis longtemps dans le recrutement de scientifiques. Parmi les jeunes officiers que j'ai recrutés l'an dernier, 40 % sont ingénieurs, et nous allons continuer d'augmenter le pourcentage. Nous avons créé un concours spécifique pour les diplômés d'un master 2 en sciences. Pour nos sous-officiers, nous avons créé une épreuve numérique à option. Les meilleurs d'entre eux sont réunis au sein de « e-compagnies ». Même s'ils ne font pas de carrière dans le numérique, il faut avancer sur le sujet qui est important pour le traitement d'informations de masse.

Sur les violences intra-familiales, on a démultiplié les maisons de protection des familles. On va continuer à le faire, pour mieux accueillir les familles, y compris les enfants, et sécuriser nos personnels. On a monté un groupe de travail portant sur les équipements et la formation de nos effectifs. Les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) seront formés pour partie par l'armée de terre. On va « remilitariser » cette formation-là. On ne peut pas observer que la société est de plus en plus violente et ne rien faire pour protéger nos personnels.

Pour la formation des maîtres-chiens, il nous faut augmenter les capacités cynophiles. Dans les banlieues difficiles, la présence du chien rassure les effectifs et on vient moins provoquer les gendarmes.

S'agissant de la mutualisation de la formation, l'inspection générale de l'administration (IGA) s'était déjà penchée sur la question. On la pratique quand les centres de formation sont pleins : la question est plutôt celle, pour l'avenir, d'une grande école commune, mais le coût serait très élevé.

Nous avons un tableau des effectifs autorisés, on ajoute des postes et le gestionnaire les affecte. On essaie de réaliser les mutations à l'été, ce qui entraîne un taux frictionnel de vacance de postes, mais on s'efforce de mettre les effectifs où on en a besoin. Comme la démographie évolue plus vite que l'augmentation des effectifs disponibles, certains territoires sont en tension, comme dans le grand ouest. Nous disposons d'un outil, appelé « Ratio », pour mettre en rapport les effectifs et la population, mais pas seulement, il intègre aussi désormais le taux d'urbanisation, le réseau routier, l'existence de moyens de transport, etc. Nous souhaitons améliorer cet outil, notamment avec le concours de l'INSEE.

M. Gilles Andréani . - Je vais me concentrer sur deux questions. La première est celle des redéploiements et la seconde celle de la proportion de dépenses de titre 2 et hors titre 2.

Sur le premier point, nous faisons un état des lieux du débat. Nous ne tranchons pas la question des chefs-lieux de département. Nous appelons davantage une méthode, qui consiste à avoir des critères déclinés sous l'autorité du préfet au niveau départemental. Il s'agira de définir la bonne échelle pour mesurer les besoins, qui pourrait être la commune, ou le bassin de délinquance. Les notions d'agglomération, ou d'aires urbaines au sens de l'INSEE, pourraient également être pertinentes. Il y a des zones marquées par l'intensité des échanges et des phénomènes de délinquance. Elles ne sont pas figées en un seul critère et on peut les identifier, en couplant les critères de démographie et de prévalence de la délinquance, en arrivant à un dialogue étroit avec les élus. Il ne faut pas trancher le problème de façon mécanique.

S'agissant de la maîtrise des dépenses de personnel, il y a un résultat auquel nous voulons arriver : celui d'une réponse policière au problème de nos concitoyens. Pour arriver à cela, il y a énormément de leviers, comme les effectifs, leur distribution sur le terrain, ainsi que l'organisation spatiale et temporelle des services. Au-delà du temps de travail global, il y a la question des rythmes de travail qui demeure centrale au sein de la police nationale. La Cour des comptes s'efforce de dire que ces questions importent sans doute plus que la seule question du recrutement. D'ailleurs les forces ne sont pas nécessairement demandeuses de ces recrutements. Tous les leviers doivent être mobilisés. Il y a tout une palette de moyens sur lesquels on peut jouer pour contenir les dépenses de personnel. On ne peut pas remédier au problème de la fidélisation si on continue à ne pas repeindre les commissariats, à avoir des casernes délabrées, etc.

M. Philippe Dominati , rapporteur spécial . - Sur cette question, vous avez bien fait de mettre l'accent sur les rythmes de travail au sein de la police nationale. Il y a eu plusieurs échecs alors qu'il est nécessaire de les adapter aux besoins des agents. J'étais le mois dernier dans l'Isère, où il y a de nombreux rythmes de travail en application.

En réalité, ce qui est exceptionnel est devenu courant. Le malaise et les vagues de suicide ont conduit à des mesures indemnitaires d'exception.

Les évolutions des dépenses de personnel de la police nationale se répercutent automatiquement sur la gendarmerie nationale. Il faudrait revenir à un ratio plus raisonnable, permettant de conserver des marges de manoeuvre sur les dépenses de fonctionnement et d'investissement. Il faudrait sans doute songer à un mécanisme permettant d'associer chaque augmentation des dépenses de personnel à une augmentation concomitante de dépenses de fonctionnement et d'investissement.

Enfin, la France fait partie des pays où il y a le plus de policiers et de de gendarmes par habitant, ce qui confirme le fait qu'il s'agit réellement d'un problème d'organisation.

Je souligne, enfin, combien le mécanisme prévu par l'article 58 2° de la LOLF permettant à la commission des finances de commander de telles enquêtes à la Cour des comptes est utile.

M. Claude Raynal , président . - J'ajouterai simplement que s'agissant de la répartition territoriale, on peut observer que les élus dont les territoires sont placés en zone gendarmerie ne veulent pas passer en zone police, et réciproquement, avec, à chaque fois, des arguments en faveur de la force qui est en place.

Au terme de ce débat, la commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Philippe Dominati.

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