IV. CONCILIER DÉSENCLAVEMENT DES TERRITOIRES ET DÉVELOPPEMENT DURABLE

A. LES EFFORTS DÉPLOYÉS PAR LE SECTEUR AÉRIEN POUR RÉDUIRE SON IMPACT ENVIRONNEMENTAL

1. Comme tous les modes de transport, le transport aérien demeure confronté à la nécessité de réduire ses émissions de gaz à effet de serre

La part du transport aérien dans les émissions de gaz à effet de serre en France fait l'objet d'estimations divergentes. Lors des auditions menées par votre rapporteure, le chiffre de 2 % des émissions nationales a été avancé par différents interlocuteurs. En réalité, si l'aviation civile représente bien 2 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales 91 ( * ) , l'empreinte carbone de l'aérien est plus élevée en France. Selon les chiffres de la DGAC, le transport aérien civil a émis en 2017 21,9 millions de tonnes de CO 2 92 ( * ) . Avec des émissions totales en 2017 de 466 Mt de CO 2 , le secteur représenterait ainsi 4,7 % des émissions nationales 93 ( * ) . L'effet de l'aérien sur le changement climatique ne se limite cependant pas aux émissions de gaz à effet de serre. Comme le rappelle The Shift Project 94 ( * ) , think tank présidé par Jean-Marc Jancovici, membre du Haut Conseil pour l'action climatique auprès du Premier ministre, « le fonctionnement des moteurs en altitude produit des oxydes d'azote, de la vapeur d'eau et des particules fines, ce qui a des effets sur la chimie de l'atmosphère et sur la formation des nuages d'altitude ». Avec cet effet, aussi appelé « forçage radiatif », la contribution réelle de l'aérien au réchauffement climatique pourrait être multiplié par deux, selon les estimations de l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME), reprenant les travaux du  Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ( GIEC ) 95 ( * ) .

Les émissions de CO 2 ont cependant progressé à un rythme largement inférieur à la croissance du trafic aérien. Entre 2000 et 2017, ces émissions ont augmenté de 14,3 % pour un nombre de passagers-équivalents-kilomètres-transportés (PKTeq), pourtant en hausse de 53,7 %. Le développement du trafic aérien s'est donc accompagné d'une amélioration significative de son efficacité énergétique, avec une diminution de 25,7 % des émissions de CO 2 unitaire (en kg de CO 2 /PKTeq), soit une décroissance moyenne annuelle de 1,7 % 96 ( * ) . Cette amélioration de l'efficacité énergétique du secteur aérien s'explique principalement par les nombreux efforts des acteurs visant à réduire leur consommation de kérosène. Différents interlocuteurs entendus par votre rapporteure, comme BAR France ou la Fédération nationale de l'aviation marchande (FNAM), regrettent que ces efforts soient trop peu connus par le grand public. Les améliorations constatées découlent autant des progrès technologiques (moteurs, allégement des aéronefs, aérodynamique optimisée...) que des modèles économiques utilisés par les compagnies. Pour Paul Chiambaretto, l'augmentation du taux de remplissage des avions, notamment par la flexibilité des prix en fonction de la demande ( méthode de « yield management ») est un facteur déterminant dans la baisse de l'empreinte carbone par passager.

2. La part des émissions du transport aérien intérieur est minoritaire et décroissante

La part du transport intérieur dans les émissions de CO 2 du secteur aérien est minoritaire et décroissante. Pour cause, parallèlement au recul relatif du transport intérieur dans le trafic aérien global, on observe depuis 2000 une diminution nette des émissions de CO 2 pour le trafic intérieur métropole (- 28 %). La part du transport intérieur dans les émissions carbone du transport aérien atteint 20,4 % (4,5 millions de tonnes (Mt) en 2017, soit près de 1 % des émissions totales de la France). Une proportion importante de cette part est liée à la desserte des territoires d'outre-mer (2,5 Mt). Le trafic en métropole ne constitue donc que 2 Mt, soit 9 % des émissions du secteur. En comparaison, les émissions du transport aérien international 2017 (17,4 Mt de CO 2 , soit environ 3,7 % des émissions totales de la France) représentent près de 80 % des émissions du transport aérien : les émissions du trafic aérien au départ de la France sont donc environ 4 fois supérieures aux émissions du seul trafic intérieur. Cette part a fortement augmenté depuis 2000, avec une progression de 30 %. C'est donc le dynamisme du transport international qui explique la croissance des émissions de CO 2 .

Évolution des émissions de CO 2
du transport aérien depuis 2000.

Source : DGAC

Évolution des émissions de CO 2 unitaire
(par passagers-équivalents-kilomètres-transportés)
du transport aérien depuis 2000

Source : DGAC

3. Reconnaître les efforts du secteur aérien pour s'adapter à l'urgence climatique

Le secteur aérien s'est fixé des objectifs ambitieux, visant à stabiliser et réduire, à long terme, ses émissions. L'Air Transport Action Group (ATAG), représentant à l'échelle internationale de l'industrie du transport aérien, s'est fixé, en 2008, trois objectifs :

- à court terme, entre 2009 et 2020, une amélioration de l'efficience énergétique de 1,5 % en moyenne par an ;

- à moyen terme, une stabilisation des émissions au niveau de 2020 ;

- à long terme, une réduction de moitié des émissions de CO 2 en 2050 par rapport au niveau de 2005.

Pour répondre à ce défi, le secteur aérien entend s'appuyer sur quatre leviers principaux.

Le premier de ces leviers est le progrès technologique , qui permet tout d'abord d'améliorer l'efficacité énergétique des appareils. Comme le rappelait Paul Chiambaretto, « les dernières générations d'avions ont des consommations par passager de l'ordre de 2 à 3 litres pour 100 km, soit la consommation d'une voiture hybride ». Par ailleurs, les efforts de recherche et développement se concentrent aujourd'hui sur le développement de l'électrification. Celle-ci est déjà entamée sur les systèmes de bord tels que le freinage et la pressurisation de la cabine. L'électrification pourrait également porter sur le roulage afin d'éviter de faire fonctionner au sol les moteurs de l'avion. La frontière technologique demeure cependant l'utilisation de l'électrique en vol, par la conception d'avions à propulsion hybride/électrique. Le salon du Bourget 2019 a été l'occasion pour Daher, Airbus et Safran de dévoiler l' EcoPulse TM , un démonstrateur d'avion à propulsion hybride, dont le premier vol est prévu à l'horizon 2022. Si l' EcoPulse TM est pour l'heure limité en capacité, il pourrait préfigurer l'application de la technologie hybride à des appareils destinés aux liaisons régionales.

Le secteur aérien compte par ailleurs sur le développement des carburants bas carbone, principalement issus de la biomasse. Selon le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) 96 ( * ) , « cinq filières de biocarburant sont déjà certifiées, et une vingtaine de filières supplémentaires sont en cours de certification ». Ces biocarburants peuvent d'ores et déjà alimenter les moteurs actuels, en remplacement du kérosène actuellement utilisé.

En parallèle des évolutions technologiques, les acteurs de l'aérien entendent limiter l'empreinte carbone de l'avion par l'amélioration de la gestion du trafic aérien et l'optimisation des opérations. En remplacement de la méthode traditionnelle d'approche (descente par paliers), le secteur promeut notamment la descente continue, réduisant la propulsion moteur, par l'utilisation des capacités de navigation par géolocalisation (systèmes GNSS).

Méthode optimisée d'approche,
en comparaison de la méthode traditionnelle par palier.

Source : GIFAS, 2017

Enfin, pour répondre aux objectifs qu'il s'est fixé,  le secteur aérien s'est engagé en 2018, au niveau mondial, dans le programme Corsia .

Le programme Corsia

Une résolution de l'OACI d'octobre 2016 vise à la mise en place d'un mécanisme de marché mondial visant à limiter la croissance des émissions du transport aérien. Il s'agira d'un système d'obligation d'achat de crédits de compensation des émissions de CO 2 supérieures au niveau des émissions de l'année 2020.

Le mécanisme prévoit deux phases de mise en oeuvre : une première phase entre 2021 et 2026 basée sur le volontariat, puis une seconde phase à partir de 2027 où le dispositif s'appliquera de façon universelle à l'exception d'un certain nombre d'États exemptés (notamment les pays les moins développés, les plus enclavés et ceux dont le transport aérien est le moins mature).

Les 65 États volontaires qui participeront à la première phase du CORSIA représentent d'ores et déjà près de 87 % de l'activité aérienne internationale.

Dès la seconde phase, les États inclus dans le dispositif représenteront plus de 93 % de l'activité aérienne internationale. Ce sont ainsi près de 80 % des émissions de CO 2 mondiales qui seront couvertes par le dispositif.

Cette initiative mondiale s'ajoute au système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE) (en anglais, EU ETS ), auquel le transport aérien, à la différence des autres modes de transport, a été intégré, par la directive européenne 2008/101/CE, transposée dans le code de l'environnement par les articles L. 229-5 à L. 229-24-2. Pour Patrick Gandil, directeur général de l'aviation civile, ces deux systèmes sont complémentaires. Le premier, moins ambitieux car ne visant qu'à limiter les émissions au niveau de 2020, se veut cependant mondial. Le deuxième, restreint aux vols européens, soumet le secteur aérien à la fluctuation du prix donné par le marché au CO 2 .

Votre mission constate que les efforts consentis devront être poursuivis et soutenus pour contrebalancer la croissance attendue du transport aérien. À plusieurs égards, ce défi s'annonce exigeant.

Enfin, selon l' Association internationale du transport aérien (AITA), organisation commerciale internationale de sociétés de transport aérien, après avoir été multiplié par deux depuis 2000, le nombre de passagers devrait encore doubler pour atteindre 8,2 milliards de voyageurs en 2037 (soit une croissance annuelle moyenne de 3,5 %) 97 ( * ) . Pour compenser l'augmentation de 3,5 % du nombre de passagers , une baisse proportionnelle des émissions de CO 2 unitaire serait nécessaire. Il faudra donc que le secteur multiplie par deux sa performance des années 2000 à 2017 (- 1,7 % /an), ce qui s'annonce comme un défi exigeant mais réalisable.

Au regard de ces données, la mise en oeuvre d'une taxation carbone de l'aérien semble compréhensible pour réorienter les usages et donner au secteur les moyens d'un changement d'échelle.


* 91 Selon les chiffres de l'Air Transport Action Group (ATAG, https://www.atag.org/facts-figures.html ), repris par l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OAIC).

* 92 https://eco-calculateur.dta.aviation-civile.gouv.fr/les-chiffres-cles .

* 93 Selon les chiffres de la DGAC, les émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien sont quasiment équivalentes aux émissions de CO 2 . Il existe un différentiel de 1%, qui permet principalement d'inclure la contribution du protoxyde d'azote N 2 O.

En revanche, si l'on considère à la fois la phase amont (production et distribution du carburant) et la phase de vol, les valeurs proposées par la DGAC (et reprises dans ce rapport) doivent être multipliées par 1,22 pour obtenir l'impact total des émissions de gaz à effet de serre sur l'ensemble de la filière.

* 94 https://theshiftproject.org/article/aerien-climat-fiscalite-manuel-auto-defense-intellectuelle/ .

* 95 http://www.bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm?aerien.htm .

* 96 GIFAS, L'industrie aérospatiale face au défi climatique, 2017.

* 97 Chiffres publiés par l'AITA en octobre 2018.

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