II. LES OUTRE-MER DANS L'AUDIOVISUEL NATIONAL : UNE MARGINALISATION INÉLUCTABLE ?

A. DES EXIGENCES FORMALISÉES

La présence des outre-mer sur les antennes de l'audiovisuel a été prescrite, dans la loi, les cahiers des charges ou les contrats d'objectifs et de moyens par des formulations fluctuantes pour une même attente non satisfaite.

1. Des exigences législatives générales pour l'ensemble de l'audiovisuel
a) Des obligations générales à éclipse prolongée pour les sociétés de l'audiovisuel public
(1) Une mission générale inscrite à une époque dans la loi

La loi de 1986 a temporairement porté des dispositions formelles attribuant à France Télévisions et Radio France une mission de visibilité des outre-mer dans l'hexagone . Cette exigence inscrite à l'occasion de la réforme de 2000 46 ( * ) était formulée comme un corollaire de la production par RFO de contenus dédiés , autant de matière disponible pour alimenter les programmes des sociétés.

Ainsi, si « la société nationale de programme dénommée Réseau France Outre-mer est chargée de concevoir et de programmer des émissions de télévision et de radiodiffusion sonore destinées à être diffusées dans les départements, territoires et collectivités territoriales d'outre-mer ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie », « les programmes qu'elle produit sont mis gratuitement à la disposition de la société France Télévision ainsi que de la société Radio France qui assurent la promotion et le rayonnement des cultures de la France d'outre-mer en métropole » 47 ( * ) .

Cette mention a disparu de la loi de 1986 lors de la réforme de 2009, ce qui est d'autant plus paradoxal qu'une partie des outre-mer, les quatre DOM de l'époque, connurent cette année-là une grave crise économique et sociale révélant une réelle méconnaissance de la situation de ces territoires par les pouvoirs publics nationaux.

(2) Une mission de principe vague

Une nouvelle mention d'une mission des sociétés publiques à l'égard des outre-mer est intervenue dans la loi de 1986 en 2017 48 ( * ) . Les sociétés énumérées aux articles 44 et 45 49 ( * ) « s'attachent (...) à assurer une meilleure représentation de la diversité de la société française, notamment d'outre-mer » 50 ( * ) .

Cette mention peu précise réintègre les outre-mer dans les missions affichées du service public, sous l'angle cette fois de la diversité de la population française, et comme par raccroc.

b) Une obligation également formulée pour les chaînes de télévision privées

La nécessité de visibilité et de représentation des territoires ultramarins et des réalités des outre-mer dans l'hexagone a régulièrement été rappelée dans les débats sur l'audiovisuel.

Aussi le législateur a-t-il considéré que cette mission ne relevait pas des seules sociétés publiques et a-t-il inscrit cette préoccupation comme une part obligatoire des conventions conditionnant l'obtention des fréquences pour les chaînes. La convention 51 ( * ) doit ainsi comporter des éléments relatifs à « la contribution à la diffusion d'émissions de radio ou de télévision dans les départements, territoires et collectivités territoriales d'outre-mer, à la connaissance, en métropole, de ces départements, territoires et collectivités territoriales et à la diffusion des programmes culturels de ces collectivités ».

Le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) indiquait par ailleurs devant la délégation que « la convention conclue avec TF1 stipule que l'éditeur acquiert les droits de diffusion des émissions sur l'ensemble du territoire national mais qu'il s'attache aussi à développer des partenariats avec les services de télévision locale afin de favoriser la diffusion en métropole de ces programmes, que l'éditeur peut également conclure une convention avec Outre-mer La 1 ère pour la reprise de ses programmes ». À titre d'autre exemple, la convention qui lie le CSA à la chaîne M6 52 ( * ) indique également que « l'éditeur peut également conclure une convention avec Outremer 1 ère pour la reprise de ses programmes ».

2. Des exigences plus strictes formulées pour les chaînes de la télévision publique nationale
a) Des exigences réglementaires : les cahiers des charges des sociétés de programme
(1) Une exigence ancienne : le cahier des charges de France Régions 3 en 1975

Les outre-mer ont été une part intégrante de la mission de la nouvelle chaîne France Régions 3 (F.R. 3) après l'éclatement de l'O.R.T.F. et le rattachement du réseau ultramarin au sein de FR3 DOM-TOM. Ainsi, le cahier des charges de F.R. 3 disposait en 1975 que « la société a quatre vocations particulières relatives aux régions, à l'outre-mer , au cinéma et à la libre expression des familles de croyance et de pensée, qui doivent tenir une place importante dans l'équilibre de ses programmes » 53 ( * ) .

Si aucune exigence de durée de programmation ni de nombre de programmes n'était fixée, la mission de la nouvelle société de programme était clairement établie.

(2) Une prise en compte continue : l'exemple du cahier des charges de 1994 de France 2 et France 3, appuyé sur celui de R.F.O.

Si les exigences législatives ont été fluctuantes, les cahiers des charges de France 2 et France 3, là encore en lien avec le réseau RFO, sont réputées accueillir des programmes conçus par RFO pour achever la mission de visibilité des outre-mer sur leurs antennes.

Si l'on peut remonter au cahier des charges de France Régions 3 en 1975 pour voir la mention des outre-mer, les cahiers des charges de France 2 et France 3 de 1994 sont un exemple plus récent. Celui-ci prévoyait ainsi pour chacune des deux chaînes 54 ( * ) que « la société convient avec R.F.O. des conditions dans lesquelles sont produites des émissions destinées à être intégrées dans ses programmes à des heures d'écoute favorables et rendant compte de la vie économique, sociale et culturelle dans les départements et territoires d'outre-mer ».

Une exigence précise était en outre inscrite au même article pour France 3, celle d'un programme dédié aux outre-mer : « la société programme, chaque semaine, à une heure d'écoute favorable, un magazine sur les départements et territoires d'outre-mer produit par la société R.F.O ».

L'exigence faite à France 2 et France 3 trouvait là encore un corollaire au sein du réseau RFO puisque le cahier des charges de la société prévoyait en 1993 55 ( * ) que la société « conçoit et fait diffuser des émissions de télévision et de radiodiffusion sonore en métropole, notamment sur les chaînes nationales de programme , afin de concourir à la connaissance de la réalité économique, sociale et culturelle de l'outre-mer et à l'expression des spécificités régionales ».

Si le réseau des stations est là pour nourrir les chaînes nationales en contenus, c'est bien à elles que revient la mission de diffusion.

(3) Une exigence toujours présente aujourd'hui dans le cahier des charges de France Télévisions

Les exigences formulées dans les années 1990 sont demeurées sous une autre forme dans le nouveau cahier des charges issu de la fusion-absorption des sociétés au sein du groupe France Télévisions 56 ( * ) .

Si, comme nous l'avons mentionné, le groupe France Télévisions se voit confier une mission de continuité territoriale « de la métropole vers l'outre-mer et de l'outre-mer vers la métropole », les chaînes du groupe sont encore expressément chargées de la diffusion de programmes du réseau ultramarin puisque « la société veille à ce que les autres services (que le réseau des 1 ère ) de télévision qu'elle édite intègrent des programmes des Outre-mer 1ère à des heures d'écoute favorable et rendent compte de la vie économique, sociale et culturelle en outre-mer ».

L'obligation faite à France 3 a également persisté dans le cahier des charges de France Télévisions où il est ainsi prévu qu'« un bulletin d'information sur l'outre-mer est programmé en semaine sur l'antenne de France 3, à une heure d'écoute appropriée ».

Une autre exigence trouve également place dans le cahier des charges, relative aux annonces météorologiques. Ainsi « France Télévisions programme des informations météorologiques quotidiennes adaptées aux territoires de diffusion. Les émissions qu'elle produit pour la métropole comportent régulièrement des informations météorologiques sur l'outre-mer » 57 ( * ) .

Une nouvelle mention des outre-mer apparaît enfin dans ce cahier des charges 58 ( * ) en 2010 à l'occasion de l'extension de la diffusion de France Ô à l'ensemble du territoire national, dans un article du décret consacré à la lutte contre les discriminations et la représentation de la diversité à l'antenne . Ainsi, il est prévu que la société France Télévisions « prend en compte, dans la représentation à l'antenne, la diversité des origines et des cultures de la communauté nationale. Elle veille à ce que ses programmes donnent une image la plus impartiale possible de la société française dans toute sa diversité . Elle accorde également une attention particulière au traitement par les programmes qu'elle offre des différentes composantes de la population . À cet égard , elle contribue à la visibilité des populations et cultures ultramarines sur l'ensemble de ses services notamment par la présence de programmes de fictions et de documentaires relatifs à l'outre-mer (...)» 59 ( * ) .

b) Des exigences conventionnelles dans les contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions

Si la loi et le règlement contiennent des exigences régulières, les contrats d'objectifs et de moyens du groupe France Télévisions déclinent eux aussi les mêmes préoccupations formulées de manière analogue, à savoir la diffusion de contenus dédiés aux outre-mer sur les antennes de France Télévisions, et ce appuyé sur le réseau des stations La 1 ère .

Ainsi, concernant le traitement de l'information, il est prévu par exemple dans le contrat d'objectifs et de moyens 2011-2015, dans une section relative à « la diversité dans les programmes d'information » que « France Télévisions renforcera les liens entre les rédactions de France 2, France 3 et celles de RFO, de façon à amplifier la diffusion en métropole d'images et de reportages en provenance de l'outre-mer ».

L'avenant au contrat d'objectifs et de moyens 2013-2015 allait même plus loin dans cet objectif, visant la programmation globale. Il est ainsi écrit qu'« au-delà de la programmation des Outre-mer 1 ère , sera poursuivie sur l'ensemble des antennes de France Télévisions la valorisation des outre-mer et l'amélioration de leur visibilité que ce soit dans les différentes éditions d'information, dans les magazines, dans les documentaires, les oeuvres de fiction, les événementiels culturels, sportifs et de divertissement ou les programmes musicaux afin d'encourager la représentation de la diversité de la population française et de lutter contre les figures stéréotypées ».

Le présent contrat d'objectifs et de moyens, qui couvre la période 2016-2020, comporte une section propre à l'objectif d'« accroître la visibilité des Outre-mer », ainsi « France Télévisions souhaite accroître la visibilité des Outre-mer sur toutes ses antennes en renforçant la proximité entre les 9 stations des Outre-mer 1 ère , France Ô et le reste de l'entreprise ».

3. Des exigences globalement plus souples dans le reste de l'audiovisuel public

Au-delà des exigences très globales de l'article 43-11 de la loi de 1986 résultant de sa rédaction issue de la loi « égalité et citoyenneté » et mentionnées précédemment, les exigences formulées aux autres sociétés de l'audiovisuel public sont soit moins contraignantes, soit inexistantes.

a) Des exigences pour Radio France

Radio France n'est pas la société historiquement chargée d'opérer le service public radiophonique outre-mer et son cahier des charges prévoit encore aujourd'hui une mission de diffusion restreinte « à l'ensemble du territoire métropolitain » 60 ( * ) .

Le cahier des missions et des charges de la société prévoit cependant plusieurs exigences relatives aux outre-mer. Ainsi, une première exigence concerne les bulletins météorologiques puisque si « la société programme et fait diffuser, au moins une fois par jour et à une heure de grande écoute », « une fois par semaine, dans les mêmes conditions, ces informations portent sur le territoire métropolitain et l'outre-mer » 61 ( * ) .

Les antennes de Radio France doivent également prévoir un programme dédié aux outre-mer, le cahier des missions et des charges prévoyant ainsi que « la société programme chaque semaine à des heures d'écoute favorable une émission d'information sur la vie économique, sociale et culturelle dans les départements, territoires et collectivités territoriales d'outre-mer produite par la société, par la société France Télévisions ou coproduite par les deux sociétés ». 62 ( * ) C'est à ce titre que Radio France est mentionnée dans le cahier des charges de France Télévisions puisqu'alors que France Télévisions « veille à ce que les autres services de télévision qu'elle édite intègrent des programmes des Outre-mer 1 ère à des heures d'écoute favorable et rendent compte de la vie économique, sociale et culturelle en outre-mer. Dans le même but, elle peut conclure avec la société Radio France une convention » 63 ( * ) .

La société indique 64 ( * ) que son contrat d'objectifs et de moyens ne prévoit pas d'obligation particulière s'agissant de la représentation des outre-mer.

b) Une absence pour Arte et l'audiovisuel extérieur

Aucune exigence n'a été relevée comme formalisée pour Arte ou France Médias Monde.


* 46 Loi n° 2000-719 du 1 er août 2000.

* 47 II de l'article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée, dans sa version en vigueur du 1 er août 2000 au 5 mars 2009.

* 48 Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.

* 49 France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et Arte France.

* 50 Article 43-11 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée, dans sa version en vigueur.

* 51 8° de l'article 28 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée.

* 52 Convention entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la société Métropole Télévision, ci-après dénommée l'éditeur, concernant le service de télévision M6, version consolidée de 2018 transmise par le CSA.

* 53 Article 29 du cahier des charges de la société nationale de télévision France Régions 3 annexé à l'arrêté du 29 avril 1975.

* 54 Respectivement articles 48 et 50 des cahiers des missions et des charges des sociétés France 2 et France 3 annexés au décret n ° 94-813 du 16 septembre 1994.

* 55 Article 2 du cahier des missions et des charges de la société nationale de programme Réseau France Outre-mer annexé au décret n° 93-535 du 27 mars 1993.

* 56 5° de l'article 3 du cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions annexé au décret n° 2009-796 du 23 juin 2009.

* 57 Article 54 du cahier des charges précité.

* 58 Article 2 du décret n° 2010-253 du 10 mars 2010 portant modification du cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions.

* 59 Article 37 du cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions annexé au décret n° 2009-796 du 23 juin 2009.

* 60 Décret du 13 novembre 1987 portant approbation des cahiers des missions et des charges de la société Radio France et de l'Institut national de l'audiovisuel, article 2 du cahier des charges annexé. Si la diffusion de l'ensemble des antennes de Radio France est très largement assurée via le numérique, France Inter est la seule radio de Radio France à faire l'objet d'une diffusion en FM outre-mer.

* 61 Article 22 du cahier des charges annexé au décret du 13 novembre 1987 précité.

* 62 Article 93 du cahier des charges précité.

* 63 5° de l'article 3 du cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions annexé au décret n° 2009-796 du 23 juin 2009.

* 64 Réponse de Radio France au questionnaire des rapporteurs.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page