N° 547

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 mai 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les actes du colloque « les pouvoirs publics face aux perturbateurs endocriniens » organisé le 11 avril 2017,

Par M. Jean BIZET, Mme Patricia SCHILLINGER et M. Alain VASSELLE,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Émorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mmes Sophie Joissains, Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle.

Ouverture : M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

Mesdames, messieurs, je vous remercie de participer à ce colloque intitulé « Les pouvoirs publics face aux perturbateurs endocriniens ». En l'organisant, le Sénat est fidèle à sa mission d'évaluation des défis qui se posent à notre société et de discussion des réponses qui peuvent leur être apportées.

Les perturbateurs endocriniens de synthèse sont des substances chimiques qui peuvent causer de graves troubles à la santé humaine et à l'environnement. Les pouvoirs publics ont donc le devoir de se saisir de cette question. Ils doivent trouver des solutions pour protéger la santé de nos concitoyens.

Les caractéristiques particulières des perturbateurs endocriniens et leur usage compliquent considérablement la tâche. Il est important de bien saisir les enjeux pour agir efficacement.

Quand on envisage une action des pouvoirs publics, on pense d'abord à la réglementation. Celle-ci doit s'appuyer sur des éléments fiables permettant de garantir la sécurité juridique de l'ensemble des acteurs. Or, le mode d'action des perturbateurs endocriniens et le caractère récent des recherches sur ce sujet compliquent le travail d'identification de ces substances.

Le mode d'action des perturbateurs endocriniens diffère de celui des autres substances toxiques. Ainsi, ces substances sont plus néfastes à certaines périodes du développement de l'individu, notamment la grossesse et la petite enfance. En outre, la multiplicité des perturbateurs endocriniens entraîne un effet cocktail difficile à analyser. Enfin, il existe un temps de latence entre le moment où la substance agit et celui où l'on observe un effet néfaste sur la santé. En effet, le perturbateur endocrinien n'agit pas directement sur un organe : il va « imiter » une hormone et empêcher l'organisme de réagir normalement. Lorsque cette réaction concerne le développement de l'embryon, notamment, les effets ne seront perceptibles que plusieurs années après.

Ainsi, il est difficile de se fonder sur des certitudes scientifiques relatives à l'effet néfaste d'une substance sur l'homme pour identifier un perturbateur endocrinien et réglementer son usage. Il faut donc prendre des mesures quand bien même la science n'apporte pas tous les éléments nécessaires à l'élaboration d'une réglementation. La difficulté est alors de garantir que l'incertitude scientifique ne se transforme pas en une incertitude juridique. Pour cela, la réglementation devra porter sur des substances précises ou définir des critères que toute firme peut tester avant de développer ses produits.

Par ailleurs, ces substances peuvent être utilisées dans les produits phytopharmaceutiques, les biocides, les produits cosmétiques ou encore les médicaments. Dès lors, on les retrouve dans l'eau, dans l'alimentation et dans l'air. Elles sont donc omniprésentes dans notre environnement et leur propagation est difficile à contrôler.

Reste que si les industriels choisissent d'utiliser ces substances, c'est qu'elles ont une utilité ; ne perdons jamais cela de vue. Elles peuvent permettre d'accroître les rendements agricoles ou de prévenir des maladies. L'usage de ces substances peut donc avoir un intérêt pour la collectivité. Une réglementation trop stricte se fondant sur des éléments peu probants pourrait également avoir des conséquences sanitaires : elle limiterait le recours à certains médicaments ou pousserait à remplacer certaines substances par d'autres dont les effets sur la santé pourraient être plus dangereux.

Avant de prendre toute décision, il est nécessaire de bien mesurer les risques pour la santé et les conséquences qu'elle peut engendrer. Dans un domaine comme celui-ci, on parle beaucoup d'appliquer le principe de précaution. Cependant, pour qu'une décision n'entraîne pas d'effets encore plus préjudiciables pour la santé publique et la collectivité dans son ensemble, sa mise en oeuvre doit être réfléchie.

Concernant la réglementation de l'utilisation des perturbateurs endocriniens, il est nécessaire de rappeler que toute réglementation efficace doit intervenir dans un cadre européen. Une coordination entre l'Union européenne et les États membres est indispensable pour élaborer une réglementation lisible, claire et efficace. La loi française promulguée le 30 juin 2010 interdit le bisphénol A dans les biberons. Cette mesure a ensuite été étendue par une directive européenne à toute l'Union européenne au mois de janvier 2011, ce qui permet son application effective. En revanche, la loi du 24 décembre 2012 interdisant le bisphénol A dans les matériaux en contact direct avec des denrées alimentaires expose la France à un risque de contentieux avec la Commission européenne, celle-ci ayant en effet choisi de ne pas soumettre cette disposition au législateur européen : cela montre la difficulté d'entreprendre une action réglementaire à l'échelon national, même si elle paraît justifiée.

Dans le même esprit, la réglementation concernant les produits phytopharmaceutiques doit faire l'objet d'une meilleure coordination entre les agences européennes et les agences nationales. Cela est nécessaire pour éviter les distorsions de concurrence entre les agriculteurs français et ceux des autres pays de l'Union européenne. En effet, aujourd'hui, certains produits phytopharmaceutiques sont autorisés en Europe et pas en France, ce qui n'est pas une situation idéale dans un marché européen unique où la concurrence doit être libre et non faussée.

Enfin, sur un tel sujet, il est nécessaire de développer la coopération internationale. Dans la résolution qu'il a adoptée sur proposition de la commission des affaires européennes que je préside, le Sénat préconisait la création d'un groupe international de scientifiques indépendants de haut niveau, afin de permettre aux décideurs politiques de disposer d'informations objectives sur les perturbateurs endocriniens.

Mais, l'action des pouvoirs publics ne se limite pas à la réglementation. Il est aussi nécessaire d'investir dans la recherche, ce qui permettra de développer des méthodes d'identification des perturbateurs endocriniens plus fiables. De même, c'est la recherche qui permettra de trouver des molécules de substitution dont on pourra garantir qu'elles ne présentent pas de danger pour la santé.

Je souhaite que ce colloque soit l'occasion d'un débat serein dont pourront émerger des solutions pour protéger la santé de nos concitoyens. Les débats s'articuleront autour de deux tables rondes. La première, intitulée « Comment identifier un perturbateur endocrinien ? », permettra notamment de revenir sur les critères d'identification proposés par la Commission européenne. Même si elle peut sembler perfectible, cette proposition constitue une première mondiale et marque le début d'une prise en compte dans la législation du risque lié aux perturbateurs endocriniens. La seconde table ronde, intitulée « Comment se protéger des perturbateurs endocriniens sans bouleverser notre mode de vie ? », permettra de mettre en exergue les actions mises en oeuvre par les acteurs de la société civile pour protéger la santé publique, et de déterminer le rôle de ces substances ainsi que les difficultés que peut poser leur interdiction ou leur substitution. Une action raisonnée et concertée entre les différents acteurs doit permettre de mieux appréhender cette menace.

Je me réjouis du travail mené en cohérence entre la commission des affaires européennes et la commission des affaires sociales. Cela montre bien la transversalité de notre réflexion en la matière et le souci constant du Sénat de s'inscrire dans une perspective d'avenir. Par l'intermédiaire de Mme Chaze, nous envoyons un message au commissaire européen M. Andriukaitis. Sur ce sujet comme sur nombre d'autres, je souhaite une cohérence dans la réflexion et, surtout, dans la communication et l'information. Nous vivons dans une société marquée par l'inquiétude. Chaque fois que le Sénat apportera sa pierre à la clarification de débats aussi complexes, il fera oeuvre utile.

Je donne la parole à mon collègue Alain Vasselle, pour la première table ronde.

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