EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 1er juillet 2021 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par les deux co-rapporteurs, M. Jean-François Rapin et Mme Laurence Harribey, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean-Yves Leconte. - Merci à nos deux rapporteurs pour ce travail. Globalement, je partage tout ce qui a été dit. Mais il y a une chose qui me dérange : nous ne pouvons pas nous contenter de dire que la question est difficile. Il nous faut aller de l'avant sur ce sujet, d'une manière ou d'une autre. Nous sentons bien que la construction européenne est arrivée à un moment clé où, si nous n'arrivons pas à avoir un vrai débat politique au niveau européen, la construction n'est, à mon avis, plus stable. Les politiques intégrées sont trop nombreuses pour que nous puissions continuer à les faire fonctionner sans qu'il y ait un contrôle politique au niveau européen et non seulement national ou intergouvernemental.

Ces propositions, quelles que soient les difficultés de leur mise en oeuvre, vont dans cette direction. D'ailleurs, nous avions fait un rapport sur ce sujet avec Fabienne Keller, en 2016, où nous reconnaissions que c'était très difficile. Mais nous avions également envisagé, comme première étape, de mettre en place une circonscription unique pour les ressortissants européens qui vivent hors de l'UE. Certains peuvent voter aux élections européennes, d'autres non, en fonction des choix de leur État membre, ce qui est quand même assez aberrant.

Mme Laurence Harribey, co-rapporteure. - Nous mentionnons effectivement cette proposition dans notre rapport.

M. Jean-Yves Leconte. - Un autre sujet particulièrement sensible est celui des financements. Dans un certain nombre de pays, il est possible de voter et d'être candidat, mais il n'est pas possible de participer au financement des campagnes. C'est un vrai sujet, au-delà de la difficulté que soulève la décision du Conseil d'État avant la dernière élection européenne, concernant le financement de la campagne des élections européennes par les partis politiques européens.

En revanche, dans la proposition du Parlement européen, certains points posent problème. À partir du moment où nous décidons de faire des listes transnationales, il nous faut croire au projet. Et donc, nous ne pouvons pas dire qu'il faut y mettre un Allemand et un Français mais pas de Luxembourgeois. Cela ne serait pas très sérieux et pourrait même tuer l'idée. Soit nous croyons au transnational, soit nous n'y croyons pas. Les partis européens sont aujourd'hui plus des topologies que des structures qui partagent des valeurs. Si une personne est de gauche en Bulgarie et qu'une autre est de gauche en France, elles se retrouvent dans le même parti européen, alors qu'elles ne partagent presque rien. Nous l'avons vu avec Viktor Orban et Angela Merkel. Cette configuration n'arriverait pas si des élections sur des listes communes avaient véritablement lieu. De ce point de vue, nous avons besoin de faire évoluer les choses.

Le système des spitzenkandidaten qui avait fonctionné en 2014 n'a pas été mis en oeuvre en 2019 ; mais c'est aussi parce qu'en 2019, pour la première fois, les groupes PPE et socialiste n'avaient pas la majorité à eux seuls. S'il avait eu la possibilité d'imposer un candidat, le Parlement européen l'aurait fait. Naturellement, il faut que ce candidat ait une majorité derrière lui. Si cela avait été le cas en 2019, le Parlement européen aurait pu imposer un candidat au Conseil européen, qui n'aurait pu l'écarter, compte tenu des traités. Le Président de la République n'y était pas très favorable, mais la difficulté venait surtout du fait que le Parlement n'avait pas véritablement le pouvoir de décider, puisqu'il n'y avait plus ce bloc majoritaire PPE/socialistes.

J'aimerais rappeler les conditions de constitution de la Commission présidée par Romano Prodi, en 1999. La fin de la Commission Santer avait été particulièrement difficile et Romano Prodi décida de mettre des conditions sur les commissaires qui lui étaient envoyés par les États membres. La Commission ne doit pas être une espèce de conglomérat de représentants des États, surtout si un jour où l'autre elle ne compte plus un commissaire par pays. Si nous voulons aller vers plus de démocratie européenne, la Commission doit aussi être réellement responsable et ses membres ne doivent plus être considérés comme des représentants de leur État dans l'exécutif européen. De ce point de vue, nous avons beaucoup reculé depuis l'élargissement. J'ai été très choqué de voir un certain nombre de pays nouvellement arrivés dans l'Union faire valider leur proposition de commissaire par leur parlement national. C'est une aberration absolue.

Au fond, le maintien d'une Commission sans cohérence politique et dont les membres ne sont pas choisis par son Président empêche toute réforme complète de l'Union.

M. Richard Yung. - C'est une question qui est sur la table depuis trente ou quarante ans. J'étais parmi les premiers à militer pour l'élection du Parlement au suffrage universel et, là-dessus, nous avons eu gain de cause ; mais les autres projets de réforme se sont enlisés. J'ai une certaine préférence pour le système à deux niveaux, avec des listes nationales et des listes transnationales communes à toute l'Union. Cela me semble un bon compromis, même si certains pays y seront probablement opposés. Mais il est tout de même possible d'avancer. Vous disiez que l'instauration d'un tel système créerait un déséquilibre entre les pays les plus peuplés et ceux qui le sont moins. Nous pourrions trouver un système pour encadrer ce déséquilibre et limiter le poids prépondérant des grands pays.

Une autre critique réside dans le fait que les députés deviendraient « hors sol ». Il s'agit d'une critique que nous, sénateurs français représentant les Français à l'étranger, nous connaissons bien. Nous avons toujours été qualifiés de « hors sol ». Ce n'est pas vrai, je n'ai pas ce sentiment-là. Je vous signale qu'en Allemagne, le bulletin de vote aux élections législatives comporte deux parties : on vote pour un candidat mais aussi pour une liste, ce qui sert à répartir une part des votes à la proportionnelle. Ce système ne marche pas mal. C'est pourquoi, je ne crois pas que cette critique soit recevable. De plus, l'élection pan-européenne de certains députés leur donnerait une certaine légitimité.

Il faut bien reconnaître qu'on trouve un peu de tout au Parlement européen, en termes d'implication. Certains députés, allemands notamment, sont présents et actifs. D'autres pays, dont la France, y envoient ceux qui ont été recalés au suffrage universel. C'est dramatique pour nous mais également pour la construction européenne. Je militerai donc pour les listes transnationales, car je pense qu'elles aideraient à structurer ces pauvres partis européens qui sont plus des confédérations de partis que de véritables partis, sans réel programme.

Mme Christine Lavarde. - J'avais remarqué pendant la campagne des élections européennes que les électeurs n'avaient pas conscience que nous sommes dans un système d'élections à deux tours : les eurodéputés élus nationalement, même si leur liste arrive en tête au niveau national, ne seront pas forcément majoritaires au Parlement européen et ne pourront donc pas forcément peser sur le cours des choses. C'est peut-être notre mode d'élection qui veut cela, puisque nous faisons de ces élections européennes des élections nationales. Les listes transnationales pourraient peut-être rendre cette réalité plus visible pour les électeurs : ils se prononceraient sur une ligne européenne, portée par un parti européen, dont le parti en France n'est pas forcément celui qui aura un pouvoir de décision au niveau de l'UE.

S'agissant de la mise en oeuvre pratique, est-ce à dire que les électeurs auraient deux bulletins de vote ?

Mme Laurence Harribey, co-rapporteure. - Ils voteraient deux fois, que ce soit avec deux bulletins ou sur le même bulletin.

Mme Christine Lavarde. - Les électeurs pourraient donc exprimer deux votes complètement différents ?

Mme Laurence Harribey, co-rapporteure. - C'est théoriquement envisageable. Les électeurs allemands ont par exemple cette possibilité.

M. Richard Yung. - Effectivement, ils cochent une case pour soutenir un candidat, puis une seconde case pour soutenir une liste.

M. Jean-Yves Leconte. - Un vote ne conditionne pas l'autre ?

M. Richard Yung. - Un vote ne conditionne pas l'autre. Et ça marche très bien.

Mme Christine Lavarde. - Pourriez-vous repréciser les déséquilibres à craindre en termes de représentation des États les plus peuplés et les moins peuplés ?

M. Jean-François Rapin, président, co-rapporteur. - La proposition actuelle prévoit que les listes comportent des candidats issus d'États membres différents, jusqu'à une certaine position sur la liste, en les alternant parmi cinq groupes d'États de poids démographique comparable. D'après nos estimations, cette proposition conduirait à élire un député pour 25 millions d'habitants dans les cinq États les plus peuplés, mais un député pour 1 million d'habitants dans les six États les moins peuplés.

Mme Christine Lavarde. - Nous aurions le même type de déséquilibres si jamais nous introduisions chez nous une quelconque proportionnalité.

M. Jean-François Rapin, président, co-rapporteur. - Ce débat ressemble beaucoup, au niveau national, à celui sur les intercommunalités. Nous nous interrogeons également sur les modes de scrutins, hors suffrage universel direct, qui permettraient de leur donner plus de visibilité.

M. Pascal Allizard. - De la même façon que les intercommunalités sont des établissements publics et en aucun cas des collectivités territoriales, l'Union européenne n'est pas un État et encore moins un État souverain.

Personnellement, je ne suis absolument pas convaincu par la proposition d'un scrutin supranational. Est-ce que les citoyens français ont une attente particulière sur ce sujet ? Je ne le crois pas. Je crains qu'une fois de plus, avec ce genre d'idée bizarre, nous alimentions la répulsion de nos concitoyens envers l'idée européenne. Je préconise donc une certaine prudence sur le sujet. Peut-être faut-il quelques évolutions du système électoral mais in fine, c'est aux États et aux citoyens des États d'envoyer leurs délégués.

Par ailleurs, s'il devait y avoir un scrutin à deux niveau - ce que j'ai du mal à croire compte tenu des difficultés qui ont été parfaitement rappelées -, il faudrait étudier les exemples des pays ayant des systèmes comparables et notamment le cas allemand. Il faudrait sans doute assurer une meilleure représentativité de tous les courants de pensées, mais en aucun cas instaurer une proportionnalité à l'échelle européenne. Peut-être la solution serait-elle de prendre en compte les voix restantes après application des quotients, pour que les partis minoritaires obtiennent quelques sièges supplémentaires.

Merci pour ce travail qui est un excellent éclairage et je réitère mes réserves sur la mise en place de ce scrutin transnational.

M. Jean-François Rapin, président, co-rapporteur. - Nos conclusions à ce sujet sont claires et sont totalement partagées entre Laurence Harribey et moi-même. Nous avons abordé ce sujet sans préjugés et écouté les différents points de vue, mais en définitive, nous considérons que ce sont de « fausses bonnes idées ».

M. Jean-Yves Leconte. - « Fausse bonne idée », non ; je pense que c'est plutôt une bonne idée, qui doit encore mûrir, mais qu'elle est indispensable pour réussir la construction européenne. L'Union ne pourra pas continuer à fonctionner comme elle le fait aujourd'hui sans un véritable contrôle démocratique de niveau supranational.

En revanche, si nous allions dans la direction des listes transnationales pour un certain quota des députés européens, nous pourrions imaginer que les autres de ces députés ne soient plus élus dans des circonscriptions aussi grandes que celles actuelles, ce qui est d'ailleurs compatible avec l'acte électoral. Nous aurions ainsi des eurodéputés fortement liés aux territoires, ce qui n'empêche pas d'assurer une bonne représentation des partis minoritaires, comme le proposait Pascal Allizard.

Mme Laurence Harribey, co-rapporteure. - Nous, les co-rapporteurs, sommes effectivement d'accord pour considérer que ces propositions ne sont pas de véritables solutions. Ce qui ne m'empêche pas de partager l'avis de Jean-Yves Leconte : nous devons trouver des solutions pour que les citoyens européens s'approprient l'Union européenne. Je partage d'ailleurs tout à fait son analyse des limites des modalités actuelles de composition de la Commission. Composée parfois de techniciens et fruit des équilibres politiques des États membres, celle-ci n'est pas un véritable gouvernement européen. Il faut mieux articuler sa composition avec le Conseil et le Parlement. Rappelons que, depuis le début, la Commission est responsable devant le Parlement européen, qui n'a jamais utilisé ce pouvoir pour des raisons politiques, mais uniquement pour sanctionner des comportements de commissaires concernant des affaires financières.

Je rejoins Pascal Allizard sur son parallèle avec l'intercommunalité, que j'utilise régulièrement pour expliquer le fonctionnement de l'Union. Quand je demande aux gens s'ils s'ils seraient prêts à retirer toute voix au chapitre à une petite commune, au sein de son intercommunalité, ils reconnaissent que ce n'est pas possible. Je leur explique que c'est exactement pareil pour les Luxembourgeois au sein de l'UE. Jacques Delors avait raison : nous sommes bien sur un objet politique non identifié, fondé sur une légitimité interétatique et sur une légitimité citoyenne, qui vient de l'élection au suffrage universel direct du Parlement européen. Mais les deux propositions que nous évoquons ce matin sont à mon sens des solutions en trompe-l'oeil et ce n'est pas comme cela que nous allons réconcilier les citoyens avec la question européenne.

Les citoyens doivent sentir que leur vote a un poids ; et pour cela, il faut une identification à un projet politique, qui doit être porté par des partis politiques européens, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Nous prenons le problème à l'envers.

Vous nous avez interrogés sur la composition des listes transnationales et sur le système assez complexe proposé par le Parlement européen pour prendre en compte la démographie. Le risque est de dénaturer l'idée même et d'aboutir à un « bricolage » pour représenter tout le monde. L'idée d'une liste transnationale pour les Européens résidant dans un État tiers me semble plus intéressante et symboliquement significative, même si cela nécessiterait une harmonisation des droits électoraux.

M. Jean-François Rapin, président, co-rapporteur. - Cette piste pourrait servir de « démonstrateur », tout en sachant qu'elle ne bouleverserait pas les grands équilibres européens. Mais elle comporte tout de même certains écueils.

Par rapport au débat sur la taille des circonscriptions, je voudrais souligner que le passage des circonscriptions régionales à la circonscription nationale n'a eu aucune influence sur le fait que les Français se sentent plus ou moins citoyens européens mais a simplement encouragé la nationalisation du débat. Nous étudions les effets de ces propositions sur l'Union, sur le Parlement européen... mais nous ne tenons absolument pas compte de ce que vont ressentir les Français, de la façon dont ils souhaitent s'exprimer sur l'Europe. Je ne les vois pas demain s'intéresser davantage à des scrutins de listes transnationales.

Richard Yung semblait soutenir ces propositions, mais nous craignons véritablement d'avoir, d'un côté, des « supers députés », élus sur les listes transnationales et qui seraient alors une référence lourde politiquement et, de l'autre, des « députés supplétifs », qui seraient élus sur des listes nationales et qui ne seraient pas forcément considérés au Parlement européen de la même manière que les premiers.

M. Richard Yung. - Si vous transmettez ce rapport aux députés européens, il serait intéressant de recueillir leurs remarques.

M. Jean-François Rapin, président, co-rapporteur. - Nous enverrons naturellement ce rapport à nos collègues eurodéputés, pour alimenter le débat qui a commencé. Nous pourrons instaurer une veille et faire un point d'étape au cours de l'année prochaine, en fonction de l'avancée des travaux.

La commission a autorisé la publication du rapport d'information.

Les thèmes associés à ce dossier