B. UNE IMPULSION PARALLÈLE DANS LES INSTITUTIONS EUROPÉENNES

Les institutions européennes prennent néanmoins déjà part au mouvement de simplification initié dans plusieurs États membres. Elles mènent, depuis les années deux mille, des actions pour améliorer la qualité de la législation européenne : le premier accord interinstitutionnel européen sur la question remonte au 16 décembre 2003. Mais le faible taux de participation aux élections européennes de 2014 (42 % contre 62 % en 1979) a manifesté une désaffection des citoyens pour le projet européen et conduit à donner un nouvel élan à la politique d'amélioration de la législation.

Dans ses orientations politiques de 2014, qui ont servi de fondement à son élection par le Parlement européen, le président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, a ainsi déclaré : « Je veux une Union européenne plus grande et plus ambitieuse pour les grands enjeux, plus petite et plus modeste pour les questions de moindre importance ». Devenu président de la Commission européenne en 2014, M. Jean-Claude Juncker a nommé M. Frans Timmermans au poste de premier vice-président de la Commission, chargé de l'amélioration de la réglementation.

1. L'accord interinstitutionnel pour « Mieux légiférer » d'avril 2016

La Commission a alors proposé un nouvel accord interinstitutionnel relatif à l'amélioration de la réglementation, conclu entre le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne le 13 avril 2016 .

Cet accord rappelle d'abord la nécessité de respecter les principes généraux du droit de l'Union, que sont notamment le principe de subsidiarité (l'UE ne peut intervenir dans les domaines de compétences partagées que si et dans la mesure où elle peut agir plus efficacement que les États membres à leurs échelons national ou local) et le principe de proportionnalité (le contenu et la forme de l'action de l'UE ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire à la concrétisation des objectifs des traités), ainsi que la responsabilité des trois institutions d'élaborer une législation de qualité.

Il vise ensuite à poursuivre le processus de simplification de la législation de l'UE et de réduction des charges réglementaires en privilégiant le recours à l'harmonisation, à la reconnaissance mutuelle et à la refonte des actes juridiques. Les institutions s'engagent aussi à s'accorder sur le programme de travail annuel et pluriannuel en échangeant sur les principaux objectifs politiques pour la durée du mandat de la Commission, à recourir à des analyses d'impact régulières, à effectuer des consultations publiques, et à procéder à l'évaluation ex post de la législation existante.

2. Un visible reflux de la production normative européenne, assortie de consultations et d'études d'impact préalables

C'est dans cette optique que la Commission européenne a lancé dès 2007 le programme REFIT (acronyme anglais pour « réglementation affûtée ») destiné à simplifier la législation existante. Ce programme consiste à évaluer l'acquis réglementaire et adopter, le cas échéant, les mesures correctives nécessaires. Depuis le lancement de ce programme, ont été recensées 200 mesures d'abrogations, de modifications ou de bilans de qualité (évaluant l'adéquation entre la réglementation et ses objectifs). Dans le même temps, le corpus législatif européen a aussi été réduit par la suppression de 32 actes législatifs obsolètes. Il est prévu d'abroger encore 16 actes législatifs en 2017 .

Sous l'impulsion du président Juncker, la Commission a créé en 2015 la plateforme REFIT, qui doit permettre d'aider au dialogue avec les États membres et parties prenantes sur les moyens d'améliorer la législation européenne existante ou en préparation. La plateforme réunit des experts des 28 États membres, du Comité économique et social européen et du Comité des régions, ainsi que des représentants des entreprises, des partenaires sociaux et de la société civile. Un site web spécifique permet aux parties intéressées de se prononcer sur l'incidence des règles européennes ou de proposer des moyens de les améliorer. La plateforme examine les contributions reçues et avait, à la fin du premier semestre 2016, formulé 17 avis auxquels la Commission s'est engagée à donner un suivi public. M. Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne, rencontré à Bruxelles le 20 octobre 2016, a souligné que la plateforme REFIT était en prise directe avec le collège des commissaires via le vice-président Timmermans, ce qui lui assurait un écho plus grand que celui qu'a connu son ancêtre, le groupe Stoiber, groupe de haut niveau créé en 2007 pour réduire la bureaucratie, qui était placé auprès d'un seul commissaire.

Il est difficile de mesurer la réduction effective de la charge bureaucratique résultant de ces initiatives, d'autant que Bruxelles n'a pas chiffré au préalable le niveau des charges à réduire et ne s'est pas encore fixé d'objectifs en la matière. M. Antoine Colombani, membre français du cabinet du vice-président Timmermans, a indiqué aux membres de votre délégation qui l'ont rencontré à Bruxelles, qu'un tel objectif général serait en fait délicat à fixer au seul échelon européen. En effet, l'adoption d'une norme européenne peut entraîner la suppression de 28 normes nationales, si bien que le coût résultant de cette nouvelle norme ne peut être considéré isolément de l'économie réalisée parallèlement dans les États membres.

S'il n'est pas sûr que le stock de normes européennes régresse, il est certain que le flux progresse moins vite : la production de nouveaux textes a visiblement été freinée ces dernières années. De fait, la Commission n'a présenté au Parlement européen que 23 nouvelles initiatives pour 2015, alors qu'elle en proposait environ 130 en moyenne dans chaque programme de travail annuel au cours de son mandat précédent (2009-2014). Dans son programme pour 2016, la Commission n'a de nouveau présenté que 23 nouvelles initiatives et pour 2017, seulement 21. Ce recentrage de l'action européenne se voit aussi dans la diminution du nombre des propositions législatives découlant de ces initiatives: en 2011, la Commission proposait 159 textes législatifs, alors qu'elle n'en a proposé que 48 en 2015. En plus, sur ces deux dernières années, la Commission a retiré de la table de négociation 90 textes devenus obsolètes ou qui ne progressaient pas dans le cadre du processus législatif. Elle vient d'annoncer encore 19 retraits de textes pour 2017.

Les graphiques suivants, transmis à vos rapporteurs par le cabinet de M. Timmermans, permettent de visualiser ce reflux de la production de normes européennes, qui concerne surtout les actes législatifs (règlements, directives, actes délégués) mais aussi les décisions et actes d'exécution .

Source : Commission européenne, 2016.

Source : Commission européenne, 2016.

En outre, la Commission fait valoir son souci d'améliorer la législation en écoutant plus attentivement ceux qui vont devoir l'appliquer et de mieux mesurer l'impact de toute proposition de texte en recueillant des données probantes.

D'une part, avant d'adopter une proposition, la Commission procède à de premières consultations publiques sur la feuille de route correspondant à chaque initiative programmée; une fois qu'elle a publié une proposition législative, elle encourage un retour d'information des acteurs concernés pendant une période de huit semaines et met ces éléments à la disposition du Parlement européen et du Conseil pour éclairer le processus législatif 119 ( * ) . Depuis 2010, elle a ainsi procédé à 704 consultations publiques ouvertes. La Commission reconnaît néanmoins qu'elle doit mieux documenter le rendu qu'elle fait des consultations lancées.

D'autre part, la Commission européenne s'est engagée à renforcer les analyses d'impact de ses nouvelles initiatives. Depuis 2003, elle a ainsi préparé 975 analyses d'impact à l'appui de ses propositions. Ces études d'impact sont réalisées par les services de la Commission, même s'ils peuvent s'appuyer sur des études externes privées. Selon M. Jean-Eric Paquet, il faut dix-huit mois environ pour réaliser une étude d'impact.

Un contrôle de qualité des analyses d'impact de la Commission a été mis en place fin 2006 : un Comité d'analyse d'impact a ainsi été créé au sein de la Commission. Depuis le 1 er juillet 2015, le président Juncker l'a remplacé par un Comité d'examen de la réglementation ( Regulatory Scrutiny Board ), dont plusieurs membres de votre délégation ont rencontré la présidente, Mme Anne Bucher. L'objet de ce comité a été élargi : il est chargé de vérifier la qualité des études d'impact, mais aussi d'évaluer les principaux bilans de qualité et évaluations rétrospectives de la législation existante 120 ( * ) . Ces évaluations ex post sont une voie de progrès et ont vocation à nourrir les études d'impact. Mme Bucher a indiqué que certaines de ces évaluations, non encore publiées, révélaient des difficultés de mise en oeuvre de la législation, surtout à l'échelon local.

Par ailleurs, sa composition a changé : le précédent comité comprenait les directeurs de la Commission, et reposait donc sur un jugement entre pairs ; le présent comité compte sept membres, tous nommés par la Commission européenne mais trois sont des experts extérieurs, les autres étant des fonctionnaires issus des services de la Commission 121 ( * ) . Le comité d'examen de la réglementation peut solliciter un conseil ad hoc auprès des services et fonctionnaires de la Commission, ou auprès d'experts externes. Il peut aussi s'appuyer sur le Centre commun de recherche de la Commission : ce centre compte 2 à 3 000 chercheurs couvrant tous les secteurs  et capables de construire des données et d'élaborer des scénarios. Il se trouve de plus en plus impliqué dans les études d'impact.

Le mandat de chaque membre est de 3 ans non renouvelable , ce qui donne une certaine indépendance au comité même s'il reste interne à la Commission. Mme Bucher juge préférable de maintenir ce comité au sein de la Commission car cela lui garantit un accès plus facile aux données internes de la Commission, ce qui est important au regard de la position de cette dernière dans le processus d'élaboration de la norme européenne.

Elle a fait part des difficultés que rencontrait le Comité pour évaluer la qualité des études d'impact : d'abord, la définition des coûts à considérer reste encore sujette à discussion. Il n'y a pas encore d'approche standard au sein de la Commission sur la quantification des coûts : faut-il mesurer les coûts strictement administratifs ou bien, plus largement, les coûts de mise en oeuvre de la réglementation ? Faut-il surveiller les coûts ou la balance coûts/bénéfices ? Par ailleurs, l'Union européenne peine à calculer les coûts, faute de données. En effet, les États membres n'ont pas d'obligation de transmettre à la Commission les données qui permettraient de mesurer les coûts.

Les avis que rend le Comité d'examen de la réglementation doivent vérifier que, conformément aux lignes directrices fixées par la Commission, les études d'impact comportent:


• la description du besoin auquel il est proposé de répondre ;


• une étude d'option avec, le cas échéant, l'indication des motifs pour lesquels le recours à une simple recommandation (« soft law ») a été rejeté ;


• les consultations réalisées et leur teneur ;


• les façons dont les remarques formulées lors des consultations ont été prises en compte par les services à l'origine du projet de texte ;


• le cas échéant, les raisons pour lesquelles les préconisations formulées lors des consultations ont été écartées ;


• les raisons pour lesquelles les TPE ne peuvent pas être exemptées de la nouvelle réglementation envisagée.

Si le comité d'examen de la réglementation rend un avis négatif sur l'étude d'impact, ce qui arrive dans presque la moitié des cas, les services de la Commission peuvent soumettre une nouvelle version. Il est arrivé, il y a deux ans, qu'un second avis négatif soit alors donné. Le collège des commissaires peut décider de s'écarter des recommandations du comité mais, selon M. Paquet, les commissaires sont peu enclins à le faire . Il arrive que les études d'impact fassent l'objet de nombreuses discussions, comme ce fut le cas pour celle relative à la mise en place d'une taxe sur les transactions financières. Tous les avis du comité sont publiés en même temps que l'étude d'impact et la proposition de législation afférente . Le Conseil est d'ailleurs tenu d'examiner l'étude d'impact avant d'entamer la discussion du texte sur le fond.

Certains États membres auraient préféré sortir le comité d'examen de la réglementation de la Commission et le rendre commun à la Commission, au Conseil et au Parlement européen. Toutefois, comme la Commission européenne, le Parlement commence à faire ses propres évaluations . Une Direction générale a été créée à cette fin il y a trois ans au Parlement européen, par agrégation de services existants mais aussi par le recrutement de scientifiques ou d'économistes semi-permanents. Ce service de recherche compte ainsi 340 personnes, dont une centaine de chercheurs. Il rend un avis public sur les études d'impact qui accompagnent les propositions législatives de la Commission ; il peut aussi évaluer les amendements substantiels qui sont déposés durant l'examen législatif de ces propositions 122 ( * ) . Mais cela prend au moins six mois car ces évaluations de l'impact économique des amendements sont externalisées, ce qui n'est possible qu'en raison du rythme spécifique de la procédure législative européenne. Une unité de l'évaluation de l'impact ex post élabore aussi des bases de données exhaustives de la législation nécessitant un suivi. De plus en plus, le service de recherche du Parlement européen évalue la mise en oeuvre des législations en vigueur chaque fois que le programme de travail annuel de la Commission européenne prévoit de la modifier 123 ( * ) . Au total, c'est un budget d'environ 10 millions d'euros que le Parlement européen consacre aux études . Le Conseil des ministres, pour sa part, ne développe pas encore son expertise, bien que l'accord interinstitutionnel d'avril 2016 l'y engage.

Ainsi, vos rapporteurs relèvent que les institutions européennes sont mobilisés pour améliorer la législation. Mais la Commission estime que des progrès sensibles ne pourront être obtenus qu'au prix d'une meilleure articulation entre institutions européennes et États membres . Ne pouvant réaliser systématiquement une étude d'impact pour chaque pays, la Commission invite les États membres à contribuer à leur élaboration. Elle appelle aussi de ses voeux une revue du droit en vigueur, en commun avec chaque État membre. La Commission souhaiterait réunir les administrations et parlements nationaux, ainsi que le Parlement européen pour que chacun prenne sa part de responsabilité dans la nécessaire simplification. L'accord interinstitutionnel invite d'ailleurs les États membres à expliquer à leurs citoyens les exigences supplémentaires ajoutées lors de la transposition des directives en droit national et à en informer la Commission. Sans minimiser la lourdeur de la machine bureaucratique européenne, vos rapporteurs sont convaincus qu'un changement dans la culture législative à l'échelle de l'UE peut se produire si tous les acteurs concernés s'y investissent et jouent leur rôle .


* 119 Il en est de même pour les projets d'actes délégués (actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels d'un acte législatif) et d'actes d'exécution, que prend la Commission pour assurer des conditions uniformes d'exécution des actes juridiquement contraignants de l'Union. Désormais, ces projets d'actes sont eux aussi soumis à consultation pendant quatre semaines.

* 120 Le comité d'examen de la réglementation a examiné 7 évaluations rétrospectives en 2016.

* 121 Les membres du Comité travaillent à temps plein pour le Comité et sont soumis au statut régissant les conditions d'emploi des fonctionnaires de l'Union européenne et au code de bonne conduite administrative de la Commission. Ces textes établissent des règles strictes en matière de déontologie, de confidentialité et de conflit d'intérêts. Les membres recrutés parmi les fonctionnaires de la Commission retournent dans leur direction générale d'origine au terme de la période de trois ans.

* 122 Selon la communication (2016) 615 de la Commission européenne datée du 14 septembre 2016, le Parlement européen a déjà analysé les effets d'une trentaine de modifications législatives substantielles qu'il proposait.

* 123 Ces évaluations reposent sur les informations fournies par les institutions de l'UE et par les gouvernements et les parlements nationaux et recueillies à la suite de consultations externes diverses.

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