B. LE SOUHAIT D'UNE PAUSE STATUTAIRE SOUS RÉSERVE D'AJUSTEMENTS

1. Une aspiration autonomiste majoritaire

Le souhait du maintien de la Polynésie française dans la République prédomine parmi la population. Tout au long de leur déplacement, vos rapporteurs ont pu mesurer l'attachement profond des personnes qu'ils ont rencontrées - élus comme habitants - à la France.

Toutefois, même minoritaire, la revendication indépendantiste demeure. Lors de sa rencontre avec les membres de la délégation de votre commission, M. Oscar Temaru, maire de Faa'a, a rappelé la position de la formation indépendantiste qu'il dirige : « La Polynésie française n'est pas la France ». Il a estimé que les autorités françaises « avaient exercé des pressions » pour que les indépendantistes ne puissent pas exercer normalement le pouvoir à la suite des élections territoriales de 2004, nourrissant pour cela l'instabilité institutionnelle.

La question de l'indépendance de la Polynésie française a même investi les enceintes internationales depuis que la collectivité a été inscrite sur la liste onusienne des « territoires à décoloniser », à l'initiative du gouvernement polynésien alors dirigé par M. Oscar Temaru, et avec le soutien de plusieurs pays de l'environnement régional du Pacifique Sud.

La réinscription de la Polynésie française sur la liste des territoires « non autonomes »

Communément appelé « Comité spécial des Vingt-Quatre », ce comité créé en 1961 par l'assemblée générale des Nations Unies se réunit chaque année pour revoir et mettre à jour la liste des territoires concernés par la Déclaration sur la décolonisation, issue de la résolution de l'assemblée générale n° 1514 du 14 décembre 1960.

Il entend des représentants de ces territoires, dépêche des missions dans les territoires et organise des séminaires sur la situation de leur système politique, social, économique et éducatif. Désormais, outre les représentants indépendantistes, les élus autonomistes se rendent aux sessions du comité considérant qu'il leur appartient de faire valoir un point de vue différent. Le comité dresse ainsi un bilan annuel de la situation des 16 territoires dits « non autonomes » de la liste établie en 1946. À ce titre, il formule chaque année des recommandations relatives à la diffusion d'informations en vue de mobiliser l'opinion publique en faveur du processus de décolonisation.

Alors qu'en décembre 1986 la Nouvelle-Calédonie a été réinscrite, après 36 ans d'absence, sur la liste des territoires à décoloniser, la Polynésie française a été inscrite, pour sa part, par une résolution de l'assemblée générale du 17 mai 2013 à la demande de pays de la région, malgré l'opposition de la France considérée comme une « puissance administrante ». Cette démarche avait attisé les oppositions locales autour de l'avenir institutionnel de cette collectivité d'outre-mer. Par l'adoption régulière de résolutions, l'assemblée générale des Nations Unies réaffirme le droit inaliénable du peuple de la Polynésie française à l'autodétermination alors que, comme le fait valoir le gouvernement actuel de la Polynésie française, l'autonomie est privilégiée par une large majorité de la population locale.

2. La fin du cycle de l'instabilité institutionnelle

L'instabilité gouvernementale, à compter de l'élection de l'assemblée de la Polynésie française le 23 mai 2004 et de l'élection partielle du 13 février 2005, a fortement fragilisé les institutions polynésiennes.

Comme cela a été indiqué, la Polynésie française a vu se succéder onze gouvernements en sept ans. Cette situation a conduit à plusieurs modifications du statut de 2004 destinées à stabiliser les institutions locales, les plus notables ayant résulté des lois organiques du 7 décembre 2007 et du 1 er août 2011.

Ces modifications ont consisté à prévoir, outre la définition d'un nouveau mode de scrutin pour l'élection des membres de l'assemblée de la Polynésie française et l'encadrement des conditions d'adoption par cette dernière d'une motion de défiance lui permettant de renverser le président et le gouvernement de la Polynésie française : l'élection du président de la Polynésie française à trois tours, le troisième tour voyant s'affronter les deux seuls candidats ayant recueilli le plus grand nombre de voix lors du second tour, l'élection du président de l'assemblée de la Polynésie française pour la durée de son mandat, l'instauration d'une procédure de « 49-3 » budgétaire, la limitation du nombre des ministres et des collaborateurs de cabinet ou encore le plafonnement des indemnités des élus et de la durée de versement d'indemnités après la cessation des fonctions gouvernementales (trois mois).

Lors de leur rencontre avec les membres du gouvernement polynésien, M. Édouard Fritch, président de la Polynésie française, a indiqué à vos rapporteurs que son gouvernement portait une appréciation globalement positive sur le statut actuel d'autonomie et approuvait les grands équilibres présidant à la répartition des compétences entre la collectivité, les communes et l'État, au régime électoral de l'assemblée de la Polynésie française ainsi qu'à l'organisation et au fonctionnement des institutions polynésiennes. La plupart des personnes rencontrées par les membres de la délégation de votre commission ont exprimé la même appréciation, certaines soulignant l'importance du retour de la stabilité gouvernementale pour l'image de la Polynésie française et son attractivité pour les investisseurs français et étrangers.

À cet égard, les prochaines élections territoriales, au printemps 2018, en vue du renouvellement de l'assemblée de la Polynésie française constitueront un nouveau test pour la stabilité institutionnelle des institutions polynésiennes.

3. Une révision technique du statut d'autonomie

À l'unisson de plusieurs responsables politiques, le président Édouard Fritch a appelé de ses voeux une pause statutaire, sous réserve d'ajustements. Selon lui, « le statut n'a même pas encore été entièrement exploité ».

Le gouvernement polynésien a engagé une réflexion approfondie afin de proposer la correction de quelques imperfections. Les résultats de ce travail d'analyse et les propositions en vue de la révision du statut d'autonomie ont été présentés à la délégation par les membres du gouvernement polynésien. Ces préconisations auraient dû être reprises, pour partie, au sein d'un projet de loi organique, en préparation en 2016 mais qui n'a pas été déposé sur le bureau du Sénat avant la fin de la précédente législature.

Vos rapporteurs ne peuvent qu'appeler de leurs voeux l'examen prochain d'un texte de loi organique permettant au Parlement d'examiner des modifications qui concourraient à une modernisation du statut, comme la réforme du régime contentieux des lois du pays non fiscales, la dématérialisation accrue de l'administration polynésienne ou la clarification des compétences de la collectivité.

Comme ils l'ont indiqué devant les représentants du gouvernement polynésien, ils n'excluent pas le dépôt d'une proposition de loi organique si le Gouvernement ne parvenait pas à élaborer et déposer rapidement sur le bureau du Sénat un projet de loi organique permettant de réaliser les quelques ajustements nécessaires à la modernisation du statut de la Polynésie française.

4. Les archipels en quête de statut : le cas emblématique des îles Marquises

La modernisation du cadre statutaire de la Polynésie française pose inévitablement la question de la place laissée aux archipels face à la collectivité polynésienne.

La distance entre les îles Marquises et Tahiti, siège des administrations de l'État et de la collectivité, avec les difficultés induites pour la population, a conduit les élus de l'archipel marquisien à souhaiter depuis plusieurs années la création d'un statut particulier aux îles Marquises, leur permettant de se détacher du reste de la Polynésie française en vue d'une « départementalisation ». Cette revendication est renforcée par l'identité propre revendiquée par les habitants de l'archipel.

Si ce voeu paraît en l'état difficile à exaucer, il témoigne de la problématique, déjà ancienne, du traitement politique et administratif d'une collectivité aussi étendue en superficie. Par comparaison, la Nouvelle-Calédonie compte trois provinces, alors que la Polynésie française ne dispose d'aucun niveau intermédiaire d'administration entre le pays et les communes.

En 1990, un article 89 bis avait été inséré dans la loi statutaire du 6 septembre 1984 afin de créer des conseils d'archipel dotés d'un rôle consultatif. Composés des membres de l'assemblée territoriale et des maires élus des îles de chaque archipel, ces conseils devaient élire chaque année leur président en leur sein. Ils devaient être obligatoirement consultés par le président du gouvernement sur les plans de développement et sur les contrats de plan, sur les mesures générales prises pour leur application ainsi que sur les dessertes maritimes et aériennes les concernant. Ils pouvaient émettre des avis dans le domaine économique, social ou culturel intéressant chaque archipel (carte scolaire, emploi et formation professionnelle, développement des langues et des cultures locales, etc. )

Cependant, les conseils d'archipel n'ont finalement pas été créés, faute pour l'assemblée territoriale d'avoir adopté une délibération relative à leur organisation et à leur fonctionnement. Tirant les conséquences de cet échec, la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française y a mis fin sans prévoir un autre dispositif destiné à assurer une représentation spécifique aux archipels dans le système institutionnel polynésien.

Pour répondre à cette problématique marquisienne, nos anciens collègues Christian Cointat et Bernard Frimat avaient, à la suite de leur déplacement sur place en 2008, plaidé en faveur du développement d'une intercommunalité rassemblant les huit communes de l'archipel. Ils n'avaient cependant pas sous-estimé les difficultés d'une telle solution, en soulignant que les compétences communales traditionnellement transférées à un établissement public de coopération communale (EPCI) ne relevaient pas, en Polynésie française, des communes mais du pays. La construction de l'intercommunalité requiert donc préalablement le transfert, par l'adoption d'une loi du pays, de certaines compétences (urbanisme, aide sociale, intervention économique, culture, etc. ) de la collectivité vers les communes polynésiennes, comme le permet le statut actuel.

La communauté de communes des îles Marquises (CODIM) a ainsi été le premier EPCI à fiscalité propre créé en Polynésie française. Afin de permettre son essor, l'assemblée de la Polynésie française a même adopté, le 6 juillet 2010, une loi du pays donnant la possibilité à la CODIM d'intervenir dans deux domaines relevant normalement des compétences obligatoires de la communauté de communes.

Si la CODIM est une communauté de communes adaptée au contexte polynésien et a été saluée comme positive à sa création, le rapport de gestion de la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française rendu public en mars 2017 a néanmoins dressé un bilan en demi-teinte de cette structure intercommunale.

Synthèse des observations de la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française sur la communauté de communes des îles Marquises (CODIM)

La chambre territoriale des comptes de la Polynésie française a procédé, dans le cadre de son programme de travail, à l'examen de la gestion de la communauté de communes des îles Marquises (CODIM), de 2010 à 2015. Sur le plan financier, bien que quelques manquements aient été constatés depuis sa création, la CODIM a globalement maîtrisé ses charges.

Cependant, le bilan de la CODIM apparaît mitigé pour la chambre territoriale des comptes. En effet, du fait de la distance géographique, l'intercommunalité semble plus difficilement développable dans les archipels. La seule intercommunalité viable selon elle est celle de Papeete. Les communes n'ont pas de ressources fiscales propres et une intercommunalité ne fonctionne que sur la même île.

Dans son rapport d'observations définitives, la chambre a également relevé plusieurs difficultés liées au périmètre d'activité de la CODIM.

La CODIM a ainsi mené l'ensemble des études prévues dans ce périmètre, qu'il s'agisse du projet de développement économique (2012-2027), finalisé en décembre 2012, ou d'études dans le domaine de l'action culturelle et sportive.

Par ailleurs, la CODIM paraît avoir atteint une phase qui appelle une nouvelle définition de ses compétences. En raison de son statut, elle ne peut entreprendre des actions que dans ses domaines limités de compétence. Elle n'a ainsi ni la compétence, ni d'ailleurs les ressources financières, pour réaliser les équipements structurants nécessaires au développement des îles Marquises.

Le statu quo risquerait, selon la chambre territoriale des comptes, de conduire à des dépenses excessives, voire inutiles. En conséquence, la chambre formule une série de recommandations, appelant notamment à négocier avec la Polynésie française un nouveau périmètre d'activitéS et de nouveaux financements dans le cadre d'une nouvelle loi de pays. Elle exhorte aussi à maîtriser les dépenses de réception de la CODIM, par exemple en restreignant les participations aux congrès et aux voyages d'études en dehors de la Polynésie française ou en mutualisant davantage de moyens, notamment humains, avec ses communes membres.

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