N° 433

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 février 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux entreprises (1) relatif aux moyens d' alléger le fardeau administratif des entreprises pour améliorer leur compétitivité ,

Par Mme Élisabeth LAMURE et M. Olivier CADIC,

Sénateurs

La délégation sénatoriale aux entreprises est composée de : Mme Élisabeth Lamure, présidente ; MM. Martial Bourquin, Olivier Cadic, Philippe Dominati, Jérôme Durain, Alain Joyandet, Mmes Hermeline Malherbe, Sophie Primas, M. Dominique Watrin, v ice-présidents ; M. Gilbert Bouchet, Mme Nicole Bricq, M. Serge Dassault, Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Guillaume Arnell, Jacques Bigot, Mme Annick Billon, MM. Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, Michel Canevet, René Danesi, Francis Delattre, Mmes Jacky Deromedi, Frédérique Espagnac, MM. Michel Forissier, Alain Fouché, Jean-Marc Gabouty, Éric Jeansannetas, Antoine Karam, Guy-Dominique Kennel, Mmes Anne-Catherine Loisier, Patricia Morhet-Richaud, MM. Claude Nougein, André Reichardt, Michel Vaspart, Jean-Pierre Vial.

SYNTHÈSE

Depuis sa création en décembre 2014, la délégation sénatoriale aux entreprises a rencontré près de 300 chefs d'entreprises qui, tous, ont dénoncé le poids de l'administratif, ressenti comme l'une des premières entraves au développement de leur entreprise. Le coût de ce fardeau administratif est réel et peut se mesurer en euros (60 Mds selon l'OCDE en 2010) mais aussi en emplois. Sur ce critère du poids de la réglementation, la France est classée 115 ème sur 138 pays par le Forum économique mondial. C'est donc un enjeu économique majeur, à la fois en termes de compétitivité et d'attractivité. De nombreux pays européens l'ont bien compris et s'en sont saisi. La délégation aux entreprises s'est rendue dans certains d'entre eux et se demande si la France a pris la mesure de l'enjeu.

I. SIMPLIFIER POUR LES ENTREPRISES : UNE PRIORITÉ AFFICHÉE EN HAUT LIEU POUR DES RÉSULTATS FINALEMENT MINIMES

1. LA SIMPLIFICATION POUR LES ENTREPRISES : UNE NÉCESSITÉ RECONNUE, DES INITIATIVES NOMBREUSES, MAIS SANS EFFET NOTOIRE

Les entreprises souffrent de l'instabilité du droit, imputable à des lois plus longues et des ordonnances plus nombreuses, et de l'insécurité juridique, due à la prolifération de règlements, aux interprétations diverses qu'en font les administrations et aux revirements jurisprudentiels. Cette courbe donne à voir l'emballement normatif à partir des années 2000, dans le secteur de la chimie.

Source : UIC, 2016

La réglementation d'origine européenne y contribue, d'autant plus que la France resserre elle-même un peu plus l'étau en transposant souvent les directives européennes au-delà des obligations minimales, ce qui disqualifie nos entreprises voire les incite à délocaliser leur production.

Depuis les années 2000 et sous l'impulsion de l'OCDE, de nombreux rapports et des lois de simplification ont tenté de simplifier, sans résultat notoire.

2. UNE PRIORITÉ AFFICHÉE PAR LE GOUVERNEMENT, PORTÉE PAR UNE DÉMARCHE INNOVANTE, MAIS MANQUANT DE SUIVI

Le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, lancé en novembre 2012 par le Gouvernement, identifiait la simplification pour les entreprises comme un des huit leviers de la croissance. Le 28 mars 2013, le Président de la République annonçait aux Français un "choc de simplification". Cette impulsion politique s'est concrétisée par la mise en place d'une méthode innovante : la simplification coproduite avec les entreprises.

Le Conseil de la simplification pour les entreprises, mis en place en janvier 2014 et de composition mixte (élus/administration/entreprises), en a principalement été chargé. Depuis, il a annoncé, en cinq vagues successives, 290 mesures de simplification. Le Gouvernement revendique en tout 463 mesures de simplification pour les entreprises depuis 2012.

Un secrétaire d'État à la réforme de l'État et à la simplification a été nommé auprès du premier Ministre, incarnant la volonté politique de simplification.

Malheureusement, cet élan s'est vite dilué : trois ministres se sont succédés à ce poste en trois ans, l'organisation administrative de la simplification a manqué de stabilité, la décision de soumettre la mesure de l'impact de tout projet de loi ou de règlement à des experts indépendants ou des acteurs économiques a été annoncée en 2014 et confirmée par le Président de la République, avant d'être abandonnée en 2015.

Au total, malgré son dynamisme, le Conseil de la simplification a produit des mesures en tous genres -anecdotiques, symboliques, anti-Kafka, sans-papiers, sécurisantes, en trompe l'oeil ou carrément usurpées, voire à effet boomerang-, qui forment un tableau pointilliste : l'affichage semble avoir été privilégié.

3. DES GAINS DOUTEUX POUR LES ENTREPRISES, ET ANNULÉS PAR LE COÛT RÉSULTANT DU FLUX PARALLÈLE D'OBLIGATIONS NOUVELLES

L'effectivité des mesures est loin d'être assurée (43 % des mesures annoncées par le Conseil de la simplification ne sont pas effectives), du fait d'une volonté politique défaillante du Gouvernement, voire de blocages systémiques dus à la résistance de ceux à qui profite la complexité ou à l'inquiétude liée au changement.

Pourtant le Gouvernement soutient que les mesures de simplification adoptées représentent une économie potentielle pour les entreprises d'environ 5 milliards d'euros annuels. Mais ce chiffrage, effectué à partir des études impact produites par l'administration, reste invérifiable, ne reposant sur aucun audit préalable. Surtout, il ne s'agit aucunement d'un gain net : est négligé le coût résultant du flux parallèle d'obligations nouvelles (pénibilité, compte personnel formation, transition énergétique...). Si les entreprises ne ressentent pas un choc de simplification, elles ressentent assurément un choc de réglementation.

II. LA SIMPLIFICATION POUR LES ENTREPRISES : UN PROCESSUS MÉTHODIQUE À L'ÉTRANGER, UN MIRAGE POLITIQUE EN FRANCE

1. CHEZ NOS VOISINS (ROYAUME-UNI, ALLEMAGNE, PAYS-BAS, SUÈDE), LA SIMPLIFICATION OBÉIT À UNE MÉTHODE EFFICACE ET S'APPUIE SUR UN ORGANE INDÉPENDANT

L'OCDE ayant identifié le coût de la complexité administrative dès 2003, plusieurs États d'Europe du Nord ont misé durablement sur l'amélioration de leur réglementation. Chez eux, la simplification est un objectif politique transpartisan qui mobilise l'ensemble du Gouvernement. L'évaluation préalable des coûts y est vue comme un moyen d'objectiver la décision politique, pas de s'y substituer. La simplification obéit à une méthodologie rigoureuse et repose sur des objectifs et le suivi d'indicateurs.

Surtout, des résultats chiffrés et vérifiés sont obtenus. L'Allemagne a ainsi allégé le coût de la bureaucratie pour ses entreprises de 14 milliards d'euros entre 2006 et 2011. Enfin, la réduction du stock de règles s'articule souvent avec une régulation du flux de normes, grâce à une règle de compensation entre création et suppression de normes.

Dans tous ces pays, un organe indépendant contrôle la qualité des études d'impact, sur lesquelles repose le pilotage de la simplification pour les entreprises. Doté d'un collège de quelques membres issus du monde économique, sans mandat politique ni fonction administrative, chacun de ces organes s'appuie sur un secrétariat d'une dizaine d'experts publics et privés. Il rend un avis qui est rendu public en même temps que le texte du projet de loi ou de règlement envisagé.

Les institutions de l'Union européenne se sont elles aussi engagées ensemble dans une démarche d'amélioration de la réglementation: sous l'impulsion du Président de la Commission européenne JC. Juncker, un véritable reflux de la production normative européenne est intervenu. La Commission mène des consultations ouvertes sur les projets d'actes européens en amont de leur adoption. Un comité d'examen de la réglementation interne à la Commission mais comprenant des experts indépendants est chargé depuis 2015 de contrôler la qualité des études d'impact en rendant des avis publiés en même temps que les projets d'actes visés. Le Parlement européen s'est également doté de moyens nouveaux pour réaliser ses propres évaluations.

2. EN FRANCE, LA SIMPLIFICATION PROCLAMÉE EST TROP SUPERFICIELLE ET VOUÉE À L'ÉPUISEMENT

Sans doute la démarche de simplification coproduite avec les entreprises, à la fois pragmatique et dynamique, a-t-elle contribué à amorcer la diffusion d'une culture de la simplification.

Mais l'objectif de compétitivité qui préside à la simplification reste négligé par les différents ministères qui persistent à élaborer des normes en silos, les entreprises assurant souvent la coordination entre eux. Les études d'impact préalables des projets de loi ou de règlements sont acquises sur le principe, mais leur contenu reste insuffisant et leur réalisation est trop tardive : elles sont conçues comme une formalité juridique plutôt que comme un outil d'aide à la décision publique. Et le contrôle exercé sur les études d'impact par le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État et le secrétariat général du Gouvernement n'est pas assez exigeant à ce jour pour en améliorer la qualité, la priorité étant donnée à la publication rapide des textes. Le Parlement ne s'est logiquement pas saisi de ces études d'impact préalables. Et l'évaluation rétrospective de l'efficacité et de l'effectivité des lois reste par ailleurs trop rare et peu rigoureuse.

La culture de l'évaluation reste donc embryonnaire dans notre pays et le réflexe législatif demeure prégnant. Dans ce contexte, les grandes annonces du Gouvernement en matière de simplification pour les entreprises (gel des normes réglementaires, pas de surtransposition des directives européennes, test PME pour tout projet de texte) font figure de mirages.

III. SIMPLIFIER EFFICACEMENT POUR LES ENTREPRISES IMPLIQUE DE CHANGER DE MÉTHODE

1. PENSER LA SIMPLIFICATION POUR LES ENTREPRISES COMME UN PROCESSUS QUALITÉ AU BÉNÉFICE DE LA COMPÉTITIVITÉ

La volonté de simplifier pour les entreprises doit s'inscrire dans la durée, au sein d'une politique globale au service de la compétitivité reconnue comme une priorité. Sous la houlette du Premier Ministre, un réseau dédié au sein du Gouvernement doit permettre de mobiliser tous les ministères, jusqu'au coeur des administrations centrales et déconcentrées.

L'étude d'impact doit devenir l'outil principal de qualité de la norme. Ceci suppose de la faire contre-expertiser par des acteurs extérieurs à l'administration et indépendants.

Un chiffrage méthodique de la charge administrative pesant en France sur les entreprises permettrait d'avoir un référentiel fiable et partagé et de se comparer avec nos voisins; sa réalisation coûterait 3 millions d'euros. Des objectifs de réduction nette de cette charge, des indicateurs et règles pour y parvenir pourraient alors être arrêtés.

Un plan de réformes globales établi au début de chaque mandat éviterait que les dispositions juridiques applicables aux entreprises soient modifiées plus d'une fois par législature. Une clause de révision dans chaque loi créant de nouvelles charges pour les entreprises permettrait son évaluation ex post dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur. L'élaboration des lois obéira ainsi à un processus d'amélioration continue, s'inspirant de la roue de Deming qui décrit un cercle vertueux préparer/ exécuter/ contrôler/ ajuster :

2. RAPPROCHER LA CULTURE POLITICO-ADMINISTRATIVE DES BESOINS DES ENTREPRISES

Il s'agit d'orienter l'administration vers le service aux entreprises: ceci implique de reporter sur l'administration la complexité aujourd'hui subie par les entreprises, promouvoir une régulation par objectif et non par moyen, privilégier la confiance a priori et renforcer les contrôles a posteriori , enfin sécuriser l'environnement juridique des entreprises (faciliter l'unification de la jurisprudence, encadrer les délais et incertitudes du contrôle fiscal...).

Il convient aussi de porter au niveau européen nos exigences plutôt que de les imposer au niveau national par des surtranspositions de directives qui desservent nos entreprises sans mieux protéger les Français. La transposition de directive devra se faire en deux temps: un texte a minima , éventuellement suivi d'un autre posant des exigences supplémentaires dont l'impact devra être évalué. Il faut aussi que notre pays cesse d'anticiper sur les règles européennes à venir.

3. ALLÉGER LE STOCK NORMATIF EN LE RÉEXAMINANT À LA LUMIÈRE DES EXPÉRIENCES PASSÉES ET EUROPÉENNES

Un travail d'élagage du stock de règles destiné à abroger celles devenues obsolètes pourrait être confié à la commission de codification, dont il faudrait alors renforcer les moyens.

La collaboration entre entreprises et administration doit mener à réévaluer la nécessité des règles et procédures qui compliquent la vie des entreprises, pour parvenir à des simplifications substantielles. Ce travail doit mieux être articulé avec l'échelon européen, à la fois avec Bruxelles et avec les autres États européens pour comparer la performance de notre réglementation avec celle d'États voisins qui soutiennent la compétitivité de leurs entreprises tout en partageant des exigences comparables aux nôtres en termes de santé publique, de protection du consommateur, de sécurité industrielle... Ceci permettrait aussi, en matière de santé ou d'environnement, de confronter les expertises des agences françaises -sur lesquelles le Gouvernement s'aligne généralement sans toujours veiller à l'applicabilité de la règle- avec celles d'autres agences européennes.

4. MIEUX LÉGIFÉRER, SEUL MOYEN DE MAÎTRISER LE FLUX QUI NOIE LES ENTREPRISES

Il faut accepter de perdre du temps en amont en associant les entreprises à l'élaboration des normes dès que possible, au bénéfice d'une amélioration de la qualité de la loi, de sa légitimité et de son effectivité. L'obligation de réaliser un test PME sur les projets de texte applicables aux entreprises et le développement des expérimentations faciliteraient un meilleur calibrage des règles avant leur adoption.

Les études d'impact préalables aux lois et règlements doivent être enrichies et approfondies et concerner aussi projets d'ordonnances et propositions de loi inscrites à l'ordre du jour. Élément clé, leur qualité doit être contrôlée par le Conseil de la simplification pour les entreprises, transformé dans ses missions et sa composition pour assurer son indépendance. L'avis rendu, consultatif, serait rendu public avec le texte et l'étude.

La procédure d'examen des textes au Parlement pourrait aussi être améliorée, par un débat d'orientation préalable sur chaque projet de loi concernant les entreprises, de nouveaux outils pour endiguer le gonflement des textes au cours de leur examen parlementaire, une mise à jour de l'étude d'impact au cours de la navette, une plus grande culture d'évaluation préalable au Parlement.

Enfin, le contrôle de l'efficacité des lois mises en oeuvre doit être renforcé, à la fois pour assurer que leur déclinaison réglementaire respecte la volonté du législateur et pour nourrir de ces évaluations ex post les évaluations ex ante des prochains projets de loi

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