E. ACCROÎTRE LA MAÎTRISE DES DÉPENSES DE JUSTICE

Deux types de dépenses pèsent sur le budget du ministère de la justice, au détriment des autres dépenses de fonctionnement et d'investissement : il s'agit des dépenses d'aide juridictionnelle et des dépenses de frais de justice.

Alors que leur maîtrise est difficile notamment en raison de leurs règles d'engagement et compte tenu de leur poids budgétaire, votre mission a tenu à les examiner particulièrement.

1. Mobiliser de nouvelles ressources pour contribuer au financement durable de l'aide juridictionnelle
a) Des dépenses d'aide juridictionnelle en augmentation constante

L'aide juridictionnelle est accordée pour environ 900 000 affaires par an. Comme l'ont relevé les représentants de la Cour des comptes, lors de leur audition par votre mission, la dépense d'aide juridictionnelle (AJ) est une dépense dynamique, qui représente 350 à 400 millions d'euros par an. Elle a augmenté de manière constante avec l'extension continue du champ des procédures dans lesquelles le droit à l'assistance d'un avocat est reconnu (présence de l'avocat en garde à vue, assistance de la victime qui participe à une identification...), mais également au fil des réformes concernant le système d'aide lui-même (relèvement du plafond d'admission pour les justiciables, revalorisation de l'unité de valeur au bénéfice des avocats, meilleure prise en charge de la médiation...).

Les difficultés récurrentes de financement de l'aide juridictionnelle ont été étudiées dans de nombreux rapports. Les deux plus récents, en 2014, sont le rapport du groupe de travail de votre commission des lois, présenté par nos collègues Sophie Joissains et Jacques Mézard 318 ( * ) , et celui confié par le Gouvernement à notre collègue député Jean-Yves Le Bouillonnec 319 ( * ) .

Chaque année, en loi de finances initiale, le Gouvernement propose plusieurs mesures de financement de l'aide juridictionnelle pour compenser la suppression en 2014 de la contribution pour l'aide juridique (CPAJ).

Les modifications apportées au financement de l'aide juridictionnelle
par les lois de finances récentes

Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 :

- suppression de la contribution pour l'aide juridique (CPAJ), également appelée « droit de timbre » de 35 euros ;

- renforcement du dispositif permettant de faire payer les frais d'avocat de la partie qui bénéficie de l'aide juridictionnelle par son adversaire, si celui-ci perd le procès (article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique). La mise en oeuvre de ce dispositif, qui n'était qu'une faculté supposant une demande au juge de la part de l'avocat rétribué à l'aide juridictionnelle, devient obligatoire. L'économie ainsi générée dépend de la pratique des juges 320 ( * ) .

Loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 :

- augmentation de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance de protection juridique ;

- revalorisation du montant de la taxe forfaitaire sur les actes des huissiers de justice, acquittée par l'huissier, pour le compte de son client ;

- augmentation des droits fixes de procédure dus par chaque condamné en matière pénale. Ces droits varient désormais de 31 à 527 euros selon l'importance de l'instance (de l'ordonnance pénale à la cour d'assises).

Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 321 ( * ) :

- nouvelle hausse de la taxation des contrats d'assurance de protection juridique ;

- remplacement des recettes provenant de la taxe sur les actes des huissiers et du droit fixe de procédure pénale par un prélèvement forfaitaire sur le produit d'une partie des amendes pénales.

Initialement, le projet de loi de finances prévoyait de créer aussi une nouvelle recette affectée au Conseil national des barreaux (CNB). Celle-ci aurait été constituée d'une partie des produits financiers perçus par les avocats sur les fonds de leurs clients déposés sur les comptes qu'ils détiennent, à cet effet, auprès des caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) constituées, en principe, auprès de chaque barreau. Devant la protestation des barreaux, Mme Christiane Taubira, alors garde des sceaux, avait dû renoncer à créer cette nouvelle recette. La ressource escomptée était de 5 millions d'euros en 2016 et de 10 millions d'euros en 2017, c'est-à-dire relativement modeste et peu dynamique compte tenu du taux de rémunération de ces fonds, par rapport aux besoins de financement.

Loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 322 ( * ) :

- nouvelle hausse de la taxation des contrats d'assurance de protection juridique ;

- nouvelle hausse de la fraction prélevée sur le produit des amendes pénales.

Selon le projet de loi de finances pour 2017, les dépenses d'aide juridictionnelle pour cette année devraient atteindre 453,9 millions d'euros, financées par 370,9 millions d'euros de crédits budgétaires (soit une augmentation de 40,1 millions d'euros par rapport à 2016) et 83 millions d'euros de ressources extra-budgétaires (45 millions d'euros au titre de la taxe sur les contrats d'assurance et 38 millions d'euros au titre du prélèvement forfaitaire sur le produit d'une partie des amendes pénales). Au total, comme le relève la Cour des comptes dans un référé du 23 décembre 2016, adressé au garde des sceaux, la dépense est en augmentation de 95 millions d'euros par rapport à 2015, soit une hausse de 26 % en deux ans 323 ( * ) .

Selon le rapport pour avis de notre collègue Yves Détraigne sur les crédits consacrés à la justice dans le projet de loi de finances pour 2017, le financement de l'aide juridictionnelle est sous-évalué. Compte tenu des réformes récentes du système d'aide juridictionnelle (relèvement du plafond d'admission et réévaluation de l'unité de valeur en 2016), il resterait un besoin de financement de 5,3 millions d'euros en 2017 puis de 10 millions d'euros les années suivantes, auquel s'ajoute le coût de la nouvelle revalorisation de l'unité de valeur à 32 euros, estimé à 58,2 millions d'euros en année pleine et à 14,6 millions d'euros dès 2017 324 ( * ) .

La Cour des comptes, dont les représentants ont été entendus par votre mission, a estimé que d'importantes difficultés se poseront pour assurer en 2018 le financement de l'aide juridictionnelle, car il faudra trouver 35 millions d'euros supplémentaires pour mettre en oeuvre les réformes décidées les années précédentes.

En l'absence de réforme d'ampleur, la question de la mise en place de ressources complémentaires, susceptibles de garantir un financement durable de l'aide juridictionnelle, permettant de mieux rémunérer les avocats et d'assurer l'accès à la justice pour les justiciables modestes et les classes moyennes, continue donc de se poser.

b) Les pistes de financement écartées

Bien que plusieurs rapports aient formulé cette proposition, votre mission, confirmant la position prise par nos collègues Sophie Joissains et Jacques Mézard en 2014, estime que la voie de la participation des avocats au financement de l'aide juridictionnelle ne peut être retenue. Cette proposition, formalisée dans le projet de loi de finances pour 2016, avait cristallisé le mécontentement de la profession pour un bénéfice limité au regard de la dépense totale d'aide juridictionnelle.

Une autre piste était celle d'une taxe perçue sur certains actes juridiques, par exemple ceux soumis à une obligation d'enregistrement (ventes immobilières, cessions de fonds de commerce, successions, accomplissement de certaines opérations sur les sociétés...). Cette piste avait été proposée par le Conseil national des barreaux (CNB) et reprise par nos collègues dans leur rapport d'information. Le Gouvernement semblait s'y être engagé, comme en témoigne la création, par l'article 50 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, d'un fonds interprofessionnel d'accès au droit et à la justice (FIADJ), financé par une taxe acquittée par les officiers publics ou ministériels sur certains actes. Cette taxe a toutefois été censurée par le Conseil constitutionnel, à deux reprises 325 ( * ) . Pour autant, le fonds continue d'exister, même si le Gouvernement n'a pas proposé de nouveau dispositif pour l'alimenter. À ce jour, le fonds interprofessionnel d'accès au droit et à la justice a seulement reçu compétence par décret pour octroyer des aides à l'installation ou au maintien des professionnels du droit 326 ( * ) , mais aucune disposition ne concerne pour l'instant l'aide juridictionnelle.

Enfin, au cours de l'audition de M. Jean-Paul Jean, en qualité de président du groupe des experts de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ), votre mission a pu faire le constat que, comparé à d'autres systèmes européens équivalents, le système français d'aide juridictionnelle couvre un éventail très large de contentieux, mais que le montant de l'aide allouée pour chaque affaire est relativement faible.

Affaires à l'aide judiciaire dans plusieurs pays européens

Nombre d'affaires bénéficiant
de l'aide judiciaire
(pour 100 000 habitants)

Montant alloué par affaire

Allemagne

832

456 €

Angleterre et Pays de Galles

1 083

1 479 €

Autriche

251

978 €

Finlande

716

832 €

France

1 352

342 €

Italie

426

555 €

Pays-Bas

1 960

1 178 €

Source : rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice 2016.

Pour augmenter les capacités de financement de l'aide juridictionnelle, il aurait pu être envisagé d'exclure certains contentieux de son champ. De fait en France, dès lors que la présence de l'avocat est prévue, l'aide juridictionnelle peut être demandée, sans restriction.

À cet égard, dans son référé du 23 décembre 2016, la Cour des comptes a relevé qu'« alors que tous les pays européens, quelle que soit leur conception de l'aide juridique, ont lancé des programmes visant à réduire les coûts et le nombre de contentieux éligibles et à mieux cibler les prises en charge, le cas échéant, au bénéfice des situations les plus critiques, la dynamique de la dépense s'est développée en France sans que soit portée d'attention aux conditions d'une meilleure sélectivité permettant d'intervenir le plus utilement » 327 ( * ) .

Votre mission a néanmoins estimé qu'il serait difficile d'aller dans la voie d'une sélectivité en fonction des types de contentieux, laquelle s'apparenterait à un recul en termes d'accès à la justice.

Elle a donc choisi de s'orienter vers une quatrième piste : le rétablissement de la contribution pour l'aide juridique (CPAJ), qui a le mérite, outre sa simplicité et sa lisibilité, d'assurer un financement durable de l'aide juridictionnelle et de jouer également un rôle de régulation en dissuadant les recours abusifs .

En tout état de cause, la création de ressources complémentaires ne doit pas conduire à une débudgétisation équivalente . Outre le fait que cette diminution des crédits de l'État affectés à l'aide juridictionnelle ne permettrait plus de couvrir les dépenses engagées 328 ( * ) , il apparaît pertinent à votre mission de faire supporter l'effort principal de financement de l'aide juridictionnelle par la solidarité nationale.

c) Rétablir un « droit de timbre » pour l'accès à la justice, modulable en fonction du type d'instance

La contribution pour l'aide juridique (CPAJ) avait été créée par la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, afin de faire face aux nouvelles charges issues de la réforme de la garde à vue, opérée par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue. Cette contribution d'un montant de 35 euros était acquittée par tout justiciable introduisant une instance civile ou administrative. Les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle en étaient dispensés.

Cette contribution représentait une débudgétisation partielle de l'aide juridictionnelle puisque la dotation budgétaire consacrée à cette dépense avait été amputée d'un montant équivalent au produit de la taxe. Ainsi, entre 2011 et 2012, cette dotation avait baissé de 50 millions d'euros.

La contribution pour l'aide juridique

L'article 54 de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 avait inséré dans le code général des impôts un article 1635 bis Q instaurant une contribution pour l'aide juridique de 35 euros, acquittée par tout justiciable introduisant une instance civile ou administrative. Cette contribution était due, à peine d'irrecevabilité, dès l'introduction de l'instance.

En étaient dispensés les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle ainsi que l'État, mais pas les collectivités territoriales, les organismes sociaux et les autres personnes morales de droit public.

Cette contribution s'appliquait à toutes les procédures intentées en matière civile, commerciale, prud'homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire et pour chaque instance introduite devant les juridictions administratives. Toutefois, le législateur avait exclu certaines procédures de son champ, lorsqu'il était apparu que l'acquittement de cette contribution pouvait apparaître comme une entrave disproportionnée au droit d'accès à la justice.

La contribution n'était ainsi pas due :

- pour certaines procédures de protection des droits comme les procédures intentées devant la commission d'indemnisation des victimes d'infraction, le juge des enfants, le juge des libertés et de la détention, le juge des tutelles ou le juge aux affaires familiales s'agissant spécifiquement des procédures d'ordonnances de protection ;

- pour les procédures de traitement des situations de surendettement des particuliers et les procédures de redressement et de liquidation judiciaires ;

- pour les procédures d'inscription sur les listes électorales ;

- pour les recours introduits devant le juge administratif à l'encontre de toute décision individuelle relative à l'entrée, au séjour et à l'éloignement d'un étranger sur le territoire français ainsi qu'au droit d'asile, et pour le référé liberté.

La circulaire du 30 septembre 2011 relative à la présentation de l'instauration d'une contribution pour l'aide juridique avait par ailleurs précisé qu'étaient aussi exclues du paiement de la taxe les procédures dont la loi prévoit expressément qu'elles sont gratuites et sans frais, en vertu du principe selon lequel la loi spéciale déroge à la loi générale. Cette exception concernait notamment les procédures introduites devant les juridictions statuant en matière de contentieux de la sécurité sociale et les procédures douanières.

En pratique, lorsque l'instance était introduite par un auxiliaire de justice, ce dernier acquittait pour le compte de son client la contribution par voie électronique. Lorsque l'instance était introduite sans auxiliaire de justice, la partie acquittait cette contribution par voie de timbre ou par voie électronique.

Cette contribution était affectée au Conseil national des barreaux (CNB). Pour répartir le produit de la taxe entre les barreaux, le CNB avait conclu une convention de gestion avec l'union nationale des caisses autonomes de règlement pécuniaires des avocats (UNCA). Le produit de la contribution était intégralement affecté au paiement des avocats effectuant des missions d'aide juridictionnelle par l'intermédiaire des caisses autonomes de règlement pécuniaire des avocats (CARPA).

En 2012, par exemple, les CARPA avaient reçu 54,39 millions d'euros de produit de la contribution, soit 19,6 % des sommes versées à des avocats ayant effectué des missions d'aide juridictionnelle (277,41 millions d'euros).

La contribution pour l'aide juridique a été supprimée par la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, « afin de permettre un accès plus équitable au juge » 329 ( * ) , car elle était considéré comme un frein à l'accès au juge pour les justiciables ayant des revenus modestes mais n'étant pas pour autant éligibles à l'aide juridictionnelle.

La suppression de ce financement, qui représentait chaque année plus de 50 millions d'euros 330 ( * ) , a été compensée par une prise en charge par l'État, à travers une « rebudgétisation », et par la hausse de diverses taxes au fil du temps 331 ( * ) . Cependant, ces mesures, relevant tout au plus d'ajustements ponctuels, n'ont pas permis d'assurer un financement structurel suffisant de l'aide juridictionnelle.

Dans son rapport pour avis fait au nom de votre commission des lois sur les crédits consacrés à la justice dans le projet de loi de finances pour 2017, notre collègue Yves Détraigne s'est inquiété de l'hypothèse, évoquée par la chancellerie pour apporter des financements complémentaires à l'aide juridictionnelle, d'un redéploiement des crédits du programme « Accès au droit et à la justice ». Il a émis des réserves sur la fiabilité de ce financement et craint que d'autres actions du programme, comme les crédits alloués au réseau judiciaire de proximité ou à la médiation familiale, ne soient mis à contribution pour compenser le besoin accru de financement de l'aide juridictionnelle 332 ( * ) .

Alors même que la suppression de la contribution pour l'aide juridique semblait faire consensus au sein des professionnels du droit, à l'époque où elle a été décidée, votre mission a pu s'apercevoir, au fil des auditions qu'elle a menées, que ce n'était plus le cas aujourd'hui . Les personnes entendues ont été nombreuses à regretter sa disparition, estimant pour certaines que cette suppression avait peut-être été « dogmatique ».

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, notre collègue Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, avait déposé un amendement destiné à rétablir cette contribution, afin de remplacer les nouvelles taxations proposées alors par le Gouvernement. Le montant de la contribution dont il était proposé le rétablissement était de 25 euros, soit un montant inférieur à celui appliqué entre 2011 et 2013. Selon le rapporteur général, ce montant était suffisant pour répondre aux besoins de financement de l'aide juridictionnelle. Le Sénat avait toutefois rejeté son amendement.

Pourtant, la contribution pour l'aide juridique apporte une réponse simple et efficace au besoin de financement de l'aide juridictionnelle , pour un coût modique pour le justiciable .

Par ailleurs, votre mission estime qu'il est pertinent que les usagers du service public de la justice participent au financement de son fonctionnement , à travers une contribution permettant à ceux qui ne disposent pas des ressources nécessaires de faire valoir leurs droits, sur le modèle de ce qui est pratiqué en matière de santé avec le ticket modérateur 333 ( * ) .

De fait, selon les représentants du barreau de Paris et de la Conférence des bâtonniers, la France est le seul État, avec le Luxembourg, à proposer une justice gratuite. Votre mission estime qu'elle n'a sans doute plus, aujourd'hui, les moyens de cette gratuité.

Le rétablissement de la contribution pour l'aide juridique aurait également pour effet de responsabiliser les justiciables tentés d'engager des recours de manière abusive.

En revanche, pour éviter qu'elle ne dissuade les justiciables de saisir le juge dans le cas de litiges de faible valeur, votre mission propose que cette contribution soit modulée , de 20 à 50 euros par exemple, en fonction du type d'instance engagée, outre l'incitation à s'engager, pour de tels litiges, dans des voies alternatives, à l'instar de la conciliation 334 ( * ) .

Comme lors de sa mise en place en 2011, la contribution n'aurait pas à être acquittée pour certains contentieux 335 ( * ) , auxquels votre mission propose d'ajouter les procédures engagées par les salariés devant les conseils de prud'hommes. Comme par le passé, les personnes éligibles à l'aide juridictionnelle ne seraient pas redevables de la contribution.

Cette proposition n'a pas fait l'objet d'un consensus au sein de votre mission. Certains de ses membres se sont opposés au rétablissement d'un « droit de timbre », quel que soit son montant.

Proposition n° 103 :

Rétablir la contribution pour l'aide juridique acquittée par tout justiciable introduisant une instance devant une juridiction judiciaire ou administrative.

Pour éviter que cette contribution ne constitue une entrave au droit d'accès à la justice :

- exclure certaines procédures de son champ d'application, comme lors de sa mise en place en 2011 ;

- prévoir une modulation de la somme à acquitter, de 20 à 50 euros, en fonction de l'instance concernée.

Comme par le passé, exonérer les personnes éligibles à l'aide juridictionnelle de son paiement.

d) Encourager la mise en oeuvre du dispositif permettant de faire supporter le paiement de l'avocat à l'aide juridictionnelle par la partie qui succombe

L'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique permet de faire payer les frais d'avocat de la partie qui bénéficie de l'aide juridictionnelle par son adversaire, si celui-ci perd le procès.

Avant 2014, pour être appliqué, ce dispositif facultatif supposait une demande formulée par l'avocat rétribué à l'aide juridictionnelle. Le juge appréciait ensuite souverainement s'il devait faire droit à cette demande et pour quel montant.

La loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 a rendu la mise en oeuvre de ce dispositif obligatoire. Désormais, « dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, partielle ou totale, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'État, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation » 336 ( * ) .

Outre les économies pour les finances publiques que devrait générer ce dispositif, il est également intéressant pour l'avocat qui intervient à l'aide juridictionnelle, puisque l'indemnité réclamée à la partie adverse devrait être supérieure à la rétribution qu'il recevrait au titre de l'aide juridictionnelle. L'indemnité serait proche, dans son montant, du coût réel de ses honoraires.

Cependant, en pratique, selon les représentants de la profession d'avocat entendus par votre mission, malgré la réforme de 2013, ce dispositif n'est que peu utilisé par les magistrats, ce que votre mission ne peut que regretter .

En effet, selon les éléments transmis par les services du ministère de la justice, cette réforme n'a pas produit à ce jour les effets escomptés. En 2015, ce dispositif a été mis en oeuvre dans 869 procédures, ce qui représente certes une augmentation de 26 % par rapport à 2014 mais aussi moins de 0,11 % des 798 167 missions d'aide juridictionnelle effectuées par les avocats.

Proposition n° 104 :

Encourager les magistrats à utiliser davantage le dispositif qui impose de faire payer les frais d'avocat de la partie qui bénéficie de l'aide juridictionnelle par son adversaire, si celui-ci perd le procès. Renforcer les actions de sensibilisation et la formation initiale et continue des magistrats sur ce dispositif.

e) Simplifier les circuits financiers de gestion de l'aide juridictionnelle

La dépense d'aide juridictionnelle passe aujourd'hui par deux circuits financiers différents. Les ressources budgétaires sont versées par le ministère de la justice aux CARPA trois fois par an. Quant aux ressources extra-budgétaires, elles sont affectées au Conseil national des barreaux (CNB), qui les redistribue aux caisses autonomes de règlements pécuniaires des avocats (CARPA) via l'union nationale des CARPA (UNCA).

Selon le référé précité du 23 décembre 2016 de la Cour des comptes sur l'aide juridictionnelle, « les dispositifs successifs ainsi mis en place, en marge de l'orthodoxie budgétaire, ont introduit des sources de financement et des dispositifs de gestion dont l'empilement ne peut constituer, à terme, un système viable pour une même politique publique » 337 ( * ) .

Par ailleurs, dans ce référé, la Cour des comptes relève que le ministère de la justice n'est pas en mesure de chiffrer avec exactitude le coût de gestion de l'aide juridictionnelle au-delà des charges supportées directement par ses services, qui s'élèvent à 20,9 millions d'euros.

Selon les données fournies à votre mission par l'union nationale des CARPA, les dépenses de gestion des caisses, qui s'ajoutent donc aux frais engagés par le ministère, représentent 17 à 20 millions d'euros par an.

Le coût total de gestion de l'aide juridictionnelle représente donc environ 11 % du budget qui lui est alloué (359 millions d'euros en 2015).

Les frais de gestion engagés par les caisses autonomes de règlements pécuniaires des avocats ne sont que faiblement couverts par les rémunérations des placements financiers qu'elles réalisent. Le taux de couverture des charges liées à l'aide juridictionnelle, par les produits financiers des caisses, est d'environ 25 %. Ce bas niveau est notamment lié au faible rendement des produits financiers dans la période actuelle, en raison de la faiblesse des taux d'intérêt. Selon les représentants de l'UNCA, entendus par votre mission, le taux de rendement moyen de ces produits est de 1 % sur l'année. Les frais de gestion de l'aide juridictionnelle posent donc un véritable problème économique aux caisses.

La situation est cependant variable d'une caisse à l'autre. Certaines sont bénéficiaires alors que d'autres, en difficulté, sont contraintes de faire des appels de fonds auprès des avocats de leur ressort. En effet, comme l'ont souligné les représentants du ministère de l'économie et des finances, entendus par votre mission, le système actuel ne permet pas de redistribuer les fonds entre les caisses en fonction des besoins.

À titre d'exemple, lors de son déplacement à Dijon, le bâtonnier a fait part à votre mission des difficultés de gestion rencontrées par la CARPA de Dijon, dont la dette à l'égard de l'ordre des avocats s'élève à 300 000 euros. Cette caisse gère 15 à 20 millions d'euros par an pour un coût fixe de 250 000 euros.

Pour faire face à ces difficultés, de nombreux rapports ont préconisé le regroupement des CARPA en structures de taille critique, disposant d'un fonds de roulement plus important que les caisses isolées, bénéficiant d'économies d'échelle (mutualisation des moyens humains et matériels) et d'une expertise plus approfondie en matière de gestion des placements financiers. À l'heure actuelle, il existe 130 caisses autonomes de règlements pécuniaires des avocats, ce qui est un facteur d'éclatement et d'alourdissement des frais de gestion.

La Cour des comptes, dans son référé, a recommandé de « réformer le dispositif de gestion afin de ramener le coût de la gestion des dossiers d'aide juridictionnelle, de la procédure d'admission au paiement des rétributions, à un coût complet ne dépassant pas 5 % de la dépense totale » 338 ( * ) .

Par ailleurs, les représentants du ministère de l'économie et des finances entendus par votre mission ont évoqué l'idée de concevoir un système confié à un gestionnaire unique, placé au niveau national.

Cette piste est également retenue par la Cour des comptes dans ses récents travaux. Elle propose la « reprise par l'État du dispositif de gestion de cette politique publique [à travers] la mise en place d'un opérateur dédié, sur le modèle anglais de la Legal Aid Agency , qui reprendrait de manière intégrée l'ensemble des fonctions liées à l'accès au droit, à l'admission à l'aide juridictionnelle et au contenu de la gestion, avec un objectif d'efficience.

« Dans le cadre de la modernisation qui s'engage, l'achèvement de la dématérialisation de la chaîne d'admission avec la constitution à terme d'un bureau d'aide juridictionnelle national, autoriserait, à tout le moins, que la fonction de paiement soit dévolue à un opérateur public unique existant, comme il en existe pour les paiements de masse (tel que l'Agence de services et de paiement ou les caisses d'allocations familiales) afin de ramener le coût de gestion à un niveau acceptable et de rationaliser les contrôles » 339 ( * ) .

Bien que votre mission n'ait pu approfondir autant que nécessaire les différentes pistes évoquées, elle estime, au regard de la complexité du système actuel, qu'une réflexion d'ensemble doit être poursuivie.

Proposition n° 105 :

Engager une simplification des règles administratives et financières de gestion de l'aide juridictionnelle pour améliorer son efficacité et limiter son coût.

2. Assurer un meilleur contrôle de l'attribution de l'aide juridictionnelle

En 2015, 901 986 admissions à l'aide juridictionnelle ont été prononcées, dont 819 542 au titre de l'aide juridictionnelle totale. 51 % des admissions concernaient le contentieux civil, 40 % le contentieux pénal, 6 % le contentieux administratif et 3 % le contentieux de l'entrée et du séjour des étrangers.

Alors que devant la Cour de cassation le taux d'admission à l'aide juridictionnelle est de 23,5 %, il est de 80 % en appel et de 90 % en première instance. Ces taux très élevés résultent d'un contrôle insuffisant de l'attribution de l'aide, tant en raison des difficultés pour les bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ) pour apprécier la réalité des ressources des demandeurs, que de l'absence de mise en oeuvre du filtre reposant sur une appréciation du bien-fondé de la demande.

En contrepartie de l'effort de financement de l'aide juridictionnelle proposé 340 ( * ) , votre mission juge indispensable, non seulement de renforcer les contrôles a priori , pour éviter que l'aide juridictionnelle ne soit versée indûment, mais également d'améliorer la mise en oeuvre des procédures de retrait de l'aide et de recouvrement des sommes retirées. Sans modifier la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, elle propose donc de mettre pleinement en oeuvre les outils qu'elle offre déjà.

a) Faciliter le contrôle des ressources par les bureaux d'aide juridictionnelle

L'article 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 précitée prévoit que l'aide juridictionnelle est accordée aux « personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice ». L'article 5 précise ensuite les ressources à prendre en considération, qui sont d'ailleurs détaillées dans l'encadré ci-après.

Les ressources prises en compte pour apprécier l'éligibilité
d'une personne à l'aide juridictionnelle

Pour apprécier la recevabilité de la demande déposée, l'article 5 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique prévoit que les bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ) examinent :

- les « ressources de toute nature dont le demandeur a directement ou indirectement la jouissance ou la libre disposition » ;

- les « éléments extérieurs du train de vie ».

Par ailleurs, sont également pris en compte les biens, meubles ou immeubles, même non productifs de revenus, « à l'exclusion de ceux qui ne pourraient être vendus ou donnés en gage sans entraîner un trouble grave pour l'intéressé ».

Enfin, il est tenu compte des ressources du conjoint du demandeur ainsi que des personnes vivant habituellement à son foyer, « sauf si la procédure oppose entre eux les conjoints ou les personnes vivant habituellement au même foyer. Il n'en est pas non plus tenu compte s'il existe entre eux, eu égard à l'objet du litige, une divergence d'intérêts rendant nécessaire une appréciation distincte des ressources ou si, lorsque la demande concerne l'assistance d'un mineur en application de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, se manifeste un défaut d'intérêt à l'égard du mineur des personnes vivant habituellement à son foyer . »

Sont exclues de l'appréciation des ressources, les prestations familiales ainsi que certaines prestations sociales, selon des modalités prévues par décret en Conseil d'État.

Pour évaluer ces ressources, l'article 34 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique énumère les pièces à fournir au bureau d'aide juridictionnelle lors du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle : l'avis d'imposition ou de non-imposition ; un justificatif de situation familiale ; dans le cas de l'existence d'un contrat d'assurance de protection juridique, l'attestation de non prise en charge des frais du litige par cette assurance ; la justification de versement de pension alimentaire ; l'attestation de perception de certaines prestations sociales...

Dans la plupart des cas, les dossiers déposés au bureau d'aide juridictionnelle sont incomplets. Cet état de fait représente un coût élevé pour la justice en raison du temps passé par les personnels pour demander les pièces manquantes et des frais d'affranchissement engagés pour relancer les demandeurs. Il en résulte également un allongement des délais de traitement des dossiers.

En raison de la priorité donnée à une gestion fluide des demandes, l'aide juridictionnelle est généralement accordée, même quand il manque des éléments de justification. Le taux de rejet des demandes est globalement faible.

Au cours des déplacements effectués, votre mission a pu constater l'impuissance des bureaux d'aide juridictionnelle à traiter efficacement ces demandes, malgré des effectifs parfois conséquents. À titre d'exemple, au tribunal de grande instance de Bordeaux, dans lequel votre mission s'est rendue, le bureau d'aide juridictionnelle mobilise neuf personnes pour 5,5 équivalents temps plein et a rendu 24 450 décisions en 2016, avec un délai de traitement moyen de 24 jours (contre 50 jours en 2015) et un taux d'admission à l'aide juridictionnelle de 80 % des demandes. Les personnels rencontrés ont estimé que, pour fonctionner correctement, le bureau d'aide juridictionnelle aurait besoin d'un minimum de 11 équivalents temps plein. En raison de l'insuffisance des effectifs, les personnels ne peuvent opérer de rapprochement entre les dossiers et l'appréciation des ressources se fonde exclusivement sur la déclaration sur l'honneur du justiciable, sans possibilité de la vérifier.

De fait, porter une appréciation sur le niveau de ressources du demandeur ne relève pas des missions des magistrats et des personnels judiciaires. Pour les aider dans cette tâche, l'article 21 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 précitée prévoit que « les services de l'État et des collectivités publiques, les organismes de sécurité sociale et les organismes qui assurent la gestion des prestations sociales sont tenus de communiquer au bureau, sur sa demande, sans pouvoir opposer le secret professionnel, tous renseignements permettant de vérifier que l'intéressé satisfait aux conditions exigées pour bénéficier de l'aide juridictionnelle ». Cette possibilité n'est pourtant pas suffisamment utilisée en pratique. Votre mission, s'inscrivant dans la suite des préconisations de nos collègues Sophie Joissains et Jacques Mézard, estime indispensable que les bureaux d'aide juridictionnelle aient un accès facilité, et donc dématérialisé, aux fichiers sociaux gérés par les caisses d'allocations familiales et aux fichiers fiscaux , pour vérifier les éléments patrimoniaux qui n'apparaissent pas forcément dans les documents fournis par le demandeur.

Pour simplifier encore ce contrôle des ressources du demandeur et alléger la charge des bureaux d'aide juridictionnelle, comme le préconisent les représentants du Conseil national de l'aide juridique (CNAJ), votre mission juge opportun d'exiger des demandeurs les mêmes pièces que celles qui leur sont demandées pour l'octroi d'aides sociales.

Cette harmonisation permettrait d'améliorer la lisibilité du dispositif pour le justiciable. Elle éviterait également la mise en place de critères d'appréciation différents d'un bureau d'aide juridictionnelle à l'autre, dénoncée par les représentants de la Conférence des bâtonniers, lors de leur audition par votre mission.

Par ailleurs, dans sa réponse du 15 mars 2017 au référé de la Cour des comptes du 23 décembre 2016, le garde des sceaux, a rappelé avoir lancé « un projet de refonte de l'applicatif actuel de traitements des dossiers d'aide juridictionnelle, AJWIN, afin de disposer d'une application nationale permettant des remontées d'informations sur les conditions et les caractéristiques des aides accordées » 341 ( * ) .

Votre mission estime qu'il faut aller plus loin, en dotant les bureaux d'aide juridictionnelle d'un outil informatique simple et automatisé pour octroyer l'aide juridictionnelle, la retirer et recouvrer les sommes indûment versées , comme cela existe dans d'autres administrations (caisses d'allocations familiales par exemple).

Enfin, pour aller encore plus loin, il pourrait même être envisagé, à terme, de confier l'appréciation de ces ressources aux services du ministère de l'économie et des finances, mieux armés que les services du ministère de la justice pour apprécier la recevabilité financière des demandes d'aide juridictionnelle.

Proposition n° 106 :

Rendre obligatoire la consultation par les bureaux d'aide juridictionnelle des services fiscaux ou des organismes sociaux pour apprécier les ressources du demandeur, par voie dématérialisée, et doter les bureaux d'aide juridictionnelle d'un outil informatique simple pour octroyer l'aide juridictionnelle, la retirer et recouvrer les sommes indûment versées.

La question du contrôle des ressources du demandeur se pose avec une acuité particulière en matière pénale, lorsque l'avocat est commis d'office. En effet, 80 % des admissions à l'aide juridictionnelle sont prononcées en application de la procédure allégée, alors que 14 % seulement de ces affaires sont jugées en comparution immédiate, c'est-à-dire dans l'urgence.

Contrairement à la procédure normale d'admission à l'aide juridictionnelle, qui suppose un contrôle a priori de la recevabilité de la demande, cette procédure allégée, réservée théoriquement aux cas d'urgence 342 ( * ) , implique un contrôle a posteriori des ressources, qui n'est presque jamais mis en oeuvre dans les faits. Dès lors, par le jeu de cette procédure particulière, l'admission est prononcée quasi systématiquement, y compris au bénéfice de personnes qui n'y auraient normalement pas droit.

Votre mission considère que cette pratique doit impérativement évoluer, dans le sens de la limitation des procédures d'urgence aux affaires qui le justifient pleinement, comme les comparutions immédiates.

Proposition n° 107 :

Inviter les bureaux d'aide juridictionnelle à apprécier très strictement les situations d'urgence justifiant l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle sans contrôle a priori des ressources du demandeur et rendre effectif le contrôle a posteriori de ces ressources et, le cas échéant, le recouvrement par l'État des sommes indûment versées.

Outre les cas dans lesquels le retrait de l'aide juridictionnelle découle du contrôle des ressources a posteriori , dans le cadre de la procédure d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle, l'article 50 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 précitée prévoit plusieurs cas dans lesquels l'aide juridictionnelle peut être retirée :

- si ce bénéfice a été obtenu à la suite de déclarations ou au vu de pièces inexactes ;

- si le bénéficiaire perçoit ultérieurement des ressources telles que, si elles avaient existé au jour de la demande d'aide juridictionnelle, celle-ci n'aurait pas été accordée ;

- lorsque la décision passée en force de chose jugée a procuré au bénéficiaire des ressources telles que, si elles avaient existé au jour de la demande d'aide juridictionnelle, celle-ci ne lui aurait pas été accordée ;

- lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l'aide juridictionnelle a été jugée dilatoire ou abusive. Dans ce dernier cas, la compétence de la juridiction est liée : dès lors qu'elle déclare abusive ou dilatoire une procédure, elle doit prononcer le retrait total de l'aide.

En pratique, le retrait n'est que rarement ordonné - il représente environ 0,1 % du nombre d'admissions annuel - et, quand il l'est, les sommes ne sont recouvrées que dans 3 ou 4 % des cas, ainsi que le montre le tableau ci-après.

Nombre de retraits d'aide juridictionnelle prononcés
et recouvrement des avances versées par l'État 343 ( * )

2013

2014

2015

Nombre de retraits prononcés

1 117

1 080

1 117

Montant mis en recouvrement en M€

15,8

15,2

16,7

Taux de mise en recouvrement

6,5 %

6,2 %

6,9 %

Montant recouvré en M€

7,7

9,2

9,8

Taux de recouvrement

3,2 %

3,9 %

4 %

Source : ministère de la justice.

À la suite d'un audit conjoint de la mission nationale d'audit et de l'inspection générale des services judiciaires, en 2013, les services de la chancellerie ont développé un nouvel outil de recouvrement 344 ( * ) déployé sur l'ensemble du territoire depuis le mois de mars 2015. Pour autant, les initiatives mises en oeuvre pour améliorer le taux de recouvrement ne semblent pas pour l'instant produire les effets escomptés au regard des montants mis en recouvrement et des sommes effectivement recouvrées. Selon les représentants du ministère de l'économie et des finances entendus par votre mission, le montant des recouvrements est très faible car ils ne sont pas réalisés par le Trésor public .

Dans ces conditions, votre mission juge nécessaire, à la fois d'informer davantage les magistrats sur la nécessité d'ordonner le retrait de l'aide juridictionnelle dans les cas prévus par la loi et d'améliorer le recouvrement des sommes versées en cas de retrait de l'aide juridictionnelle, en transférant cette mission au Trésor public, plus à même de l'exercer.

Proposition n° 108 :

Renforcer la sensibilisation des magistrats à l'utilisation des procédures de retrait.

Proposition n° 109 :

Améliorer le taux de recouvrement des sommes versées au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle à la suite d'une décision de retrait de l'aide ou auprès de la partie condamnée aux dépens ou qui perd son procès dès lors que celle-ci n'est pas bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, en confiant ce recouvrement au Trésor public.

b) Prévoir une appréciation du bien-fondé de l'action par un avocat préalablement au dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle

En application de l'article 7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, l'aide juridictionnelle est accordée, à la « personne dont l'action n'apparaît pas manifestement irrecevable ou dénuée de fondement » 345 ( * ) . Toutefois, en pratique, les bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ) suivent une « logique de guichet » et n'apprécient pas le fond de l'affaire, ce qu'ils ne sont d'ailleurs pas en mesure de faire concrètement.

L'absence d'utilisation de ce filtre explique en partie le taux élevé d'admission à l'aide juridictionnelle en première instance et en appel .

En l'absence de filtre autre que celui des ressources, le système d'aide juridictionnelle peut avoir pour effet pervers d'inciter les justiciables à multiplier les recours abusifs, ces recours étant pris en charge par la collectivité. Un phénomène similaire a pu être observé en matière de santé avec la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU), laquelle a conduit à une augmentation de la demande de soins en raison de leur gratuité.

À l'inverse, le taux bien plus faible d'admission à l'aide juridictionnelle devant la Cour de cassation résulte de la vérification systématique de l'existence d'un moyen de cassation sérieux 346 ( * ) .

Pour éviter au justiciable d'engager des contentieux sans aucune chance de succès, et dans un souci de préservation des deniers publics, compte tenu notamment des difficultés actuelles à recouvrer les sommes indûment versées, votre mission s'est interrogée sur le moyen d'appliquer la prescription légale exigeant de vérifier le bien-fondé de l'affaire avant d'attribuer l'aide juridictionnelle.

Lors des auditions qu'elle a menées, elle a pu s'apercevoir que si, dans son principe, la mise en place d'un tel filtre faisait consensus, en pratique, elle posait d'importantes difficultés.

En effet, lorsque la demande est déposée au bureau d'aide juridictionnelle (BAJ), bien souvent, le demandeur n'a pas encore bénéficié de l'assistance d'un avocat et la demande est formulée de manière tellement imprécise qu'elle ne permet pas une appréciation sur le fond. De plus, les bureaux d'aide juridictionnelle n'ont ni le temps ni les capacités de mener un tel contrôle.

Comme l'ont relevé les représentants de l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, lors de leur audition par votre mission, la situation est bien différente devant la Cour de cassation car la demande s'appuie sur une décision déjà rendue, facilitant ainsi l'appréciation du bureau d'aide juridictionnelle.

Les représentants de la profession d'avocat, entendus par votre mission, ont estimé que l'application effective du filtre prévu par la loi au regard du bien-fondé de l'affaire supposerait l'intervention de l'avocat en amont du dépôt de la demande d'aide juridictionnelle .

En 2009, dans son rapport sur les professions du droit, la commission présidée par M. Jean-Michel Darrois avait formulé une proposition qui a retenu toute l'attention de votre mission 347 ( * ) . Cette commission proposait, « à l'instar du parcours de soins coordonné en matière de santé, [...] d' inscrire dans la loi le principe d'une consultation juridique préalable à la demande d'aide juridictionnelle dispensée, soit dans le cadre des permanences organisées par les conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD), soit au cabinet de l'avocat choisi par le justiciable ». Cette proposition est d'autant plus intéressante qu'« au cours de l'entretien, serait systématiquement étudiée l'éventualité d'une prise en charge des frais et honoraires par une assurance de protection juridique », favorisant ainsi la mise en oeuvre du principe de subsidiarité de l'aide juridictionnelle 348 ( * ) . À l'issue de la consultation, « l'intéressé serait orienté vers la voie appropriée de règlement de son affaire et invité, selon le cas, à déclarer le sinistre à sa compagnie d'assurance ou à déposer une demande d'aide juridictionnelle ».

Le cas échéant, ce système d'examen préalable de la recevabilité du dossier pourrait permettre de réorienter des demandes qui ne nécessitent pas l'intervention d'un juge, vers les modes alternatifs de règlement des litiges (MARL) tels que la médiation ou la conciliation, pour permettre au justiciable de faire examiner sa demande même s'il ne saisit pas un tribunal.

Cette possibilité de réorienter certains dossiers vers les modes alternatifs de règlement des litiges serait facilitée par le fait que la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle a renforcé le rôle des conseils départementaux d'accès au droit en matière de mise en oeuvre de politiques locales de résolution amiable des litiges, en prévoyant notamment la présence en leur sein de représentants d'une ou plusieurs associations oeuvrant dans le domaine de la conciliation ou de la médiation 349 ( * ) .

Selon le référé de la Cour des comptes du 23 décembre 2016 précité, « la mise en place d'une consultation juridique préalable ainsi que l'encouragement de modes alternatifs de résolution des différends, à l'instar de la médiation, pourrait [...] contribuer à l'allégement de la dépense d'aide juridique mais également des charges judiciaires » 350 ( * ) .

L'idée de développer les consultations préalables s'inscrirait dans le prolongement des initiatives engagées par le ministère de la justice : en 2016, il a augmenté les crédits consacrés au développement des consultations et informations juridiques préalables à la saisine du juge, et il a mis en place une aide à la médiation pour les publics les plus défavorisés, éligibles à l'aide juridictionnelle, dans la perspective de proposer au justiciable, quand cela se justifie, une autre voie que la procédure judiciaire.

Les représentants de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats, entendus par votre mission, ont émis des doutes sur la pertinence d'un tel dispositif de consultation préalable obligatoire, estimant que les avocats vérifiaient déjà le bien-fondé de la demande de leur client lors du premier rendez-vous avec lui. Ce contrôle relève de leur devoir d'information et de conseil du justiciable. Si l'avocat estime que la demande a des chances de prospérer, il rédige une lettre d'acceptation du dossier précisant l'objet du litige et l'identité des parties. Cependant, votre mission note que ce premier rendez-vous étant systématiquement payant, même si par la suite la personne bénéficie de l'aide juridictionnelle, ce coût peut l'inciter à déposer directement sa demande au bureau d'aide juridictionnelle, sans même rencontrer un avocat. De plus, ce contrôle est plus difficile à mettre en oeuvre lorsque l'avocat est commis d'office.

La question de la prise en charge financière de cette consultation préalable est donc centrale. Les représentants de la profession d'avocat, entendus par votre mission, ont relevé que toute consultation préalable au dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle devait donner lieu à une rétribution. C'est d'ailleurs ce que proposait la commission présidée par M. Jean-Michel Darrois dans son rapport, estimant que, « la consultation juridique engageant la responsabilité de son auteur, elle [devait] être rétribuée » .

Votre mission propose donc de rémunérer systématiquement cette consultation préalable comme un acte d'aide juridictionnelle . Si, par la suite, l'aide juridictionnelle n'était pas accordée au demandeur, l'État pourrait alors recouvrer les sommes qui auraient été indûment versées.

Enfin, outre le cabinet de l'avocat et les initiatives prises en la matière par les conseils départementaux d'accès au droit, votre mission propose que cette consultation puisse avoir lieu au sein des maisons de la justice et du droit (MJD), qui ont pour mission d'assurer une présence judiciaire de proximité.

Seraient en revanche exclues de cette consultation juridique préalable les affaires pour lesquelles le demandeur de l'aide est défendeur à l'action ou, en matière pénale, les demandes urgentes qui relèvent de l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle, en application de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 précitée.

Certes, la mise en place de cette consultation préalable pourrait avoir pour effet d'allonger les délais de traitement des demandes d'aide juridictionnelle. Votre mission estime néanmoins que cet allongement serait compensé par les gains de temps générés pour les bureaux d'aide juridictionnelle par le recours aux services fiscaux et sociaux pour apprécier la recevabilité financière de la demande 351 ( * ) .

Proposition n° 110 :

Prévoir la consultation obligatoire d'un avocat préalablement au dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle, à l'exception des actions pour lesquelles le justiciable est défendeur ou, en matière pénale, des demandes relevant de l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle en raison de leur caractère urgent.

Cette consultation serait rétribuée comme un acte d'aide juridictionnelle.

3. Revoir le rôle de l'assurance de protection juridique
a) Instaurer un mécanisme de vérification renforcée de l'existence de contrats d'assurance de protection juridique

Depuis la loi n° 2007-210 du 19 février 2007 portant réforme de l'assurance de protection juridique, l'aide juridictionnelle présente un caractère subsidiaire par rapport aux contrats d'assurance de protection juridique. L'article 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, dans sa rédaction issue de cette loi, dispose en effet qu'elle « n'est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge au titre d'un contrat d'assurance de protection juridique ou d'un système de protection ». La protection juridique de nature assurantielle est donc supposée jouer en priorité.

Les contrats proposés sont de nature très diverse et leur tarif varie de 60 à 250 euros par an :

- les contrats d'assurance de protection juridique, au sens strict du terme, qui couvrent les litiges de la vie quotidienne (consommation, travail, immobilier) ;

- les contrats dont l'objet principal n'est pas la protection juridique (assurance multirisques habitation, assurance automobile, assurance scolaire, assurance bancaire...), mais qui comportent des garanties de protection juridique.

En pratique, quand ces contrats sont un accessoire de contrats d'assurance principaux, leurs titulaires n'ont pas forcément conscience d'être couverts et peuvent solliciter l'aide juridictionnelle alors que leurs frais d'avocat pourraient être pris en charge par leur assurance.

Pour rendre le dispositif de subsidiarité plus efficace, l'imprimé de demande d'aide juridictionnelle, sa notice explicative et le formulaire de demande d'intervention de l'assureur ont été actualisés récemment. Néanmoins, la mise en oeuvre de ce dispositif repose sur la déclaration du demandeur et les bureaux d'aide juridictionnelle ne disposent d'aucun moyen pour vérifier que le demandeur ne dispose pas effectivement d'une couverture assurantielle .

Votre mission s'est interrogée sur la possibilité de permettre aux bureaux d'aide juridictionnelle de consulter les assureurs pour vérifier que les déclarations des demandeurs d'aide juridictionnelle sont exactes . Une telle procédure supposerait un enregistrement de l'ensemble des contrats d'assurance de protection juridique existants dans une base unique, sur le modèle de ce que le législateur a prévu pour les contrats d'assurance vie. En effet, les lois n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance, et n° 2007-1775 du 17 décembre 2007 permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés, ont prévu la mise en place d'un dispositif de recherche des contrats d'assurance vie en cas de décès du souscripteur. Ce dispositif est confié à l'association pour la gestion des informations sur le risque en assurance (AGIRA) 352 ( * ) . Il permet notamment à toute personne physique ou morale de s'informer sur l'existence d'une stipulation effectuée à son bénéfice dans une police souscrite par une personne physique dont elle apporte, par tout moyen, la preuve du décès 353 ( * ) .

L'association pour la gestion des informations sur le risque en assurance gère également le fichier des victimes indemnisées (FVI), qui a pour objet de recenser les indemnités allouées aux victimes d'accidents de la circulation dans le cadre de décisions prises soit par accord transactionnel, soit par voie judiciaire, permettant ainsi de connaître, pour des situations comparables, les indemnités versées aux personnes blessées ou à leurs ayants droit.

Le secteur des assurances étant d'ores et déjà en capacité de recenser l'ensemble des contrats d'assurance vie ou des indemnités allouées aux victimes d'accidents de la circulation, votre mission propose qu' un dispositif similaire soit mis en place pour les contrats d'assurance de protection juridique . Ainsi, les bureaux d'aide juridictionnelle pourraient vérifier directement auprès des assureurs l'existence ou non d'une couverture assurantielle du demandeur d'aide juridictionnelle, favorisant ainsi la mise en oeuvre du principe de subsidiarité .

Proposition n° 111 :

Mener une réflexion complémentaire pour doter les bureaux d'aide juridictionnelle des moyens techniques leur permettant de vérifier auprès des compagnies d'assurance que le demandeur ne bénéficie pas d'une couverture assurantielle.

b) Créer des « contrats responsables » en matière d'assurance de protection juridique

En pratique, même en améliorant la vérification de l'existence de contrats de protection juridique, le principe de subsidiarité restera difficile à faire jouer utilement pour deux raisons.

Comme le relevaient les représentants de la Cour des comptes devant votre mission, le public des bénéficiaires potentiels de l'aide juridictionnelle et celui des détenteurs de tels contrats ne se recoupent qu'assez partiellement .

Par ailleurs, comme l'ont souligné les représentants des assureurs lors de leur audition, ces contrats ne couvrent pas les mêmes domaines que ceux qui donnent lieu à l'attribution de l'aide juridictionnelle . De fait, les contentieux civils représentent 50 % des admissions à l'aide juridictionnelle et les contentieux pénaux 40 %, alors que les contrats de protection juridique ne couvrent pas ces matières. Selon les représentants des assureurs, certains contrats couvrent le divorce par consentement mutuel, mais ils sont rares et relativement onéreux car le divorce ne constitue pas un aléa assurable au sens juridique du terme.

La piste du développement de l'assurance privée pour soulager l'aide juridictionnelle a néanmoins été évoquée à plusieurs reprises lors des auditions menées par votre mission et, notamment, par les représentants de la Cour des comptes, ceux de la Conférence nationale des procureurs de la République ou ceux de l'Union syndicale des magistrats, qui ont également fait valoir que le renforcement du mécanisme assurantiel aurait pour intérêt de favoriser le règlement amiable des litiges. De fait, les représentants des assureurs ont estimé que les affaires portées devant le juge représentaient moins de 30 % du total de leurs interventions, la majorité des litiges bénéficiant d'un règlement amiable, moins onéreux.

Cette piste était esquissée par le rapport du groupe de travail sur les juridictions du XXI e siècle, présidé par M. Didier Marshall, alors premier président de la cour d'appel de Montpellier, dans le cadre des travaux menés sur la « justice du XXI e siècle ». Le groupe de travail estimait que « dans [la] recherche d'un financement [de l'aide juridictionnelle] , les mécanismes de l'assurance ou du contrat devraient également être envisagés ». Lors de son audition par votre mission, M. Didier Marshall a réaffirmé la nécessité d'inclure dans les polices d'assurance de vrais services d'accès à la justice.

Votre mission a donc souhaité engager une réflexion sur la possibilité de créer un nouveau type de contrat d'assurance de protection juridique offrant des garanties correspondant davantage aux besoins des justiciables, en matière de litiges de consommation et de justice familiale notamment .

S'inspirant des « contrats responsables » créés en 2006 en matière de santé, la cotisation à ces nouveaux contrats d'assurance de protection juridique pourrait donner droit à un crédit ou à une réduction d'impôt sur le revenu au bénéfice des assurés, pour inciter au développement de tels contrats.

Les « contrats responsables » en matière de santé

Créés en 2006 et renforcés en 2014, les contrats « responsables et solidaires » ont pour objet d'inciter les assurés à respecter le parcours de soins coordonnés, afin de bénéficier d'une meilleure prise en charge de leurs dépenses de santé. Si l'assuré respecte le parcours de soins, ils permettent notamment la prise en charge du ticket modérateur qui reste à la charge du patient pour un certain nombre d'actes et de médicaments, la prise en charge du forfait journalier hospitalier facturé par les établissements de santé, la couverture de certains dépassements d'honoraires des médecins ayant adhéré au contrat d'accès aux soins, etc.

La souscription de ce type de contrat permet de bénéficier d'avantages fiscaux :

- une exonération de charges sociales pour les cotisations versées par l'employeur dans la limite d'un certain plafond ;

- un taux réduit de taxe sur les conventions d'assurance ;

- pour les travailleurs salariés, une déductibilité de la cotisation de l'impôt sur le revenu.

Lors de leur audition par votre mission, les représentants du ministère de l'économie et des finances ont estimé que mobiliser le secteur concurrentiel des assurances sur de nouvelles matières que celles couvertes actuellement par les assurances de protection juridique était une piste intéressante, même si l'État devait prendre à sa charge une partie des cotisations des assurés.

De même, dans son référé du 23 décembre 2016, la Cour des comptes a estimé que « le recours à l'assurance de protection juridique pourrait [...] constituer le pivot d'un scénario alternatif. Cette orientation mériterait à tout le moins d'être solidement expertisée ».

Proposition n° 112 :

Créer un nouveau type de contrat d'assurance de protection juridique permettant la prise en charge des frais engagés au titre de certains litiges correspondant aux besoins des justiciables et prévoir un avantage fiscal pour inciter à la souscription de tels contrats, sur le modèle des « contrats responsables » qui existent en matière de santé.

4. Développer les outils de maîtrise des frais de justice

Les frais de justice sont définis par l'article R. 91 du code de procédure pénale comme « les dépenses de procédure, à la charge définitive ou provisoire de l'État, qui résultent d'une décision de l'autorité judiciaire ou de celle d'une personne agissant sous sa direction ou son contrôle » 354 ( * ) . Ils recouvrent l'ensemble des dépenses prescrites dans le cadre d'une procédure judiciaire nécessaires à la manifestation de la vérité.

Liste des frais de justice en matière pénale

L'article R. 92 du code de procédure pénale énumère les frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de police :

1. Les frais de translations et des extractions exécutées sur la réquisition de l'autorité judiciaire par les services de la police nationale ou les unités de la gendarmerie nationale ;

2. Les frais d'extradition des prévenus, accusés ou condamnés ; les frais de commission rogatoire et autres frais de procédure pénale en matière internationale ;

3. Les honoraires, émoluments et indemnités accordés aux experts, aux personnes chargées des enquêtes sociales ou de personnalité, aux personnes contribuant au contrôle judiciaire ou au sursis avec mise à l'épreuve, aux médiateurs du procureur de la République, aux délégués du procureur de la République 355 ( * ) , aux interprètes traducteurs, aux administrateurs ad hoc et aux huissiers de justice ;

4. Les indemnités qui peuvent être accordées aux témoins, aux jurés par application des articles R. 123 à R. 146 et aux parties civiles par application des articles 375-1 et 422 ;

5. les frais de mise sous séquestre, ceux de saisie, de garde et de destruction en matière de scellés judiciaires ainsi que, si le condamné ne les a pas payés, les frais d'enlèvement et de garde en fourrière de son véhicule faisant l'objet d'une immobilisation autorisée ou prononcée à titre de peine par l'autorité judiciaire ;

6. Les dépenses diverses de reconstitution, d'exhumation ou de travaux techniques exposés au cours d'une enquête préliminaire ou de flagrant délit, d'une procédure suivie en application des articles 74 à 74-2 ou pour l'instruction d'une affaire, à l'exclusion des dépenses de fonctionnement ;

7. Les frais de transport de corps exposés avant ou après la réalisation d'examens thanatologiques ordonnés dans le cadre d'une enquête judiciaire en application des articles 60,74 et 77-1 ou d'une information judiciaire ;

8. Les frais d'impression mentionnés aux articles R. 210 à R. 212 ainsi que les frais d'impression, d'insertion, de publication et de diffusion audiovisuelle des arrêts, jugements et ordonnances de justice engagés en application de l'article 131-35 du code pénal ;

9. Les frais résultant des actes accomplis par les opérateurs de communications électroniques pour l'exécution des réquisitions judiciaires correspondant à la fourniture des données conservées en application du II de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ; au traitement des demandes d'interceptions ;

10. Les frais de recherche et de délivrance de reproductions de tous documents imprimés ;

11. Les frais de mise en oeuvre des conventions secrètes de moyens ou de prestations de cryptologie engagés en application de l'article 230-1 ;

12. Les frais exposés au cours d'une procédure de révision ou de réexamen d'une décision pénale définitive par un condamné reconnu innocent ainsi que la réparation prévue aux articles 626 et 626-7 ;

13. Les réparations accordées à la suite d'une détention provisoire en application des articles 149 à 150 ;

14. Les frais et dépens mis à la charge de l'État en cas de décision juridictionnelle rectifiant ou interprétant une décision en matière pénale ;

15. Les indemnités accordées en application de l'article 800-2.

Source : code de procédure pénale.

L'État paye l'ensemble des frais de justice. Lorsque ces derniers ne sont pas à sa charge définitive, principalement en matière civile ou commerciale, il peut en poursuivre le recouvrement. Sur un montant global de 550,5 millions d'euros en 2016, les frais de justice en matière pénale représentaient 87 % (soit 478,9 millions d'euros) et les frais de justice en matière civile et commerciale 13 % (soit 71,6 millions d'euros).

a) La maîtrise des frais de justice : un fort enjeu budgétaire

En 2016, les dépenses de frais de justice ont représenté 56,1 % des dépenses hors personnel, en crédits de paiement, du programme budgétaire n° 166 consacré à la justice judiciaire. Dans un contexte budgétaire contraint, cette dépense évolue de manière dynamique, comme le montre le tableau ci-après, au détriment des autres dépenses nécessaires au fonctionnement du service public de la justice.

Évolution des dépenses de frais de justice depuis 2012
(programme n° 166 « Justice judiciaire »)

(en milliers d'euros)

2012

2013

2014

2015

2016

TOTAL FRAIS DE JUSTICE

454,5

473,6

469,6

475,4

550,5

Frais de justice pénale

394,8

416,3

407,4

419,7

478,9

Frais de réquisition des opérateurs de communication électronique

40,5

43,4

42,9

29,1

43,0

Frais de location des matériels d'interception (inclus PNIJ 2016)

26,4

36,3

43,7

50,3

40,6

Frais de géolocalisation

4,2

8,9

10,5

11,1

16,0

Frais d'enquête sociale rapide, d'enquêtes de personnalisées et de contrôle judiciaire

21,2

22,8

22,5

21,1

27,7

Frais d'huissier de justice

13,2

14,6

14,6

14,5

16,7

Honoraires juridiques

48,2

50,1

55,2

56,5

59,2

Dont frais de gardiennage de véhicules

25,7

Dont frais d'enlèvement

3,1

Dont frais de transport de corps

9,8

Dont compositions pénales et/ou mesures alternatives aux poursuites

8,4

Dont médiations

2,6

Autres services et prestations de service (Frais d'interprétariat et de traduction, expertises hors expertises médicales)

50,6

55,0

59,2

61,5

76,4

Dont interprétariat - traduction

49,7

Dont expertises hors médicales

20,5

Frais de jurés, témoins et parties civiles

17,0

17,3

16,5

16,0

16,6

Frais d'analyse génétiques et toxicologiques (circuit centralisé +marché FNAEG)

16,5

17,9

11,6

13,2

11,9

Frais médicaux hors circuit centralisé et FNAEG

137,1

134,4

114,1

128,5

126,3

Dont analyses génétiques

18,1

Dont analyses toxicologiques

21,7

Indemnisations de la détention provisoire

8,1

7,5

9,2

9,5

12,8

Autres frais

11,9

8,1

7,4

8,3

8,6

Charges sociales collaborateurs occasionnels du service public

23,1

Frais de justice civile, commerciale et prud'homale

59,7

57,3

62,2

55,7

71,6

Frais de justice commerciale

40,5

36,0

40,3

36,1

50,7

Dont charges de publicité et publication

5,2

Frais médicaux

6,4

7,7

7,4

6,5

7,3

Frais d'enquêtes sociales

4,7

5,2

4,8

4,7

5,7

Autres frais

8,1

8,4

9,6

8,4

7,9

Source : direction des services judiciaires.

La maîtrise de cette dépense spécifique et multiforme apparaît particulièrement complexe.

En premier lieu, certaines dépenses sont obligatoires : les frais de justice financent, par exemple, les indemnités compensatrices versées aux jurés des cours d'assises, ou encore l'examen médical de toute personne gardée à vue qui le sollicite 356 ( * ) .

De plus, il existe une multiplicité de prescripteurs, qui disposent d'une liberté de prescription plus ou moins grande, à commencer par les officiers de police judiciaire, les magistrats du parquet et les juges d'instruction dans le cadre des enquêtes pénales.

Enfin, ces prescriptions sont motivées par les besoins de l'enquête, c'est-à-dire par la recherche de la vérité. Leur légitimité relève donc d'une forme d'absolu qui peut difficilement être rapportée aux contraintes budgétaires. Dès lors, tout effort de rationalisation de la dépense pourrait être perçu comme une entrave à la réussite d'une procédure et au principe de liberté de prescription. Souvent, des impératifs particuliers sont invoqués pour faire appel à des prestataires qualifiés sans tenir compte des coûts.

Malgré ces freins à une meilleure maîtrise de la dépense des frais de justice, votre mission tient à souligner qu'elle a constaté une forte prise de conscience, tant dans les juridictions qu'au sein de l'administration centrale, sur cette problématique. En juridiction, les magistrats exercent un contrôle de plus en plus étroit sur les dépenses engagées lors des enquêtes, y compris sur celles engagées par les officiers de police judiciaire, en particulier lorsqu'elles représentent des montants significatifs.

Par ailleurs, dans leur appréciation de l'opportunité des poursuites, de plus en plus de magistrats du parquet examinent avec attention les enjeux d'une infraction avant d'engager des dépenses.

b) Un manque de suivi et d'analyse de la dépense des frais de justice

Alors que les frais de justice ont donc bien été identifiés comme une problématique budgétaire spécifique et complexe depuis plusieurs années, l'enveloppe budgétaire qui leur est consacrée en loi de finances souffre pourtant encore d'un défaut d'évaluation et donc de pilotage.

Afin de sensibiliser les acteurs de la dépense en frais de justice, la chancellerie a mis en place en 2010 un bureau des frais de justice et de l'optimisation de la dépense, au sein de la direction des services judiciaires. Reposant sur un réseau de référents pour les frais de justice créé en 2005, ce bureau a pour mission de piloter les projets visant à maîtriser la dépense et de diffuser les bonnes pratiques. Cette action est néanmoins entravée par l'absence d'analyse suffisante de la dépense des frais de justice .

Aucun outil statistique ne permet à ce jour de distinguer les dépenses de frais de justice qui relèvent d'une obligation légale des autres , les dépenses courantes des dépenses exceptionnelles 357 ( * ) , l'origine des prescripteurs ou encore les dépenses tarifées des dépenses non tarifées .

Malgré d'importants efforts financiers, le nouvel outil informatique Chorus 358 ( * ) , qui simplifie les modalités de paiement des prestataires, en les obligeant à déposer leurs mémoires de manière dématérialisée sur un portail unique, aurait également dû permettre aux juridictions de disposer d'outils de pilotage performants. Cette dimension statistique ne s'est néanmoins pas concrétisée dans la réalisation de l'outil, qui permet seulement de connaître le montant des factures enregistrées.

Il semble même que la création de cet outil ait contribué à réduire les données d'analyse disponibles. Dans un rapport de la Cour des comptes d'octobre 2014 359 ( * ) , était soulignée l'autonomie croissante des prescriptions des officiers de police judiciaire, qui représenteraient 60 % des prescriptions en matière pénale. Ces données étaient extraites du logiciel Fraijus , qui enregistrait jusqu'en 2010 toutes les prescriptions, y compris celles des officiers de police judiciaire, logiciel qui a été remplacé par Chorus .

En dépit de sa vocation comptable, le progiciel Chorus ne permet pas de recenser l'ensemble des fournisseurs en raison du paiement en régie d'un tiers des frais de justice. Le détail précis des prestations n'est également pas disponible : seule une globalisation des dépenses par catégorie est possible. Par exemple, les prestations d'interprétation et de traduction sont regroupées.

Votre mission estime en conséquence que la construction d'un réel outil complet de suivi apparaît indispensable pour permettre à la direction des services judiciaires, sous le pilotage du secrétariat général, de proposer des pistes de réforme, d'en mesurer les impacts financiers, d'évaluer les prestations sous un angle qualitatif ou encore d'apprécier le recours éventuel aux marchés passés par la direction des services judiciaires.

Proposition n° 113 :

Développer un outil informatique complet d'analyse et de pilotage des dépenses de frais de justice.

Il apparaît prioritaire d'identifier avec précision les prescripteurs de la dépense des frais de justice et les dépenses qui relèvent d'une obligation légale. En effet, en l'absence d'outil de référence, les enquêteurs et les magistrats se renvoient mutuellement la responsabilité d'un dérapage budgétaire des frais de justice sans qu'un constat puisse être objectivé.

Un outil d'évaluation exhaustive de la dépense permettrait aussi de prioriser les réformes d'optimisation . Ainsi, le projet de plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) a été conçu après que le budget conséquent versé aux opérateurs téléphoniques a été constaté et objectivé. En 2014, deux opérateurs téléphoniques figurent toujours dans la liste des six principaux fournisseurs de la justice en prestations de frais de justice.

La plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ)

Votre mission s'est déplacée à Élancourt (Yvelines), dans les locaux de la société Thalès qui hébergent la plateforme nationale des interceptions judiciaires.

Avant la mise en oeuvre de la plate-forme, les dispositifs d'interception téléphonique reposaient sur un système hétérogène et décentralisé : via six entreprises privées, des centrales d'écoutes étaient louées et installées dans les locaux de la police pour un montant de 45 millions d'euros (2013). Quant aux réquisitions des données de connexion et aux interceptions de communications électroniques, elles étaient directement réalisées par l'enquêteur auprès de l'opérateur de communications électroniques, du fournisseur d'accès à Internet ou à l'hébergeur. Une centralisation était néanmoins opérée pour les SMS, au sein du système de transmission d'interceptions judiciaires (STIJ), dont le décret sera abrogé six mois après l'entrée en vigueur effective de la PNIJ.

Créée en 2014 360 ( * ) , la PNIJ doit permettre de faire face aux évolutions technologiques des communications électroniques, mais aussi de rationaliser les coûts en matière de frais de justice résultant des réquisitions adressées aux opérateurs de télécommunications et aux sociétés privées de location de centrales d'écoute.

La PNIJ agit en qualité de tiers de confiance centralisé, situé entre les opérateurs et les officiers de police judiciaire et agents de la douane judiciaire, respectant ainsi le secret de l'enquête et de l'instruction, pour l'exécution des réquisitions judiciaires concernant tant la géolocalisation, les factures téléphoniques détaillées, les données de connexion, les écoutes téléphoniques ou les interceptions de correspondances électroniques.

Tout en assurant la fiabilité, l'authenticité et la confidentialité des informations recueillies et en dématérialisant les scellés des données, la plate-forme a permis de diminuer le montant des frais de justice consacrés aux réquisitions judiciaires en matière de communications électroniques, en supprimant les coûts supportés par la location de lignes de renvoi, de réseaux intermédiaires de distribution et de centrales d'écoutes et d'instaurer un nouveau circuit de paiement des mémoires de frais, permettant de décharger les juridictions.

D'un point de vue budgétaire, pour le ministère de la justice, la PNIJ doit générer d'importantes économies budgétaires en matière de frais de justice. Dans la loi de finances pour 2017, le ministère attend 35 millions d'euros d'économies à ce titre, montant très surestimé compte tenu des difficultés rencontrées dans la montée en régime de la PNIJ. En effet, les économies pour 2015 seraient in fine de seulement 1 million d'euros contre 7,5 millions d'euros initialement attendus et de 12 millions d'euros seulement pour 2016, au lieu des 25 millions attendus. Pour mémoire, en 2015, 90 millions d'euros de frais de justice avaient été consacrés aux interceptions judiciaires et l'enveloppe dédiée aux frais de justice dans la loi de finances pour 2017 est d'environ 470 millions d'euros.

Source : commission des lois du Sénat.

Une analyse fine, signalant les prestations pouvant être standardisées, permettrait la réalisation de référentiels ou d'études comparatives de prix qui aideraient les juridictions dans leurs négociations. L'approche par fournisseur permettrait également de développer le lancement de marchés publics nationaux ou pour le ressort d'une cour d'appel ou d'une juridiction.

Dans un rapport d'avril 2015 consacré à la revue des dépenses sur les frais de justice, le contrôle général économique et financier et l'inspection générale des services judiciaires recommandaient conjointement de modifier l'article 23 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires pour leur faire obligation de fournir un rapport d'activité mentionnant, entre autres, les typologies de prescriptions et l'évolution de ces dernières, au-delà d'un seuil de dépense de 500 000 euros. A ce jour, le décret n'a toujours pas été modifié.

Enfin, s'il est indispensable que le ministère pilote les réformes de maîtrise des frais de justice, il apparaît tout aussi nécessaire de renforcer la connaissance par les juridictions de leurs dépenses en frais de justice . Un certain nombre de dépenses sont directement prises en charge par les services centraux du ministère et n'apparaissent pas dans les outils de pilotage des juridictions. Votre mission recommande la mise en place d'un outil centralisé qui permettrait des restitutions régulières des dépenses au profit de chaque juridiction mais également d'outils de pilotage de proximité, au sein des juridictions. À l'instar de la PNIJ qui affiche le coût de chaque prestation avant son ordonnancement, une typologie des coûts de toute prestation financée par les frais de justice permettrait d'éclairer le choix de tous les ordonnateurs de celles-ci.

Proposition n° 114 :

Mieux informer les enquêteurs et les magistrats sur les coûts des frais de justice.

En l'absence d'un outil exhaustif de suivi des frais de justice, le bureau des frais de justice de la direction des services judiciaires a néanmoins engagé une démarche dite de « sourcing achat » qui, par des rencontres avec les experts judiciaires et les prestataires, vise à mieux comprendre la dépense pour rechercher son optimisation. Ces travaux menés en 2016 ont par exemple permis de moderniser les modalités de fixation des tarifs des expertises prescrites dans le domaine de la médecine légale, de la psychologie légale, de la toxicologie, de la biologie et de la radiologie, notamment en fixant des tarifs maximaux 361 ( * ) et en précisant sous quelles conditions (complexité, ampleur ou durée de la procédure) une rémunération au-delà du plafond pourrait être versée sur présentation d'un devis.

c) Agir sur le choix des prestataires

La dépense en frais de justice obéit à un régime juridique particulier. Ne revêtant pas un caractère contractuel, mais relevant d'une décision unilatérale d'un magistrat ou d'un officier de police judiciaire, la prescription des frais de justice n'est pas soumise aux règles de la commande publique.

Il existe cependant des prestations tarifées dont le tarif est déterminé par voie réglementaire 362 ( * ) : dans ces hypothèses, il n'apparaît pas possible de passer des marchés ou de négocier les prix. Pour les prestations non tarifées, il est possible d'introduire des éléments de contractualisation (négociation, passation de marchés, etc.).

Si la liberté de prescription semble intangible pour les magistrats, votre mission considère qu'elle n'est pas incompatible avec la possibilité d'agir sur le choix du prestataire et sur le montant du devis. De nombreuses actions ont été entreprises par la direction des services judiciaires, avec la passation de plusieurs marchés publics : par exemple, plusieurs conventions avec la SNCF et Air France ont été conclues pour les transfèrements et deux accords-cadres pour les analyses génétiques ont également été conclus, avec des prestations pour la période 2016-2020.

Pour les marchés passés localement par les services administratifs régionaux des cours d'appel, la direction des services judiciaires a établi un modèle contractuel afin de normaliser la dépense.

Votre mission encourage à poursuivre la politique de mise en place des marchés publics ministériels et locaux, source d'économies, de façon à ce que davantage de prestations soient couvertes par des marchés. Néanmoins, cet axe de réforme ne pourra se développer sans une analyse fine des besoins.

Ainsi, depuis 2015, la direction des services judiciaires analyse les besoins en termes d'expertises informatiques, de plus en plus utilisées et dont le coût est estimé entre 3 et 5 millions d'euros. Actuellement, ces travaux n'ont pas encore permis d'établir une typologie exhaustive des besoins et des prestations réalisées, permettant de distinguer des prestations « standard » ni de chiffrer les éventuelles économies envisageables.

Proposition n° 115 :

Poursuivre la politique de passation de marchés publics, au niveau ministériel et local.

Le bureau des frais de justice de la direction des services judiciaires a mis en place une cellule d'appui et d'aide à la prescription en matière de frais de justice, qui est à la disposition des magistrats prescripteurs. En cas d'expertises coûteuses, complexes ou sensibles, cette cellule peut analyser les devis produits, mais également rechercher d'autres prestataires afin de faire jouer la concurrence, dans le respect de la liberté de prescription du magistrat et d'une qualité de prestation équivalente.

La mise en concurrence et, plus généralement, le recours aux règles de la commande publique doivent être un des axes majeurs de l'optimisation de la dépense.

Cependant, votre mission considère également qu'aucune source d'optimisation ne doit être écartée. Ainsi, une expérimentation de salariat de prestataires de la traduction et de l'interprétariat est actuellement en cours. Ces initiatives doivent être encouragées localement et expérimentées pour d'autres prestations. Constatant le fort recours aux expertises informatiques dans le cadre des enquêtes pénales, votre mission encourage la direction des services judiciaires à poursuivre sa démarche, notamment de « sourcing achat ». Au-delà de la détermination de prestations « standard » pouvant être mises en concurrence, les juridictions de grande taille et les cours d'appel pourraient réaliser des économies par le salariat d'un expert informatique à temps plein.

Proposition n° 116 :

Poursuivre la politique d'internalisation au sein des juridictions de certaines compétences (traduction, interprétariat, expertise informatique...).

d) Lier la maîtrise des frais de justice à la définition des politiques pénales

Entendus par votre mission, les représentants de la conférence nationale des procureurs généraux ont rappelé que la maîtrise des frais de justice est étroitement liée à la définition des politiques pénales.

Comme souligné précédemment 363 ( * ) , les réformes de procédure pénale adoptées ne font que trop rarement l'objet d'une réelle évaluation financière. Le procureur de la République de Paris soulignait ainsi que, dans le cadre du plan national de lutte contre le terrorisme, les possibilités de recourir à certaines techniques d'investigation ont été élargies 364 ( * ) : ainsi, dans le cadre de certaines enquêtes préliminaires, il pourrait être fait recours aux dispositifs d' IMSI catcher 365 ( * ) , ou de logiciel type keylogger 366 ( * ) . Néanmoins, ces dispositifs ont un coût qui n'a pas été évalué. Or, le recours à ces techniques d'investigation est encouragé dans le cadre des circulaires de politique pénale de lutte contre le terrorisme.

Aussi votre mission propose-t-elle de prévoir que chaque circulaire de politique pénale soit accompagnée d'une étude d'impact budgétaire en termes de frais de justice afin que chaque priorité définie soit accompagnée des moyens nécessaires de façon plus transparente.

Proposition n° 117 :

Assortir les circulaires de politique pénale d'une étude d'impact en termes de frais de justice.

Enfin, il convient de souligner le rôle des magistrats dans la conduite des enquêtes pénales : il leur appartient de veiller à la bonne utilisation de ces crédits budgétaires.

Votre mission a pu constater les efforts volontaristes très importants de certaines juridictions. Par exemple, certains parquets ont diffusé des notes détaillant précisément à la fois leur politique pénale locale et leur nécessaire traduction en termes de frais de justice. Ainsi, certaines techniques d'enquête ne peuvent être utilisées que pour certains contentieux énumérés. De même, des consignes peuvent être données sur les saisies afin d'éviter, par exemple, un nombre important de véhicules en gardiennage, qui coûtent cher alors même que leur valeur monétaire est faible.

Enfin, dans certains ressorts, le procureur de la République a pu définir un seuil de frais de justice au-delà duquel l'enquêteur doit recueillir l'accord exprès du magistrat. Il a été rapporté à votre mission que ces consignes sont appliquées de manière hétérogène par les enquêteurs. Une convention avec le ministère de l'intérieur pour maîtriser les frais de justice et sensibiliser les enquêteurs pourrait être expérimentée : en cas de dépassement du plafond de frais de justice déterminé par le procureur de la République et en l'absence d'accord exprès préalable du magistrat, les frais de justice seraient récupérés sur le budget du ministère de l'intérieur.

Proposition n° 118 :

Améliorer la coordination entre magistrats et services d'enquête en matière de contrôle et de prescription des frais de justice et renforcer la responsabilité budgétaire des services d'enquête.

L'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués

Créée par la loi du 9 juillet 2010, l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) a pour mission d'assurer la gestion de toutes les sommes d'argent saisies et de tous les biens saisis, confisqués ou faisant l'objet d'une mesure conservatoire au cours d'une procédure pénale, qui lui sont confiés et qui nécessitent, pour leur conservation ou leur valorisation, des actes d'administration. Elle a plus généralement pour mission d'apporter une aide aux juridictions pour faciliter les saisies et confiscations.

Composée d'une trentaine de personnes, l'agence apparaît comme une structure compétente, efficace et réactive aux sollicitations des juridictions alors même qu'elle fait face à une forte augmentation des confiscations.

Principalement financée par les intérêts des sommes saisies et par le produit des confiscations prononcées, l'AGRASC doit veiller à l'abondement de plusieurs fonds, tout en réalisant des prélèvements sur son fonds de roulement pour financer des actions de politique pénale. Cet éparpillement des mécanismes d'attribution d'excédents de l'agence, critiqué par la Cour des comptes, est contraire aux principes d'unité et d'universalité budgétaire et nuit au contrôle budgétaire exercé par le Parlement 367 ( * ) .


* 317 Prévu par les articles 131-3, 131-5-1 et 131-16 du code pénal.

* 318 Aide juridictionnelle : le temps de la décision . Rapport d'information n° 680 (2013-2014) de Melle Sophie Joissains et M. Jacques Mézard, fait au nom de la commission des lois, déposé le 2 juillet 2014. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-680-notice.html

* 319 Financement et gouvernance de l'aide juridictionnelle : à la croisée des fondamentaux - Analyse et propositions d'aboutissement . Rapport de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, septembre 2014. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/144000610.pdf

* 320 Initialement, le projet de loi de finances prévoyait la suppression de la modulation du barème d'indemnisation des avocats rétribués à l'aide juridictionnelle (l'unité de valeur variant de 22,50 euros à 25 euros), au profit d'un montant unique valable pour tout le territoire, fixé à 22,84 euros. Cette dernière mesure avait été fortement contestée par le Conseil national des barreaux, ce qui avait conduit à son retrait du texte.

* 321 Parallèlement aux dispositions concernant le financement de l'aide juridictionnelle, cette loi a revalorisé l'unité de valeur servant à calculer la rétribution de l'avocat de 22,5 à 26,5 euros, avec une majoration possible pouvant aller jusqu'à 28,5 euros en fonction de la zone géographique concernée, et a relevé le plafond d'admission à l'aide juridictionnelle de 941 à 1 000 euros.

* 322 Cette loi a également revalorisé l'unité de valeur à 32 euros.

* 323 La gestion et le financement de l'aide juridictionnelle et des autres interventions de l'avocat , référé du 23 décembre 2016 adressé par le Premier président de la Cour des comptes au garde des sceaux, ministre de la justice, page 3. Ce document est consultable à l'adresse suivante :

http://www.ccomptes.fr/content/download/99825/2264790/version/1/file/20170320-refere-S2016-4074-gestion-financement-aide-juridictionnelle.pdf

* 324 Rapport pour avis n° 146 (2016-2017) de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi de finances pour 2017, page 40. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/a16-146-9/a16-146-91.pdf

* 325 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015 sur la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (cons. 48 à 52) et décision n° 2016-743 DC du 29 décembre 2016, loi de finances rectificative pour 2016 (cons. 23 à 29).

* 326 Décret n° 2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel d'accès au droit et à la justice.

* 327 Référé précité, page 4.

* 328 En 2012, les crédits affectés à l'aide juridictionnelle avaient été réduits de 51,5 millions d'euros en raison des ressources extra-budgétaires attendues de la contribution pour l'aide juridique, qui avaient représenté 54 millions d'euros. Or, au final, les dépenses d'aide juridictionnelle avaient représenté 367 millions d'euros, auxquelles se sont ajoutés 15,5 millions d'euros de débit provenant de la trésorerie des caisses autonomes de règlement pécuniaire des avocats. Les ressources budgétaires et extra-budgétaires n'avaient donc pas suffi à couvrir les dépenses d'aide juridictionnelle.

* 329 Exposé des motifs du projet de loi de finances pour 2014, page 16. Ce texte est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/projets/pl1395.pdf

* 330 Selon les données fournies par les services du ministère de la justice dans le cadre de l'examen de la loi de finances pour 2017, le produit de la contribution pour l'aide juridique était d'environ 54 millions d'euros en 2012 et 51 millions d'euros en 2013.

* 331 Voir encadré supra page 252 .

* 332 Rapport n° 146 (2016-2017), pages. 40 et 41. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a16-146-9/a16-146-91.pdf

* 333 Le ticket modérateur est la part des dépenses de santé (consultations, médicaments) qui reste à la charge de l'assuré une fois que l'assurance maladie a remboursé sa part. Le montant de ce ticket varie en fonction de la prestation offerte. Selon le contrat souscrit, la mutuelle du patient peut le prendre en charge, intégralement ou en partie. Le ticket modérateur n'est pas dû par les personnes souffrant d'une affection de longue durée ou par les patients bénéficiaires de la couverture maladie universelle.

* 334 Voir supra page 169 .

* 335 Voir encadré supra page 256 .

* 336 Article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

* 337 Référé précité, page 2.

* 338 Référé précité, page 6.

* 339 Référé précité, page 6.

* 340 Voir supra page 256 .

* 341 Ce courrier est consultable à l'adresse suivante : http://www.ccomptes.fr/content/download/99826/2264800/version/1/file/20170320-refere-S2016-4074-gestion-financement-aide-juridictionnelle-rep-min-justice.pdf

* 342 Article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 précitée.

* 343 Le taux de mise en recouvrement une année donnée est le montant total des sommes mises en recouvrement par les services judiciaires cette année-là, rapporté aux dépenses d'aide juridictionnelle de l'année précédente. Il concerne les sommes mises en recouvrement :

- contre la partie condamnée aux dépens ou qui perd son procès dès lors que celle-ci n'est pas bénéficiaire de l'aide juridictionnelle (article 43 de la loi du 10 juillet 1991),

- ou contre le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle lorsque cette aide lui a été retirée par décision du bureau d'aide juridictionnelle ou de la juridiction saisie (article 50 de la loi du 10 juillet 1991).

* 344 Cet outil permet le suivi et le pilotage des dossiers de recouvrement tout au long de la chaîne de traitement dans les juridictions, les services administratifs régionaux et les pôles Chorus . Il a pour objet d'harmoniser les pratiques entre les cours, d'améliorer le partage des données entre les différents acteurs du processus de recouvrement, et de constituer une base de données pour la transmission trimestrielle d'une synthèse à l'administration centrale.

* 345 Cette condition n'est pas applicable au défendeur à l'action, à la personne civilement responsable, au témoin assisté, à la personne mise en examen, au prévenu, à l'accusé, au condamné et à la personne faisant l'objet de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

* 346 Article 7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

* 347 Rapport sur les professions du droit, mars 2009. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rap_com_darrois_20090408.pdf

* 348 Voir infra page 272 .

* 349 Voir supra page 163 .

* 350 Référé précité, page 5.

* 351 Voir supra page 268 .

* 352 L'AGIRA regroupe les sociétés d'assurance exerçant sur le marché français et les organisations professionnelles intervenant dans ce secteur.

* 353 Article L. 132-9-2 du code des assurances.

* 354 En application du décret n° 2013-770 du 26 août 2013, les frais de justice en matière pénale sont limitativement énumérés à l'article R. 92 du code de procédure pénale et les frais de justice civils et commerciaux sont énumérés à l'article R. 93 du code de procédure pénale.

* 355 Missions limitées : délégués du procureur de la République chargés d'une des missions prévues aux 1°, 2°, 3°, 4° et 6° de l'article 41-1 du code de procédure pénale ou intervenant au cours d'une procédure de composition pénale ou pour la notification d'une ordonnance pénale.

* 356 En application de l'article 63-1 du code de procédure pénale.

* 357 Par exemple, les procès comportant beaucoup de parties civiles - AZF, Bugaled Breizh, etc. - ou très médiatiques.

* 358 Généralisé, en application du décret n° 2016-479 du 18 avril 2016 relatif au traitement des états et mémoires des frais de justice, pour assurer le règlement des prestataires de frais de justice. Selon l'arrêté du 9 mars 2017 modifiant l'arrêté du 17 avril 2014 portant création d'un téléservice dénommé « Chorus Portail Pro » permettant la gestion des mémoires de justice, Chorus Portail Pro a pour finalité de permettre aux déposants de factures, de mémoires de frais de justice ou de demandes de remboursement de taxes sur les carburants, de créer et d'administrer leur compte sur l'application, de saisir ou de déposer des factures, des mémoires de justice ou des demandes de remboursement, ainsi que d'y ajouter le cas échéant des pièces jointes. Il permet également aux déposants de suivre l'avancement du traitement de leurs dossiers.

* 359 Ce rapport est disponible à l'adresse suivante :

https://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Les-frais-de-justice-depuis-2011

* 360 En application du décret n° 2014-1162 du 9 octobre 2014 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Plate-forme nationale des interceptions judiciaires ».

* 361 Par le décret n° 2017-248 du 27 février 2017 relatif aux modalités de fixation des tarifs des actes prescrits dans le domaine de la médecine légale, de la psychologie légale, de la toxicologie, de la biologie et de la radiologie et relevant des frais de justice.

* 362 En matière pénale, par exemple, les expertises psychiatriques sont tarifées selon le 9° ou 10° de l'article R. 117 du code de procédure pénale, les expertises médico-psychologiques pratiquées par un médecin selon le 7° de l'article R. 117.

* 363 Voir supra page 111 .

* 364 Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.

* 365 L'International Mobile Subscriber Identity (IMSI) constitue le numéro d'identification de la carte SIM du téléphone mobile.

* 366 Un enregistreur de frappe (dit keylogger ) peut être contenu dans un programme type « cheval de Troie ».

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