C. AMÉLIORER L'EXERCICE DE LA RESPONSABILITÉ COLLECTIVE DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES DANS LE DOMAINE CULTUREL

Au nom du principe de la libre administration des collectivités territoriales, la loi NOTRe n'a pas conféré à l'exercice de la compétence partagée un caractère obligatoire. Autrement dit, les collectivités territoriales ne sont pas obligées d'intervenir en matière culturelle, en dehors des domaines dans lesquels des missions précises leur ont été assignées.

Toutefois, l'article 103 de la loi NOTRe, adopté à l'initiative du Sénat, leur confie avec l'État, une responsabilité conjointe en matière culturelle , qui doit permettre de garantir le respect des droits culturels des personnes. Les collectivités publiques ont donc l'obligation de veiller ensemble à la continuité globale des politiques culturelles et à leur mise en oeuvre équilibrée sur l'ensemble du territoire. Des améliorations se révèlent aujourd'hui nécessaires pour permettre aux collectivités publiques de mieux exercer cette responsabilité collective, au travers d'un dialogue régulier et d'une coordination de leurs interventions , leur permettant d'éviter les doublons, les carences, comme les incohérences.

1. Renforcer le dialogue entre les collectivités publiques

Dès 2014 et les premières discussions autour du projet de loi NOTRe, le Sénat avait jugé que le dialogue entre les collectivités territoriales autour de leurs politiques culturelles était l'une des clés pour leur permettre d'exercer correctement la compétence partagée . Il avait notamment proposé que les conférences territoriales de l'action publique (CTAP), instituées par la loi MAPTAM pour organiser la coopération territoriale dans chacune des régions, comprennent une commission thématique chargée des questions culturelles, dite « CTAP culture ». Repoussée par l'Assemblée nationale dans la loi NOTRe, cette disposition a finalement été introduite par le législateur à l'article 4 de la loi LCAP précitée. Cet article prévoit également qu'un débat sur la politique en faveur de la culture est inscrit une fois par an à l'ordre du jour de la CTAP. L'initiative de réunir la « CTAP culture » ou d'organiser un débat sur la culture appartient au président du conseil régional.

Plus de trois ans après l'adoption de la loi LCAP, force est de constater que le bilan des CTAP culture est nuancé . Dans un courrier en date de mars 2018 adressé à la présidente de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication qui l'avait interrogé à ce sujet, le président de Régions de France, Hervé Morin, reconnaissait la difficulté à apprécier la pertinence de ces commissions, compte tenu de son appropriation encore en cours par les régions . Seules cinq régions avaient alors véritablement installé cette commission : les régions Bourgogne Franche-Comté, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Occitanie, Hauts-de-France et La Réunion. Les autres régions ne l'avaient pas mise en place.

Plusieurs d'entre elles disposent néanmoins d'instances de concertation qui jouent un rôle identique à celui qu'aurait pu avoir une CTAP culture : la Bretagne avec le conseil des collectivités pour la culture ; le Grand Est avec le conseil consultatif de la culture regroupant tous les acteurs du monde culturel de la région, y compris la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) et les professionnels ; le Centre-Val de Loire avec la conférence permanente culturelle associant les acteurs culturels, les Pays de la Loire avec la conférence régionale culturelle associant les acteurs culturels ; et la Nouvelle-Aquitaine au travers de la conférence territoriale de la culture.

Dans les régions dans lesquelles les CTAP culture ont été réunies, elles se sont souvent transformées en grand-messes peu opérationnelles , compte tenu de l'ampleur et de la variété des sujets à aborder. La fréquence des réunions s'est révélée trop faible pour permettre aux participants d'aborder concrètement la politique à mener pour chacun des secteurs composant le champ culturel.

L' absence de représentants de l'État au sein de ces commissions a également pu nuire à l'efficacité de cet outil, dans la mesure où la responsabilité en matière culturelle dans les territoires relève à la fois des collectivités territoriales et de l'État. Des outils de concertation entre l'État et les collectivités territoriales aux niveaux national mais aussi local , sont donc impératifs pour articuler au mieux les différentes interventions, dans un contexte où l'État sollicite de plus en plus les collectivités territoriales pour la mise en oeuvre des politiques nationales. Ce dialogue renforcé permettra de répondre à la demande formulée par les collectivités d'être davantage entendues par le ministère de la culture pour faciliter la prise en compte de leurs besoins et de leurs spécificités.

Préconisation : mieux coordonner les interventions des collectivités publiques pour permettre à l'État et aux collectivités territoriales d'exercer leur responsabilité en matière culturelle prévue par la loi de façon réellement conjointe.

À cet égard, la transformation, en octobre dernier, du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC) en Conseil des territoires pour la culture (CTC) devrait permettre de faciliter les échanges entre le ministère de la culture et les associations d'élus. Il est indispensable que ces instances soient rapidement déclinées en régions pour pallier le manque de coordination effective entre les collectivités territoriales en matière culturelle au sein des CTAP et améliorer le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. Il serait souhaitable que le préfet de région en soit le co-président avec le président du conseil régional afin de lui permettre de se saisir davantage des problématiques culturelles qu'il ne le fait aujourd'hui, tant la réussite des politiques culturelles repose aussi sur les politiques conduites dans d'autres domaines, tels l'éducation, les transports, le numérique, l'urbanisme ou l'aménagement du territoire. Cette co-présidence permettrait également de renforcer le caractère opérationnel de cette instance, qui aurait ainsi une orientation moins politique et serait davantage axée sur l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques culturelles.

Préconisation : décliner au niveau régional le Conseil des territoires pour la culture (CTC) pour faire émerger un organe politique de coordination plus opérationnel.

Aux côtés de ces nouvelles instances, chargées de définir les grandes orientations stratégiques au niveau des territoires, il serait également utile de développer sur l'ensemble des territoires des instances de dialogue avec les acteurs culturels - soit au niveau des régions ou, notamment dans le cas où les disparités régionales sont trop fortes, au niveau des départements. Seules quelques régions en sont aujourd'hui dotées. Le mieux serait de faire porter ces « états généraux » sur des thématiques particulières (musiques actuelles, livre et lecture publique, arts visuels, enseignements artistiques spécialisés, théâtre, etc...). Cette formule permettrait de mieux identifier les enjeux au niveau local, faciliterait la structuration des filières et pourrait servir de base pour préparer les réunions du CTC au niveau régional. Elle répondrait également à l'attente actuelle d'une territorialisation accrue des politiques culturelles en permettant d'impliquer les différents acteurs et les différentes disciplines à la définition des besoins et à l'élaboration des politiques culturelles à l'échelle du territoire.

Préconisation : développer dans les territoires des instances thématiques de dialogue avec les acteurs culturels , à la bonne échelle en fonction des sujets traités, en favorisant, dans la mesure du possible, l'échelon départemental.

2. Organiser des partenariats entre les collectivités publiques

Le bon exercice de la responsabilité partagée en matière culturelle repose par ailleurs sur l'existence de partenariats entre les collectivités publiques leur permettant d'organiser les modalités de leur action commune . La coordination entre les collectivités publiques apparaît aujourd'hui insuffisante au regard des carences, des doublons ou des incohérences régulièrement constatés sur le terrain.

Pour faciliter la coordination, l'article 72 de la Constitution autorise la loi à désigner un chef de file, lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, pour organiser les modalités de leur action commune. Il ne paraît néanmoins pas opportun, tout au moins à ce stade, de confier à l'échelon régional un rôle de chef de file en matière de politiques culturelles . L'expérience mitigée des CTAP culture montre que les régions ont sans doute encore besoin de temps pour assimiler les bouleversements qui découlent de la dernière réforme territoriale. En outre, la taille des nouvelles régions élargies rend plus difficile l'élaboration de politiques adaptées à l'ensemble des territoires au niveau régional, compte tenu des disparités qui peuvent exister entre ceux-ci. Il convient également de tenir compte du poids conservé par certains départements dans différents domaines de l'action culturelle, auxquels ils pourraient progressivement être tentés de renoncer si les régions se voyaient investies d'une mission de chapeautage.

Même s'il n'apparaît pas souhaitable de désigner au niveau national une collectivité chef de file en matière culturelle, il reste indispensable que les régions, les départements ou les collectivités à statut particulier, selon les cas et les thématiques culturelles traitées, jouent davantage un rôle de coordonnateur pour structurer les politiques culturelles menées par les collectivités territoriales. Il n'existe aucun domaine, en dehors des enseignements artistiques, pour lequel l'élaboration d'un schéma permettant d'identifier et de piloter les implantations culturelles est obligatoire. Les schémas territoriaux de lecture publique, par exemple, restent des instruments dont l'élaboration est encouragée, mais laissée à l'appréciation des collectivités territoriales.

Les enseignements artistiques :
le dispositif législatif le plus abouti d'organisation de la coopération
entre les collectivités publiques

L'organisation des enseignements artistiques résultant de la loi LCAP du 7 juillet 2019 constitue également un exemple intéressant de modalités prévoyant l'imbrication des différents échelons pour garantir l'égalité d'accès aux enseignements artistiques.

L'État a pour rôle de définir un schéma national d'orientation pédagogique, qui définit le cadre pédagogique général de l'enseignement de la musique, de la danse et du théâtre dispensé par les établissements publics d'enseignement artistique sous la responsabilité des collectivités territoriales.

Le département reste chargé d'adopter un schéma départemental de développement des enseignements artistiques, qui définit les principes d'organisation de ces enseignements, afin d'améliorer l'offre de formation et les conditions d'accès à l'enseignement, ainsi que les conditions de sa participation au financement de l'enseignement initial assuré par les communes et leurs groupements.

Chargée d'organiser l'enseignement préparant à l'entrée dans les établissements d'enseignement supérieur de la création artistique dans le domaine du spectacle vivant, la région s'est vu octroyer la possibilité d'adopter dorénavant un schéma régional de développement des enseignements artistiques pour coordonner l'action et le rôle des conservatoires au niveau de chaque région, en tenant compte des principes d'organisation définis par chacun des schémas départementaux.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

L'élaboration, au niveau des régions, des départements ou des collectivités à statut particulier, de contrats de territoire avec les collectivités des échelons inférieurs permettrait, par exemple, d'améliorer la coopération entre les collectivités. L'outil apparaît encore insuffisamment mobilisé dans le domaine culturel, alors même qu'il constitue un bon moyen de structurer et de pérenniser la politique culturelle entre les collectivités volontaires.

De manière générale, les acteurs culturels sont dans l'attente d'un plus grand nombre d' outils de contractualisation et de planification pour renforcer la cohérence de l'action des collectivités territoriales sur le territoire et bénéficier d'une meilleure lisibilité budgétaire au travers d' engagements pluriannuels .

L' État reste un acteur fondamental de ce travail de co-construction . Sous son impulsion, plusieurs outils de construction conjointe des politiques culturelles ont été développés depuis une dizaine d'années, en concertation avec les collectivités territoriales et les acteurs culturels, pour favoriser le développement de certains pans de la culture à l'échelle d'un territoire. Le principe de ces outils est double : d'une part, garantir la diversité de la création et l'accès aux oeuvres, avec la volonté de prendre en compte la situation des territoires ruraux et périurbains, et, d'autre part, contribuer à la structuration professionnelle et au développement économique des secteurs culturels concernés. C'est notamment l'objectif des schémas d'orientation pour le développement des musiques actuelles (SOLIMA) et des schémas d'orientation pour le développement des arts visuels (SODAVI).

Des efforts seraient souhaitables pour que l'ensemble des territoires soient couverts par ces schémas . Une réflexion pourrait également être engagée pour en élaborer en faveur d'autres disciplines artistiques et culturelles.

Ces outils de coopération politique présentent plusieurs intérêts. Déjà, ils favorisent les échanges et la connaissance mutuelle entre les acteurs culturels d'un secteur et les collectivités publiques participantes. Ensuite, ils permettent aux collectivités publiques de hiérarchiser leurs priorités pour un secteur. Enfin, ils sont déterminants pour la structuration des filières à l'échelle des territoires, une question souvent fondamentale pour les acteurs culturels. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'ils soient suivis de l'adoption, quelques années après, de contrats de filière.

Même si l'attention se focalise aujourd'hui davantage sur la question du financement des politiques culturelles, la dimension politique ne doit pas être négligée . La mise en place de tels outils de coopération politique est un moyen d'impliquer durablement les collectivités territoriales en faveur de la culture et d'obtenir que leurs actions sur le territoire soient plus cohérentes et mutualisées.

Préconisation : encourager les régions, les départements et les collectivités à statut particulier, selon l'organisation locale et les thématiques traitées, à jouer un rôle de coordinateur des politiques territoriales, sans pour autant désigner une collectivité chef de file en matière culturelle, et développer les mécanismes de contractualisation dans le domaine de la culture.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page