B. DES EXIGENCES INDIGEMMENT RESPECTÉES PAR LA TÉLÉVISION NATIONALE

1. Une remarquable absence des antennes des grandes chaînes de France Télévisions

Devant les critiques faites à France Télévisions d'une insuffisante présence des outre-mer sur ses antennes, les rapporteurs ont souhaité objectiver autant que possible cette question. Il est cependant difficile d'estimer à la fois de manière quantitative mais encore davantage de manière qualitative la représentation des outre-mer à la télévision. L'analyse qui suit se fonde sur les données transmises sur sollicitation de France Télévisions.

a) Une visibilité sur les antennes globalement faible
(1) Une absence dans les programmes des chaînes de France Télévisions

Interrogé sur la présence des outre-mer sur ses antennes, France Télévisions cite en première réponse la chaîne France Ô, chaîne des outre-mer comme définie par le cahier des charges. La chaîne dédiée offre en effet aujourd'hui une présence incontestable de contenus consacrés aux outre-mer parmi les antennes du groupe et à ce titre satisfait - bien seule - l'exigence de visibilité des outre-mer au titre de la diversité telle que définie dans le cahier des charges , à savoir par le biais de fictions et documentaires.

Cependant, pour ce qui est des autres chaînes, le groupe indique que « sur France 2, France 3, France 4, France 5 et France info, France Télévisions propose des contenus consacrés aux Outre-mer en fonction de l'actualité et des choix de programmation propres à chacune des antennes », une formule peu précise pour une réalité qui ne remplit pas la mission de service public.

France Télévisions dresse ainsi un bilan de la visibilité des outre-mer sur ses antennes selon les tranches horaires et contenus. Ainsi, le groupe indique qu'« en journée, les programmes nationaux abordent l'outre-mer en fonction des sujets et de l'actualité, sans critère de fréquence » à travers, sur France 2 et France 3, les magazines, les émissions religieuses, les jeux et divertissements, la fiction ou encore les programmes courts sur France 4. Pour les divertissements, il est précisé que « ces programmes accueillent plus rarement des candidats ultramarins en raison des budgets nécessaires pour effectuer des castings en Outre-mer ».

Si France Télévisions ne semble pas en mesure de produire d'éléments tangibles sur la présence des outre-mer dans ses programmes, les rapporteurs ont souhaité chercher des données pour infirmer ou confirmer le sentiment global d'absence. Celui-ci a bien été confirmé par les données récoltées dans les bases de l'INA.

Les outre-mer dans les chaînes publiques : quelques chiffres

La délégation a procédé à des analyses statistiques à partir des référencements faits par l'Institut national de l'audiovisuel dans le cadre de sa mission de recueil des fonds au titre du dépôt légal.

Deux outils d'exploitation des bases de données de l'INA , propres à l'institut, ont été utilisés à cette fin : Hyperbase et MediaCorpus .

Ont ainsi été scrutées dans l'ensemble des programmes les mentions référencées des territoires d'outre-mer. Ces mentions peuvent concerner un programme entier - un documentaire par exemple - mais aussi un segment de journal télévisé - quelques secondes -.

Cette recherche peut comporter un biais lié au référencement plus ou moins fin réalisé. Certaines chaînes comme France Ô et France info font ainsi l'objet d'un référencement sommaire qui ne permet pas ce genre d'analyse de manière probante. Les chaînes « historiques » que sont France 2 et France 3 font, elles, l'objet d'un référencement beaucoup plus poussé.

Sur l'antenne de France 2

L'analyse des occurrences de programmes relevées sur France 2 permet d'objectiver les apparitions des outre-mer sur la plus grande chaîne du service public.

On compte ainsi moins d'une mention par jour en moyenne dans la plupart des années depuis onze ans. Les rares exceptions sont dues à des crises sociales ou des catastrophes naturelles outre-mer.

Il est assez intéressant de souligner que sur les six dernières années, les bulletins dédiés aux outre-mer représentent davantage d'occurrences que l'intégralité des mentions dans l'ensemble de la programmation de la chaîne sauf en 2017, année de l'ouragan Irma.

Sur France 3

Le référencement de France 3 montre une évolution majeure.

En effet, si le nombre d'occurrences de programmes référencés comme relatifs aux outre-mer était important, celui-ci a connu un décrochage brutal en 2014, date de l'arrêt de la diffusion du « journal de l'outre-mer ».

La chaîne a également compté temporairement un programme appelé « Couleur outre-mer » alimentant ces référencements.

Sur France 4

Il convient de signaler que la chaîne ne fait pas l'objet d'un référencement aussi fin que les grandes chaînes publiques.

Cependant, 254 occurrences ont été relevées depuis la création de la chaîne, parmi lesquelles :

- 101 rediffusions d'épisodes de la série « Un gars une fille » en Guadeloupe ;

- 75 « interprogrammes ».

Sur France 5

Si là encore la chaîne peut faire l'objet d'un référencement moins poussé que pour France 2 et France 3, les résultats ont été relevés, globalement stables sur la période.

Source : Délégation sénatoriale aux outre-mer

Au-delà de la visibilité globale des outre-mer, il pourrait également être intéressant d'examiner la visibilité individuelle de chacun des territoires . Certains apparaîtraient sans doute encore plus faiblement mentionnés, comme ceux du Pacifique et particulièrement Wallis-et-Futuna. Loin des yeux, loin des écrans ?

(2) Sur les créneaux de première partie de soirée : découverte sinon rien ?

Le groupe a également recensé ses programmes diffusés en première partie de soirée 65 ( * ) qu'il estime à une demi-douzaine de premières parties de soirée dédiée aux outre-mer chaque année sur France 2, France 3 et France 5 .

Ainsi, en 2015, ce chiffre s'élevait à 13 en raison de la diffusion d'une série de « Vus du ciel » sur France 5. En 2016, France 5 a proposé 5 premières parties de soirée entièrement dédiées aux outre-mer. En 2017, les trois chaînes France 2, France 3, France 5 ont proposé 8 premières parties de soirée sur les outre-mer, sur différents types de contenus. En 2018, les premières parties de soirée représentant les outre-mer étaient une demi-douzaine.

Au-delà du caractère très variable de ce chiffre d'une année à l'autre, comme le montrent les trois dernières années, on peut également remarquer les grandes disparités entre les types de contenus proposés et entre les chaînes qui portent ces programmes . Ainsi, France 5 représente une majorité des contenus diffusés, sur une ligne relevant du documentaire ou de l'émission « découverte ».

France Télévisions indique s'être engagée depuis juillet 2018 à « augmenter et à diversifier le traitement de l'outre-mer sur ses antennes. L'objectif est double : normaliser la présence de l'outre-mer dans l'ensemble des programmes et sortir d'une couverture restreinte aux catastrophes naturelles, mouvement sociaux ou commentaires de carte postale ». 66 ( * )

Depuis le début de l'année 2019, France Télévisions considère que quatre premières parties de soirée ont contribué à « normaliser la présence de l'Outre-mer dans les programmes de France Télévisions ». Le groupe annonce également une semaine dédiée aux outre-mer au mois de juin.

(3) L'absence similaire de personnalités ultramarines

Enfin, il a été noté au-delà des thématiques des programmes une absence de personnalités originaires des outre-mer dans les écrans du service public . Peu d'ultramarins apparaissent ainsi sur les chaînes publiques et particulièrement comme présentateurs d'émissions ou journalistes à l'antenne, si ce n'est sur la chaîne France info. Cette préoccupation était notamment relayée par le sénateur Victorin Lurel qui se faisait « l'écho d'un ressenti : certains m'ont parlé de mépris. Les ultramarins ne sont pas assez représentés sur les écrans. Ceux-ci restent bien pâles ! Les inégalités de traitement demeurent et donc les discriminations » 67 ( * ) .

b) Dans le traitement de l'information
(1) Les outre-mer : crise ou carte postale, au choix ?

Une des remarques récurrentes a été celle d'un traitement insuffisant des actualités des outre-mer dans les créneaux d'information des antennes généralistes de France Télévisions.

Le constat est là encore sans appel : le traitement de l'information est défaillant à l'égard des outre-mer , de l'aveu même des dirigeants de France Télévisions, comme le reconnaissait Delphine Ernotte-Cunci devant la délégation 68 ( * ) .

La conclusion unanime du ressenti des publics est également conforme : on ne semble parler des outre-mer au journal télévisé qu'en cas de catastrophe ou de crise sociale .

Les outre-mer, dans les JT en cas de crise

Des chiffres permettent encore une fois de confirmer le sentiment d'absence des outre-mer. Ainsi, sur les onze dernières années, les données de l'INA 69 ( * ) montrent ainsi que les deux années où le nombre d'occurrences de mentions des outre-mer dans les programmes de France 2 est nettement supérieur sont 2009 et 2017 .

Or, ces deux années sont celles d'actualités très fortes outre-mer qui ont eu un écho dans l'hexagone : pour 2009, la crise sociale dans les départements d'outre-mer et le mouvement « contre la vie chère » et pour 2017 notamment le passage de l'ouragan Irma sur les Îles du Nord. L'analyse plus fine des thématiques des programmes appuie cette analyse.

Pour 2017, l'examen des dates de diffusion comme celui des sujets des programmes référencés, très révélateurs, permettent de préciser cette analyse. Ainsi, les outre-mer ne sont apparues dans les journaux télévisés en 2017 pour l'extrême majorité des mentions qu'à quatre grandes occasions :

- les déplacements de candidats à l'élection présidentielle dans des territoires ultramarins ;

- la crise sociale en Guyane au printemps ;

- le passage de l'ouragan Irma à la fin de l'été ;

- l'enterrement du chanteur Johnny Hallyday sur l'île de Saint-Barthélemy .

Source : Délégation sénatoriale aux outre-mer d'après les chiffres communiqués par France Télévisions

Il faut cependant bien attendre que la catastrophe se produise pour que le sujet arrive sur les écrans . Mémona Hintermann-Afféjee, membre du CSA, mettait ainsi cela en lumière 70 ( * ) par l'exemple du traitement d'Irma en 2017 : « au 20 heures de France 2 la veille du déferlement de l'ouragan, ce sujet a été traité en 11 secondes avec en parallèle un sujet de 9 secondes sur la naissance de deux pandas au zoo de Beauval ». L'approche d'un cyclone majeur est toujours une information cruciale d'un territoire et, alors que l'alerte était déclarée dans les Antilles, les téléspectateurs hexagonaux étaient informés par le seul biais d'une brève en fin de journal .

(2) Un traitement réalisé sans les journalistes de terrain

Des critiques ont plusieurs fois été formulées sur les relations parfois difficiles entre les rédactions nationales de France Télévisions et les stations La 1 ère . En effet, les rédactions locales se sont souvent retrouvées ignorées par les rédactions nationales pour le traitement de sujets propres aux territoires pour lesquelles ces dernières disposent cependant d'une connaissance et d'une expertise de terrain indéniables.

Il y a assurément un manque de « réflexe outre-mer » dans le traitement de l'information . Yolaine Poletti-Duflo, directrice de la station Martinique La 1 ère , indiquait devant la délégation 71 ( * ) que pourraient être soulignées « de fortes similitudes entre la mobilisation des gilets jaunes, qui a démarré en novembre, et les événements de 2009 dans les départements d'outre-mer : or, à aucun moment les chaînes nationales n'ont opéré cette mise en perspective car il n'est pas naturel de se référer à ce qui s'est produit outre-mer alors que les comparaisons internationales sont fréquentes ».

L'absence des outre-mer dans l'information est préjudiciable également à la visibilité à l'antenne de nombreuses richesses culturelles des territoires. Yolaine Poletti-Duflo déclarait lors de la même audition que « l'exemple du carnaval est éloquent : sont présentés régulièrement les carnavals qui se déroulent à l'étranger, comme le carnaval de Rio ou de Venise, mais jamais ceux des outre-mer alors même qu'ils correspondant à une tradition antillaise forte . On parle de la Route du Rhum qui relie Saint-Malo à Pointe-à-Pitre, mais jamais des compétitions de va'a de Polynésie ».

Au début de l'année 2019, aucun carnaval antillais n'est apparu dans les journaux de France 2 et France 3 72 ( * ) , le carnaval de Venise, oui.

(3) Des évolutions récentes

Devant les vives critiques reçues et pour crédibiliser les orientations annoncées par le Gouvernement en vue de la réforme de l'audiovisuel, France Télévisions a décidé de procéder à une évaluation suivie de la visibilité des sujets relatifs aux outre-mer dans ses créneaux d'information .

Depuis 2018, une veille plus attentive

Le décompte des sujets traitant en tout ou partie des outre-mer diffusés lors des tranches d'information des différentes chaînes du groupe en 2018 a été mis en place fin août 2018.

Cette mesure repose sur deux principes méthodologiques :

- la rédaction par la médiathèque de la Direction de l'information d'un texte libre décrivant le sujet (rédaction manuelle et/ou récupérée grâce aux outils de planification qui collaborent à la fabrique de l'information). À noter que ces outils de planification ne disposent pas d'une liste fermée pour identifier la source d'un sujet (« RFO, 1 ère , Malakoff, équipe nationale appuyée par 1 ère ,... »), ce qui ne permet pas d'extraire le volume de sujets ultramarins en fonction de leur origine ;

- l'association manuelle du sujet à des mots-clés issus d'une liste fermée. Pour chaque sujet est précisée une localisation (notamment « DOM-TOM 73 ( * ) »).

Principaux résultats :

Depuis septembre 2018, les sujets des éditions nationales en lien avec l'outre-mer sont indexés par la rédaction. Ainsi, au total sur la période septembre-décembre 2018, 154 sujets ou duplex outre-mer ont été diffusés par les éditions nationales de France 2 et France 3, dont 44 sur France 2 et 110 sur France 3.

Sur l'ensemble de ces 154 sujets, 42 étaient en lien avec l'actualité spécifique du référendum en Nouvelle-Calédonie et de la crise des gilets jaunes à La Réunion et à Wallis.

À titre de comparaison, sur la même période, 25 sujets de France 3 étaient consacrés à la Corse et 110 étaient consacrés à l'Occitanie.

Source : Réponse de France Télévisions au questionnaire des rapporteurs

France Télévisions indique également que « l'identification et la prise en compte des actualités ou sujets produits par le pôle outre-mer sont désormais favorisés par la présence systématique d'un coordinateur outre-mer lors des conférences de rédaction » et donne pour exemple le traitement de la rentrée des classes depuis les outre-mer au sein d'une synthèse nationale. Selon le groupe, « globalement, la circulation des informations et les réflexes d'échanges réciproques entre la rédaction nationale et le Pôle outre-mer se sont nettement structurés et produisent des résultats ».

France Télévisions indique que le coordinateur outre-mer, est « investi d'un double rôle :

- un rôle de vigie , chargé de signaler à la rédaction nationale tout sujet d'actualité, reportage, fait nouveau relatif à l'outre-mer et susceptible de donner lieu à un traitement dans ou par la rédaction nationale ;

- un rôle de coordination opérationnelle entre la rédaction nationale, Malakoff et les 1 ère , au quotidien et pour la mise en place de dispositifs exceptionnels impliquant les équipes locales et les équipes nationales (e.g. couverture du référendum en Nouvelle-Calédonie, de la Route du Rhum). Ces dispositifs doivent, respectivement pour l'offre de programmes et l'offre d'information, favoriser une réactivité et une attention accrues aux enjeux liés à l'Outre-mer ».

Si la « banalisation » de la présence des outre-mer sur des sujets d'actualité « commune » ou périodique est nécessaire, elle ne doit pas faire oublier le besoin non négligeable pour le grand public hexagonal d'explication, de présentation et de décryptage des réalités parfois complexes des territoires ultramarins . En d'autres termes, la rentrée des classes à Pointe-à-Pitre ne doit pas « cocher la case outre-mer » au détriment d'un traitement de la crise des sargasses à Petit-Bourg.

(4) Les bulletins météorologiques, une dimension symbolique.

Il faut également signaler que la diffusion de la météo des outre-mer, qui n'intervenait auparavant que le matin à 10 h 40 ou sur des créneaux nocturnes, est désormais diffusée depuis la fin 2018 avant le journal de 20 h sur France 2.

Si la diffusion d'un bulletin météo des outre-mer n'a pas d'utilité immédiate pour les résidents de l'hexagone, celle-ci a une portée symbolique et pédagogique. Symbolique, car elle rappelle aux téléspectateurs la diversité des territoires de la République et la pleine appartenance des outre-mer à cette dernière. Pédagogique, car elle montre géographiquement l'ensemble des territoires français à travers le monde.

Si le ministre de la culture se réjouissait devant la délégation en janvier de cette progression, les rapporteurs rappellent que cet élément souvent érigé comme forte revendication ne relève cependant pas d'une avancée majeure sur le fond permettant d'améliorer la compréhension des réalités politiques, économiques, culturelles, sociales ou environnementales des territoires.

2. Des exigences précises ignorées

Les exigences inscrites au sein des cahiers des charges de France Télévisions n'ont globalement pas été respectées en matière de visibilité des outre-mer. Mais il en va de même des exigences précises parfois formulées.

a) La reprise des programmes des stations du réseau La 1ère

La première des exigences formulées précisément dans le cahier des charges est celle de la diffusion sur les antennes nationales de programmes issus du réseau des stations La 1 ère puisque « la société veille à ce que les autres services (que le réseau des 1 ère ) de télévision qu'elle édite intègrent des programmes des Outre-mer 1 ère à des heures d'écoute favorable et rendent compte de la vie économique, sociale et culturelle en outre-mer ».

Si ce n'est temporairement par le biais du journal de l'outre-mer de France 3, comme expliqué ci-après, cette exigence n'a pas trouvé de concrétisation tangible et régulière sur les antennes de France 2, France 3, France 5. Tout au plus sporadique et parfaitement marginale.

b) Le bulletin d'information de France 3

C'est le cas d'un programme diffusé sur l'antenne de France 3 que l'on trouve inscrit sous la mention d'une obligation de diffusion d'un programme hebdomadaire relatif aux outre-mer produit par le réseau ultramarin 74 ( * ) .

Cette obligation a été à certaines périodes satisfaite, notamment par un bulletin d'information de la mi-journée. Preuve de l'utilité de ce dernier, le Conseil supérieur de l'audiovisuel indiquait dans son bilan pour l'exercice 2000 de la société Réseau France Outre-mer que « l'innovation la plus importante a été la création d'un journal quotidien d'information sur l'outre-mer de six minutes, diffusé sur France 3 , dans le cadre de la tranche 12/14 qui a rencontré un intérêt réel de la part des publics originaires des Dom-Tom et résidant en métropole ».

La même obligation a demeuré pour France 3 dans le cahier des charges de la nouvelle société France Télévisions , sur la base du journal quotidien pratiqué en semaine sur la chaîne et consacré par la mention « un bulletin d'information sur l'outre-mer est programmé en semaine sur l'antenne de France 3, à une heure d'écoute appropriée » 75 ( * ) .

Le nouveau cahier des charges rédigé en 2009 a modifié la fréquence, passant d'hebdomadaire à implicitement quotidienne en actant la pratique. On peut noter également la modification de terminologie retenue avec un passage d'une heure d'écoute « favorable » à une heure d'écoute « appropriée » , formulation offrant sans doute plus de souplesse à la chaîne pour sa programmation, au détriment d'un créneau garantissant une exposition plus forte.

Le « journal de l'outre-mer » de France 3 a ainsi eu des durées variables, comprises entre 5 et 8 minutes, comme des créneaux de programmation changeants.

Il a été successivement programmé à 11 h 50 entre janvier 2010 et août 2011, puis autour de 13 h 30 entre septembre 2011 et juin 2012 et, enfin, autour de 10 h 30 de septembre 2012 à décembre 2013. Si les modifications successives d'horaire de programmation affaiblissent le caractère de « rendez-vous stable » , elles sont aussi révélatrices du traitement réservé à ce programme « baladé » selon les contingences. Surtout, ces changements ne sont pas neutres et, alors que la programmation à 11 h 50 permettait de toucher en moyenne 600 000 téléspectateurs, le créneau de 10 h 30 n'atteignait pas le quart de cette audience, avec une moyenne de 115 000 téléspectateurs 76 ( * ) .

Si la version en vigueur du cahier des charges prévoit bien toujours ce bulletin, le « journal de l'outre-mer » a cependant disparu des écrans de la troisième chaîne nationale en 2014 . Interrogée sur ce point devant la délégation 77 ( * ) , la présidente de France Télévisions s'est défendue de cette suppression intervenue avant son arrivée en fonction. Le secrétaire général de France Télévisions a indiqué a posteriori 78 ( * ) que « sur France 3, la diffusion du bulletin d'information spécifique à l'Outre-mer, prévu à l'article 3 du cahier des charges de France Télévisions, a été interrompue début 2014, notamment pour clarifier les propositions éditoriales du groupe France Télévisions à la suite du développement d'une offre d'information spécifiquement dédiée à l'Outre-mer sur France Ô , lancée sur la TNT nationale en juillet 2010 ».

Les chiffres relevés à l'INA 79 ( * ) montrent que ce journal était cependant un créneau majeur de visibilité des outre-mer sur l'antenne de France 3 . Sa disparition a en effet fait passer le nombre de programmes référencés de 2 065 en moyenne sur la période 2007-2013 à 328 en 2014 : plus de six fois moins.

Si France Télévisions reconnaît que, depuis janvier 2014, « l'obligation prévue à l'article 3 du cahier des charges de France Télévisions, à savoir la programmation du bulletin d'information sur l'outre-mer, en semaine sur l'antenne de France 3 à une heure d'écoute appropriée, n'est donc plus satisfaite en tant que telle » , le groupe estime que celle-ci « trouve cependant une expression concrète et quotidienne, à des heures de grande écoute, tant sur France Ô que sur la chaîne d'information en continu franceinfo qui propose, depuis septembre 2016, trois bulletins quotidiens dédiés aux Outre-mer ».

Aussi, le caractère équivalent de la satisfaction de cette exigence est tout à fait contestable - au regard de l'audience du journal de l'outre-mer sur le créneau de 11 h 50 particulièrement. Aussi, si France Télévisions considère que les cahiers des charges doivent être « nettoyés » 80 ( * ) , il n'appartient pas au groupe de juger unilatéralement que des moyens alternatifs peuvent satisfaire des obligations précisément formulées .

Il apparaît que l'arrêt de ce bulletin spécifique programmé sur France 3 n'a cependant donné lieu, de la part du Conseil supérieur de l'audiovisuel, à aucune observation ni intervention auprès de France Télévisions .

Le non-respect de ces exigences, qu'elles soient générales ou particulières, et l'absence de sanction liée ne permet pas de considérer les cahiers des charges et COM comme des éléments suffisamment contraignants. Aussi, toute réforme envisagée doit se poser la question de la satisfaction réelle, à l'avenir, des obligations qui seraient formulées.

3. Un effort louable sur la chaîne France info

L'honnêteté du travail qui entend être ici mené impose de regarder l'ensemble des chaînes de France Télévisions et de dresser également le bilan des efforts réalisés sur certaines antennes.

Aussi, si le cahier des charges de France Télévisions ne prévoit aucune exigence spécifique relative aux outre-mer pour la chaîne d'information en continu du groupe, le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions 81 ( * ) mentionne que « les équipes du réseau participeront à la chaîne d'information continue, qui rendra compte de l'ensemble des informations dans l'hexagone et les 12 territoires d'outre-mer (Guyane, Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, La Réunion, Mayotte, Polynésie Française, îles Wallis-et-Futuna, Nouvelle-Calédonie, Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), Saint-Pierre-et-Miquelon) ».

France info a su depuis sa création faire une juste place au traitement des actualités ultramarines, dans les journaux classiques mais aussi par le biais de programmes dédiés dans sa grille , appuyés sur le pôle outre-mer de France Télévisions.

France info diffuse ainsi plusieurs émissions consacrées aux outre-mer sur son antenne :

- tous les jours de la semaine, trois fois par jour, les modules courts « Outre-mer express », d'une durée de 3'30 chacun , traitent d'une actualité ultramarine à partir de sujets et d'images fournis directement par le réseau des stations La 1 ère ;

- une fois par semaine, le module « Décryptage outre-mer », d'une durée de 3'30, fait intervenir directement un journaliste de l'une des stations La 1 ère afin qu'il analyse un sujet de l'actualité ultramarine ou de son territoire en particulier ;

- une fois par jour, du lundi au vendredi, le module « Les témoins d'Outre-mer », programme d'une durée de 1'30, décline l'émission de France Ô (LTOM) qui fait intervenir des contributeurs citoyens en métropole et outre-mer sur un sujet d'actualité.

Le traitement de l'information est plus difficile à évaluer sur le long terme ; le référencement de France info étant sommaire au sein de l'INA, il n'est pas possible de réaliser une vision globale du contenu des journaux. Il faut néanmoins souligner plusieurs actions concrètes de France info qui ont permis d'apporter une visibilité réelle à des actualités ultramarines fortes au titre desquelles :

- l' ouragan Irma qui, en septembre 2017, a dévasté les Îles du Nord, a été l'objet de nombreux directs et émissions spéciales ou, parfois même, des retransmissions de l'antenne de Guadeloupe La 1 ère ;

- le référendum de 2018 en Nouvelle-Calédonie , ou des émissions spéciales - dont une page spéciale de 3 heures - ont été organisées le 4 novembre en collaboration avec Nouvelle-Calédonie La 1 ère , dont l'antenne a, là aussi, été retransmise ;

- plus récemment, la séquence du « grand débat national » organisée au Palais de l'Élysée avec des maires ultramarins a fait l'objet d'une diffusion intégrale en direct, en collaboration avec la rédaction de France Ô.

Ces trois exemples sont importants en cela qu'ils montrent la capacité de cette chaîne à traiter des actualités des outre-mer mais, surtout, que ces programmes sont très largement issus de collaborations avec les stations La 1 ère et France Ô , qui doit être un modèle.

La présidente de France Télévisions comme le directeur exécutif en charge de l'outre-mer expliquaient que le travail réalisé à France info relevait pour beaucoup de volontés humaines, à savoir d'une part une volonté des personnels du pôle outre-mer de s'intégrer très tôt au projet de chaîne de France info et, d'autre part, les préoccupations de certains journalistes ou, il a été signalé, du directeur de l'information de France Télévisions 82 ( * ) .

La présence de plusieurs journalistes ultramarins issus des stations outre-mer La 1 ère n'est sans doute pas à sous-estimer dans ce résultat. Si ceux-ci apportent une visibilité à l'antenne, ils sont aussi et surtout les mieux à même de décrypter et souligner les actualités ultramarines dans leurs rédactions.


* 65 Ce recensement demeure indicatif, en effet « France Télévisions ne dispose pas d'un outil permettant d'identifier l'ensemble des programmes traitant en tout ou partie de l'Outre-mer »

* 66 Réponse de France Télévisions au questionnaire des rapporteurs.

* 67 Audition de M. Wallès Kotra, directeur exécutif en charge de l'outre-mer de France Télévisions, le 26 mars 2019.

* 68 Audition de Mme Delphine Ernotte-Cunci le 22 janvier 2019.

* 69 Voir II, B, 1) a) de la présente partie.

* 70 Audition du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) du 17 janvier 2019.

* 71 Audition de Mme Yolaine Poletti-Duflo, directrice de la station Martinique La 1 ère le 5 février 2019.

* 72 Réponse aux questions adressées à France Télévisions.

* 73 On peut souligner ici la nécessité pour les responsables de l'information de France Télévisions d'actualiser leurs connaissances des statuts des territoires ultramarins, les « TOM » n'existant plus depuis 2003.

* 74 Voir II, A du présent rapport - Article 50 du cahier des charges de France 3 annexé au décret n° 94-813 du 16 septembre 1994 portant approbation des cahiers des missions et des charges des sociétés France 2 et France 3,.

* 75 Voir II, A du présent rapport - Article 3 du cahier des charges de France Télévisions annexé au décret n° 2009-796 du 23 juin 2009 fixant le cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions.

* 76 Réponse de France Télévisions au questionnaire des rapporteurs.

* 77 Audition de Mme Delphine Ernotte-Cunci le 22 janvier 2019.

* 78 Réponse écrite de France Télévisions au questionnaire des rapporteurs.

* 79 Voir II, B, 1), a) de la présente partie.

* 80 Audition de Mme Delphine Ernotte-Cunci le 22 janvier 2019, réponse de M. Francis Donnat, secrétaire général de France Télévisions

* 81 Contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2016-2020 de France Télévisions.

* 82 Auditions de Mme Delphine Ernotte-Cunci le 22 janvier 2019 et de M. Wallès Kotra le 26 mars 2019.

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