RÉDUIRE LE POIDS DES NORMES EN AVAL DE LEUR PRODUCTION : INTERPRÉTATION FACILITATRICE ET POUVOIR DE DÉROGATION AUX NORMES

La véritable solution en matière de lutte contre l'inflation normative est, nous l'avons dit, de réduire le flux de production des normes et de s'attaquer au stock des normes existantes. En ce sens, un pouvoir de dérogation aux normes illustre autant la situation actuelle, si ce n'est plus, qu'il n'y remédie.

Pour autant, dans le contexte actuel, où les solutions pour maîtriser flux et stock n'ont pas encore été mises en oeuvre, il ne faut pas bouder des méthodes novatrices qui s'exercent en aval de la production des normes et qui consistent à en réduire les effets négatifs en termes de rigidité, de coût et de délais. C'est le cas des deux instructions du Premier ministre de 2013 et 2016, demandant aux préfets de mettre en oeuvre une « interprétation facilitatrice » des normes, et du décret du 29 décembre 2017 qui lance une expérimentation territoriale permettant au préfet de déroger à certaines normes juridiques.

Certes, l'action facilitatrice des préfets n'est pas une nouveauté, comme le souligne le secrétaire général adjoint, directeur de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT) du ministère de l'Intérieur : « Avant même les circulaires, la relation entre les élus et les préfets permettait des échanges étroits pour favoriser une application intelligente d'un certain nombre de réglementations. Le rôle facilitateur des préfets est, à cet égard, bien ancré. Peu de temps après son investiture, le Président de la République avait toutefois souhaité lancer la préparation d'un projet de loi sur le droit à l'erreur et la simplification. Dans ce cadre, commande a été passée à l'ensemble des ministères de faire des propositions innovantes en matière de simplification administrative. Si cette démarche n'est pas allée jusqu'à l'abrogation d'un certain nombre de textes, nous avons cependant cherché à faire preuve de réelles innovations. C'est ainsi que, dès le début de l'été 2017, la mise en oeuvre d'un droit de dérogation a été envisagée par le ministère de l'Intérieur. »

L'avantage des instructions de 2013 et 2016 avait été de remettre cette capacité de souplesse et d'accompagnement des préfets au coeur de leur action. Celui du nouveau décret est d'aller plus loin et de donner au préfet une base légale claire pour agir, et donc d'être un outil de sécurisation juridique. Il offre en outre à tous davantage de transparence, via notamment la publication de tous les arrêtés de dérogation. Un troisième avantage est de pousser les services de l'État à davantage s'interroger sur les nids de complexité auxquels sont confrontés les collectivités et les porteurs de projets, et à s'organiser pour y faire face, aujourd'hui par la dérogation, demain peut-être grâce à d'autres dispositifs plus ambitieux.

Le décret sur la dérogation présente un autre intérêt : il permet d'aller vite pour alléger le carcan des normes dans des situations concrètes, car l'on sait que procéder à un toilettage des lois et règlements prendra nécessairement du temps. Enfin, la mise en oeuvre du décret de 2017 est une occasion d'identifier les normes qui posent problème et qui mériteraient d'être modifiées, voire abrogées.

I. L'INTERPRÉTATION FACILITATRICE DES NORMES : UNE MESURE SYMBOLIQUE SANS RÉELLE PLUS-VALUE ?

Le Premier ministre a publié à deux reprises des circulaires visant à enjoindre aux préfets d'adopter une « interprétation facilitatrice des normes ».

A. LES CIRCULAIRES SUCCESSIVES ET LEUR CONTENU

L'instruction n°5646/SG du 2 avril 2013 portant instruction relative à l'interprétation facilitatrice des normes a été signée par Jean-Marc Ayrault.

C'est probablement l'un des textes officiels les plus courts de l'histoire administrative avec une seule phrase tenant en quatre lignes : « À l'exception des normes touchant à la sécurité, il vous est demandé désormais de veiller personnellement à ce que vos services utilisent toutes les marges de manoeuvre autorisées par les textes et en délivrent une interprétation facilitatrice pour simplifier et accélérer la mise en oeuvre des projets publics ou privés »

Deux ans et demi plus tard, l'instruction n°5837/SG du 18 janvier 2016, signée par Manuel Valls relative à l'interprétation facilitatrice des normes applicables aux collectivités territoriales et à l'accompagnement des élus pour leur mise en oeuvre , comporte, elle, trois volets :

- elle insiste, en premier lieu, sur le rôle d'accompagnement et de conseil que les élus locaux doivent pouvoir trouver auprès des préfectures et des services déconcentrés de l'État. Ce rôle englobe appui, orientation et explication sur les normes, voire conseils en matière de mise en oeuvre ;

- elle rappelle ensuite la notion d'interprétation facilitatrice des normes de l'instruction du 2 avril 2013 en y ajoutant la notion d'adaptation aux spécificités locales, sans que l'on distingue précisément l'impact de cette adjonction ;

- elle demande enfin des remontées d'informations sur les difficultés d'application aux fins d'un éventuel réexamen des normes.

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