N° 626

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juillet 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur les conditions de réussite d'une réforme systémique des retraites : actes du colloque organisé au Sénat le 19 avril 2018,

Par M. Alain MILON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; MM. René-Paul Savary, Gérard Dériot, Mme Colette Giudicelli, M. Yves Daudigny, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, MM. Michel Amiel, Guillaume Arnell, Mme Laurence Cohen, M. Daniel Chasseing , vice-présidents ; M. Michel Forissier, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, Corinne Féret, M. Olivier Henno , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Jean-Noël Cardoux, Mmes Annie Delmont-Koropoulis, Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Nassimah Dindar, Catherine Fournier, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Nadine Grelet-Certenais, Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Florence Lassarade, M. Martin Lévrier, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Monique Lubin, Viviane Malet, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Mizzon, Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Frédérique Puissat, Laurence Rossignol, Patricia Schillinger, M. Jean Sol, Mme Claudine Thomas, M. Jean-Louis Tourenne, Mme Sabine Van Heghe .

OUVERTURE

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Alain Milon , président de la commission des affaires sociales du Sénat . - Monsieur le Président du Sénat, Madame la Ministre, Monsieur le Haut-Commissaire, Mesdames, Messieurs, Je vous souhaite la bienvenue au Sénat au nom de la commission des affaires sociales et vous remercie pour votre participation à ce colloque, dont nous avons voulu faire un temps fort des activités de notre commission en 2018. Je remercie Gérard Larcher d'avoir accordé son patronage à l'événement et d'ouvrir les travaux, ainsi que la Ministre Agnès Buzyn et le Haut-Commissaire, Jean-Paul Delevoye.

*

Gérard Larcher , président du Sénat . - Madame la Ministre des affaires sociales et des solidarités, Monsieur le Haut-Commissaire, Monsieur le Président de la commission des affaires sociales, Monsieur le Rapporteur général de la commission des affaires sociales, Monsieur le Président de la Mecss, Monsieur le Rapporteur « assurance vieillesse », Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, Je suis heureux d'ouvrir ce colloque sur la réforme des retraites, le premier sur ce sujet, en compagnie de la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, et du Haut-Commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye. Cette idée est née d'une rencontre en début d'année, avec le Président de la commission des affaires sociales, Alain Milon avec qui il nous a semblé important de tenir ce colloque au Sénat. Je le remercie donc ainsi que ses collègues et le secrétariat de la commission pour leur apport à la préparation de cette journée.

Nous y tenions pour deux raisons. Tout d'abord, la sauvegarde de notre régime de retraite est au coeur de notre pacte social et républicain. Nous ne saurions le traiter à la légère ni croire qu'un coup de baguette magique suffira à le transformer. Ensuite, le Sénat a toujours eu à coeur de contribuer aux réflexions et évolutions du système de retraite. En témoigne l'amendement voté en 2010 sur les objectifs et les caractéristiques d'une réforme systémique. Dans ce domaine, le Sénat s'est montré précurseur. Le sujet de la réforme systémique n'est donc pas tabou ici, au contraire : comment ne pourrions-nous pas partager l'objectif d'un régime unifié ou universel ? Compréhensible par les assurés, sans doute plus équitable, qu'il soit à points ou comptes notionnels, ce régime paraît en première approche plus facile à piloter.

Ce matin, au bureau du Sénat, je communiquerai sur les évolutions du régime de retraite des sénateurs qui prendront naturellement en compte la future réforme une fois adoptée. Cette approche me permet aujourd'hui de mettre en garde. Il n'y a pas d'un côté des conservateurs ne jurant que par les réformes paramétriques, qu'elles portent sur l'âge de départ ou la durée de cotisation, et de l'autre, les partisans d'une véritable réforme conduisant à un régime universel de retraite par points ou fondé sur les comptes notionnels. Je vous invite à vous méfier des tentations du grand soir.

La réalité est plus complexe. Nous dénombrons 42 régimes, qui sont le fruit de l'histoire sociale de notre pays. Celle-ci ne s'efface pas, car elle porte des projets, des aventures et des défis humains et collectifs, qui résultent de compromis, sociaux ou professionnels, auxquels les assurés sont attachés. Nous devrons en tenir compte. La brutalité peut parfois paralyser les réformes pourtant nécessaires.

L'exigence de régimes complémentaires s'ajoutant à un régime de base plafonné, gérés par les partenaires sociaux rend d'autant plus délicate, voire difficile, la perspective d'un régime unifié. D'ailleurs, les partenaires sociaux ont-ils moins bien géré leur régime complémentaire que l'Etat ? Ont-ils été moins courageux que lui pour prendre leur part des efforts nécessaires ? Ce n'est pas certain, comme le montre l'exemple récent de l'accord Agirc-Arrco. Je crois profondément au rôle des corps intermédiaires. Rien ne peut se bâtir sans respect ni concertation dans le respect mutuel des interlocuteurs. Madame la Ministre, c'est aussi votre conviction et vous l'avez montrée. Il importe de se réunir autour de principes communs et de diagnostics partagés. Les travaux du Conseil d'orientation des retraites (COR) nous ont permis de poser les diagnostics ces dernières années. Récemment, le COR a montré la complexité d'un exercice de mise à plat des régimes, pourtant indispensable pour apprécier objectivement leurs différences, pérenniser ou corriger leurs spécificités. Le COR met également l'accent sur la difficulté de la période de transition vers un nouveau régime unifié.

Dans ce cadre, deux écueils sont à redouter.

Le premier consisterait à y consacrer un temps et une énergie considérable sans prendre les mesures nécessaires pour assurer l'équilibre financier des prochaines décennies. Le second écueil résiderait dans des dépenses supplémentaires pour des raisons d'échelles de perroquet faciles à imaginer. Le risque existe aussi de faire main basse sur les réserves des régimes complémentaires ou de prévoir des prélèvements supplémentaires.

Nous commencerons ce matin par éclairer l'état de notre régime de retraite et les réformes déjà menées. L'après-midi sera consacré à des exemples étrangers et au cap d'une réforme systémique. Je salue les intervenants présents et leur qualité et remercie chacun d'entre eux d'avoir accepté de participer à ce colloque qui initie un mouvement. Nous avons choisi collectivement une approche pédagogique.

Pour cette raison, nous n'avons pas réservé de temps aux organisations syndicales et patronales. Je propose d'organiser un second colloque lorsque nous en saurons davantage sur les intentions du gouvernement. Les partenaires sociaux pourront alors faire valoir leur analyse et en débattre. La période actuelle est consacrée à une mise en perspective dans le cadre des négociations avec les partenaires sociaux sous la responsabilité du Haut-Commissaire.

En conclusion, je citerai un ancien président de l'Assemblée nationale et ministre des affaires sociales, Philippe Seguin, qui nous livre une feuille de route : « le libéralisme à construire est un libéralisme corrigé par les impulsions d'un Etat dont le rôle, dans une période de mutations telle que celle que nous avons à vivre, est moins que jamais discutable. Le libéralisme de demain doit accepter un tempérament de grande conséquence : celui de la sauvegarde d'un système de protection sociale aussi complet et exemplaire que possible. C'est la condition de l'équilibre de notre société. C'est la garantie du maintien de l'ordre public. C'est l'assurance que les mutations pourront s'exprimer autrement que dans le trouble et la révolte. »

Je vous souhaite un fructueux colloque et vous remercie d'être aussi nombreux.

*

Agnès Buzyn , ministre de la santé et des solidarités . - Monsieur le Président du Sénat, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Monsieur le Haut-Commissaire, Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs, C'est un plaisir de participer à vos travaux sur les retraites. Je remercie le Président du Sénat, Gérard Larcher, d'avoir pris cette initiative d'une journée de travail qui sera, au regard de la qualité des intervenants, riche d'enseignements.

Le Sénat est depuis de nombreuses années attentif à la situation des retraites et aux évolutions de notre système, notamment au regard des grandes décisions prises en la matière par nos voisins européens. Les travaux d'étude et d'évaluation que le Sénat a menés depuis le début des années 2000 l'ont conduit très tôt à se montrer favorable à une réforme d'ampleur, qu'on appelle aujourd'hui systémique, de notre système. Le septième rapport du COR en date du 26 janvier 2010, intitulé « Retraites, annuités, points ou comptes notionnels » répondait à une demande du Parlement et à l'origine, à un amendement de la commission des affaires sociales de la haute assemblée.

Au cours de la campagne présidentielle, le Président de la République a annoncé qu'il procéderait à la construction d'un système universel de retraite par répartition qui serait capable d'apporter la simplification à laquelle nos concitoyens aspirent légitimement, de résoudre les inégalités de traitement, aujourd'hui nombreuses et inévitables dans un système comportant 42 régimes et autant de règles différentes, d'accompagner et de faciliter les mobilités professionnelles en épousant les besoins des parcours au travail au lieu de raisonner en termes de statut et de carrière.

Les réformes du système qui se succèdent depuis vingt ans ont été nécessaires. Elles ont permis aux Français de conserver un système de retraite qui comporte un niveau élevé de solidarité. Cependant, ce système très sophistiqué répond de plus en plus difficilement aux évolutions rapides auquel nous participons, qu'elles touchent le monde du travail, les relations sociales, les modèles familiaux) et aux besoins de nos concitoyens, ce qui crée une inquiétude renforcée par l'effet cumulatif des réformes du passé. Nos concitoyens se demandent ce qu'il restera pour eux à force de réduire les droits, lorsqu'ils seront âgés. Qui d'entre nous n'a jamais entendu un jeune affirmer qu'il n'aura pas les mêmes droits à la retraite ? Nous avons l'obligation de répondre à cette inquiétude, c'est-à-dire de répondre aux exigences de lisibilité et de simplification que nos concitoyens réclament, de rétablir le sentiment d'équité et d'égalité et de faire en sorte qu'« un euro cotisé donne les mêmes droits quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ».

Ce chantier considérable ne doit pas être une énième réforme des retraites. Ce sujet n'est pas, contrairement aux apparences, une question technique. C'est un projet de société, qui relève du débat démocratique. Il s'agit d'adapter notre système de retraite aux nouveaux besoins de notre société et de le rendre capable de s'adapter aux besoins qui vont émerger et s'amplifier dans le futur. Il ne s'agit pas de réformer pour réformer ou réduire les droits ou les niveler par le bas. Ce chantier va nous offrir l'occasion de revisiter un grand nombre de dispositifs et de nous interroger, pour chacun d'entre eux, sur son adaptation aux besoins actuels et futurs. Il va par exemple nous permettre de réfléchir aux besoins actuellement mal pris en compte, notamment ceux des aidants, des personnes malades, dépendantes ou handicapées, de nous pencher sur les situations mal compensées, comme les débuts d'activité des jeunes, en particulier pour les jeunes indépendants, de réfléchir à la prise en compte des choix familiaux et conjugaux. Il s'agit de revisiter les solidarités et rendre notre système de retraite capable de générer des droits nouveaux. C'est cela, relever le défi de la modernité.

Ce travail demande du temps et ne peut être conduit dans la précipitation. C'est tout le sens de l'importante mission que le Président de la République et le Premier ministre ont confiée à Jean-Paul Delevoye. Il a choisi de conduire sa mission dans le cadre d'un dialogue constructif qui permette à chacun d'exprimer son opinion, ses attentes, exposer ses arguments. Cette méthode associe largement les partenaires sociaux qui sont des acteurs essentiels de notre système de retraite, ainsi que les citoyens au travers d'une vaste consultation qui sera initiée avant la fin du mois de mai, et les parlementaires comme l'illustre l'organisation de ce colloque par le Sénat.

Jean-Paul Delevoye, depuis son arrivée, a rencontré l'ensemble des membres du gouvernement responsables de départements ministériels concernés par la réforme des retraites, soit 16 ministres et secrétaires d'Etat. Il a également rencontré les présidents de l'Assemblée nationale, du Sénat, des commissions intéressées des deux assemblées, leurs rapporteurs et son équipe a rencontré l'ensemble des gestionnaires des régimes. Le Haut-Commissaire a effectué plusieurs déplacements en Italie, en Suède, plus récemment en Allemagne, pour faire un point sur les résultats des réformes initiées dans ces pays, présentées en leur temps comme emblématiques. A chaque fois, il a été accompagné de parlementaires, dont pour le Sénat, Monsieur Vanlerenberghe et Monsieur Savary, que je salue pour leur implication. Il a également engagé des échanges riches et directs avec toutes les confédérations syndicales (CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT, FO, UNSA), avec les organisations patronales (CPME, Medef, U2P), ainsi qu'avec la FNSEA.

Au terme de ce rapide et sommaire tour d'horizon, vous voyez que le dialogue constructif proposé par Jean-Paul Delevoye au gouvernement est d'ores et déjà amorcé. Il va se dérouler tout au long de l'année 2018. Au terme de ces travaux et au regard des préconisations du Haut-Commissaire, le gouvernement prendra ses responsabilités et formulera des propositions en vue de la création d'un système universel de retraite qu'il soumettra au débat parlementaire.

En conclusion, je tiens à saluer l'occasion que le Président du Sénat et les organiseurs de ce colloque nous donnent. Ils ont élaboré un programme passionnant, avec des interlocuteurs de premier plan, dont l'expérience et la vision nous seront précieuses. Je vous remercie pour votre présence et vous souhaite une belle journée de travail et de réflexion.

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