CONCLUSION

Les rapporteurs partagent le constat sur les limites du scrutin européen : les 27 élections nationales juxtaposées, portant sur des enjeux essentiellement nationaux et donnant lieu à des campagnes centrées principalement sur des figures nationales, ne permettent pas suffisamment aux citoyens européens de trancher des débats politiques européens et donc de se faire entendre au niveau de l'Union.

Face à constat, les propositions de circonscription unique et de candidats tête de liste sont des propositions intéressantes, qui doivent être étudiées attentivement, dans le détail de leurs conséquences, car elles touchent aux équilibres du système institutionnel de l'Union. Un constat s'impose : ces deux propositions ne sont pas le remède miracle qui mettrait fin au « déficit démocratique » de l'Union et elles s'accompagnent de risques qu'on ne peut ignorer. La complexité du scrutin qui pourrait rebuter les électeurs, le risque de « députés hors-sol » qui ne rendront de comptes qu'au parti politique européen qui les aura investis, les déceptions que l'on pourrait susciter chez les citoyens européens si on leur donne le sentiment qu'ils pourront désigner la Commission européenne comme ils désignent leur gouvernement national peuvent aggraver les maux que l'on souhaite corriger. Et les effets sur l'européanisation du scrutin ne sont pas aussi automatiques que l'on pourrait le croire.

L'espoir est que ces deux outils enclenchent un processus d'européanisation du scrutin et donnent de la consistance à une vie politique proprement européenne, qui dépasse les limites étroites de la « bulle bruxelloise » pour atteindre tous les citoyens de l'Union. À l'issue de ces travaux, l'on constate que cet espoir repose sur deux acteurs : les partis politiques nationaux et les partis politiques européens. Aux premiers, il appartiendrait de jouer le jeu de l'européanisation du scrutin en mettant les sujets européens et les candidats tête de liste au centre de leur campagne nationale ; quant aux seconds, ils auraient à s'approprier ces nouveaux outils et à les faire vivre. Mais on l'a vu, ces structures sont peu transparentes et leur rôle est aujourd'hui très limité ; ce sont au mieux des « acteurs en devenir ».

En définitive, la mise en place de la circonscription unique et des candidats tête de liste conduirait à remettre la démocratie européenne entre les mains de partis politiques européens qui n'existent pas encore vraiment. Les partisans de ces réformes répondront que c'est justement le moyen de les faire exister. Certes. Mais le risque de voir la démocratie européenne confisquée par la « bulle bruxelloise » n'est pas anodin.

Une alternative serait d'avancer sur la voie de l'européanisation du scrutin indépendamment de ces réformes, dont, en tout état de cause, l'adoption pourrait être complexe politiquement. Les médias ont naturellement un rôle important à jouer pour améliorer l'information des Français et la couverture de l'actualité de l'Union. Par ailleurs, la décision du Conseil de 2018 permet d'européaniser les bulletins de vote : les élections de 2024 seront l'occasion de voir si les partis nationaux sont vraiment prêts à jouer le jeu et s'ils adoptent massivement cet outil, même si seules 17 listes sur 264, dans l'ensemble de l'Union, y avaient eu recours en 2019. De même, les partis politiques européens ont l'occasion de se montrer à la hauteur du rôle qu'ils entendent jouer, en désignant leurs candidats tête de liste de 2024 dans des conditions de transparence plus satisfaisantes que par un congrès réunissant quelques centaines de personnes. Une autre piste serait d'étudier la proposition formulée par le Sénat en 201854(*) de mettre en place une circonscription unique pour les seuls Européens résidant dans un État tiers.

Au demeurant, le vrai succès des candidats tête de liste serait que le choix du candidat à la présidence de la Commission s'impose avec une telle évidence à l'issue du scrutin, que, sans aucune contrainte juridique, le Conseil européen ne puisse s'en écarter.


* 54 Rapport d'information n° 463 (2015-2016) sur la réforme de la loi électorale de l'Union européenne, 10 mars 2016.

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