V. 5ÈME RECOMMANDATION : ASSOCIER TRÈS ÉTROITEMENT LES ÉLUS LOCAUX À LA CONCEPTION ET À LA MISE EN oeUVRE DE LA NOUVELLE RÉPARTITION POLICE - GENDARMERIE ET RAISONNER DE MANIÈRE PRAGMATIQUE SELON DES « BASSINS DE DÉLINQUANCE »

Dans le prolongement de leur rapport d'étape, vos rapporteurs se sont interrogés sur l'opportunité d'améliorer, en étroite concertation avec les élus locaux, le maillage territorial des forces régaliennes de sécurité, qui représentent au total quelque 250 000 agents.

A. LA SITUATION ACTUELLE : UNE RÉPARTITION TERRITORIALE QUI A PERDU DE SA PERTINENCE

Les articles R. 2214-1 et R. 2214-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoient deux critères visant à départager les zones de compétence respectives de la police et de la gendarmerie nationales. Ainsi, la compétence de la police nationale s'exerce :

- dans les communes chefs-lieux de département ;

- dans les communes ou les ensembles de communes dont la population est supérieure à 20 000 habitants et dont les caractéristiques de la délinquance sont celles des zones urbaines.

Au regard de cette clé de répartition, la compétence de la police représente entre 40 et 50 % de la population sur seulement 5 % du territoire. Les autres communes se trouvent donc en « zone gendarmerie ».

Si, lors de leur audition, tant le DPGN que le DGGN ont exclu catégoriquement la fusion des deux forces, ils ont reconnu une mauvaise répartition entre police et gendarmerie. Le DGPN observe ainsi que « Les évolutions démographiques, sociales et territoriales observées au cours des deux dernières décennies, marquées par le vieillissement de la population, l'affirmation du fait urbain et la montée des violences, conduisent à réévaluer les critères de répartition des forces de sécurité » 24 ( * ) . D'ailleurs, le DGGN reconnait lui-même que ces seuils ne sont pas toujours respectés dans les faits, par exemple en Ile-de-France, où des zones sont en gendarmerie alors qu'elles comptent plus de 20 000 habitants. Enfin, il apparaît également nécessaire de tirer les conséquences de l'augmentation de la population dans certains territoires périphériques en raison de la crise sanitaire.

B. QUELLES PISTES D'AMÉLIORATION ENVISAGER ?

Pour remédier à ces difficultés, le Livre blanc sur la Sécurité propose :

- qu'en dessous de 30 000 habitants, le territoire soit de la compétence de la gendarmerie ;

- qu'entre 30 000 et 40 000 habitants, ce soit la force la mieux adaptée aux caractéristiques du territoire qui soit compétente ;

- qu'au-dessus de 40 000 habitants, la compétence revienne à la police nationale.

Toutefois, vos rapporteurs ne sont guère convaincus par cette clé de répartition arithmétique mais en réalité peu rationnelle (pourquoi ces seuils de 30 ou 40 000 habitants?). En revanche, ils souscrivent parfaitement aux positions présentées par le DGPN et le DGGN lors de leur audition. Elles consistent à raisonner sur une aire plus large que le cadre communal et à dépasser le seul critère démographique, en tenant compte « des bassins de vie et de délinquance », déterminés notamment en fonction de la densité de population et d'habitat, des réseaux de transport et de la vie économique et sociale.

Au cours de l'audition du DGPN, le 3 décembre 2020, de nombreux sénateurs de la délégation ont approuvé cette idée pragmatique , certes plus complexe à mettre en oeuvre que l'application d'un critère démographique, mais bien plus efficace. En matière de réorganisation territoriale, l'État doit se garder de rechercher un « grand soir » ou un « big bang » , qui seraient source de tensions au plan local. Les travaux doivent être guidés par un seul objectif : proposer à la population et aux élus le meilleur service public possible en termes de sécurité. Tous les élus locaux entendus par vos rapporteurs sont allés dans ce sens.

Vos rapporteurs estiment que trois grands principes doivent présider à ce chantier de redécoupage territorial :

- tout d'abord, il y a lieu de tirer tous les enseignements des redéploiements territoriaux intervenus au sein de la police nationale entre 2003 et 2014. Une évaluation préalable , en lien avec les élus, apparaît indispensable avant d'engager une nouvelle réorganisation ;

- en deuxième lieu, vos rapporteurs tiennent à ce que la police demeure compétente dans les communes des chefs-lieux de département , quelle que soit la taille ou la densité du département. Cette présence sert en effet de relais opérationnel stratégique pour la police judiciaire, la police aux frontières, le RAID et la police scientifique.

- enfin - et surtout -, vos rapporteurs jugent indispensable de mener cette réforme en étroite concertation, en amont et en aval, avec les associations d'élus locaux afin de réaliser un délicat « travail de dentelle », pour reprendre l'expression de Mme Françoise Gatel, présidente de notre délégation.

La réorganisation territoriale serait supervisée :

- au plan national , par les trois inspections générales compétentes : IGPN (police nationale), IGGN (gendarmerie) et IGA (ministère) ;

- au plan local , par le préfet. Ce dernier devra constituer une instance de dialogue et de concertation associant aussi fortement que possible les élus locaux. La gouvernance des bassins de délinquance est en effet un sujet majeur, qui garantira la réussite du nouveau maillage territorial.

Votre délégation sera très attentive au suivi de cette réforme , très attendue par les élus locaux, et veillera à ce que ceux-ci soient fortement associés au processus de décision 25 ( * ) .

À cette fin, vos rapporteurs estiment qu'il serait souhaitable d'organiser des auditions et tables rondes en 2021, dès le lancement des travaux de réflexion.


* 24 Réponses au questionnaire qui lui a été adressé. Le Livre blanc sur la sécurité intérieure pose le même constat selon lequel la distinction théorique entre les territoires s'est amoindrie : « Des métropoles qui s'affirment tout en s'inscrivant dans des systèmes urbains bien plus larges, où villes-centres et périphéries sont interdépendantes ».

* 25 Vos rapporteurs se réjouissent que cette préoccupation semble partagée par de nombreux sénateurs. Ainsi, notre collègue Henri Leroy a interrogé le DGGN le 1 er décembre 2020 : « L'expérience d'un redéploiement a été tentée en 2012, ce qui avait soulevé un tollé et une dissension entre la police nationale et la gendarmerie. Pensez-vous que ce chapitre "redéploiement" pourrait soulever les mêmes réactions qu'en 2012, ou la méthode est-elle aujourd'hui fondée sur une plus large consultation des maires concernés ? »

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