III. UN DEUXIÈME AXE : ASSURER LA SOUTENABILITÉ DE LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE PAR UNE VÉRITABLE CONSOLIDATION BUDGÉTAIRE ET UNE VALORISATION DE LONG TERME DES ACTIFS

A. UNE POLITIQUE DE GESTION DES ACTIFS IMMOBILIERS FAVORISANT LEUR VALORISATION

La politique immobilière de l'État doit être un Janus, traitant le patrimoine comme un actif, et l'immobilier comme une fonction support de la conduite des politiques publiques. Ces deux visages induisent la conciliation de deux logiques temporelles distinctes. Or si le rôle de support est bien identifié actuellement, le premier visage, appelant à une politique de gestion d'actifs, n'est qu'insuffisamment mis en avant . Vos rapporteurs spéciaux relèvent en ce sens les éléments de langage utilisés à l'occasion de la création de la direction de l'immobilier de l'État en septembre 2016, dans le sillage de l'organisation administrative rénovée des fonctions supports, avec la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (DINSIC) en juin 2015, et la direction des achats de l'État (DAE) en mars 2016. Prolongeant les comparaisons, vos rapporteurs spéciaux estiment que la direction de l'immobilier de l'État doit aussi disposer d'une logique d'intervention inspirée de l'Agence des participations de l'État (APE), poursuivant la gestion et la valorisation des actifs immobiliers de l'État.

Dans cette perspective, deux axes prioritaires doivent structurer la politique immobilière de l'État :

- d'une part, en cas de cession d'un bien, élaborer au préalable une réflexion sur sa valorisation , afin de maximiser le produit de sa vente ;

- d'autre part, envisager de valoriser des biens inutiles tout en les conservant à l'actif de l'État , notamment par la location à des tiers ou par la conclusions de baux emphytéotiques.

De plus, sous cet angle de lecture, l'entretien des bâtiments de l'État devient nécessaire pour maintenir, sinon accroître, leur valeur.

1. Valoriser les biens avant de les céder
a) Une préoccupation peu intégrée

Comme l'indique le rapport de la mission conduite par l'Inspection générale des finances en 2015, « l'État dispose de véritables marges de manoeuvre pour optimiser son patrimoine, notamment dans le cadre de la cession de biens complexes. Les notions de valorisation et d'évaluation sont largement confondues dans l'esprit des acteurs de la politique immobilière de l'État » . Il est intéressant de noter les différences d'évaluation entre les services du domaine et la société BNP Paribas Real Estate , avec laquelle un contrat a été signé en janvier 2014 pour sécuriser les évaluations domaniales les plus complexes. Si la différence moyenne est inférieure à 10 %, les écarts les plus significatifs s'expliquent à chaque fois en raison d'une scénarisation distincte des projets de revalorisation du bien.

La valorisation demeure mal appréhendée par la direction de l'immobilier de l'État : l'État propriétaire ne conçoit pas sa politique immobilière sous ses caractéristiques commerciales pourtant indispensables. La différence avec la démarche en vigueur au Royaume-Uni surprend : la logique de marketing et l'utilisation de pratiques d'agences immobilières par les autorités publiques y sont courantes. Seule la comparaison des sites internet proposant les biens à vendre ou à louer en atteste 86 ( * ) .

Mal appréhendée par l'État, la valorisation se heurte aussi au mur des réalités budgétaires et au pouvoir de l'administration occupante : la cession s'impose parfois pour réutiliser le produit de la vente en vue de financer un nouveau projet immobilier. Quant aux tentatives passées de valorisation, force est de constater leur échec : tel est notamment le cas de la Société de valorisation foncière et immobilière (Sovafim), société publique créée en 2006 pour valoriser les biens de Réseau ferré de France (RFF), dont la compétence a ensuite été étendue aux biens de l'État. Les analyses de la Cour des comptes en 2014 ont étayé ce constat d'échec 87 ( * ) ; la mission de l'Inspection générale des finances en recommande la liquidation et la réintégration de son activité dans les services de l'État. Favorables à cette issue, vos rapporteurs spéciaux préfèrent toutefois attendre le nouvel examen de la Cour des comptes auquel il doit être procédé cette année.

b) Diffuser la culture la valorisation

L'abandon des tâches d'évaluation pour le compte des personnes publiques autres que l'État ainsi que le renforcement des prérogatives de l'État propriétaire en matière de cessions doivent permettre une meilleure poursuite de la valorisation. Quoique cette perspective soit actuellement peu recherchée par les services immobiliers de l'État, deux exemples soulignent l'absence de fatalité en la matière :

- d'une part, le ministère de la défense s'est très tôt saisi de cette question, en créant en 1987 la mission de réalisation des actifs immobiliers (MRAI) en vue de « négocier les conditions préalables nécessaires à la réalisation d'une cession, dans des contextes marqués notamment par les enjeux relationnels locaux, le caractère atypique des biens » 88 ( * ) ;

- d'autre part, certaines sociétés disposant d'un important patrimoine immobilier se sont plus récemment emparées de ces enjeux : par exemple, la SNCF a créé SNCF immobilier début 2015 afin de gérer et optimiser un parc souvent très bien situé 89 ( * ) mais nécessitant un travail pour effacer son utilisation antérieure.

C'est pourquoi vos rapporteurs spéciaux reprennent à leur compte la proposition de la mission de l'inspection générale des finances tendant à s'inspirer de la démarche du ministère de la défense pour se doter d'une structure d'appui interministérielle consacrée à la valorisation des biens complexes dont la cession est envisagée.

Recommandation n° 8 : Pour optimiser les cessions des biens mis en vente, doter l'État propriétaire d'une structure d'appui à compétence interministérielle consacrée à la valorisation des biens, sur le modèle de la mission de réalisation des actifs immobiliers (MRAI) du ministère de la défense.

Par ailleurs, afin d'intégrer les éventuelles reconversions non anticipées et de permettre des cessions rapides en cas de besoin, la direction de l'immobilier de l'État devrait établir une doctrine sur le recours aux clauses complémentaires de prix, prévoyant des bonus en cas de revente ultérieure. De telles clauses ont été intégrées depuis peu, mais la mission de l'inspection générale des finances souligne qu'elles ne sont ni systématiques, ni suffisamment adaptées à la réalité du marché immobilier (durée de validité trop courte), ni suivies avec rigueur par la direction de l'immobilier de l'État pour s'assurer de leur activation effective.

c) Vendre pour alléger le stock des biens à céder

Face à la constitution d'un stock de biens difficiles à céder et dont la conservation engendre un coût pour les finances publiques et une dépréciation progressive de la valeur des biens, il est nécessaire de faire davantage « respirer » le parc en permettant de s'adapter aux conditions du marché.

Les dispositions juridiques actuelles encadrant les cessions de biens immobiliers de l'État sont interprétées par les services domaniaux comme permettant la cession avec une décote maximale de 10 % par rapport à l'évaluation. Cette liberté peut parfois se révéler insuffisante. Encore cette interprétation n'est-elle pas confortée par une jurisprudence administrative bien établie.

Vos rapporteurs spéciaux recommandent donc de sécuriser et d'étendre cette possibilité, de façon strictement encadrée, en prévoyant une disposition législative permettant de vendre avec décote certains biens complexes du domaine privé de l'État lorsqu'il est avéré que leur cession dans les conditions actuelles n'est pas permise à moyen terme .

Recommandation n° 9 : Afin d'éviter la constitution d'un stock de biens à céder, in fine coûteuse pour les finances publiques, sécuriser par la loi la possibilité de céder avec décote par rapport à l'évaluation domaniale certains biens complexes.

2. Valoriser des biens inutiles tout en les conservant

Les cessions « sèches » ne constituent pas l'unique voie pour un bien devenu inutile. Dans une perspective patrimoniale, il est pertinent de recourir à des concessions de long terme, où une personne privée gère et utilise le bien sans qu'il ne sorte de l'actif de l'État . Au Royaume-Uni comme en Italie, il est ainsi fréquemment recouru aux baux emphytéotiques, notamment pour des biens emblématiques comme l'Arche de l'Amirauté, bâtiment situé dans la perspective de Buckingham Palace et sur le trajet emprunté lors des cérémonies protocolaires 90 ( * ) .

Outre la conservation du bien au terme de l'emphytéose, cette solution assure à l'État un flux de revenus récurrents , concordant avec une planification stable dans le temps des investissements.

Cette même logique doit pouvoir être étendue à la location de biens de l'État à des tiers sur une période plus courte . Symboliquement, vos rapporteurs spéciaux ont noté que plus d'un quart du bâtiment occupé par le National Audit Office , équivalent britannique de la Cour des comptes, était loué à des personnes privées, permettant ainsi de financer les dépenses d'entretien courant de l'édifice. L'inscription parmi les recettes du CAS depuis 2017 des produits tirés des redevances domaniales amorce cette démarche, qui doit être renforcée.

Recommandation n° 10 : Valoriser les biens immobiliers de l'État déclarés inutiles tout en en conservant la propriété en recourant à des baux emphytéotiques et à des locations à des tiers.


* 86 https://www.epims.ogc.gov.uk/government-property-finder/Home.aspx

* 87 « Sovafim, un réexamen indispensable », insertion au Rapport public annuel, février 2014.

* 88 http://www.defense.gouv.fr/sga/le-sga-en-action/immobilier/ventes/la-mrai

* 89 Sur les 20 000 ha d'emprises foncières, 3000 sont valorisables, dont 20 % se situent en Île-de-France ou Provence-Alpes-Côte-D'azur et Rhône-Alpes.

* 90 Selon le Government Property Unit , 66 millions de livres ont ainsi été générés pour l'année fiscale 2015-2016.

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