C. CONTRÔLER L'EFFICACITÉ DES LOIS MISES EN OEUVRE

L'amélioration de l'environnement administratif des entreprises repose non seulement sur de meilleures modalités d'élaboration des lois mais également sur une meilleure évaluation de leur mise en oeuvre.

1. Améliorer le contrôle du législateur sur la proportionnalité et l'adéquation des règlements d'application au regard de la loi

Si une meilleure qualité de la loi contribuerait à simplifier le maquis administratif dans lequel évoluent les entreprises, il convient que la loi ne se trouve pas dénaturée ensuite par les règlements pris pour son application.

Il n'est pas rare en effet que les décrets d'application d'une loi viennent compliquer sa mise en oeuvre au point de remettre en cause l'esprit de la loi. On a ainsi pu constater l'effet très négatif sur le développement de l'apprentissage en entreprise du décret 195 ( * ) d'octobre 2013 interdisant les travaux dangereux pour les apprentis mineurs avec une sévérité jugée absurde par les entreprises. Le Gouvernement avait dû revenir dessus (cf. supra 196 ( * ) ) deux ans plus tard, mais ce coup de frein donné à l'apprentissage a laissé des traces.

Deux exemples récents en ont encore apporté une illustration : le premier concerne la mise en oeuvre de la loi du 20 janvier 2014 197 ( * ) qui a créé le compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP). Au titre de la loi, tout salarié du secteur privé ou d'une personne publique employé dans les conditions du droit privé acquiert des droits au titre de ce compte en fonction de son exposition, dans le cadre de son travail, à l'un des dix facteurs de risques professionnels définis par décret et identifiés comme ayant des conséquences sur la qualité et l'espérance de vie en bonne santé à la retraite. Une fiche individuelle doit être renseignée chaque année par l'employeur, retraçant l'exposition de chaque salarié aux facteurs de risques professionnels, et déclarée à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav).

Comme l'a dénoncé la commission spéciale du Sénat 198 ( * ) sur le projet de loi dit « Macron », les modalités d'application de la loi ont induit des tâches bureaucratiques que la très grande majorité des entreprises, surtout de petite ou moyenne taille, ne sont pas en capacité de remplir : un décret du 9 octobre 2014 est venu définir les seuils d'exposition aux dix facteurs de pénibilité retenus, alors que seuls quatre d'entre eux (le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif et les activités exercées en milieu hyperbare) entraient en vigueur le 1 er janvier 2015. La commission spéciale, exprimant dans son rapport le ressenti des entreprises confirmé par les rencontres effectuées par votre délégation dans ses divers déplacements dans les territoires, a jugé « proprement ubuesques » les critères de mesure choisis pour certains des six restants : « Il en va ainsi des postures pénibles, définies comme positions forcées des articulations, qui relèvent du CPPP si, pendant au moins 900 heures par an, un salarié a maintenu ses bras « en l'air à une hauteur située au-dessus des épaules » ou s'est trouvé dans des « positions accroupies ou à genoux ou [des] positions du torse en torsion à 30 degrés ou [des] positions du torse fléchi à 45 degrés » ». Le gouvernement a dû revenir en arrière en modifiant ces dispositions « ubuesques » dans la loi dite « Rebsamen » 199 ( * ) .

Le texte réglementaire pris en application de la loi de 2014 a donc tellement compliqué sa mise en oeuvre qu'il a fallu à nouveau légiférer.

La distance que prend parfois le Gouvernement, à travers les décrets, à l'égard de l'intention du législateur est également frappante dans le cas du décret pris en application de l'article 52 de la loi dite « Macron » 200 ( * ) visant à introduire davantage de concurrence au sein de la profession de notaires : le décret pris par le Garde des Sceaux le 9 novembre 2016 201 ( * ) autorise les notaires déjà installés à se porter candidats pour l'attribution de nouveaux offices, réduisant à néant l'esprit de la loi. Le 15 décembre 2016, un recours pour excès de pouvoir a été introduit devant le Conseil d'État par un requérant ayant le diplôme de notaire pour obtenir l'annulation de ce décret. Il est trop tôt pour savoir si le Conseil d'État, dans le cadre de son contrôle de légalité, sanctionnera une violation de la loi en l'espèce.

Devant de tels dévoiements de sa volonté, le législateur se trouve aujourd'hui impuissant . Lors de son contrôle sur la loi organique de 2009, le Conseil constitutionnel a censuré 202 ( * ) une disposition qui prévoyait que la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires, leurs orientations principales et le délai prévu de leur publication devaient figurer dans l'étude d'impact d'un projet de loi. Vos rapporteurs se sont donc interrogés sur les moyens susceptibles de redonner au législateur un certain contrôle sur l'exécution de la loi.

Une solution, déjà mise en oeuvre quoique rarement, serait de systématiser l'association de parlementaires , par exemple, les rapporteurs de la loi et un membre de l'opposition de chacune des chambres, à l'élaboration des textes pris pour son application . Cette bonne pratique mériterait d'être généralisée.

Vos rapporteurs ont aussi considéré avec intérêt une option plus lourde, évoquée dans le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'inflation législative, mais dans une autre perspective, qui était alors celle d'accélérer l'adoption des décrets d'application des lois : il s'agirait de reconnaître au président de chaque assemblée ou à soixante parlementaires le droit de saisir le Conseil d'État (en référé). En l'espèce, la saisine consisterait en un recours en excès de pouvoir sur le défaut de proportionnalité ou l'inadéquation d'un règlement d'application au regard de la loi 203 ( * ) .

Même si l'intérêt à agir du Parlement devant le Conseil d'État reste débattu par la doctrine 204 ( * ) , une telle procédure permettrait au Parlement, alerté par des entreprises par exemple, d'obtenir le respect de la volonté du législateur. En apportant cette sécurité au législateur, elle pourrait aussi diminuer sa défiance à l'égard du pouvoir réglementaire et donc sa tentation d'empiéter sur le pouvoir réglementaire, favorisant ainsi le respect de l'article 41 de la Constitution qui rend irrecevable tout amendement qui n'est pas du domaine de la loi. Il reste à mener un examen plus approfondi de la faisabilité 205 ( * ) et de l'opportunité d'une telle innovation juridique , qui présenterait l'inconvénient de judiciariser les rapports entre le législatif et l'exécutif pour asseoir la primauté du premier sur le second.

Proposition n° 26 : examiner les moyens susceptibles d'améliorer le contrôle du législateur sur la proportionnalité et l'adéquation des règlements d'application au regard de la loi

2. Développer l'évaluation ex post des lois

Si la loi organique de 2009 soumet le Gouvernement à une obligation d'étude d'impact pour chaque projet de loi, elle ne le contraint pas à une évaluation rétrospective permettant d'apprécier, au regard de l'étude d'impact, les effets réellement produits par la loi. L'article 24 de la Constitution confie au Parlement le soin de contrôler l'action du Gouvernement et d'évaluer les politiques publiques. Le Parlement exerce cette mission aujourd'hui sans pouvoir prendre appui sur l'étude d'impact ex ante , et en veillant prioritairement à l'application effective de la loi plutôt qu'à l'évaluation de son efficacité.

Dans le prolongement des conclusions de sa mission d'information sur l'inflation législative rendues en octobre 2014, l'Assemblée nationale a complété sur ce point son Règlement en y introduisant un nouvel alinéa à l'article 145-7 qui dispose « qu'à l'issue d'un délai de trois ans suivant l'entrée en vigueur d'une loi, deux députés, dont l'un appartient à un groupe d'opposition, présentent à la commission compétente un rapport d'évaluation sur l'impact de cette loi (...), au regard des critères d'évaluation définis dans l'étude d'impact préalable ». Ces rapports d'évaluation peuvent donner lieu à un débat en séance publique. Toutefois, ces nouvelles dispositions ne se sont pas accompagnées d'un renforcement des moyens de l'Assemblée permettant de les rendre effectives.

Votre délégation soutient elle aussi la nécessité de mieux articuler à l'avenir l'étude d'impact préalable enrichie selon ses préconisations et les évaluations ex post qui restent à développer . Le Parlement peut se faire assister dans l'évaluation des lois par la Cour des comptes , au titre de l'article 47-2 de la Constitution 206 ( * ) . Les compétences et moyens dont il se sera doté pour évaluer voire réaliser des études d'impact préalables seront également utiles pour préciser la méthodologie d'évaluation ex post des lois, sous l'angle aussi bien juridique qu'économique, ou même réaliser de telles évaluations. D'autres acteurs peuvent contribuer aussi à ces évaluations, qu'il s'agisse des corps d'inspection et de contrôle de l'exécutif, des juridictions suprêmes, de France Stratégie ou du Conseil économique et social.

La loi pourrait prévoir de telles évaluations avant l'expiration d'un délai de trois à cinq ans, afin de permettre ensuite de préparer son amélioration pour accroître l'adéquation entre les résultats de la loi et les effets recherchés. Ces études auraient vocation à nourrir l'action du Gouvernement et les prochaines études d'impact qu'il devrait fournir pour ajuster la loi ainsi évaluée.

Proposition n° 27 : développer l'évaluation ex post des lois et transmettre ces études au Gouvernement et au Conseil de la simplification pour les entreprises pour nourrir les études d'impact ex ante

Afin d'ancrer l'évaluation ex post dans l'agenda parlementaire, il conviendrait aussi de programmer du temps dédié en commission pour évaluer l'efficacité des lois.

Proposition n° 28 : programmer du temps dédié en commission pour évaluer l'efficacité des lois


* 195 Décret n° 2013-915 du 11 octobre 2013.

* 196 III du chapitre I.

* 197 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.

* 198 Rapport n° 370 (2014-2015) sur le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques par Mmes Catherine DEROCHE, Dominique ESTROSI SASSONE et M. François PILLET au nom de la commission spéciale, déposé le 25 mars 2015.

* 199 Articles 28 et 29 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

* 200 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

* 201 Décret n° 2016-1509 du 9 novembre 2016 relatif aux sociétés constituées pour l'exercice de la profession de notaire.

* 202 Au motif qu'il s'agirait d'une injonction au Gouvernement dans son domaine de compétence exclusif.

* 203 Pour le cas où le Parlement constaterait que les décrets attendus n'ont pas été publiés, la saisine du Conseil d'État consisterait en une action en manquement.

* 204 Cf. p. 146 du rapport n°2268 de l'Assemblée nationale, déjà cité.

* 205 Notamment, la question du vecteur normatif approprié pour créer un tel droit reste ouverte.

* 206 « La Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l'action du Gouvernement. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances et de l'application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l'évaluation des politiques publiques. »

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