V. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 23 SEPTEMBRE 2020, SUITE AU DÉPLACEMENT DE LA DÉLÉGATION DANS LE MORBIHAN, LES 15 ET 16 SEPTEMBRE 2020

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Mes chers collègues,

Notre collègue Jacques Le Nay nous présente le compte rendu de notre intéressant déplacement dans le Morbihan, effectué à son invitation. Il s'agit du premier déplacement de notre délégation depuis décembre 2019 compte tenu des circonstances.

M. Jacques Le Nay . - Madame la Présidente, mes chers collègues,

Mardi 15  et mercredi 16 septembre derniers, six membres de notre Délégation se sont rendus dans le département du Morbihan. Je remercie particulièrement notre présidente, Élisabeth Lamure, dont c'était le dernier déplacement en cette qualité, ainsi que les collègues qui nous ont accompagnés : Emmanuel Capus, Joël Labbé, Sébastien Meurant, Jackie Pierre, ainsi que Muriel Jourda, sénateur du Morbihan.

Nous avions un programme dense pour ce déplacement : quatre visites d'entreprises - Cité Marine, dans sa nouvelle usine de Kervignac à Lorient, la société Multiplast à Vannes, le groupe Yves Rocher à La Gacilly et l'entreprise Hamiform à Ploërmel - ainsi qu'une table ronde avec des entrepreneurs du département à la Chambre de Commerce et d'Industrie de Vannes.

Nous avons donc débuté par la société Cité Marine, créée en 1990 et rachetée par le groupe japonais Nissui en deux étapes (2007 et 2012). Ce rattachement, qui résulte d'un choix de ses fondateurs, permet à l'entreprise de bénéficier de l'assise commerciale et logistique de ce groupe, devenu numéro 2 mondial des produits de la mer. Il lui procure également une filière d'approvisionnement et une traçabilité. Cité Marine emploie aujourd'hui 1 600 collaborateurs répartis sur sept sites principalement localisés en Bretagne. Elle a vendu en 2019 des produits élaborés qui ont généré un chiffre d'affaires de 315 millions d'euros. Trois familles de produits sont commercialisées : les produits de la mer pour l'essentiel, les légumes élaborés, ainsi que des solutions végétariennes. Frais ou congelés, ces produits s'adressent à un large panel de clients, en grandes surfaces notamment ou à l'export.

Le site visité à Kervignac a été mis en service en 2017. Le recrutement des nombreux collaborateurs requis pour son fonctionnement n'a pas été aisé. En effet, les profils d'opérateurs de production, de logistique ou de maintenance sont peu abondants sur le marché de l'emploi régional, comme au niveau national d'ailleurs. La France souffre d'un manque de candidats pour les métiers techniques. Ainsi, des offres d'emplois non pourvues empêchent encore aujourd'hui Cité Marine d'augmenter la production pour répondre à une demande qui existe pourtant aussi bien en France qu'à l'étranger. Pourtant, son image de marque s'est améliorée ces dernières années avec le développement d'une politique sociale et d'une approche RSE ; de plus, le versement de primes permet d'augmenter sensiblement les rémunérations.

L'énergique dirigeant de Cité Marine, M. Éric Le Hénaff, nous a confié qu'il s'agit là d'un obstacle majeur au développement de son entreprise, qui a des causes multiples. L'instabilité législative et réglementaire est vécue par lui, comme par de nombreux chefs d'entreprise rencontrés par notre Délégation, comme « un élément de contexte anxiogène ». L'approche punitive du monde de l'entreprise, à travers l'exemple du bonus-malus applicable aux contrats courts, participe de ce sentiment. L'incapacité de Pôle emploi à répondre aux besoins des entreprises a été une nouvelle fois dénoncée. M. Le Hénaff estime en effet que « cet organisme administre plus qu'il ne combat le chômage » et « qu'il ne parle pas le même langage que les entreprises », les contraignant à recourir à des sociétés d'intérim. Enfin, l'attachement des salariés - et des jeunes en particulier - au monde du travail semble manquer. Le contexte sanitaire actuel, qui a privilégié le maintien à domicile, semble avoir aggravé cette désaffection d'une partie des salariés pour la valeur travail. Comme d'autres chefs d'entreprise, il a témoigné du fait que la relocalisation d'une partie de nos activités industrielles -cruciale pour redynamiser l'écosystème local, créer de l'emploi et retrouver ainsi notre souveraineté économique- dépendait moins de problèmes financiers que du manque d'incitation à travailler qui résulte, à l'entendre, du modèle social français.

L'entreprise Cité Marine voit son chiffre d'affaires et ses effectifs croître et poursuit une politique ambitieuse d'investissement. De fait, elle regorge de projets : extension en cours des locaux visités, création d'un nouveau site de production...Ayant récemment obtenu une certification bio, elle a à coeur d'inscrire ses activités dans une démarche respectueuse de l'environnement. Cette incontestable réussite est servie par des valeurs fortes, parmi lesquelles le dirigeant a cité la satisfaction du client, la qualité, la performance et l'innovation.

Le plan de relance annoncé par le Gouvernement est accueilli favorablement par M. Le Hénaff, en particulier la baisse annoncée des impôts de production qu'il qualifie « d'élément de réassurance pour localiser les activités en France ». Il a souligné par ailleurs l'excellente collaboration avec les services de l'État dans le département.

Après cette visite instructive, nous nous sommes rendus à l'antenne de Vannes de la Chambre du Commerce et de l'Industrie du Morbihan pour participer à la table ronde organisée avec une vingtaine d'entrepreneurs, en présence du Préfet du département, M. Patrice Faure. Les échanges furent, comme toujours, très riches et authentiques. Artisan ou commerçant, du boulanger-pâtissier au dirigeant d'une start-up, de l'esthéticienne au patron d'une entreprise de sécurité, tous ont exprimé sans fard leur vision du présent et de l'avenir.

La crise sanitaire et le confinement n'ont bien sûr pas eu le même impact sur l'activité de ces entrepreneurs. Certains - majoritaires - ont malheureusement connu une chute abyssale de leur chiffre d'affaires tandis que d'autres, « obligés de nourrir la population », ont poursuivi - voire augmenté - leur production. Parfois, c'est la saisonnalité de l'activité qui était un facteur prééminent sur l'évolution du chiffre d'affaires. D'autres fois, une reconversion de la production a permis de limiter l'impact de la crise, avec la fabrication de masques ou de gel hydroalcoolique. L'impression générale est qu'il émanait de cette salle un remarquable esprit de solidarité, entretenu par les chambres consulaires et la préfecture du Morbihan. Le préfet a été salué par tous comme ayant su mobiliser ses services pour accompagner et soutenir les entreprises en difficulté. Un retour d'expérience sur ce point serait sans doute très instructif, car il me semble que tous les départements n'ont pas eu cette chance...

Quelles ont été les principales problématiques évoquées pendant cette table ronde ?

À l'évidence, le niveau de trésorerie et la situation du carnet de commandes sont des préoccupations de chaque instant, voire « une obsession » selon le terme de l'un des chefs d'entreprise entendus. La raréfaction des débouchés créée par le confinement a asséché les ressources de nombre d'entreprises, certaines puisant dans des réserves déjà diminuées par les chocs économiques précédents. Un entrepreneur nous a confié que la fermeture soudaine des restaurants l'a privé « du jour au lendemain » de 80 % de ses débouchés. Fort heureusement, il a réussi en urgence à convertir une partie de sa production de denrées périssables à d'autres usages. D'autres n'ont pas eu cette opportunité, leur outil de production ne s'accommodant d'aucune transformation. Avec le confinement, tous ont exposé les effets délétères du report, voire des annulations - en plus grand nombre encore - des foires, congrès, salons et autres événements professionnels. Ce « jeûne » commercial imposé a plus amplement encore touché les entreprises ayant une activité saisonnière. Elles ont été contraintes, quand elles le pouvaient, d'accroître leurs dépenses numériques pour ne pas disparaître des radars et chercher des clients.

Toutes ont cependant salué les aides fiscales et financières mises en place par l'État pour maintenir en vie les entreprises. Plusieurs dirigeants ont ainsi apprécié l'étalement et le report des charges, de même que l'obtention simplifiée de prêts garantis par l'État. L'un d'entre eux a toutefois fustigé les libertés prises par le Gouvernement avec la trésorerie amoindrie des entreprises en citant l'exemple de la gratification de 1 000 euros promise aux salariés par l'État, ce qui a pu mettre en difficulté les employeurs. Par ailleurs, le recours au chômage partiel a constitué un ultime recours. En effet, les entrepreneurs rencontrés partageaient le souci de prévenir l'érosion des compétences et au-delà, la perte de profils qualifiés et déjà rares sur le marché du travail. Tous ont eu à coeur de maintenir l'emploi dans un contexte dénoncé de désamour pour le travail et de repli sur la sphère privée. À cet égard, le télétravail n'a pas semblé constituer un horizon indépassable, l'un des entrepreneurs affirmant que « l'entreprise, ce n'est pas chacun chez soi ».

Parmi les autres difficultés rapportées, je citerai les effets nocifs des seuils sociaux sur l'emploi (en particulier le seuil de 50 salariés), le calendrier électoral qui a figé les commandes de nombreuses communes et intercommunalités, le manque de reconnaissance de certains secteurs à l'image des métiers d'art ou de la sécurité privée, le stress pour concilier vie professionnelle et vie privée.

La difficulté d'accès à la commande publique a été également évoquée. La place prééminente du critère prix dans les attributions suscite en effet indirectement une concurrence déloyale au détriment des entreprises françaises.

Les chefs d'entreprise rencontrés nous ont fait part de leurs inquiétudes pour l'avenir. La mise en extinction progressive des aides fiscales et financières, alors même que leur trésorerie n'a pas été reconstituée, loin s'en faut, est source d'anxiété. Pour eux, l'avenir est aussi celui d'une obligation de continuer à produire dans une totale incertitude quant au niveau et même à la pérennité des activités, placées à la merci d'un nouvel emballement de l'épidémie. Un entrepreneur a résumé la situation en indiquant qu'« on n'a pas encore réalisé ce qui va peut-être nous arriver ».

Quelques notes d'optimisme ont fort heureusement percé dans les discours de certains participants. D'abord, l'action des services de l'État, sous la houlette du Préfet Patrice Faure, a été unanimement saluée par les participants. Ce dernier nous a en effet décrit le plan de bataille économique qu'il a mis en place en lien avec l'ensemble des acteurs locaux. À l'évidence, l'administration et les entreprises parlaient un langage commun dans ce département et un véritable réseau a été mis en place, en dépit de la fermeture d'une partie des services publics. Les réponses étaient proportionnées et adaptées aux circonstances, à l'image de la réouverture courageuse des marchés. « On peut apporter des solutions concrètes et immédiates » pour renforcer la résilience du tissu économique local a indiqué le Préfet. Selon lui, cela implique de donner davantage de souplesse aux préfets.

Le plan de relance a été bien sûr évoqué, avec des réactions globalement positives. Un appel a cependant été lancé « à la vigilance quant à son mode d'emploi et aux modalités de distribution des crédits ». Ont été aussi avancées certaines propositions pour aller plus loin et mieux assurer sa réussite, par exemple :

- Déléguer aux préfets la passation de marchés publics par le contrôle de légalité ;

- À travers un groupement d'intérêt public, lisser la commande publique et la flécher en priorité sur les entreprises en difficulté ;

- Étendre le bénéfice de la défiscalisation des travaux de rénovation énergétique aux résidences secondaires, afin d'assurer rapidement des chantiers pour les entreprises concernées ;

- Mieux contrôler les arrêts de travail ;

- Défiscaliser les compléments de rémunération, telles les primes ;

- Donner le goût au travail, y compris en autorisant les « jobs d'été » avant 18 ans.

La synergie entre les acteurs locaux a été aussi mise en évidence lors de la deuxième journée de visites, qui a débuté dans les locaux de l'entreprise Multiplast. Depuis 1981, cette entreprise dessine et conçoit des bateaux multicoques et monocoques en matériaux composites. Son savoir-faire rapidement reconnu lui permet aujourd'hui de travailler pour de grands donneurs d'ordre nationaux. Forte de son ancrage maritime, l'entreprise investit désormais également la terre - dans le secteur des bâtiments - et les airs - avec l'aviation civile -. Son intuitif dirigeant, M. Yann Penfornis, a exposé à la délégation les projets parfois avant-gardistes de son entreprise pour se diversifier dans le domaine des nouvelles mobilités, montrant le lien entre créativité, ambition et développement.

Une fois de plus, cet exemple nous montre la nécessité de « sanctuariser » notre système de crédit impôt recherche, sans lequel notre pays perdrait considérablement en termes d'innovation, de localisation d'activités et d'emplois.

Notre déplacement s'est poursuivi par la visite du site de La Gacilly du groupe Yves Rocher. À l'origine de cette marque, il y a une aventure familiale qui a véritablement façonné cette « entreprise à mission » comme indiqué par son Directeur des relations publiques, M. Auguste Coudray. Depuis 2004, l'entreprise s'implique beaucoup pour le rayonnement culturel de sa commune d'origine, devenue depuis un « village en résilience ». En effet, elle organise chaque année un festival photographique à succès qui a permis, même cette année, d'assurer sept millions d'euros de retombées économiques pour le territoire. Avec près de 3 000 salariés dont 1 800 sur le site de La Gacilly, et l'intégralité des sites de production de la marque situés en France, l'entreprise a su conjuguer ancrage local et développement économique. Cette réussite est un exemple inspirant pour la revitalisation de nos bourgs auxquels les Français sont tant attachés.

Naturellement, le groupe n'a pas été épargné par l'épidémie de Covid-19. Toutefois, il a su, à l'instar des autres entreprises visitées, adapter sa production et faire évoluer ses organisations en intégrant dans la durée les contraintes sanitaires. Ainsi, la fermeture des magasins de l'enseigne a été aussi soudaine que le retour de la clientèle après le confinement, preuve d'un lien solide avec l'entreprise.

Nous avons terminé notre journée par la visite de l'entreprise Hamiform, dirigée par ses deux frères charismatiques, MM. Laurent et Philippe Davalo qui, avec leur père, ont complètement fait évoluer l'élevage de porcs de ce dernier. Modèle de développement familial, l'entreprise Hamiform illustre la réussite du volontarisme entrepreneurial. Construite en 2014 sur un terrain « en friche », l'entreprise est déjà devenue leader en France dans son domaine d'activité et développe ses exportations. Elle fabrique des produits d'alimentation pour animaux, outre ses productions d'accessoires et l'élevage de certaines espèces domestiques. Elle a même créé sa propre marque dédiée aux cosmétiques pour animaux, marché en pleine expansion que la crise sanitaire n'a pas affaibli. Enfin, cette entreprise présente une empreinte carbone très limitée et conduit des actions pour la compenser, ce qui mérite d'être souligné. En sus de cette fulgurante réussite, nous avons été frappés par la politique sociale de la société Hamiform, à la fois inclusive et respectueuse du bien-être de ses salariés. Ainsi, 20 % des 100 salariés de l'entreprise sont en situation de handicap, ce qui est assez rare pour être souligné. De même, l'entreprise pratique un management inspiré du monde agricole, où les chefs de production exercent tour à tour les fonctions d'opérateur. Cela permet une meilleure compréhension réciproque, respect et entraide entre les salariés. À l'heure où les pratiques managériales sont questionnées au sein des entreprises, ce modèle bienveillant et efficient mérite d'être salué.

En revanche, le byzantinisme de certains de leurs interlocuteurs dans les administrations est assez irritant quand il vient ralentir un processus de développement à l'international. De même, des formalités administratives outrancières découragent jusqu'aux plus tenaces des chefs d'entreprise. Ainsi, les validations chronophages - et au final refusées ! - de documents préalables à l'export en Chine nous ont été rapportées avec une pointe d'aigreur. Néanmoins, l'engagement très fort de la préfecture à l'appui du développement des entreprises a été souligné - et apprécié - par MM. Davalo.

Au total, je crois pouvoir dire au nom des collègues qui ont participé à cette mission que nous avons été frappés par le fort ancrage territorial des entreprises visitées et la solidarité dont elles font preuve. C'est un gage de réussite et d'optimisme dans l'horizon incertain que nous connaissons.

Le Morbihan peut s'enorgueillir d'être riche d'entrepreneurs courageux qui se battent pour créer de la valeur et de l'emploi, malgré les difficultés rencontrées et majorées par la crise sanitaire. L'engagement significatif et salué par tous de la préfecture du Morbihan à leurs côtés est exemplaire. Je tiens à saluer également l'action solidaire et efficace des présidents des chambres consulaires, M. Pierre Montel pour la Chambre du commerce et de l'industrie, et M. Michel Aoustin pour la Chambre de métiers et de l'artisanat, en dépit de budgets de plus en plus contraints.

Ce modèle morbihannais peut sans doute être source d'inspiration pour d'autres territoires. D'ailleurs, Madame la Présidente, vous avez salué ce pragmatisme et suggéré de « labelliser l'expérience morbihannaise ».

Je suis heureux que le dernier déplacement sous votre houlette se soit déroulé dans mon département. En tant que co-rapporteurs du rapport de la Délégation sur la RSE, nous avons pu aussi constater que celle-ci fait partie intégrante des stratégies des entreprises locales. Et nous en réjouir !

Je vous remercie.

M. Jackie Pierre . - Merci pour ce compte rendu qui reflète bien ce que nous avons vu et constaté.

M. Sébastien Meurant . - J'ajoute que c'est la première fois que je rencontre un préfet autant à l'écoute des entreprises dans les territoires, et que cela va dans le bon sens.

Mme Élisabeth Lamure . - Merci pour ce compte rendu complet de ce déplacement réussi et très attendu après de long mois. Je salue également le travail hors normes de Monsieur le Préfet, Patrice Faure, qui est selon moi un exemple à suivre.

Ce compte rendu, si vous en êtes d'accord, sera intégré au rapport annuel établissant le bilan de nos déplacements, lequel sera ainsi rectifié en conséquence.

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