CONCLUSION

L'amélioration du recouvrement des amendes pénales passe aujourd'hui prioritairement par la création d'une interface informatique entre le ministère de la justice et la direction générale des finances publiques , et, sans doute, par une sensibilisation des personnels des juridictions aux contraintes du recouvrement.

Dans la perspective d'une refonte des outils de recouvrement de la direction générale des finances publiques, une association étroite du ministère de la justice serait souhaitable, afin de garantir la continuité de la chaine pénale , mais aussi de permettre la production d'outils statistiques utiles à l'évaluation des politiques pénales.

Des relations entre les juridictions et les directions départementales des finances publiques sont indispensables ; elles permettent notamment à chaque partie prenante de prendre consciente des contraintes de l'autre. En particulier, les DDFiP ne disposent pas toujours d'un interlocuteur dédié au sein des juridictions de leur ressort, susceptible de leur apporter des réponses ponctuelles.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 20 février 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, sur le recouvrement des amendes pénales .

M. Vincent Éblé , président . - Nous entendons maintenant la communication de M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », sur son contrôle relatif au recouvrement des amendes pénales.

M. Antoine Lefèvre , rapporteur spécial . - On distingue les amendes pénales, prononcées par les juridictions, des amendes « radars » et des amendes forfaitaires, émises par les services verbalisateurs. Le recouvrement des amendes pénales est d'abord un enjeu en termes de crédibilité de la réponse pénale, et, mais dans une moindre mesure, un enjeu financier pour l'État.

Alors qu'en 2016, le produit de l'ensemble des amendes, sanctions, pénalités et frais de poursuite versé à l'État représente plus de 2 milliards d'euros, le montant des amendes prononcées par les juridictions et inscrites au casier judiciaire national cette même année s'élève, au total, à 385 millions d'euros, correspondant à plus de 200 000 peines d'amendes fermes.

Globalement, le nombre d'amendes pénales diminue ces dernières années, au profit d'autres peines considérées comme plus « pédagogiques ». Néanmoins, les amendes représentent, en 2017, plus d'un tiers des peines principales prononcées par les juridictions.

Tous les contentieux ne sont pas concernés de la même façon par les amendes : sans surprise, les infractions économiques et financières et, mais dans une moindre mesure, les infractions en matière de stupéfiants, représentent une part significative du montant total des amendes inscrites au casier judiciaire.

Il est, à ce jour, impossible de rapprocher précisément ces 385 millions d'euros d'amendes inscrites au casier judiciaire national des recouvrements effectués par le Trésor public. En effet, il n'existe pas de suivi cohérent et spécifique du recouvrement des seules amendes pénales car le Trésor public recouvre également, sans les distinguer, les droits fixes de procédure dus par toute personne majeure condamnée. En outre, les amendes fiscales et douanières ne sont pas recouvrées selon les mêmes modalités par le Trésor public. Enfin, un nombre significatif d'amendes pénales n'est pas inscrit au casier judiciaire.

Sous ses réserves, on peut néanmoins estimer les sommes effectivement recouvrées au titre des droits fixes de procédure et des amendes pénales (hors amendes fiscales et douanières) pris en charge par le Trésor public. Ainsi, fin 2017, le taux de recouvrement des amendes pénales prononcées en 2016 est estimé à 48 %. Cela représente 168 millions d'euros. À titre de comparaison, le taux de recouvrement des amendes forfaitaires majorées des « radars » est de l'ordre de 30 %.

Même s'il n'est pas parfait, un recoupement entre le fichier de recouvrement des amendes et le casier judiciaire permet de mettre en évidence d'importants écarts de recouvrement en fonction du contentieux. Ainsi, le recouvrement est particulièrement faible s'agissant des condamnations pour escroquerie, pour vols ou en matière de stupéfiants, tandis qu'il est assez élevé s'agissant de blessures ou d'homicides involontaires ou en matière d'environnement.

Deux mesures incitatives ont été créées pour faciliter le recouvrement des amendes pénales : il s'agit de la création des bureaux de l'exécution des peines et de la réduction de 20 % des amendes payées sous 30 jours.

La création, en 2005, des bureaux de l'exécution des peines (les BEX) installés au sein des tribunaux et qui permettent aux condamnés de payer leur amende à l'issue de l'audience est considérée comme un moyen d'inciter à s'en acquitter immédiatement. Toutefois, ce système ne fonctionne que si le relevé de condamnation pénale, c'est-à-dire le titre exécutoire, a été édité dès l'audience et si le BEX est ouvert : ce n'est pas toujours le cas lorsque les audiences se terminent tardivement.

De plus, dans certains tribunaux, l'ancien tribunal de grande instance de Paris ou celui de Laon par exemple, l'installation de ce service dans des bâtiments anciens n'est pas toujours appropriée. Au contraire, lors de notre visite au nouveau TGI de Paris, nous avons pu constater que les locaux étaient adaptés à l'accueil du public. Cette question n'est pas spécifique aux amendes mais à l'exécution des peines de façon plus générale et nécessite une mobilisation forte du ministère public.

Les moyens de paiement constituent un second enjeu, puisque les BEX sont, normalement, équipés d'un terminal pour carte bleue mis à disposition par le Trésor public. Cependant, au TGI de Laon par exemple, le terminal fonctionne par intermittence. Les personnes condamnées peuvent également payer par chèque, déposé dans une urne sécurisée qui doit être régulièrement relevée par un agent du Trésor public.

Enfin, les personnes condamnées peuvent acquitter leur amende directement au Trésor public où le paiement en espèces est encore autorisé mais plafonné à 300 euros. Même si, comme l'ont souligné certains de nos interlocuteurs, la population pénale a une « préférence » pour les espèces, il ne paraît pas souhaitable d'introduire une exception à cette règle pour les amendes pénales.

La réduction de 20 % des amendes payées sous 30 jours est également considérée par l'ensemble des acteurs comme incitative et justifiée en raison de la difficulté à les recouvrer. Ainsi, sur les exercices 2016-2017, environ 15 % des titres enregistrés par la Trésorerie amendes de Seine-Saint-Denis ont fait l'objet d'une réduction de 20 %. Au total, le coût de cette réduction de 20 % des amendes pénales est de l'ordre de 15 millions d'euros pour le budget général de l'État.

En 2007, votre commission des finances soulignait déjà qu' « entre ministère de la justice et Trésor public, comme entre police, gendarmerie et justice, les interfaces informatiques apparaissent déficientes ». Plus de dix ans après, c'est le même constat qui s'impose.

On pourrait imaginer qu'un système d'information transmette, de la juridiction au Trésor public, automatiquement et sans délai, les informations relatives à l'identité du condamné et les montants dus. Il n'en est rien : le greffe établit un relevé de condamnation pénale, qui est transmis, sous format « papier », à la direction départementale des finances publiques (DDFiP). Ainsi, chaque année, les agents de la DDFiP effectuent 500 000 saisies manuelles afin de recopier les informations transmises par les juridictions dans le logiciel de recouvrement des amendes et des droits fixes de procédure.

La qualité des documents transmis et l'absence d'interlocuteur dans les juridictions figurent parmi les difficultés spécifiques au recouvrement des amendes pénales.

Par ailleurs, alors que le délai est normalement fixé à 35 jours, il s'écoule, en moyenne, 141 jours - soit plus de 4 mois ! - entre la date du jugement du tribunal correctionnel et celle de prise en charge par le Trésor public. En 2007, ce délai était de 177 jours. Comme vous l'imaginez, les délais sont d'autant plus longs que les tribunaux font face à des difficultés importantes (turn-over, stocks et flux d'affaires, etc.). Ainsi, pour les tribunaux correctionnels, on passe d'un délai de 25 jours en Charente à plus de deux ans en Guyane ou 14 mois en Seine-Saint-Denis.

La rapidité de la prise en charge par le Trésor public est pourtant déterminante pour le recouvrement.

Il arrive aussi que des personnes condamnées souhaitent acquitter leur amende alors même que le relevé de condamnation pénale n'a pas encore été transmis par le greffe. L'amende est alors encaissée et, à chaque fois que de nouveaux relevés de condamnation pénale sont adressés à la DDFiP, ses agents doivent commencer par vérifier que l'amende n'a pas déjà été acquittée. En effet, si cette étape n'est pas effectuée, l'État poursuit une personne à tort.

Cette situation est d'autant plus problématique que le logiciel utilisé par la DGFiP qui traite des amendes a été conçu à la fin des années 1970 et qu'il n'est pas possible, par exemple, d'effectuer un tri en fonction du montant des amendes ni de leur date de prescription. À l'époque, les amnisties présidentielles permettaient un apurement régulier du stock d'amendes... Ce n'est plus le cas aujourd'hui, et l'outil ne paraît pas dimensionné pour gérer toutes les amendes et condamnations pécuniaires, soit entre 12 et 14 millions d'actes par an.

J'ai interrogé la direction générale des finances publiques, afin de savoir à quelle échéance ils pensaient pouvoir remplacer logiciel existant : il m'a été répondu qu'alors qu'il était prévu, fin 2017, de moderniser cet outil, finalement, le ministère des finances souhaitait revoir l'ensemble de sa stratégie informatique, afin d'intégrer le recouvrement des amendes au sein d'un outil plus large de recouvrement... Encore quelques délais d'attente, donc !

Pourtant, les dysfonctionnements actuels entravent l'efficacité des moyens d'action des trésoreries amendes, conduisent à des saisies multiples, sources d'erreurs et activité sans valeur ajoutée pour les agents des DDFiP, qui devraient pouvoir se concentrer sur le recouvrement des deniers publics. Les moyens de recouvrer les amendes pénales sont ensuite classiques, avec notamment les oppositions administratives, et n'appellent pas d'observations particulières dans le cadre de ce contrôle.

En tout état de cause, afin d'améliorer le recouvrement des amendes pénales, des relations plus étroites entre les juridictions et les directions départementales des finances publiques sont indispensables et devraient être généralisées, afin de chaque partie prenante soit consciente des contraintes de l'autre, ce qui n'est pas encore tout à fait le cas aujourd'hui. En particulier, les DDFiP ne disposent pas toujours d'un interlocuteur dédié au sein des juridictions de leur ressort.

En conclusion, je dirais que dans notre pays, l'exécution des peines est encore trop souvent considérée comme accessoire, et la peine d'amende ne fait pas figure d'exception.

L'amélioration du recouvrement des amendes pénales passe aujourd'hui prioritairement par la création d'une interface informatique entre le ministère de la justice et la direction générale des finances publiques, et, sans doute, par une sensibilisation des personnels des juridictions aux contraintes du recouvrement.

Dans la perspective d'une refonte des outils de recouvrement de la direction générale des finances publiques, une association étroite du ministère de la justice serait souhaitable, afin de garantir la continuité de la chaîne pénale, mais aussi de permettre la production d'outils statistiques utiles à l'évaluation des politiques pénales.

Aujourd'hui, l'obsolescence des systèmes d'information et l'absence d'interface et de coopération entre les ministères restreignent l'efficacité de la politique pénale.

M. Vincent Éblé , président . - Il y a quelques jours, nous avons reçu M. Alexandre Gardette sur la réforme du recouvrement fiscal et social. Cette question fait-elle partie de son champ de travail ?

M. Philippe Dallier . - C'est assez consternant ! On se demande comment une application datant des années 1970 peut encore fonctionner aujourd'hui. À quelle échéance peut-on envisager qu'elle soit remplacée par un système plus performant ? On a réussi à dématérialiser le recouvrement des amendes « radars », c'est donc qu'on est capable de créer des systèmes efficaces, sur des volumes bien plus importants.

M. Thierry Carcenac . - Avec Claude Nougein, nous avons proposé de réaliser un contrôle sur le recouvrement des amendes de circulation et des forfaits de stationnement. Je pense que la commission des finances disposera alors d'une vision globale et complète sur le recouvrement. Sur les systèmes d'informations, je crois malheureusement que le problème est général à Bercy. Vous avez indiqué qu'on pouvait encore payer en espèces dans les trésoreries, mais ce ne sera bientôt plus le cas. Savez-vous où en est l'appel à projet ?

M. Claude Raynal . - Sans remettre en cause le bien-fondé des amendes pénales, savez-vous quel est le coût de gestion de leur recouvrement ?

M. Antoine Lefèvre , rapporteur spécial . - Je n'ai pas d'informations précises concernant la possibilité de confier le recouvrement des amendes à l'Agence unique du recouvrement. Mais dans la perspective d'une modernisation des modalités de recouvrement, il serait logique que les amendes soient concernées.

C'est d'ailleurs dans la perspective d'un projet informatique unifiant les applications et les informations en matière de recouvrement qu'il est aujourd'hui envisagé de maintenir le logiciel existant jusqu'en 2023. Je partage le terme employé par Philippe Dallier : c'est assez consternant.

Thierry Carcenac a confirmé le caractère général de l'obsolescence de ces logiciels : le prélèvement à la source a été prioritaire et les autres chantiers ont été mis de côté.

À ma connaissance, l'appel d'offres concernant la possibilité de payer en espèces ses amendes, impôts ou autres, aux bureaux de poste ou chez les buralistes est encore en cours.

Enfin, en tant que rapporteur spécial de la mission « Justice », je me suis focalisé sur les relations entre les juridictions et les services de la direction générale des finances publiques, et je n'ai pas d'éléments sur le coût, pour ces services, de la gestion des amendes.

La commission a donné acte de sa communication à M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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