N° 31

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 octobre 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' enquête de la Cour des comptes sur la chaîne de paiement des aides agricoles versées par l' Agence de services et de paiement ,

Par MM. Alain HOUPERT et Yannick BOTREL,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
ET RECOMMANDATIONS
DE VOS RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Les principales observations

Observation n° 1 : Les aides européennes apportent une contribution indispensable aux revenus agricoles et, ainsi, à l'économie agricole, ce qui conduit à souligner les enjeux toujours majeurs, et souvent vitaux, d'une exécution correcte des paiements agricoles.

Observation n° 2 : Dans le cadre de la politique agricole commune, la France se voit confier une responsabilité de mise en oeuvre des paiements agricoles réalisés à partir des dotations du budget européen. Il est reconnu qu'il s'agit là d'une intervention déléguée, conception conforme au développement d'un pouvoir budgétaire européen autonome, qui s'accompagne d'un encadrement très fourni de l'intervention des États et d'une forte surveillance, de principe, exercée sur eux.

Observation n° 3 : La mauvaise exécution des paiements des aides agricoles a exercé des impacts très négatifs pour les finances publiques. Les refus d'apurement prononcés contre la France ont coûté plus de 2 milliards d'euros au budget général entre 2010 et 2017. Ils ont réduit d'autant les retours en provenance du budget européen. Trop souvent non financés dans les lois de finances initiales, ils ont affecté considérablement la sincérité budgétaire et ont obligé les gestionnaires à des arbitrages en cours de gestion pouvant conduire à des reports de paiement subis in fine par les exploitants.

Observation n° 4 : Les mesures prises pour limiter l'impact des refus d'apurement et le décalage considérable des calendriers de paiements des différentes campagnes agricoles lié aux défaillances de notre infrastructure de paiement - les apports de trésorerie remboursables (ATR)- ont été utiles mais sans pouvoir aucunement représenter un équivalent acceptable aux aides attendues par les exploitants.

Observation n° 5 : Le retour à un calendrier plus satisfaisant des paiements a été facilité par les améliorations coûteuses apportées à certains instruments indispensables à la gestion des soutiens agricoles -le registre parcellaire graphique (RPG) en particulier -, mais, outre que ces améliorations ont été trop longtemps différées du fait de tergiversations inacceptables, certaines des composantes de la normalisation du calendrier des paiements apparaissent critiquables. Un certain nombre d'aides ont été versées sans assurance suffisante de leur régularité. En outre, une forme de discrimination est intervenue, à l'issue de laquelle les paiements au titre des aides du second pilier, pourtant les plus mal couvertes, pour certaines d'entre elles, par les ATR, ont été moins rapidement remis en ordre de marche.

Observation n° 6 : Les dysfonctionnements de la chaîne de paiements agricoles, au contraire de la présentation monocausale qui a traditionnellement prévalu pour en attribuer la responsabilité à de simples problèmes de transition, à caractère technique, peuvent être attribués à des difficultés multifactorielles, mais qui relèvent toutes d'une responsabilité politique.

Observation n° 7 : Les insuffisances des instruments techniques de gestion (RPG, applications informatiques) ont certes joué un rôle important d'autant que les corrections dont la nécessité avait été identifiée de longue date n'ont pas été apportées en bon temps. Cependant, force est de constater que c'est, au-delà, la complexité d'une politique agricole mobilisant des interventions aussi différenciées que massives sans l'accompagnement correspondant par des moyens de gestion qui est en cause. En particulier, les obligations de contrôle des paiements semblent dépasser structurellement les capacités disponibles.

Observation n° 8 : Cette situation est aggravée par un empilement de délégations de compétence duquel il découle, en contravention avec la réglementation européenne, des situations de confusion d'intérêts.

Observation n° 9 : S'il est possible de minimiser les difficultés de transition liées à la réforme de la politique agricole et au transfert aux régions de la responsabilité d'autorité de gestion pour la période couverte par le présent rapport, il est évident que ces événements sont susceptibles d'accentuer les difficultés rémanentes de gestion des aides agricoles européennes. Ce risque apparaît d'autant plus élevé que la décentralisation de la gestion des aides agricoles est encore au milieu du gué.

Observation n° 10 : L'information sur les coûts de gestion des paiements effectués dans le cadre de la PAC est insuffisante mais il apparaît que ces coûts sont globalement élevés et affectés d'une forte variabilité selon les dispositifs envisagés, ce qui ne saurait être indifférent en termes de conceptualisation d'une politique agricole, qui, pas plus qu'aucune autre, ne doit être indifférente à ses conditions de mise en oeuvre.

Observation n° 11 : Les conditions dans lesquelles le respect des lourdes obligations de conformité pesant sur les États membres est vérifié et sanctionné appellent, au niveau interne, une meilleure articulation entre les contrôles de la commission de certification des comptes des organismes payeurs (CCCOP) et les opérateurs des paiements et, au niveau européen, un effort pour réduire les excès des méthodes forfaitaires d'évaluation et de sanction des non conformités. En outre, une accélération des procédures d'enquête doit être recherchée au niveau européen où la préoccupation de prévenir des situations d'accumulation de corrections financières aux dépenses des États doit être mieux prise en compte.

Les principales recommandations

Recommandation n° 1 : Réaliser une budgétisation sincère des risques d'apurement communautaire dès la loi de finances initiale en présentant systématiquement et avec toutes les précisions nécessaires les risques encourus ou réalisés fondant la budgétisation qui doit être isolée dans un programme à part entière de la mission AAFAR.

Recommandation n° 2 : Dans l'hypothèse, qui doit évidemment rester exceptionnelle, où le paiement des aides serait suspendu, systématiser la mise en place d'apports de trésorerie remboursables, en veillant à en améliorer le régime et à cet effet en simplifier la procédure et en porter le niveau à 100 % des aides attribuables. Veiller à éviter toute discrimination dans le rattrapage du calendrier normal de versement des aides entre celles du premier pilier et celles du second pilier.

Recommandation n° 3 : Appeler l'attention du ministère de l'agriculture sur la nécessité de publier une information plus complète sur ses coûts de gestion des aides agricoles en développant la publicité des éléments de sa comptabilité analytique et en intégrant les coûts de gestion externalisés dans la perspective de disposer d'une évaluation des coûts complets d'administration de la politique de soutien au revenu et à la production. Mettre à l'étude les économies réalisables et mettre en oeuvre les modifications d'organisation de la gestion des aides et de programmation des interventions permettant de réduire les coûts de gestion sans altérer la qualité des soutiens apportés aux exploitants et les priorités de la politique agricole.

Recommandation n° 4 : Mettre à niveau les instruments techniques de gestion des aides agricoles, et, en particulier, veiller à l'actualisation en continu du RPG et à l'amélioration des performances des systèmes informatiques. Les capacités financières de réponse aux besoins d'investissement informatique doivent être préservées tout en maîtrisant les coûts, ce qui suppose de développer la capacité d'expertise des donneurs d'ordre face à des prestataires de service dont les responsabilités éventuelles dans les difficultés rencontrées doivent être systématiquement recherchées.

Recommandation n° 5 : Réaliser une évaluation systématique des besoins en effectifs résultant des obligations d'instruction et de contrôle des aides agricoles en décomposant cette évaluation par dispositif de soutiens. En assurer la communication au Parlement en présentant les impacts budgétaires d'une éventuelle mise à niveau.

Recommandation n° 6 : Revoir la gouvernance du paiement des aides sur la base d'un principe d'affirmation de l'autonomie des différents intervenants, qui doivent pouvoir maîtriser leurs décisions, et de responsabilité financière destiné à prévenir tout aléa moral. Sur ces bases, apporter les compléments nécessaires au choix de confier aux régions la responsabilité de la gestion des aides du second pilier de la PAC.

Recommandation n° 7 : Développer l'analyse des sanctions envisagées et prononcées par la Commission européenne afin de répondre le plus tôt possible aux griefs tant d'un point de vue juridique qu'opérationnel.

Recommandation n° 8 : Au-delà des adaptations demeurant à mettre en oeuvre pour assurer la conformité des travaux de la CCCOP avec les obligations européennes de la France, il convient de mieux prendre en considération les travaux de contrôle qu'elle réalise afin de corriger le plus en amont possible les dysfonctionnements de la chaîne des paiements agricoles. En outre, la pondération des erreurs constatées par le certificateur appelle un débat technique sur sa pertinence.

Recommandation n° 9 : Dans le cadre de la conclusion de la nouvelle politique agricole commune, négocier les conditions de la délégation de gestion des enveloppes financières européennes afin que les obligations formelles de contrôle soient compatibles avec une gestion économe des fonds européens et que les méthodes de corrections financières appliquées aux États membres ne tendent pas à en surestimer systématiquement les montants. De la même manière, obtenir que les délais des procédures d'apurement soient réduits. Enfin, mettre à l'étude un mécanisme visant à pénaliser les refus d'apurement abusifs afin de prévenir les pratiques consistant à s'éloigner du respect du principe de proportionnalité entre les corrections financières et les défaillances observées ou estimées.

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