C. DÉVELOPPER UNE VISION POUR LE TRANSPORT RÉGIONAL DE DEMAIN : FAIRE DES LIGNES AÉRIENNES DE TERRITOIRE LE LABORATOIRE DE LA MOBILITÉ DURABLE

1. Dès maintenant : intégrer des critères environnementaux dans les obligations de service public en contrepartie d'une exonération sur l'éco-contribution

Exonérées de contribution carbone sur les billets d'avion, les lignes d'aménagement du territoire métropolitaines pourraient en contrepartie améliorer leur bilan carbone, sans dégrader leur qualité de service et sans affecter leur équilibre économique.

En la matière, le choix des appareils utilisés par les compagnies constitue le levier principal de réduction des émissions. À cet égard, votre mission constate que les turboréacteurs ( jets ) sont de plus en plus privilégiés par les compagnies exploitant des LAT, aux dépens de leur principal concurrent sur le marché des vols intérieurs, les turbopropulseurs (avions à hélice). Air France a ainsi initié un mouvement progressif de retrait de sa flotte des appareils ATR 104 ( * ) . Pourtant, la comparaison entre deux appareils d'environ 50 places opérant sur les LAT - l'Embraer 145 et l'ATR 42 - est à l'avantage de ce dernier, tant au regard du coût d'exploitation que de l'empreinte carbone. Selon l'éco-calculateur de la DGAC 105 ( * ) , sur les distances considérées (inférieures à 500 kilomètres et pour des avions d'environ 50 sièges), l'avion à hélice consomme 30 à 40 % de kérosène en moins que le jet et émet, dans les mêmes proportions, moins de CO 2 106 ( * ) .

Émissions de CO 2 par passager et par kilomètre,
par type d'appareil et longueur de trajet

Source : Eco-calculateur de la DGAC

De surcroît, selon la Fédération nationale de l'aviation marchande (FNAM), les compagnies utilisant des turbopropulseurs, plus légers, bénéficient de redevances aéroportuaires moins élevées que celles utilisant des turboréacteurs.

Plus économique et plus propre, l'avion à hélice est cependant plus lent. Pourtant, sur des vols intérieurs, le différentiel de temps avec le jet semble modéré (15 minutes sur un vol Quimper-Paris, utilisé par votre mission lors de son déplacement en Bretagne).

Pour le constructeur ATR, les taux de régularité inférieurs de l'avion à hélice en France, évoqués par les utilisateurs de certaines lignes d'aménagement du territoire, sont la conséquence du désinvestissement progressif de Air France de sa flotte d'ATR, ainsi qu'à des problèmes plus spécifiques de ressources humaines dans les équipes de maintenance de la compagnie (avec le départ de certains techniciens particulièrement qualifiés et connaisseurs des appareils ATR), ce qu'a par ailleurs confirmé le directeur général de HOP ! lors de son audition par votre mission d'information.

Le directeur général de l'aviation civile, Patrick Gandil, estime que la médiocre réputation de l'avion à hélice tient autant à son image dégradée qu'aux difficultés d'Air France HOP ! à en assurer la maintenance. Malgré les progrès technologiques significatifs dont elle a bénéficié, l'hélice est souvent perçue comme étant moins fiable, moins sûre et moins avancée que le jet, associé depuis les années 1990 à une certaine idée de la modernité dans le secteur aérien. Pour Patrick Gandil, il semblerait que l'État n'ait pas réussi à faire « la pédagogie du turbopropulseur ».

Comparatif entre un avion dit « à hélice » équipé de turbopropulseurs
et un avion dit « jet » à turboréacteurs

ATR 72-600 (turboprulseur)

Ligne : Paris - Aurillac

Type : ATR 72-600

Immatriculation : F-HIPY

Opérateur : Aéro4M, filiale de Regourd aviation, sous-traitant d'Air France HOP ! attributaire de la délégation de service public

Motorisation : 2 PW127M turbopropulseurs

Vitesse : 590 km/h

Capacité : 74 passagers (50 passagers pour la version ATR 42)

Photo : Sénat

(Orly 11 juillet 2019)

Embraer ERJ 145 (turboréacteur)

Ligne : Paris - Quimper

Type : ERJ 145 MP

Immatriculation : F-GUBG

Opérateur : Air France HOP ! attributaire de la délégation de service public

Motorisation : 2 AN AE3007A1 turboréacteurs

Vitesse : 833 km/h

Capacité : 50 passagers

Photo : Sénat

(Quimper 24 juin 2019)

En intégrant des critères environnementaux dans l'obligation de service public, les collectivités pourraient donc orienter les opérateurs vers des solutions à la fois plus respectueuses de l'environnement et plus économiques. Elles anticiperaient par là même une tendance forte sur le marché des constructeurs des petits porteurs ; Bombardier et Embraer ne produisant plus actuellement de turboréacteurs de moins de 70 places, seuls les ATR-42 et ATR-72 pourraient, à terme, être à même d'assurer la desserte des territoires bénéficiant de LAT. Elles inciteraient enfin les compagnies à utiliser des appareils plus jeunes et donc plus fiables (l'âge des flottes opérant des OSP étant significativement plus élevé et pouvant atteindre 25 ans). Pour accompagner l'intégration de critères environnementaux dans les OSP, l'État pourrait déterminer une clause type, qui aurait vocation à être adaptée par les collectivités mettant en place une LAT.

Parallèlement, le nouveau contrat de régulation économique avec ADP (2021-2025) devrait également intégrer de tels critères, option à laquelle la ministre des transports, auditionnée par votre mission, a affirmé réfléchir (« on sait que les avions à hélice sont plus performants en terme environnemental, ce qui devrait pouvoir se traduire dans les redevances »).

Dès lors, le turbopropulseur devient une technologie particulièrement adaptée au court-courrier. En contrepartie d'une vitesse inférieure (590 km/h pour un ATR 72 au lieu de plus de 800 km/h pour un jet), le turbopropulseur semble mieux s'intégrer dans les exigences de réduction de consommation et de nuisances sonores.

Proposition n° 28 : Intégrer des critères environnementaux dans les OSP, pour orienter les compagnies vers l'utilisation des aéronefs les plus efficients en matière d'économie de carburant et de réduction des émissions carbone.

2. À court terme : créer spécifiquement pour les LAT une filière vertueuse de production locale de biocarburants

L'Agence internationale de l'énergie estime que la part des biocarburants dans l'usage total de carburant aviation n'atteindra que 20 % en 2040 107 ( * ) si rien n'est fait pour favoriser des filières pérennes. Certains acteurs du secteur, comme Global Bioénergies, entendus par votre rapporteure, ont confirmé le caractère optimiste de cette prévision . Ils souhaitent une accélération du processus notamment pour développer une filière « sucre » (basée sur la fermentation de résidus agro-industriels). Celle-ci, contrairement à la filière de recyclage des huiles usagées basée sur une matière première d'importation, pourrait être développée dans les territoires et créer des emplois locaux au plus près des aéroports de désenclavement. Il faut se féliciter que cet appel à la création d'un « cercle vertueux » pour l'économie locale des territoires, durable et créatrice d'emplois, ait été entendu par le nouveau secrétaire d'État chargé des transports, Jean-Baptiste Djebbari, celui-ci ayant déclaré le 9 septembre dernier souhaiter être le « ministre des transports qui lance la filière des biocarburants aériens » 108 ( * ) .

L'ensemble des compagnies aériennes entendues par votre rapporteure ont confirmé la certification de leurs avions pour l'usage de biocarburants .

Proposition n° 29 :  Initier le développement d'une filière de production et d'approvisionnement en biocarburants aéronautiques localisée dans les territoires.

3. À moyen et long terme : expérimenter en priorité sur les lignes de courtes distances les futurs aéronefs hybrides et décarbonés

Si les solutions technologiques ne permettent pas d'envisager une aviation zéro émission pour le transport aérien de masse, il semble pourtant que certaines compagnies envisagent à moyen terme des solutions innovantes. Ainsi, Easy jet a annoncé travailler à l'avion électrique pour la ligne Londres-Amsterdam dont la distance est inférieure à 500 kilomètres. Selon Stéphane Cueille, directeur R&T (recherche et technologie) et innovation de Safran, les motorisations hydrides ne semblent pas pour l'heure envisageables sur des avions de plus de 50 places. On peut en conclure que dans le format actuel des lignes d'aménagement du territoire qui emploient essentiellement des avions de 50 places, le transport aérien régional français pourrait constituer le laboratoire en condition réelle de l'utilisation de la propulsion hybride 109 ( * ) .

La diversité des LAT et la variété des liaisons, qui incluent des vols très courts avec escales (La Rochelle-Poitiers-Lyon), constituent un terrain d'expérimentation privilégié pour l'émergence d'un champion français.

Proposition n° 30 :  Faire de l'aviation régionale française le laboratoire du transport aérien hybride et décarboné de demain


* 104 ATR est le seul constructeur à encore commercialiser des avions à hélice. Ses principaux concurrents, Embraer et Bombardier, ont privilégié le jet, dès les années 1990.

* 105 https://eco-calculateur.dta.aviation-civile.gouv.fr/les-chiffres-cles .

* 106 Ce chiffre, souvent repris par les interlocuteurs entendus par votre rapporteure, se vérifie par les données fournies par l'éco-calculateur de la DGAC.

* 107 P. Le Feuvre, Are aviation biofuels ready for take off? , AIE, 2019.

* 108 Source : BFM TV (9 septembre 2019).

* 109 Plusieurs constructeurs dont Airbus (dont le vol du prototype e-fan X est annoncé à partir de 2021), UTC (United Technologies Corporation) sur la base de l'appareil régional à turbopulseurs Dash 8, ainsi que ATR selon une étude de l'ONERA, présentent un niveau de faisabilité à l'horizon 2030 et plus.

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