IX. Débat

Mme Patricia Schillinger, co-auteur du rapport . - Le classement des produits incite les consommateurs à choisir les meilleurs d'entre eux. Il a donc une incidence économique, en termes d'orientation des choix. Vos tests font-ils eux-mêmes, après publication, l'objet d'une évaluation ?

M. Olivier Andrault . - Notre coeur de métier consiste à évaluer globalement l'intérêt d'un produit pour le consommateur : le service rendu est-il le service promis ? Par exemple, telle crème solaire permet-elle de filtrer correctement les UVA et les UVB ? C'est dans ce contexte que nous nous intéressons aux perturbateurs endocriniens.

S'agissant de relever la présence, dans un cosmétique par exemple, de substances potentiellement problématiques, nous sommes une ONG ; nous n'avons donc pas les moyens d'effectuer une détection systématique ou un test comparatif absolument exhaustif. En revanche, lorsque nous listons les produits qui contiennent des perturbateurs endocriniens ou d'autres substances problématiques, nous ne les sortons pas de notre chapeau ! Nous nous reportons évidemment toujours aux travaux du CSSC, mais aussi à ceux de l'ANSM ou de l'ANSES.

Mme Patricia Schillinger, co-auteur du rapport . - Monsieur Durlin, quelles seraient les conséquences de l'interdiction de certaines substances sur la production agricole ?

M. Christian Durlin . - Les produits phytosanitaires occupent une place décisive dans le processus de production.

Une étude a été menée au niveau européen par le consultant Steward Redqueen sur les conséquences d'une éventuelle interdiction de 75 substances, soit qu'elles soient classées comme perturbateurs endocriniens, soit que leur profil ne permette plus leur homologation. L'emploi desdites substances représente, à l'échelle européenne, un potentiel de production de 96 millions de tonnes et un chiffre d'affaires de 15 milliards d'euros, et, au niveau national, un potentiel de production de 23 millions de tonnes et un chiffre d'affaires de 5 milliards d'euros. C'est dire l'importance des produits phytosanitaires ! La perte de rentabilité pourrait atteindre 30 % à 40 % pour certaines cultures comme la betterave ou la pomme de terre. Ce chiffre vous donne la mesure de l'importance des décisions que nous prenons. Il en va de la compétitivité de notre production agricole par rapport à celle de nos concurrents européens et extraeuropéens !

Cette problématique est encore plus sensible s'agissant de ce que l'on appelle les « usages mineurs ». Les caractéristiques d'un certain nombre de cultures légumières, fruitières ou ornementales sont telles que les agriculteurs concernés ont à leur disposition un nombre restreint de solutions phytosanitaires. L'élimination d'une substance peut donc avoir des conséquences catastrophiques, pouvant aller jusqu'à la disparition de la filière. Ainsi, la culture du chou de Bruxelles, production traditionnelle du Pas-de-Calais, a presque disparu en France, principalement parce que nous ne savons pas régler un certain nombre de problèmes techniques sans recourir à des produits phytosanitaires qui se trouvent avoir été retirés du marché en France, mais continuent d'être utilisés ailleurs, notamment en Belgique. Nous avons perdu les producteurs, l'industriel qui travaillait ce produit en surgélation, et les emplois afférents. Vous mangez toujours des choux de Bruxelles ; simplement, ils ne viennent plus de notre pays. Il faut donc prendre garde aux décisions que nous prenons, et aux fausses solutions qu'il nous arrive d'adopter !

Je veux également insister sur la réglementation européenne. L'agriculteur est un citoyen. Notre métier est de subvenir aux besoins alimentaires, ce qui nous rend très sensibles aux questions qui ont été évoquées aujourd'hui. Cependant, les différences de réglementation entre pays européens sont inacceptables et intenables. Notre cadre est celui d'un marché unique ; il a fait ses preuves, et les agriculteurs y sont attachés. Mais les règles doivent être les mêmes partout ! Les enjeux de santé et d'environnement sont communs à tous les pays. En tant que professionnels de l'agriculture, nous sommes très intéressés par toutes les recherches et évolutions sur ce sujet, mais les décisions réglementaires et législatives doivent être européennes ; elles ne peuvent être nationales.

Mme Patricia Schillinger, co-auteur du rapport . - Monsieur Veillerette, quelles sont les menace liées à la propagation des perturbateurs endocriniens dans notre environnement ?

M. François Veillerette . - Je veux d'abord rassurer M. Durlin : la question des perturbateurs endocriniens doit être traitée par la définition, au niveau européen, des critères relatifs aux matières actives. Certes, les procédures d'autorisation de mise sur le marché sont nationales, mais la liste des matières actives ressortit au niveau européen.

C'est en observant leurs impacts sur la faune sauvage - troubles de la reproduction, malformations génitales - que l'on a compris comment les perturbateurs endocriniens fonctionnaient. Les scientifiques, autour de Theo Colborn, se sont alors inquiétés de la possibilité que ces troubles gravissimes s'étendent à l'espèce humaine. Par environnement, il faut aussi entendre l'environnement au travail - les travailleurs sont plus exposés aux perturbateurs endocriniens que le reste de la population - l'alimentation, l'eau, l'air, ...

La science a fait d'immenses progrès, notamment aux États-Unis, mais aussi en Europe. L'on sait à présent que la période foetale est déterminante. Une théorie en est née, la DOHaD, pour developmental origins of health and disease , qui montre que l'alimentation de la femme enceinte et son exposition à des produits toxiques, dont les perturbateurs endocriniens, programment des pathologies qui apparaissent plus tard dans l'existence de l'enfant : malformations génitales, problèmes de fertilité, difficultés d'apprentissage, troubles du spectre autistique, maladies métaboliques ou neurodégénératives, etc. Des spécialistes aussi reconnus que Robert Barouki ou Rémy Slama travaillent en France, avec des équipes internationales, sur ces questions.

Dépassons la critique du principe de précaution pour voir les choses positivement : ce que montrent les études sur les maladies chroniques dues aux perturbateurs endocriniens, qui pèsent si lourd sur les budgets sociaux, c'est que nous avons une marge de progrès formidable en matière de santé publique. Ces maladies coûtent en effet au moins 153 milliards d'euros en Europe, sans prendre en compte les coûts des cancers, plus de 300 milliards d'euros aux États-Unis, où les règles sont moins protectrices qu'en Europe. Dotons-nous d'une politique de santé publique de moyen et long termes visant à renverser cette tendance. C'est un challenge passionnant, sociétal d'abord puisque nous libérerons ainsi de nombreuses personnes d'épreuves personnelles et familiales insupportables, mais aussi économique puisque nous permettrons à des PME de mettre sur le marché des produits moins risqués, répondant à la demande des consommateurs.

Pourra-t-on le faire sans changer notre mode de vie ? Pas de caricatures : il faudra changer, certes, mais nous ne retournerons pas à l'âge des cavernes. Nous pouvons, sans rogner sur le confort moderne, supprimer les inconvénients de certaines substances chimiques qui affectent négativement notre environnement et les générations futures.

Mme Patricia Schillinger, co-auteur du rapport . - Monsieur Urtizberea, quelles sont les conditions de mise sur le marché des substances soupçonnées d'être des perturbateurs endocriniens ? Existe-t-il des produits de substitution ?

M. Michel Urtizberea . - La substitution est un enjeu majeur pour tous, à commencer par les industriels. La mise sur le marché d'une substance active prend dix ans, à compter de l'identification d'une molécule, essentiellement car les études sont longues. Une étude de toxicologie chez le rat dure trois ans. Les études de reproduction, qui permettent d'identifier les perturbateurs endocriniens, durent un an et demi : les parents sont exposés trois mois pendant la fécondation - ce qui correspond à une exposition de plusieurs années chez l'homme -, puis la mère est exposée en début de grossesse et pendant la lactation. Et le processus est recommencé sur la génération suivante.

Le premier critère à l'aune duquel est évalué un produit de substitution est son efficacité. Nous cherchons naturellement des produits phytosanitaires ou chimiques aux propriétés identiques, à un coût acceptable. Mme Royal a dit naguère que les pouvoirs publics aideraient les industriels à innover. Mais les consommateurs sont-ils prêts à accepter une innovation longue à développer et plus chère ? J'en doute. À nous tous d'y réfléchir.

La substitution, quoi qu'il en soit, ne se décrète pas. Elle suppose que les entreprises disposent des ressources nécessaires. D'après une étude de Phillips McDougall de 2010, il fallait en 1995 chercher parmi 52 000 molécules potentielles pour en trouver une remplissant tous les critères d'efficacité et de développement toxicologique, et parmi 140 000 molécules dix ans plus tard. Bref, le temps de l'innovation n'est pas celui des médias et des consommateurs. Depuis la mise en oeuvre du nouveau règlement qui introduit les critères d'exclusion, seules cinq substances actives ont été mises sur le marché, dont trois de biocontrôle : on ne peut pas dire que les choses aillent vite...

Il n'existe pas forcément de produits de substitution. À nous alors de limiter l'exposition des sujets aux risques. Le bio pour les femmes enceintes, pourquoi pas, à condition que les produits utilisés dans l'agriculture biologique ne soient pas suspectés d'être eux-mêmes des perturbateurs endocriniens... D'autant que l'interdiction d'un produit en France n'empêche pas, pendant un certain temps, l'importation de cultures qui le contiennent.

Mme Royal soutenait que l'innovation dans les bioplastiques devait beaucoup au soutien de l'État ; or voilà dix ans que BASF s'y intéresse. Acceptons que l'innovation prenne du temps. La pression réglementaire et médiatique n'est pas le meilleur aiguillon pour prendre les bonnes décisions.

Mme Patricia Schillinger, co-auteur du rapport . - Si le consommateur ignore que vous innovez dans les bioplastiques depuis dix ans, c'est sans doute faute d'une pédagogie suffisante.

Monsieur Gomichon, dans quelle mesure les distributeurs peuvent-ils influer sur l'utilisation ou non de certaines substances ?

M. Hervé Gomichon . - Les distributeurs peuvent d'abord chercher à éliminer les perturbateurs endocriniens de leurs produits, ou les remplacer par d'autres substances. Des cahiers des charges nous lient à nos partenaires, dont le respect est vérifié au moyen de plans de contrôle et de contrôles récurrents pendant la durée de commercialisation du produit. Il faut bien sûr avoir identifié ces produits au stade du cahier des charges, et disposer d'un cadre européen, car toutes ces matières ne sont pas produites en France. Nous nous sommes ainsi dotés d'un système de surveillance, qui identifie les molécules controversées afin de les retirer de nos produits dès que possible. Preuve de notre volontarisme : la communication se multiplie sur les produits « sans ».

Nous pouvons également faire preuve d'information et de pédagogie, non seulement sur les produits « sans » - communication négative que nos services marketing n'aiment guère - mais aussi de manière positive sur les produits issus de cultures maîtrisées. Mais nous ne saurons jamais la fin de l'histoire de tel perturbateur endocrinien avant d'établir une norme ; nous gagnerions donc à adopter des méthodes plus agiles, fondées sur un état des lieux amélioré au fur et à mesure. Cela donnerait un tempo plus adapté aux professionnels.

Mme Patricia Schillinger, co-auteur du rapport . - Madame Dux, dans quelle mesure l'industrie cosmétique utilise-t-elle des substances soupçonnées d'être des perturbateurs endocriniens, et quelle est leur utilité ?

Mme Anne Dux . - J'ai essayé de montrer tout à l'heure que nous n'utilisions pas de substances soupçonnées d'être des perturbateurs endocriniens, sans beaucoup convaincre l'UFC, manifestement...

M. Gomichon et moi-même représentons ici des marques vendues directement aux consommateurs - et les pratiques des industriels des cosmétiques sont en la matière semblables à celles des marques de distributeurs. La marque représente la valeur patrimoniale d'une entreprise : celle-ci ne peut se permettre de la voir clouée au pilori.

Les produits cosmétiques changent beaucoup : un tiers des formules présentes sur le marché européen est renouvelé tous les ans, pour partie sous la pression médiatique. Celle exercée sur le parabène a ainsi conduit l'industrie cosmétique à le remplacer par un autre conservateur très connu, la méthylisothiazolinone, qui a déclenché en Europe un problème de santé publique entraînant son retrait. Le parabène est pourtant un excellent conservateur, qui a fait l'objet d'excellents avis du Comité scientifique européen pour la sécurité des consommateurs (CSSC) ! La pression médiatique est parfois efficace : Greenpeace a alerté voilà quelques années sur la présence de phtalates dans les parfums ; l'industrie cosmétique s'est alors rendue compte que ces substances, absentes des parfums depuis des années, y étaient malgré tout introduites par contact avec le plastique servant à la fabrication des flacons, et en a changé le mode de fabrication. La pression médiatique peut toutefois être excessive : le phénoxyéthanol reste mal vu car il a fait l'objet d'un assez ancien avis négatif de l'ANSM, pourtant contredit depuis, notamment par le CSSC qui y voit un excellent conservateur pour toutes les catégories d'âge. Le limonène, allergène à étiquetage obligatoire, a très mauvaise presse alors que nous nous y exposons en épluchant une orange !

Je terminerai par une note positive : même dans un secteur qui ne peut inventer de nouvelles substances, la recherche avance, le plus souvent en retirant des substances plus qu'en cherchant des produits de substitution. Les conservateurs sont des substances indispensables, même si elles peuvent être sources d'irritations et, chez certaines personnes, d'allergies. Nous travaillons par exemple sur la fabrication de produits cosmétiques stériles, sans conservateur. Mais soyons clairs : un tel produit est plus cher.

Mme Patricia Schillinger, co-auteur du rapport . - Monsieur Huriet, que pensez-vous du principe de précaution ?

M. Claude Huriet . - J'en dirai un mot relatif aux effets transgénérationnels, tels qu'ils ressortent des études de cohortes. La cohorte ELFE ( Étude longitudinale française depuis l'enfance ), qui porte sur 18 000 enfants, a notamment servi à étudier l'imprégnation des femmes enceintes par certains polluants de l'environnement, mesurée à partir de certains prélèvements biologiques recueillis en maternité. La majorité des polluants étudiés sont présents chez près de la totalité des femmes enceintes, et l'alimentation représente la source principale d'exposition.

Les dispositions sont à prendre très tôt, dès le début de la grossesse. Mais les choses sont complexes. Un exemple tiré de mon expérience de néphrologue, qui a trait non à des perturbateurs endocriniens mais à une certaine chimiothérapie connue pour avoir un effet de tératogénicité. Dans ce cas, la délivrance du mycophénolate est soumise à l'engagement des femmes en âge de procréer de présenter tous les six mois un formulaire d'accord de soins, signé par elles et leur médecin, dans lequel elles s'engagent à utiliser une double contraception pendant toute la durée du traitement. Du fait de l'incertitude que font planer les perturbateurs endocriniens, peut-on imposer des conditions de délivrance de ces molécules aussi strictes ? Les femmes sont majoritairement hostiles au dispositif...

Conclusion : le principe de précaution est aussi indispensable que délicat à manier. Sans compter que nous n'avons pas parlé, cet après-midi, de l'effet cocktail, déterminant dans l'analyse des effets des perturbateurs endocriniens.

Mme Patricia Schillinger, co-auteur du rapport . - Monsieur Andrault, dans quels produits avez-vous trouvé des perturbateurs endocriniens ? Tous les produits d'un même secteur sont-ils concernés ? Quelles sont vos recommandations ?

M. Olivier Andrault . - Nous avons trouvé des perturbateurs endocriniens dans une vaste gamme de produits, allant des produits utilisés en puériculture aux produits alimentaires, en passant par les fournitures scolaires. Des phtalates sont par exemple présents dans le vernis des crayons de couleur destinés aux enfants - que nous avons tous mâchouillés... Même chose dans les maquillages pour enfants, où nous avons trouvé des parabènes. Mais tous les parabènes ne se valent pas : certains, à chaîne courte, ne posent pas de problème ; d'autres, à chaîne longue, font l'objet d'avis d'experts plus nuancés : ce sont ceux que nous avons mis en évidence en analysant des produits de maquillage pour Halloween ou destinés spécifiquement aux petites filles.

Nous avons également détecté des bisphénols, des retardateurs de flamme et des phtalates dans des produits de l'environnement du bébé, comme des matelas à langer, des bodys, des tapis d'éveil ou des tapis puzzle, qui n'étaient pas encadrés, à l'époque, par une réglementation spécifique. Les doses sont parfois fortes. Une même molécule peut se retrouver parfois dans des produits très différents. C'est le cas du propylparabène, retrouvé dans des produits appartenant à neuf familles : un déodorant, un shampooing, un dentifrice, un bain de bouche, deux gels douche, six laits corporels, trois crèmes solaires, trois rouges à lèvres, quatre fonds de teint et quatre crèmes de visage.

Enfin, bien sûr, l'effet cocktail. Les experts que nous avons consultés nous ont expliqué que des molécules différentes pouvaient avoir des effets similaires. Ceux des filtres solaires et de certains parabènes contenus dans les laits corporels s'additionnent ainsi.

Tous les produits ne sont toutefois pas concernés. C'est pourquoi nous insistons sur le choix du consommateur, qui permet de privilégier les meilleures solutions. La moitié des produits de maquillage pour enfants que nous avons testés, et cinq produits pour bébé sur six, n'ont révélé aucun perturbateur endocrinien. La quasi-totalité des dentifrices sont désormais dépourvus de triclosan. Bref, la très grande majorité des produits cosmétiques que nous avons examinés ne contiennent pas de substance problématique.

Nous demandons bien sûr des recherches indépendantes sur l'impact de long terme de ces molécules, un renforcement du cadre réglementaire passant par une définition européenne commune, et une classification graduée semblable à celle des cancérogènes, distinguant les perturbateurs endocriniens avérés, probables et suspectés. Nous demandons enfin une action européenne très rapide, pour mettre un terme à la tergiversation actuelle.

Mme Anne Dux . - Je ne peux entendre certains propos sans réagir, car les évaluations sont faites en considérant que les conservateurs - dont le parabène - sont présents à la dose la plus élevée dans tous les produits du marché. Cela s'appelle un worst case scenario . Évitons les contresens !

M. Olivier Andrault . - Vous en restez donc aux vieux principes toxicologiques : la dose fait l'effet...

Mme Anne Dux . - Je ne connais pas de solution alternative.

Mme Patricia Schillinger, co-auteur du rapport . - Nous continuons tout de même à progresser vers plus de réglementations européennes.

Mme Clio Randimbivololona, journaliste pour Agrapresse . - Existe-t-il une définition de l'effet cocktail ? BASF a-t-il une stratégie de recherche sur cet effet de combinaison ? Dans les démarches d'AMM, teste-t-on la substance active isolée, ou l'interaction avec les adjuvants, ou avec les autres substances actives, l'est-elle aussi ?

M. Michel Urtizberea . - D'innombrables molécules peuvent devenir des perturbateurs endocriniens, du fait de l'environnement. Il n'y a jamais un seul perturbateur endocrinien : l'effet cocktail est une réalité, et une source de complexité supplémentaire.

M. Paul François, agriculteur, porte-parole de l'association Phyto-Victimes . - Je n'appartiens à aucun syndicat. Le seul syndicat auquel j'ai adhéré est le FNSEA, dont mon père fut l'un des fondateurs. Les agriculteurs ont été les premières victimes des produits phytosanitaires. Je ne puis laisser dire que l'avenir de l'agriculture, et son équilibre financier, dépendent de cette chimie mortifère. Ceux qui ont fait le choix de réduire l'utilisation des produits phytosanitaires s'en sortent souvent mieux financièrement ! Quant aux technologies permettant de réduire les quantités employées, elles sont réservées aux grandes exploitations, or l'agriculture française est diverse.

Les premières victimes des pesticides, je le répète, ont été les agriculteurs : maladie de Parkinson et lymphomes non hodgkiniens sont inscrits au tableau des maladies professionnelles. Il n'y a plus de doute. Les agriculteurs ont pourtant une autre vocation que de condamner les générations futures ! Du reste, les études montrent que les enfants de notre milieu sont déjà touchés...

Enfin, je rappelle que certains produits utilisés en France sont interdits dans d'autres pays. Celui qui m'a empoisonné en 2004 était interdit depuis 1985 au Canada, il était également banni aux Pays-Bas, en Angleterre et en Belgique. En France, il a hélas fallu attendre 2007.

Vous avez dit que certains agriculteurs n'ont plus de travail parce que l'on supprime des pesticides. Mais certaines exploitations disparaissent parce qu'il n'y a plus d'agriculteurs : ils sont morts à cause des pesticides.

M. Jean-Marc Giroux, président de l'association Cosmed . - Notre association réunit des PME de la filière cosmétique. Le moteur de toutes les prises de parole des experts et des politiques, c'est le consommateur. Celui-ci n'a plus confiance dans les médias ni dans la parole des industriels, mais il écoute encore les avis de l'UFC-Que Choisir ou de Soixante millions de consommateurs. Or, des informations erronées ont été diffusées, volontairement ou non, sur des points précis. Il ne s'agissait pas d'opinions différentes, mais d'informations scientifiquement erronées. Quand accepterez-vous de publier les protocoles des études réalisées sur les produits que vous mettez en cause ou approuvez, afin que nous puissions réellement débattre ensemble ?

Mme Morgane Villetard, consultante en développement durable, Greenflex . - Mme Dux et M. Urtizberea ont exposé les analyses menées sur une substance donnée, pour un produit donné. Mais l'effet cocktail sur l'intégralité de leurs produits est-il évalué et, si oui, comment ? Quelle interaction entre crème de jour et mascara, ou entre différents pesticides pulvérisés sur une pomme ?

M. André Picot, ancien chercheur au CNRS . - Je suis surpris qu'aucun colloque sur ces sujets n'évoque la formation des médecins et des pharmaciens. Lorsque le Conservatoire des arts et métiers a lancé une formation interdisciplinaire sur le sujet - biologie, chimie - celle-ci a accueilli soixante participants. Cette année elle en a attiré... trois ! La toxicologie est une science orpheline, et si l'État français formait mieux les professionnels de la santé et de l'environnement, ce serait un grand pas en avant.

Mme Aurore Gilly-Pernaut, enseignant-chercheur, École des hautes études en santé publique . - C'est l'accumulation des perturbateurs endocriniens qui a un effet néfaste, notamment pendant la grossesse. Des études récentes ont montré que l'ibuprofène, l'aspirine, peuvent être des perturbateurs endocriniens. La prévention auprès de la population sensible, notamment les femmes enceintes, passe par la formation des médecins généralistes, souvent mal informés.

M. Alain Lombard, toxicologue . - MM. Gomichon et Andrault ont bien des certitudes sur les perturbateurs endocriniens, alors que nos débats ont montré toute la difficulté à les définir. Sur quelle liste fondent-ils leurs préconisations, sur quelle base scientifique ? Combien de substances sont concernées ?

M. Claude Monneret, directeur de recherche émérite au CNRS, membre de l'Académie nationale de pharmacie . - J'ai été interpellé par les propos de M. Huriet, car je suis pharmacien. Dans l'ouest de la France, nous avons mené une expérimentation, dite « Les mille premiers jours », sur les femmes enceintes et les bébés, pour prodiguer des conseils.

Il y a quelques années, Le Monde avait titré : « Des parabènes dans les médicaments ». L'Académie avait alors procédé à des tests complémentaires sur l'éthyl, le méthyl, le propyl. Il est apparu que les doses auxquelles ils étaient utilisés ne présentaient aucun risque, d'autant que les médicaments n'ont pas vocation à être utilisés durablement, à la différence des cosmétiques. Il n'est donc pas question de substitution. Tous les produits concernés étaient du reste connus comme allergisants depuis les années quatre-vingt, mais sous la pression de l'opinion publique, on se précipite parfois vers de mauvaises solutions.

Autre menace, la suppression des essais sur les animaux : si elle était appliquée aux médicaments comme elle l'est aux cosmétiques, comment pourrions-nous demain étudier les perturbateurs endocriniens ?

M. Michel Urtizberea . - Quand on met au point une substance active, on procède à toute la batterie de tests que j'ai mentionnée, en cancérogénèse, reproduction, etc. Au stade du produit fini, on procède à des tests dits « aigus », en milieu réel. Imaginez le nombre de tests si l'on devait étudier tous les mélanges ! Et ce ne serait pas pertinent, car chaque composant du mélange a un mode de dissipation ou de dégradation différent. Le mélange étudié en laboratoire disparaît au profit d'autres, difficiles à appréhender. Quel toxicologue peut nous proposer une solution satisfaisante ? On en parle en vain depuis dix ans.

M. Genet, lors de la précédente table ronde, a en revanche évoqué l'idée de rechercher dans l'alimentation, dans les habitations, les traces de produits qui pourraient être incriminés, pour concentrer les études sur les effets de ceux-ci. Car les réponses purement théoriques ne sont pas pertinentes, et les tests sur l'animal doivent toujours être justifiés.

Une équipe de Montpellier a étudié les récepteurs oestrogéniques. Elle a mis en évidence un seul effet de synergie sur 800 mélanges testés. Cela montre que des outils commencent à émerger, pour cerner en proportion les effets cocktails.

On veut de la substitution rapide, mais ces études prennent beaucoup de temps... Bref, la réponse n'est pas simple.

Mme Anne Dux . - Il n'existe pas, en outre, un modèle pour étudier les cocktails, car un effet combiné n'est pas la somme des effets de chacun des ingrédients. En outre, si les mélanges provoquant par exemple des irritations sont connus, parce que leur effet est visible, ce n'est pas le cas des perturbateurs endocriniens. Il n'y a pas de modèle pour les évaluer, et très peu de recherche - la seule étude, celle de Montpellier, citée à un colloque de l'ANSES récemment, conclut à un effet cocktail peut-être moins fréquent qu'on ne le pense, même si tout le monde sait depuis longtemps que certains mélanges sont synergiques.

M. Olivier Andrault . - Sur les crèmes solaires, je ne suis pas certain que la question concerne l'UFC-Que choisir. Quant à Soixante millions de consommateurs, je rappelle qu'il est la publication de l'Institut national de la consommation, établissement public d'État et non association de consommateurs. Nos investigations, sur les cosmétiques, concernent d'abord la présence ou l'absence de tel ingrédient, conforme ou non aux inscriptions obligatoires sur l'emballage.

L'efficacité du service rendu par les crèmes solaires est un autre problème. Pour l'étudier, nous utilisons les méthodes reconnues, officielles, sur la filtration des UVA et des UVB. Nous confions ces tests à des laboratoires indépendants, bien sûr. Et la méthode est mentionnée explicitement.

Comment définir les perturbateurs endocriniens ? Nous nous fondons sur les recommandations des agences nationales, et croisons les types d'utilisation - produit rincé comme le shampooing, ou restant au contact de la peau toute la journée - et les catégories d'individus les utilisant, adultes, femmes enceintes, bébés, enfants...

M. Hervé Gomichon . - La question de M. Lombard résume bien la situation ! La liste que j'ai évoquée concerne les substances controversées, que ce soit dans les avis scientifiques, les études de consommation, ou plus largement dans l'opinion publique. En gestionnaire de risques, nous excluons ces substances, parce que nous ne pouvons pas vendre à nos clients ce qu'ils ne veulent pas manger.

M. François Veillerette . - Les produits phytosanitaires ne sont pas testés pour leur toxicité chronique : ce serait trop long... et trop cher, comme je l'ai entendu dire. Je le regrette, pour la santé de tous les professionnels exposés à ces substances. Un texte a été signé à ce sujet par le président de l'ANSES en 2012. Il faudrait demander à cette agence s'il est toujours en application.

Sur l'effet cocktail, je constate dans nos débats une dérive : car dans les textes européens, il ne s'agit pas d'évaluer des risques, mais d'exclure les produits dangereux, cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques des première et deuxième catégories (« certains » et « probables »). Le législateur doit faire de même sur les perturbateurs endocriniens des deux premières catégories !

M. Christian Durlin . - Les agriculteurs sont les premiers utilisateurs de produits phytosanitaires et nous sommes donc partisans d'une bonne protection et d'une surveillance efficace. Des progrès sont intervenus dans les équipements, les vêtements. La formation désormais est faite dans le cadre du Certiphyto. Vous ne trouverez chez nous aucun déni sur la question. Mais nous observons aussi que les nouvelles technologies permettent - non seulement aux grosses exploitations, mais aussi aux agriculteurs réunis en coopératives d'utilisation de matériel - de modifier les usages. L'agriculture bio est en pointe sur ces questions de matériel.

Cependant, le bio ne règle pas tout. La sécurisation des volumes, au nom de la sécurité alimentaire, est un objectif de la politique européenne. Or, le bio subit une volatilité des quantités beaucoup plus forte que l'agriculture conventionnelle : la dernière campagne sur la pomme de terre a été difficile : le prix à la tonne est monté à 250 euros pour la production conventionnelle, mais jusqu'à 1 000 euros en bio.

Les exploitants bio ont recours à de nouvelles solutions techniques, à de nouvelles substances, je veux parler des produits de bio-contrôle. Cependant, des questions se poseront sans doute aussi sur les molécules de bio-contrôle dans l'avenir.

Bref, il importe de trouver des solutions équilibrées, conciliant volume de production, environnement et santé.

Mme Patricia Schillinger, co-auteur du rapport . - Merci à tous, vos expertises nous apportent beaucoup. Le président de la commission des affaires sociales du Sénat va à présent conclure notre après-midi de débats.

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