B. LE NUMÉRIQUE, OUTIL AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET DE LA RÉSILIENCE DES TERRITOIRES

1. Agir pour de meilleurs réseaux, équipements et formations au numérique
a) Un état des réseaux globalement satisfaisant mais des zones isolées encore à couvrir

La crise sanitaire a imposé un recours renforcé au numérique via notamment le développement du télétravail, de l'enseignement à distance ou encore de l'e-santé. Outil indispensable pendant la crise, le numérique offre de nombreuses opportunités pour renforcer le lien entre les outre-mer et reste du monde et pour sortir les territoires de leur isolement . Il est également indispensable pour l'attractivité et la compétitivité de ces territoires .

Or, si la couverture internet est globalement satisfaisante en outre-mer, de nombreuses zones isolées restent encore à couvrir . Des spécificités géographiques peuvent rendre compliqué l'accès à internet. Des zones blanches subsistent ainsi en Guyane , dans les villages isolés. Dans ce territoire, la fracture numérique entre le littoral et l'intérieur est aggravée par la faiblesse voire l'inexistence du réseau haut débit. Les zones archipélagiques sont également moins bien couvertes, comme en Polynésie française.

Lors du confinement, ces difficultés d'accès à Internet ont pu priver les acteurs économiques du bénéfice des aides de l'État. M. Alex Madeleine, président du Comité du tourisme de la Guyane fait observer que « les dispositifs de soutien de l'État accessibles uniquement par internet ont été activés avec certaines difficultés, notamment à cause de la faible couverture numérique du territoire alors qu'une bonne partie de l'activité touristique se trouve en zone blanche » 136 ( * ) .

La couverture mobile (3G ou 4G) en outre-mer est également globalement satisfaisante. Les taux de couverture en 4G dépassent les 93 % en Guadeloupe , en Martinique , à La Réunion et à Mayotte . La couverture 4G en Polynésie couvre 90 % de la population (Tahiti et Moorea). En Nouvelle-Calédonie, 96 % de la population est couverte en 3G ou 4G (90 % en 4G) avec un déploiement 4G en-cours. Le territoire enregistre une sollicitation forte de l'internet mobile à la demande avec plus de 1 000 000 de demandes de connexions par mois pour une population de moins de 300 000 habitants 137 ( * ) . En revanche, en Guyane, si les villes du bord du littoral telles que Cayenne et Kourou bénéficient de la 4G, l'essentiel des communes des fleuves de l'Oyapock et du Maroni ne sont pas couvertes par un réseau mobile . À l'inverse, La Réunion est un des territoires pilotes choisis pour le déploiement de la 5G qui devrait démarrer fin 2020, début 2021.

Les abonnements internet restent plus chers en outre-mer qu'en Hexagone. Digital Réunion estime qu'ils sont 5 % à 10 % plus chers à La Réunion qu'en Hexagone 138 ( * ) . Les opérateurs justifient ces différences de prix par la nécessité d'installer des plateformes sur chaque territoire « isolé » (il faut une plateforme sur chaque ile). Par ailleurs, comme rappelé plus haut des coûts importants sont liés au déploiement des câbles sous-marins (connexion à plusieurs câbles). Les coûts de transport, stockage et de construction sont par ailleurs plus élevés qu'en Hexagone du fait des contraintes systémiques. Enfin, le prix se justifie également par la taille du marché qui est réduit, les coûts étant donc plus importants pour chaque utilisateur.

Déjà en retard s'agissant de l'Hexagone , le déploiement du Plan France Très Haut débit pour 2022 en outre-mer apparait aujourd'hui compromis. Ce plan implique un poste de dépense significatif dans les outre-mer du fait des difficultés de raccordements et des investissements très lourds à réaliser. Les différents territoires doivent en effet être raccordés aux grands points d'interconnexion mondiaux, le plus souvent au moyen de câbles sous-marins de fibre optique dont le coût important se trouve répercuté sur un nombre réduit d'abonnés. Des territoires comme Saint-Martin pâtissent par ailleurs des conséquences des ouragans sur les infrastructures de réseaux . Les doutes sont donc nombreux sur la possibilité de garantir pour 2022 le déploiement du Très Haut Débit en outre-mer. La mise en oeuvre doit aujourd'hui être accélérer.

Les dispositifs d'aide à l'investissement dans le très haut débit doivent donc être renforcés. Des dispositifs existent déjà comme la défiscalisation des câbles sous-marins . La loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) a en effet inclus les équipements et la pose de câbles sous-marins dans la liste des réductions d'impôts sur le revenu du fait des investissements productifs réalisés en outre-mer. Il conviendrait également d'assouplir les autorisations nécessaires (permis de construire, autorisations de fréquences...) pour faciliter le développement des infrastructures de réseaux en outre-mer.

Proposition n° 45 : Assurer le déploiement du très haut débit en outre-mer pour éviter une nouvelle fracture numérique.

Proposition n° 46  : Faciliter les autorisations nécessaires (permis de construire, autorisations de fréquences) pour permettre aux opérateurs de développer leurs infrastructures.

b) Un équipement en progrès dans les années récentes mais une formation au numérique à amplifier

Si la couverture internet et mobile apparaissent globalement satisfaisante en outre-mer, la formation aux usages du numérique est quant à elle encore insuffisante. La problématique n'est pas tant dans la connexion mais plutôt dans les usages au numérique. L'illectronisme (défini comme la difficulté, voire l'incapacité, que rencontre une personne à utiliser les appareils numériques et les outils informatiques) touche plus fortement les outre-mer, attestant d'une fracture numérique entre l'Hexagone et les outre-mer.

Les équipements en outils numériques progressent en outre-mer . M. Frédéric Hayot, directeur général de SFR Caraïbes, constate que « 80 % de Domiens ont un ordinateur contre 88 % des métropolitains selon l'INSEE » 139 ( * ) . En Polynésie française, 62 % de la population est dotée d'ordinateurs contre 76 % en Hexagone En Nouvelle-Calédonie, 72 % des ménages ont un équipement informatique et 76 % ont un accès à internet 140 ( * ) . 78 % des Réunionnais ont un accès à internet à domicile contre 85 % en Hexagone. Cependant, près d'un Réunionnais sur quatre ne s'est jamais connecté à internet 141 ( * ) . Signe de la fracture dans l'usage du numérique en outre-mer, lors de la crise sanitaire, la Polynésie française n'a pas pu bénéficier des attestations numérique de déplacement. 59 % des Réunionnais ont des compétences faibles ou inexistantes en informatique contre 48 % en Hexagone. L'écart avec l'Hexagone est particulièrement marqué pour les moins de 45 ans (48 % des Réunionnais contre 27 % en Hexagone) 142 ( * )

Outre les particuliers, les entreprises ultramarines enregistrent également des retards dans la numérisation de leur activité. Leur digitalisation est encore insuffisante. Le taux d'informatisation des entreprises en Martinique est de 72 %, 35 % n'ont pas d'accès à internet fixe. Plus de 50 % n'ont pas de projet de digitalisation ou ne sont pas équipées en solutions numériques 143 ( * ) .

Des initiatives ont été mises en place pour renforcer l'équipement et la formation numérique en outre-mer. La région de La Réunion propose ainsi un chèque numérique de 4 000 euros (la région prenant en charge 80 % de la dépense) pour accompagner les entreprises dans la mise en place d'outils et d'usages digitaux (site internet, community management, cybersécurité, plateforme e-commerce...).

Le groupe La Poste a par ailleurs déployé un important plan d'aides à la formation au numérique. Dans ses bureaux de poste sont développés un accompagnement et une offre numérique pour les particuliers. À La Réunion, en Guyane, en Guadeloupe, à la Martinique, les clients de La Poste peuvent disposer d'une tablette et d'un interprète numérique qui les aident à avoir accès aux services de la vie courante ou aux services nécessaires à leurs projets. Par ailleurs, des espaces France Services commencent à s'y déployer. Mme Catherine Garnier-Lamouroux, déléguée du groupe La Poste dans les départements d'outre-mer, précise que « dans ces espaces, nous avons formé des postiers dont une majorité de l'activité consiste à aider nos clients à prendre contact avec les 9 opérateurs qui ont signé la convention avec nous, Pôle emploi, les CAF pour les prestations sociales ou les services de l'État comme ceux des permis de construire. Nous avons donc construit un accompagnement et une offre numérique à l'intérieur des 263 bureaux de poste ultramarins » 144 ( * ) .

En Nouvelle-Calédonie, des « cases numériques » ont été déployées par le Gouvernement, qui permettent aux populations les plus isolées l'accès aux technologies de communication.

De nombreuses associations comme Solidarnum à La Réunion ou les différentes French Tech dans les territoires accompagnent également les populations pour les former aux usages du numérique. Comme le reconnait M. Thierry Kergall, directeur Orange Antilles Guyane, « pour favoriser l'accès au numérique, il faut accroître le soutien aux associations. Beaucoup d'initiatives sont conduites par de petites associations qui ont besoin d'accompagnement » 145 ( * ) . Mme Betty Fausta, présidente de Guadeloupe Tech, estime elle aussi que les outre-mer ont « plus que jamais besoin d'association comme la nôtre (...). Malheureusement, nous sommes sous-financés. C'est très long d'obtenir des subventions et très compliqué de choisir entre les dispositifs proposés par la région, l'État, l'Union européenne... » 146 ( * ) .

Proposition n° 47 : Renforcer les moyens et coordonner les actions des associations de formation au numérique.

c) Accompagner les publics fragiles dans la transformation numérique

Le gouvernement a fixé pour objectif une dématérialisation de toutes les démarches administratives à l'horizon 2022. Ce plan ne parait ni réaliste ni souhaitable en outre-mer, où les populations fragiles et touchés par l'illectronisme sont nombreuses.

Comme le précise M. Fayçal Mouhoussoune, président du Groupement des entreprises mahoraises des technologies de l'information et de la communication (GEMTIC), « La politique de dématérialisation très poussée des services publics risque d'exclure de nombreuses personnes. Il faut que nous puissions avoir des relais locaux, des relais de médiation pour permettre à ces personnes d'accéder aux services publics. J'ai noté les initiatives de la Poste sur notre territoire mais elles doivent être complétées par des maisons de services publics de proximité avec des médiateurs qui sachent parler le mahorais ou le shibushi et qui soient capables d'accompagner les personnes exclues dans leurs démarches. La dématérialisation offre de vraies solutions par rapport à des problématiques de déplacement mais elle doit être accompagnée » 147 ( * ) .

Afin d'accompagner la transition vers le numérique, le Défenseur des droits recommandait en 2019 d'adopter une disposition législative au sein du code des relations entre les usagers et l'administration imposant de préserver plusieurs modalités d'accès aux services publics 148 ( * ) . Il est tout particulièrement nécessaire de mettre en oeuvre cette recommandation en outre-mer.

Proposition n° 48 : Maintenir en outre-mer des guichets de proximité pour qu'aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée.

Proposition n° 49 : Dans les Maisons de services au public, mettre à disposition des équipements collectifs de connexion pour les démarches administratives, appelées à être toutes dématérialisées en 2022.

2. Le secteur de la Tech, vivier d'emplois pour la reprise économique en outre-mer
a) Un secteur encore limité en outre-mer mais aux fortes potentialités

S'il est encore limité en outre-mer, le secteur de la tech représente un vivier d'emplois pour les économies ultramarines et a fait preuve lors de la crise sanitaire de sa capacité d'innovations.

Ainsi, les filières stratégiques du numérique représentent à La Réunion près de 4 600 emplois locaux soit 1 % des entreprises réunionnaises . En Nouvelle-Calédonie, 1 850 emplois peuvent se rattacher à cette filière, comptant pour 2,64 % du PIB calédonien avec 210 entreprises actives et un chiffre d'affaires de la filière de 482 millions d'euros 149 ( * ) . En Guadeloupe , ces entreprises représentent 2 % du PIB .

La crise a également démontré qu'il s'agit également de filières novatrices. Ainsi, avant la mise en place de l'application Stop Covid, un groupe d'entrepreneurs réunionnais (Ansamb), associé à la French Tech Réunion, a développé, avec le soutien de la préfecture de La Réunion, une application de tracing tout aussi efficace : Alertanoo 150 ( * ) . Une autre start up réunionnaise a développé à destination des décideurs politiques et économiques une application de prédiction de l'évolution du Covid-19 ; Covista. Ces deux initiatives sont la preuve du fort dynamisme, du haut potentiel technologique des entrepreneurs de la tech réunionnaise.

b) Faire des outre-mer des zones franches numériques et développer les technopôles

Les ressources humaines en numérique restent encore trop limitées en outre-mer. Les formations universitaires au numérique manquent et les profils intéressés par le développement numérique quittent les territoires pour rejoindre l'Hexagone. M. Vincent Reboul, président de la French Tech Guyane appelle ainsi « à se battre contre la fuite des cerveaux. Le territoire doit redevenir attractif pour la diaspora ultramarine et pour les jeunes qui souvent ne reviennent pas à l'issue de leurs études dans l'Hexagone. Les entreprises qui innovent n'ont pas toujours les moyens d'embaucher à cause du coût du travail ou de la taille du marché ». les entreprises doivent par ailleurs faire face à la concurrence des administrations, qui recrutent elles aussi des profils dans le numérique, en proposant des rémunérations avantageuses. Ces difficultés conduisent à dissuader les entreprises de la tech à s'installer en outre-mer.

Pour remédier au problème de vague de départs des jeunes actifs les plus diplômés, il convient de renforcer l'attractivité numérique des territoires. Cela doit notamment passer par le développement d'incitations fiscales pour inciter à l'installation d'entreprises du numérique dans les territoires ultramarins.

Consacrer les outre-mer en zones franches numériques permettrait de relever ces défis . Les entreprises s'implantant en outre-mer et embauchant une main-d'oeuvre locale dans le domaine du numérique bénéficieraient alors d'exonérations fiscales. Cette incitation fiscale permettrait d'attirer davantage les investisseurs et grands groupes créateurs de valeurs et d'emplois, d'investir sur l'innovation et de favoriser l'implantation de centres de R&D et enfin de recruter des talents en proposant des rémunérations équivalentes à l'Hexagone.

Proposition n° 50 : Faire des outre-mer des zones franches numériques.

Des progrès doivent également être faits pour renforcer les formations universitaires au numérique en outre-mer. Les technopôles permettent de mixer à la fois formation et accueil d'entreprises de haute technologie pour favoriser les synergies et la création . À Mayotte, la chambre de commerce et d'industrie a ainsi lancé un projet de Technopôle avec « des espaces d'incubation (qui) faciliteront la mise en contact avec les centres de recherche. Les porteurs de projets pourront bénéficier d'un accompagnement » 151 ( * ) .

Proposition n° 51 : Créer un technopôle dans chaque territoire afin de regrouper les activités technologiques et favoriser ainsi les synergies et la croissance des entreprises.


* 136 Table ronde Tourisme, 25 juin 2020.

* 137 Questionnaire La Fabrik (Nouvelle-Calédonie).

* 138 Table ronde Numérique, 11 juin 2020.

* 139 Table ronde Numérique, 11 juin 2020.

* 140 Ibid.

* 141 Ibid.

* 142 Le confinement à la Réunion : Quel accès au numérique à La Réunion ? (INSEE / IEDOM / AFD / CEROM).

* 143 Table ronde Numérique, 11 juin 2020.

* 144 Ibid.

* 145 Ibid.

* 146 Ibid.

* 147 Table ronde Numérique 11 juin 2020.

* 148 Défenseur des droits, Dématérialisation et inégalités d'accès aux services publics, 2019.

* 149 Table ronde Numérique, 11 juin 2020.

* 150 Téléchargeable sur le store google.

* 151 M. Feyçoil Mouhoussoune, Table ronde Numérique, 11 juin 2020.

Page mise à jour le

Partager cette page