AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La création ex nihilo d'un musée universel à Abou Dhabi, portant le nom du Louvre et encadrée par un accord intergouvernemental d'une durée totale de trente ans, constitue un projet sans précédent d'un point de vue scientifique, diplomatique et financier .

Outre l'attribution en partage du nom du Louvre pour une durée de trente ans, il s'agit d'aider les Émirats arabes unis à constituer un musée qui leur est propre et qui sera géré par une structure émirienne , ce qui implique tout à la fois d'apporter une expertise technique sur le fonctionnement du musée, d'accompagner la constitution d'une collection permanente, complétée pendant dix ans par des prêts issus des collections nationales françaises, et de proposer des expositions temporaires animant la vie du musée pendant les quinze années qui suivront son ouverture.

Emblématique et souvent critiquée, la coopération franco-émirienne autour du Louvre Abou Dhabi demeure mal connue , pour partie en raison de l'absence d'informations publiques et officielles aisément accessibles sur la mise en oeuvre effective de l'accord et les flux financiers auxquels il donne lieu pour les musées français.

Dix ans après la signature de l'accord du 6 mars 2007 et à la veille de l'ouverture du musée, il a donc paru nécessaire de faire le point sur le projet , d'autant plus que les versements au profit des établissements publics culturels français liés au projet sont importants et appelés à croître dans les années à venir.

Mais il ne saurait être question de se limiter à une approche comptable et rétrospective : ce projet exceptionnel invite à reconsidérer la façon dont nous valorisons notre expertise et nos marques culturelles.

Si le partenariat franco-émirien serait presque impossible à répliquer, tant en raison de la rareté de demandes d'une telle envergure que des ressources limitées dont disposent les musées pour y répondre, il n'en demeure pas moins que les enseignements tirés de l'expérience du Louvre Abou Dhabi doivent être mis à profit pour que la France tire pleinement parti du potentiel que représentent ses marques culturelles et son savoir-faire en matière d'ingénierie patrimoniale.

C'est dans cette perspective que cinq recommandations sont formulées .

I. UN PROJET SANS PRÉCÉDENT D'UN POINT DE VUE CULTUREL, DIPLOMATIQUE ET BUDGÉTAIRE

La création ex nihilo d'un musée universel à Abou Dhabi, portant le nom du Louvre et encadrée par un accord intergouvernemental d'une durée totale de trente ans, constitue un projet sans précédent d'un point de vue scientifique, diplomatique et budgétaire .

A. UNE COOPÉRATION CULTURELLE SANS PRÉCÉDENT, ENCADRÉE PAR UN ACCORD INTERGOUVERNEMENTAL

1. Un projet né d'une demande émirienne

L'idée de créer d'un musée émirien qui porterait le nom du Louvre a été émise par les Émirats arabes unis , qui en ont fait part à la France à l'été 2005, à travers un courrier adressé par le prince héritier à l'Élysée.

Après l'arbitrage favorable du Président de la République, le ministre des affaires étrangères puis celui de la culture se sont saisi du dossier et les négociations, associant étroitement l'équipe de direction du Louvre, ont démarré quelques mois plus tard, à l'été 2006, pour s'achever à la fin du mois de février 2007 et déboucher sur la signature de l'accord intergouvernemental du 6 mars 2007, qui affirme nettement la dimension unique du projet : son article 3 prévoit ainsi que « les Parties contractantes s'engagent à conserver au projet un caractère exclusif ». Ainsi, la partie française s'est engagée à ce qu' aucune opération identique ou analogue ne soit réalisée pendant la durée de l'accord (soit trente ans) dans les pays voisins des Émirats arabes unis 1 ( * ) .

2. Un encadrement juridique à plusieurs niveaux fondé sur l'accord intergouvernemental du 6 mars 2007

Le projet du Louvre Abou Dhabi est encadré par une structure juridique à plusieurs niveaux. L'accord intergouvernemental du 6 mars 2007 relatif au musée universel d'Abou Dhabi , ratifié par le Parlement en octobre 2007 2 ( * ) , est ainsi complété par une convention d'application séparée portant sur la licence de la marque « Louvre » et un contrat de prestation de services signé en janvier 2008 entre l'entité émirienne et l'entité française chargées de la mise en oeuvre de l'accord, soit respectivement l'Autorité de développement du tourisme et d'investissement (TDIC) et l'Agence France-Muséums .

Cette agence, qui coordonne pour le projet du Louvre Abou Dhabi l'action des musées français en matière de prêts, d'expositions temporaires, d'expertise technique et qui accompagne également le processus d'acquisition des oeuvres, est une société de droit privé dont douze musées - dont le Louvre - sont actionnaires .

Du côté français, le dispositif juridique est complété par des accords-cadres et des conventions réglementées, conclues entre l'Agence France-Muséums et les musées, précisant l'objet et les modalités de paiement de l'expertise apportée aux Émirats par les établissements culturels à travers l'Agence.

3. Au-delà de l'attribution du nom du Louvre, un rôle très étendu de la partie française en matière d'ingénierie culturelle

L'accord de 2007 fixe de façon assez précise la nature de l'aide apportée par la France aux Émirats arabes unis, les conditions dans lesquelles la coopération est mise en oeuvre ainsi que les flux financiers associés au projet.

Il peut être divisé en deux grands ensembles : l'autorisation de principe concernant l'attribution du nom du Louvre au nouveau musée d'une part, les dispositions liées à l'expertise patrimoniale apportée par le Louvre et les autres musées français d'autre part.

Durée de mise en oeuvre des différents pans de l'accord du 6 mars 2007

Source : commission des finances du Sénat (à partir de l'accord intergouvernemental du 6 mars 2007 relatif au musée universel d'Abou Dhabi)

Ainsi, l'accord prévoit à son article 14 que le nom du nouveau musée pourra « inclure le nom du Musée du Louvre » et renvoie à une convention d'application distincte la définition des modalités et conditions de l'usage de la dénomination. La marque « Louvre » ne peut pas pour autant être utilisée librement par les Émiriens et l'utilisation du nom du Louvre dans un contexte commercial - par exemple à travers la vente de produits dérivés - doit faire l'objet de conventions spécifiques entre le Louvre et la partie émiratie dont la discussion devra être très attentive, tant pour protéger l'image du Louvre que pour assurer que le taux de royalties est fixé à un juste niveau. En effet, si le montant des royalties perçues par le Louvre ne peut être inférieur à 8 % du chiffre d'affaires brut résultant de l'utilisation de la marque 3 ( * ) , ce taux minimal ne constitue qu'un plancher.

L'ingénierie culturelle apportée par la France se déploie sur cinq dimensions : les prêts permettant de compléter la collection permanente, l'organisation d'expositions temporaires, le conseil technique sur la conception et le fonctionnement du musée (par exemple sur la politique des publics, la sécurité des oeuvres...), le processus d'acquisition et la formation de l'équipe de direction du Musée et du personnel à qualifications spécifiques.

La France s'est en effet engagée à prêter des oeuvres issues des collections nationales 4 ( * ) , dont la qualité doit être comparable à celle des oeuvres présentées au Musée du Louvre et dont une part raisonnable doit provenir en permanence de la collection du Louvre, afin de compléter la collection permanente émirienne au fur et à mesure de sa complétion. Ces prêts s'étalent sur une durée de dix ans à compter de l'ouverture du musée et leur ampleur doit diminuer au fil du temps , en écho à la montée en puissance de la collection acquise par les Émiriens. Les prêts doivent donc passer de 300 oeuvres les trois premières années à 250 à partir de la quatrième année, puis 200 oeuvres à partir de la septième année. Au total, en comptant les expositions temporaires et les prêts destinés à enrichir la collection émirienne permanente en cours de constitution, c'est un millier d'oeuvres de très grande qualité 5 ( * ) , issues des collections nationales françaises , qui seront prêtées aux Émirats arabes unis la première année de fonctionnement du musée, soit 20 à 25 % du total des prêts à l'étranger chaque année.

Des expositions temporaires doivent également être organisées annuellement par la France pendant une durée de quinze ans 6 ( * ) à partir de l'ouverture du musée. L'accord prévoit que les expositions doivent comporter une « grande » exposition (1 200 mètres carrés), une exposition intermédiaire (600 mètres carrés) et deux expositions dites « dossiers » (300 mètres carrés).

L'étendue des prestations de conseil censées être fournies par la France est très vaste et recouvre tant le projet scientifique et culturel du musée que sa stratégie de développement, la muséographie et la signalétique, l'assistance au suivi du projet de construction...

L'accord est en revanche moins détaillé sur la question des acquisitions 7 ( * ) et de la formation 8 ( * ) .

Ainsi, l'accord intergouvernemental prévoit seulement que l'Agence procède à un état des lieux des collections nationales et conseille la partie émirienne sur la stratégie générale d'acquisitions, la mise en place d'une commission des acquisitions sur le modèle de celle du Louvre, forme les personnels de la commission et propose un vade-mecum relatif aux modalités pratiques d'acquisition. Dans les faits, la France a un rôle de conseil très étendu en matière d'acquisitions : c'est l'équipe scientifique de l'Agence qui, , sélectionne les oeuvres et les présente à la partie émiratie en lien avec les « grands départements » patrimoniaux notamment afin d'assurer la cohérence du projet scientifique et culturel, qui repose sur la complémentarité des prêts issus des collections françaises avec les acquisitions de la partie émirienne. La commission des acquisitions comporte huit membres français et quatre membres émiriens ; son président émirien dispose d'un droit de veto. Conformément à l'accord de 2007, la partie émirienne reste seule responsable de ses décisions d'acquisition .

Enfin, concernant la formation, l'Agence France-Muséums doit, selon les termes de l'accord, conseiller les Émirats pour établir un organigramme, participer au choix de l'équipe de direction - qui est nommée par la partie émirienne sur proposition de l'Agence - et assurer pendant toute la durée de l'accord « la formation et l'encadrement pédagogique du personnel à qualifications spécifiques, et en notamment des professionnels en contact direct avec les oeuvres ».


* 1 Autres Émirats des Émirats arabes unis, Arabie Saoudite, Koweït, Oman, Bahreïn, Qatar, Égypte, Jordanie, Syrie, Liban, Iran et Irak.

* 2 Loi n° 2007-1478 du 17 octobre 2007 autorisant l'approbation d'accords entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats arabes unis relatifs au musée universel d'Abou Dhabi.

* 3 Roxana Azimi, « Le Louvre Abu-Dhabi, un monument de diplomatie », M le magazine du Monde , 16 septembre 2016.

* 4 Article 11 de l'accord précité.

* 5 Près de 500 oeuvres des collections françaises transiteront par Abu Dhabi au cours de la première année suivant l'ouverture du musée au titre des prêts des galeries permanentes et du musée des enfants. Il faut y ajouter 150 à 200 oeuvres qui seront prêtées pour chaque exposition, soit un total d'au moins 900 oeuvres durant les douze premiers mois d'activité.

* 6 Article 10 de l'accord précité.

* 7 Article 7 de l'accord précité.

* 8 Article 8 de l'accord précité.

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