ANNEXE 5 : COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DU 31 JANVIER 2019 ( REPRÉSENTANTS DU MINISTÈRE
DE L'INTÉRIEUR)

Audition de M. Alain Espinasse, secrétaire général adjoint, directeur de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT) du ministère de l'Intérieur, sur l'impact pour les collectivités territoriales des textes récents en matière de simplification des normes

M. Jean-Marie Bockel, président . - Bonjour à tous, j'effectuais un point semestriel hier après-midi avec le Président Larcher sur les travaux de la délégation et j'évoquais les réflexions menées sur la simplification des normes, dont il avait fait une priorité lors de sa première mandature. Dans la poursuite du travail engagé par Rémy Pointereau, nous avons conscience qu'il s'agit d'un partenariat où chacun a sa part de responsabilité, l'autorité politique exécutive, le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) - qui nous a sensibilisés dès le début de nos travaux sur la complexité de la tâche -, ainsi que le Parlement. Notre travail est d'avancer de manière très concrète, à l'instar des réflexions initiées par Rémy Pointereau sur les normes d'urbanisme.

Sans plus attendre, je vous présente les intervenants de ce jour.

M. Alain Espinasse est secrétaire général adjoint et directeur de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT) au ministère de l'Intérieur.

M. Olivier Benoist est chef du bureau de l'organisation et des missions de l'administration territoriale à la direction de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT).

M. Frédéric Papet est sous-directeur des compétences et des institutions locales à la direction générale des collectivités locales (DGCL).

Mme Anne-Sophie Péron est adjointe du chef du bureau du financement des transferts de compétences à la direction générale des collectivités locales, ce bureau assurant le secrétariat du CNEN. Si M. Alain Lambert n'a pas pu être présent ce matin, il reste évidemment une référence sur l'ensemble de ces sujets.

Nous évoquerons avec nos quatre intervenants l'impact des circulaires du Premier ministre de 2013 (Ayrault) et 2016 (Valls) sur l'interprétation facilitatrice des normes par les préfets, et du décret n°2017-2845 du 29 décembre 2017 sur le pouvoir de dérogation aux normes des préfets. Afin d'obtenir une meilleure vision de la situation en ce domaine, nous auditionnerons également tout prochainement les préfets des différents départements concernés. Je tiens à rappeler que le pouvoir de dérogation fait toutefois débat, y compris entre nous, certains s'interrogeant sur jusqu'où la souplesse peut être conforme au principe de l'égalité de tous devant la loi.

Il s'agit de la deuxième audition du cycle sur les normes, après celle qui a accueilli les fonctionnaires territoriaux et avant celle du 14 février qui accueillera le Secrétaire général du Gouvernement (SGG) en personne.

Dans le cadre des deux circulaires, le Premier ministre a retenu une rédaction lapidaire, par exemple en 2013 : « A l'exception des normes touchant à la sécurité, il vous est désormais demandé de veiller personnellement à ce que vos services utilisent toutes les marges de manoeuvre autorisées par les textes et en délivrent une interprétation facilitatrice pour simplifier et accélérer la mise en oeuvre des projets publics ou privés . »

Les contacts préalables à l'organisation de l'audition laissent planer un grand flou sur le suivi de ces circulaires et leur utilité réelle, SGG et ministère de l'Intérieur « se renvoyant la balle ».

Le décret vise à évaluer, par la voie d'une expérimentation conduite pendant deux ans (du 31 décembre 2017 au 31 décembre 2019), l'intérêt de reconnaître au préfet la faculté de déroger à certaines dispositions réglementaires pour un motif d'intérêt général. À cet effet, il autorise, dans certaines matières, le représentant de l'État à prendre des décisions individuelles dérogeant à la réglementation, afin de tenir compte des circonstances locales mais aussi dans le but d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques.

Cette expérimentation est ouverte à trois préfets de région (Pays-de-la-Loire, Bourgogne-Franche-Comté et Mayotte), quatre préfets de département (Lot, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Creuse) et au préfet délégué dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

La dérogation est prévue pour les décisions non réglementaires relevant de la compétence des préfets dans sept domaines listés par le décret (subventions, aménagement du territoire et politique de la ville, environnement, logement et urbanisme, emploi et activité économique, patrimoine culturel, sport). Les dérogations sont interdites dans les domaines régaliens ou sensibles.

Dans les deux mois qui précèdent la fin de l'expérimentation, les préfets concernés doivent adresser un rapport d'évaluation au ministère de l'Intérieur, une synthèse de ces rapports devant être transmise au Premier ministre.

L'objet de cette audition est ainsi multiple :

- évaluer l'impact des deux circulaires sur l'interprétation facilitatrice des normes par les préfets ;

- apprécier l'usage du droit à dérogation par les préfets dans les territoires d'expérimentation ;

- mesurer l'impact obtenu en matière d'allégement des démarches administratives, de réduction des délais de procédure ou de meilleur accès aux aides publiques ;

- évaluer les perspectives d'élargissement (en termes de territoires et de domaines concernés) de ces mesures.

Je cède la parole sans plus attendre à M. Espinasse.

M. Alain Espinasse, secrétaire général adjoint et directeur de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT) au ministère de l'Intérieur . - Merci beaucoup de nous accueillir pour évoquer ces sujets. Je rappelle que le ministère de l'Intérieur est à l'origine de ce droit de dérogation à titre expérimental. Il s'agit d'une occasion de mettre en pratique un principe qui nous tient à coeur, à savoir celui de la déconcentration. L'objectif est de permettre aux représentants de l'État d'exercer leur mission publique au plus près du terrain, en respectant le droit tout en l'adaptant aux contraintes locales.

Vous nous aviez demandé de vous suggérer les noms de collègues préfets qui pourraient témoigner sur l'impact des circulaires du Premier ministre de 2013 et 2016 et du décret relatif au pouvoir de dérogation. Nous vous avons communiqué ceux des préfets du Haut-Rhin et de la Vendée. J'aurai l'occasion de revenir sur certaines utilisations qu'ils ont faites de ces textes sur leur territoire.

Dans la mise en oeuvre des normes, le ministère de l'Intérieur a une position relativement particulière. En effet, ce n'est pas le ministère qui produit le plus de normes, et les préfets, sur le terrain, ont à appliquer les normes de l'ensemble des ministères.

Avant même les circulaires, la relation entre les élus et les préfets permettait des échanges étroits pour favoriser une application intelligente d'un certain nombre de réglementations. Le rôle facilitateur des préfets est, à cet égard, bien ancré. Peu de temps après son investiture, le Président de la République avait toutefois souhaité lancer la préparation d'un projet de loi sur le droit à l'erreur et la simplification. Dans ce cadre, commande a été passée à l'ensemble des ministères de faire des propositions innovantes en matière de simplification administrative. Si cette démarche n'est pas allée jusqu'à l'abrogation d'un certain nombre de textes, nous avons cependant cherché à faire preuve de réelles innovations. C'est ainsi que, dès le début de l'été 2017, la mise en oeuvre d'un droit de dérogation a été envisagée par le ministère de l'Intérieur.

S'agissant des deux circulaires du Premier ministre de 2013 et 2016, je ne pense pas que le SGG et le ministère « se renvoient la balle », mais il est extrêmement complexe pour nous de porter un regard sur la façon dont les préfets s'en sont emparées. Le champ couvert potentiellement par ces circulaires excède en effet très largement le champ du ministère de l'Intérieur. En outre, il n'a pas été demandé aux préfets, ni par Matignon ni par Beauvau, de rendre compte de l'utilisation de ces deux circulaires. Enfin, cette application facilitatrice n'a pas nécessairement fait l'objet d'un texte, à la différence du droit de dérogation, qui, lui, doit s'exprimer à travers un arrêté.

Pour en venir à ce droit de dérogation, nous l'avons proposé dans une approche pragmatique. Le toilettage des textes aurait en effet été extrêmement long. Or, le Président de la République et, je pense, un certain nombre d'élus et de nos concitoyens attendaient une traduction rapide et concrète sur le terrain. Ainsi, il nous a semblé que la vraie simplification pouvait consister à accorder la possibilité de déroger à des normes réglementaires. Cette dérogation consiste à adapter aux réalités locales un certain nombre de normes réglementaires qui, prises dans leur généralité, paraissent de bon sens, mais peuvent apparaître non adaptées, voire contradictoires, sur le terrain. Il s'agissait donc de pouvoir moduler l'application des normes sur le terrain. Le ministère de l'Intérieur n'entendait toutefois pas accorder un pouvoir de dérogation général aux préfets, mais permettre, au cas par cas, une dérogation au regard de circonstances locales et d'un certain nombre de contraintes.

Ce droit de dérogation a été prévu dans le cadre du décret du 31 décembre 2017, qui a fait l'objet d'échanges fournis tout au long de l'automne précédent. Son objectif était de renforcer l'expression sur le terrain de la déconcentration. Éclairés par le Conseil d'État, nous avons décidé de circonscrire ce droit à sept champs et de le limiter dans l'espace (Bourgogne-Franche-Comté et Pays-de-la-Loire ; Creuse, Lot, Bas-Rhin et Haut-Rhin ; Mayotte et Saint-Barthélemy et Saint-Martin). Le Lot, par exemple, avait été le lieu d'une réunion sur cette thématique de la simplification autour du Premier ministre. La Creuse a été intégrée en lien avec le dossier GM&S et l'élaboration d'un plan de revitalisation. Le Bas-Rhin a également été retenu en même temps que son voisin, le Haut-Rhin. Le choix de Mayotte s'explique par les difficultés importantes rencontrées sur ce territoire, celui de Saint-Barthélemy et Saint-Martin s'inscrit dans la suite de la tempête Irma. Les préfets ne se sont cependant pas emparés localement de ce droit à Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

J'ai examiné les auditions précédemment menées, notamment auprès des représentants de la fonction publique territoriale. Un défaut de communication sur ce dispositif avait notamment été mis en avant. En effet, la communication a sans doute été insuffisante ou, du moins, hétérogène. Nous avons élaboré le décret, puis la circulaire d'application. Il nous a alors fallu échanger avec les autres ministères, qui ne voyaient pas nécessairement d'un bon oeil l'idée de dérogations. Nous avons ainsi bâti un système associant étroitement l'ensemble des ministères. Le préfet qui décide de déroger à une norme réglementaire doit en effet le faire sous la forme d'un arrêté motivant la décision. Les champs visés par le décret doivent toutefois être respectés. J'ajoute que le préfet peut interroger la DMAT du ministère de l'Intérieur pour être accompagné sur différents aspects (opportunité, sécurisation, périmètre...). Les textes de dérogation sont accessibles à la communauté interministérielle. Si la communication doit sans doute être améliorée, nous pourrions également communiquer au moment où le bilan sera établi. Deux mois avant le terme de l'expérimentation, un rapport devra en effet être transmis par les préfets des zones concernées. Nous établirons ainsi un rapport global sur la base duquel il sera décidé ou non d'étendre et de généraliser ce droit de dérogation.

Quel regard pouvons-nous toutefois porter à ce jour sur l'utilisation qui en a été faite ? Ce sont 51 arrêtés de dérogation qui ont été pris. La liste vous sera fournie, ce qui vous permettra d'avoir accès aux thématiques et localisations concernées. Au global, 31 l'ont été sur la thématique « concours financiers », 12 sur l'environnement, l'agriculture et les forêts, et 4 sur la construction, le logement et l'urbanisme. La plupart ont visé à autoriser des subventions, en cherchant soit à gommer des effets de seuil, soit à assouplir des dates butoirs dans la fixation de délais. Je pense que ces actions étaient déjà menées par le passé. Il est toutefois important de souligner que le droit de dérogation permet à la fois une sécurisation juridique (arrêté motivé) et une publicité (publication de l'arrêté, voire communication du préfet sur les arrêtés pris, notamment en Vendée).

Dans le Haut-Rhin, par exemple, il a été décidé de déroger au périmètre départemental d'intervention d'une association de sécurité civile. L'objectif du préfet, dans le cadre de grandes manifestations, était de pouvoir mobiliser une association qui ne relevait pas de son département pour pallier les manques.

J'exposerai deux autres exemples :

- le préfet de l'Yonne a autorisé la délivrance d'un permis de construire pour une usine de méthanisation située en zone bleue du plan de prévention des risques d'inondation (PPR)I. En effet, le PPRI était en révision et il était vraisemblable que la zone bleue concernée allait être déclassée pour devenir une zone constructible. Dans ce cadre, les services de l'État ont, en anticipation de cette révision, modélisé le risque inondation afin de s'assurer que le terrain allait bien sortir de cette classification. Grâce à ce droit à dérogation, nous avons pu anticiper et répondre à un besoin économique ;

- la seconde illustration est la dérogation du préfet de Vendée à des délais dans le cadre de la construction de digues. Le respect des délais allait, en effet, empêcher la digue d'être construite au moment où les risques inondation étaient les plus élevés. Si le préfet a motivé cette décision, les échanges avec le ministère de la Transition écologique et solidaire ont été quelque peu tendus, aussi bien à Paris qu'au niveau régional. Le retard n'était, en effet, pas imputable aux seuls délais administratifs, mais également au lancement tardif des projets. Le préfet a fait le choix de prendre un arrêté tout en assumant le risque de voir cet arrêté annulé, plutôt que celui de devoir déplorer des victimes en cas d'inondation du fait de l'absence de digue. La préfète de région lui a apporté son soutien.

En conclusion, ces exemples illustrent, à mon sens, la volonté de simplification et le souhait de permettre aux représentants de l'État de prendre et d'assumer certains risques. J'ajoute qu'à ce jour, sur les 51 arrêtés pris, aucun n'a été déféré devant le juge administratif.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci beaucoup pour cet exposé. Je cède la parole aux autres représentants du ministère, s'ils souhaitent présenter des compléments.

M. Frédéric Papet, sous-directeur des compétences et des institutions locales à la direction générale des collectivités locales (DGCL) . - Au nom de la direction générale des collectivités locales, je souhaiterais dire quelques mots sur les démarches de simplification. Notre direction essaye de contribuer à la qualité, à la stabilité et à la lisibilité du droit applicable aux collectivités locales. C'est le sens de notre positionnement dans le concert interministériel. Le droit doit également être éprouvé et anticipé ; ce sont souvent les plus vieilles dispositions qui sont les moins discutées et les plus éprouvées, ce qui peut laisser penser que la norme nourrit la norme.

Le deuxième objectif poursuivi est celui de la stabilité, avec l'idée que toute action publique n'est pas nécessairement normative et que la norme doit rester le cadre d'action, et non constituer l'action elle-même. Sur ce point, le CNEN a vocation à mesurer la nécessité d'un certain nombre de textes. Notre rôle de dialogue avec les autres ministères dits techniques, qui peuvent porter des textes notamment réglementaires, est également important pour apprécier cette nécessité. Dans le cadre de la politique de décentralisation, il faut en effet veiller à ce que, via le pouvoir réglementaire, l'État ne revienne pas à un exercice indirect des compétences qui ont été décentralisées.

Enfin, il s'agit également d'un souci de lisibilité du droit, afin d'éviter qu'il ne soit source de contentieux.

Je pourrai également vous fournir des éléments sur le CNEN et son bilan d'activité.

Vous avez évoqué les deux circulaires du Premier ministre de 2013 et de 2016. Il convient également de citer une circulaire de 2017 sur la maîtrise du flux réglementaire, applicable à l'ensemble des ministères et qui prévoit que pour toutes les normes réglementaires nouvelles, deux d'entre elles soient supprimées. Le suivi comptable est assuré par les services du Secrétariat général du Gouvernement.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci. Je cède maintenant la parole à Anne-Sophie Péron.

Mme Anne-Sophie Péron, adjointe du chef du bureau du financement des transferts de compétences à la direction générale des collectivités locales (DGCL) . - Le bilan 2017 du CNEN pourra être communiqué si ce n'est pas encore le cas, les éléments 2018 n'étant pas encore compilés. Le CNEN s'est réuni en 2017 à 17 reprises et a examiné 355 textes, soit une diminution de 30% par rapport à 2016. Le chiffrage global effectué au vu des fiches d'impact s'élevait à 1 milliard d'euros en coût brut, mais avec des mesures d'économie mises en regard représentant 850 millions d'euros. Je ne sais pas si vous souhaitez avoir le détail des ministères les plus producteurs de normes.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Vous pourrez en tout cas nous transmettre des éléments écrits.

Mme Anne-Sophie Péron, adjointe du chef du bureau du financement des transferts de compétences à la direction générale des collectivités locales (DGCL) . - Je n'y manquerai pas. Je précise que le ministère de l'Action et des comptes publics a été le plus grand pourvoyeur de normes en 2017 puisqu'il a présenté 56 textes, ayant généré un coût estimé à 576 millions d'euros. Il est suivi du ministère des Solidarités et de la Santé avec 77 textes pour un coût de 362 millions d'euros, du ministère de la Cohésion des territoires avec 25 textes pour un coût de 45 millions d'euros, et du ministère de la Transition écologique et solidaire avec 52 textes pour seulement 15 millions d'euros en année pleine. Ces éléments de chiffrage sont basés sur les fiches d'impact fournies par les ministères, sachant que le SGG tient un autre compteur.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Dans une interview au magazine Le Point , Alain Lambert évoquait un chiffrage de 15 milliards d'euros.

Mme Anne-Sophie Péron, adjointe du chef du bureau du financement des transferts de compétences à la direction générale des collectivités locales (DGCL) . - Sans doute M. Lambert a-t-il effectué un cumul.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Il précise en effet qu'en dix ans, le CNEN a examiné 3 000 textes, c'est-à-dire presque un par jour. Leur coût global atteint près de15 milliards d'euros.

Mme Anne-Sophie Péron, adjointe du chef du bureau du financement des transferts de compétences à la direction générale des collectivités locales (DGCL) . - Le CNEN a effectivement célébré ses 10 ans à l'automne dernier. Il a été impliqué dans les travaux sur la conférence nationale des territoires, et M. Lambert et M. Boulard ont rédigé un rapport au printemps dernier contenant un certain nombre de préconisations en matière de simplification. Nous attendons leur concrétisation.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci beaucoup, Madame Péron. Je cède la parole à mes collègues.

M. Mathieu Darnaud . - S'agissant des préfets simplificateurs, j'ai cru comprendre dans vos propos que nous étions le plus souvent plus dans l'anticipation que dans la simplification. Dans le cadre des plans de prévention des risques inondation, le cas vendéen, par exemple, consistait à anticiper un changement à venir. De nombreux maires de mon département appellent pourtant de leurs voeux que le préfet puisse prendre une dérogation pour des installations telles que les stations d'épuration à roseaux, ou dans le cadre de la déclinaison des lois montagne ou littoral, lorsqu'une surface complémentaire est nécessaire. Lors du lancement de l'idée des préfets simplificateurs, il était prévu des dérogations encadrées en ayant pris en compte l'ensemble des risques encourus et la possibilité, si ceux-ci étaient mineurs, de réaliser des adaptations à la marge. Ces champs peuvent-ils être explorés ou la vocation de ces préfets est-elle de se limiter à l'anticipation de certaines dispositions ?

M. Antoine Lefèvre. - Je souhaiterais souligner l'intérêt de cette expérimentation. Le droit à dérogation est en effet également un moyen de donner plus de prérogatives aux préfets.

Parmi les 51 arrêtés de dérogation, vous avez indiqué que 4 d'entre eux concernaient le logement et l'urbanisme. Dans un contexte où nous sommes souvent confrontés à des décisions de l'Architecte des Bâtiments de France, avez-vous connaissance de cas d'adaptation par le préfet ?

M. Alain Richard. - Le système de circulation de l'information entre l'administration déconcentrée et l'administration centrale me paraît lacunaire. Il ne me semble en effet pas très satisfaisant qu'il n'ait pas été envisagé un système de dialogue et de mémoire quant à l'application par le préfet des deux circulaires du Premier ministre. Les observations des préfets sur le sujet devraient remonter au ministère, y être réunies et analysées. D'une manière générale, l'alimentation de la préparation des décisions publiques par les administrations centrales ne s'appuie pas suffisamment sur une bonne circulation de l'information. Je suppose que vous n'avez pas non plus de trace des cas dans lesquels les préfets se sont interrogés sur une dérogation qui leur était demandée sans la prononcer. La marge de dérogation doit être anticipée et une rétroaction sur les cas de dérogation est nécessaire.

Par ailleurs, vous n'avez pas du tout évoqué le sujet de l'accumulation des délais d'études préalables, de concertations, d'enquêtes ou d'évaluations, dans le cadre de la protection de l'environnement, lors de la réalisation de projets d'intérêt public ou d'intérêt privé mais justifiant un contrôle public. J'en prends pour illustration qu'à deux reprises au cours de la décennie, des dérogations législatives ont été nécessaires, la première fois lors du lancement du Grand Paris Express Régional, puis pour la préparation des Jeux Olympiques. Il ne sera pas possible de conserver des dispositifs aussi lourds par rapport à nos voisins et qui contribuent à un allongement des délais et à un renchérissement des coûts.

Enfin, j'entends toujours le CNEN communiquer sur le coût global des normes. Je m'étonne toutefois que le coût en fonctionnement permanent, comme les mesures Fonction publique, ne soit pas distingué des dépenses d'investissement occasionnées par de nombreuses autres normes, notamment pour un sujet tel que l'amiante dans les enrobés routiers. Ces dépenses sont, en réalité, liées à des retards en modernisation.

Mme Michelle Gréaume. - Il ne faut pas perdre de vue que les lois sont faites pour l'homme, et non l'inverse. Ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. Contrairement au bilan de la mission de M. Boulard, qui relate le peu de mesures mises en place, je trouve encourageant qu'aucun arrêté n'ait été annulé par le juge administratif. Cependant, il me paraît difficile d'envisager qu'un maire d'une petite commune aille à l'encontre d'un arrêté du préfet. Mes questions sont les suivantes : y a-t-il eu des refus ? Si oui, combien ? Lesquels et pourquoi ?

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Nous pouvons plaider pour la décentralisation, tout en nous félicitant que la capacité d'adaptation des normes contribue à redonner un pouvoir décisionnel aux préfets et un pouvoir par rapport à leurs propres services, notamment par rapport aux DREAL.

Je souhaiterais toutefois attirer votre attention sur un secteur où l'adaptation des normes doit être considérée avec une extrême vigilance : il s'agit de la protection de la vie quotidienne des personnes en situation de handicap. J'aimerais savoir si vous avez connaissance d'exemples précis de demandes d'adaptation des normes en la matière.

M. François Calvet. - Nous qui luttons depuis plusieurs années pour faire tomber les normes, 50 arrêtés en dix mois ne constituent pas un très bon résultat. Avec Christian Manable, nous avons réalisé une mission sur « Xynthia, 5 ans après » et avions alors noté qu'au bout de cinq ans, seuls 2 des 76 km de digues prévues avaient été construits. Parmi les difficultés recensées figurait la présence de multiples propriétaires privés et de syndicats. Nous ne sommes en effet pas du tout armés face à la dimension des problèmes que nous rencontrons dans notre vie quotidienne. Avec Marc Daunis, nous avions d'ailleurs rencontré les mêmes difficultés dans le cadre des procédures de simplification d'urbanisme. J'avais été frappé par l'immobilisme de l'administration, malgré ses qualités et son savoir-faire extraordinaires. De même, lorsque j'ai construit l'hôpital transfrontalier franco-espagnol de Cerdagne, je me suis heurté à des problématiques de transfert de corps extrêmement complexes. Je regrette que nous n'arrivions pas à « briser la glace » dans ces domaines afin de retrouver un certain bon sens. Chacun doit déterminer si son objectif est véritablement de créer des emplois et de faire avancer l'économie, ou s'il préfère que la réglementation tue les initiatives. Nous devons trouver rapidement d'autres solutions ; dans notre région, la plupart des projets finissent en effet par être menés par les Espagnols.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je m'exprime sous le contrôle de ceux qui ont une longue expérience d'élus locaux décideurs. J'ai effectivement été le témoin, dans mon parcours, en particulier de maire, de l'allongement des délais au fil des années pour des projets comparables. Or il n'y a pas toujours de justification à un tel allongement.

Merci, mes chers collègues, pour vos questions. Je cède la parole aux intervenants pour les réponses et les conclusions.

M. Alain Espinasse, secrétaire général adjoint et directeur de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT) au ministère de l'Intérieur . - Je vous remercie pour vos questions franches et concrètes.

Je reviendrai en premier lieu sur la façon dont nous avons lancé cette démarche. Forts d'une expérience de terrain, certains d'entre nous ont proposé d'autoriser un droit de dérogation. Nous avons alors cherché à convaincre notre cabinet, puis au niveau interministériel, ce qui fut beaucoup plus complexe. Je dois dire ensuite que la séquence devant le Conseil d'État a été un moment d'oxygénation, car l'accueil y a été très positif. Nous avons alors cherché à convaincre les préfets. Ce droit constitue pour eux, à cet égard, un véritable changement de paradigme, puisqu'ils sont plus habitués à recevoir des instructions.

Si seuls 51 arrêtés ont été pris, le périmètre ne comprend que 21 départements. Ces chiffres s'entendent en outre uniquement depuis avril, date de lancement de la démarche. Nous avons invité les préfets à être à l'écoute des besoins de leurs territoires pour répondre aux attentes. Les préfets ont, avant tout, une mission de sécurité, non seulement de sécurité publique, mais également de sécurité juridique. Ce dispositif vise, je pense, à faire en sorte que la sécurité soit sécurisante, et non stérilisante. Le droit de dérogation n'a en tout cas pas uniquement vocation à anticiper. Un certain nombre de dérogations ont été accordées, quand bien même aucun changement n'était envisagé sur le périmètre concerné.

Sur les sujets d'urbanisme et des Architectes des Bâtiments de France, je n'ai pas en tête d'exemples de dérogations en la matière. Je vous invite toutefois à consulter le rapport que nous établirons sur le sujet pour obtenir tous les détails. J'anticipe en cela sur la réponse aux remarques du Sénateur Richard sur la nécessité d'un retour d'expérience. En matière de protection des monuments, il existe un certain nombre de normes législatives, notamment en matière de périmètre. Comme le droit de dérogation concerne le niveau réglementaire, il ne peut toujours être appliqué. Des dérogations peuvent toutefois être obtenues pour des installations temporaires à proximité de monuments historiques, comme ce fut le cas par exemple à proximité de la cathédrale de Chartres.

Monsieur le Sénateur Richard, je ne peux toutefois que regretter avec vous les lacunes dans les remontées. Il n'est pas normal que nous ne nous donnions pas les moyens de connaître l'application des circulaires du Premier ministre. L'objectif est bien de nous améliorer. Un changement de culture est toutefois nécessaire. Dans l'administration, nous dissocions sans doute de manière excessive celui qui conçoit, celui qui met en oeuvre et celui qui évalue. Si des corps ou des missions d'inspection restent nécessaires, l'administration doit également se responsabiliser et réfléchir à ses propres pratiques. Nous sommes sans doute dans une « ère primitive », mais j'espère que nous progresserons rapidement.

En réponse aux remarques sur l'accumulation des délais, l'exemple pris sur la construction d'une digue consiste à s'affranchir des délais de consultation pour avancer.

Vous posiez également la question du comptage des refus : à ce jour, nous en avons enregistré une trentaine. Il est également possible qu'il y ait une autocensure de la part de certains préfets. De nouveaux cas pourraient ainsi être remontés dans le cadre du rapport. Deux raisons principales sont observées : la première est liée à une dérogation demandée portant sur un domaine relevant de la loi, la seconde a trait à des réglementations qui ne sont pas à la main du préfet.

Mme Anne-Sophie Péron, adjointe du chef du bureau du financement des transferts de compétences à la direction générale des collectivités locales (DGCL) . - J'entends la remarque de pouvoir séparer au sein du CNEN les dépenses de fonctionnement et d'investissement. Si nous sommes tributaires du contenu des études d'impact, nous nous efforcerons d'effectuer une telle distinction lorsque c'est possible.

M. Frédéric Papet, sous-directeur des compétences et des institutions locales à la direction générale des collectivités locales (DGCL) . - M. le Sénateur Calvet évoquait l'hôpital de Cerdagne. Le transfert de corps entre l'Espagne et la France a fait l'objet d'un accord international en 2017.

M. Alain Espinasse, secrétaire général adjoint et directeur de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT) au ministère de l'Intérieur . - En réponse à Mme la Sénatrice Marie-Françoise Pérol-Dumont, il n'y a pas eu de dérogation dans le champ des personnes en situation de handicap. Dans la Sarthe, il était envisagé la construction d'une passerelle pour sécuriser la traversée d'une voie de chemin de fer. Or une contrainte technique ne permettait pas de la rendre accessible aux personnes à mobilité réduite et le projet a finalement été abandonné.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Nous avons parfois le sentiment que nous sommes dans une forme de sur-réaction. Si nous avons tous appliqué les normes en matière d'accessibilité tout en mettant en avant le caractère extrêmement court des délais impartis, dans le cas évoqué, une passerelle, même imparfaite, aurait pu être utile.

Mme Patricia Schillinger . - Comme le Haut-Rhin a été évoqué, je souhaiterais féliciter le préfet pour sa prise en charge de nombreux dossiers complexes. S'agissant de la prévention du risque inondation, j'ai exercé plusieurs fonctions municipales et je constate que nous n'avançons pas dans ce domaine. Or c'est un sujet qui me paraît majeur au regard de la multiplication des aléas climatiques.

M. Alain Espinasse, secrétaire général adjoint et directeur de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT) au ministère de l'Intérieur . - Ce sujet peut être abordé sous l'angle de l'urbanisme. Il a toutefois été décidé dès le départ d'exclure du champ des dérogations les questions de sécurité.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci beaucoup, mes chers collègues. Merci beaucoup, Monsieur Espinasse, Monsieur Benoist, Monsieur Papet et Madame Péron.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page