B. LES RAISONS D'UN REJET ET SES CONSÉQUENCES POLITIQUES

1. Un camp du non peu homogène

Les partisans du non ont couvert tout le spectre politique , réunissant la formation populiste Mouvement Cinq Étoiles (M5S) de Beppe Grillo, la Ligue (ancienne Ligue du Nord), le mouvement d'extrême-droite implanté au Sud du pays Fratelli d'Italia , la formation de centre-droit Forza Italia - Silvio Berlusconi ayant appelé à voter non après avoir approuvé la réforme lors de son élaboration -, quelques formations centristes dont celle de Mario Monti, ancien président du Conseil et sénateur à vie, pourtant initialement favorable au texte, et l'aile gauche du Parti démocrate de Matteo Renzi. Enrico Letta, son prédécesseur à la présidence du Conseil, s'est, quant à lui, déclaré favorable à la réforme du Sénat et à la nouvelle organisation territoriale mais hostile à l' Italicum . Le syndicat patronal Confindustria avait, de son côté, pris position en faveur du texte.

Le référendum a, de fait, cristallisé des oppositions diverses, visant pour certaines le coeur de la réforme et pour d'autres la politique menée et le style de Matteo Renzi - surnommé il Rottomatore , le démolisseur - depuis son arrivée au pouvoir en février 2014. La personnalisation du référendum a, incontestablement, joué en faveur du non, 1 000 jours après la nomination à la tête du gouvernement de l'ancien maire de Florence. Le président du Conseil a en effet lié sa démission au résultat du référendum au cours de la campagne.

Certains opposants aux textes relevaient surtout un renforcement inédit du pouvoir exécutif, envisagé comme le prélude à une dérive autoritaire. La réforme du Sénat a notamment été contestée en raison du pouvoir qu'elle donnait aux régions et aux municipalités pour nommer les sénateurs. Mario Monti a ainsi relevé qu'un tel pouvoir favorisait l'élévation d'une « classe politique », marquée par « l'incompétence et la corruption ». Le droit de regard accordé à un Sénat nommé et non plus élu sur certains projets de loi était également jugé contraire aux exigences démocratiques. La légitimité du Parlement, mis en place par une loi électorale jugée en large partie inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle en 2013, a, de son côté, été contestée, même si cet arrêt n'est pas considéré comme rétroactif par le juge suprême.

Au-delà du fond de la réforme, les réserves de Mario Monti visaient également les promesses du gouvernement à la veille de la consultation. 6 milliards d'euros devaient ainsi être consacrés à des augmentations des pensions de moins de 1 000 euros, alors que l'âge de la retraite, fixé à 67 ans lorsque M. Monti était président du Conseil, pourrait être ramené à 63 ans. Le gouvernement avait, dans le même temps, relancé quelques grands projets, écartés en raison de leurs coûts, à l'instar du pont entre la Sicile et la Calabre au-dessus du détroit de Messine ou de la rénovation du réseau ferré italien. Un plan d'investissements sur 10 ans de 94 milliards d'euros a ainsi été présenté par Trenitalia .

La manifestation organisée à Rome le 27 novembre en faveur du non a souligné, de son côté, des motivations disparates : partisans du droit au logement, épargnants fragilisés par la situation des banques italiennes, étudiants, opposants à la ligne de grande vitesse Lyon-Turin ou Vénitiens hostiles à la présence des paquebots de croisière dans la lagune. Seuls 9 % des Italiens disaient connaître le sujet du référendum dans le détail à l'approche du scrutin. 79 % des personnes interrogées à l'issue du scrutin ont déclaré avoir voté pour des motifs n'ayant rien à voir avec leur appréciation de la réforme institutionnelle.

Compte tenu de ces approches différentes, il apparaît aujourd'hui contestable de voir, dans le référendum du 4 décembre, la victoire d'une majorité populiste, a fortiori eurosceptique, même s'il apparaît clair aujourd'hui que seul le Parti démocrate et quelques formations centristes s'inscrivent aujourd'hui dans une dynamique pro-européenne. Les partis populistes et extrémistes axent en effet une partie de leur discours sur le rejet de l'Union européenne, Forza Italia jugeant également l'Allemagne et Bruxelles responsables du départ de Silvio Berlusconi. La victoire du non constitue plutôt une nouvelle manifestation, dans nos démocraties occidentales, de l'affirmation d'une ochlocratie, au sein de laquelle le choix rationnel du peuple est remplacé par la manifestation d'humeur de la foule. Le concept défini par Polybe au II ème siècle avant notre ère dans le livre VI des Histoires apparaît particulièrement pertinent dans le cas italien : la réforme institutionnelle approuvée par les représentants du peuple au terme de six lectures au sein des deux assemblées, mais aussi par l'opinion publique dans les sondages il y a un an, a finalement été rejetée à l'issue du référendum 5 ( * ) . La défaite de M. Renzi souligne également en creux la question de la légitimité des gouvernements qui se succèdent depuis 2011 et qui s'appuient tous sur des majorités relatives.

2. Un nouveau gouvernement dédié à la préparation d'une nouvelle loi électorale

La démission du gouvernement Renzi, effective depuis le 7 décembre, pouvait déboucher sur deux solutions. La première consistait en des élections anticipées à la Chambre des députés et au Sénat, souhaitées notamment par le M5S et par la Ligue de Matteo Salvini, sur la base de l' Italicum . Cette solution posait plusieurs difficultés juridiques : le Sénat ne peut être élu sur la base de l' Italicum et la loi électorale qui le concerne a été jugée en partie inconstitutionnelle. L' Italicum est en outre contestée aujourd'hui devant la Cour constitutionnelle qui n'a pas encore rendu son jugement. Celle-ci devrait se réunir pour une première audience le 24 janvier prochain. Sa décision devrait être rendue ultérieurement.

L'autre solution consistait en la mise en place d'un gouvernement chargé d'élaborer la nouvelle loi électorale. Le choix d'un gouvernement d'union nationale n'a pas été possible en raison du refus de la plupart des formations de l'opposition d'y être associées. Le Président de la République, Sergio Matarella, élu en 2015 avec le soutien de Matteo Renzi, a donc nommé l'ancien ministre des affaires étrangères du gouvernement Renzi, Paolo Gentiloni, président du Conseil le 11 décembre. Le cabinet précédent a été quasi intégralement reconduit, des ajustements étant effectués à la marge : 13 ministres sur les 16 que comptait le gouvernement Renzi sont ainsi confirmés dans leurs fonctions. Le nouveau gouvernement a obtenu la confiance du Parlement italien le 14 décembre. La proximité de MM. Gentiloni et Renzi comme la composition de son équipe mettent en avant une certaine continuité à la tête de l'État italien.

Le gouvernement va devoir trouver une majorité au sein du Parlement pour faire adopter une nouvelle loi électorale. La tâche n'apparaît pas simple compte tenu des positions divergentes entre les principaux mouvements et de l'émiettement des groupes parlementaires, 23 formations sont ainsi représentées. Depuis 2013, près d'un parlementaire italien sur trois a changé d'affiliation - soit environ 350 changements de groupe.

Le M5S, en tête des intentions de vote aux prochaines élections générales, souhaite aujourd'hui capitaliser sur le non au référendum et milite en faveur d'un mode de scrutin accordant une prime à la majorité, après avoir longtemps dénoncé l' Italicum . Cette position n'est pas suivie au centre-droit, très affaibli depuis la chute du gouvernement Berlusconi en novembre 2011. Forza Italia , toujours dirigé par l'ancien président du Conseil, souhaite un scrutin proportionnel intégral qui permettrait à sa formation de conserver un rôle d'arbitre dans la formation d'une coalition gouvernementale. Cette position est suivie par la plupart des formations centristes. La campagne référendaire a montré les profondes divisions sur ce thème au sein du Parti démocrate. Il convient de relever cependant que Matteo Renzi reste secrétaire général de son parti et qu'il semble vouloir s'appuyer sur les 40 % d'électeurs qui ont voté en faveur de sa réforme, jugeant que le « camp du oui » est plus homogène que celui de ses adversaires.

Ces divergences, comme le calendrier de la Cour constitutionnelle, pourraient conduire à des élections au mieux à l'automne prochain. Le fait que le gouvernement aille jusqu'au terme de l'actuelle législature, censée se terminer en février 2018, n'est pas à exclure.

Un vote aujourd'hui se traduirait par une consolidation, voire une victoire du M5S 6 ( * ) . Reste à connaître l'ampleur de celle-ci qui conditionnerait sa capacité à réunir une majorité autour de lui pour gouverner le pays. Une coalition avec la Ligue et Fratelli d'Italia est évoquée par certains analystes. Une telle option n'est pas sans susciter d'interrogations tant le positionnement idéologique du Mouvement reste difficile à déterminer, canalisant toutes les protestations et combinant programme social, soutien aux petites et moyennes entreprises, rejet de l'Union européenne 7 ( * ) et position dure sur l'immigration. Ses représentants sont issus de toutes les sensibilités du paysage politique. La personnalité de Beppe Grillo, ancien comique et inéligible en raison d'une condamnation pour homicide involontaire, et le mode d'organisation de sa formation plaident, en outre, pour une forme d'isolement. Le parti appartient en effet à une entreprise spécialisée dans la sécurité informatique, Casaleggio associates , fondée par Gianroberto Casaleggio, théoricien du mouvement jusqu'à son décès le 12 avril 2016, et ne dispose pas de structures classiques : fédération locale, permanence, etc. Le débat doctrinal comme la vie interne de la formation sont organisés via le site internet de la formation, le mouvement incarnant une forme de contre-société virtuelle. La philosophie du mouvement est largement inspirée par Jean-Jacques Rousseau, la plateforme de dons au parti reprend d'ailleurs son nom. La démocratie directe et le mandat impératif sont conçus comme des objectifs à atteindre. C'est dans ce cadre que s'inscrit la pénalité de 150 000 euros qui s'impose à tout élu issu du M5S qui s'écarterait de la position du mouvement. Celle-ci est prévue dans un contrat signé par tous les candidats. Cette amende n'a pas empêché 19 sénateurs de quitter le groupe parlementaire du M5S - 53 membres à l'origine - ou le maire de Parme de renoncer à son affiliation au parti.

Le succès du M5S aux élections municipales de juin dernier
- victoire à Rome, Turin, Parme et Livourne - débouche six mois plus tard sur des résultats contrastés. L'expérience à la tête de la ville de Rome est ainsi aujourd'hui largement contestée, les observateurs dénonçant l'amateurisme et l'impréparation de la nouvelle équipe municipale dirigée par Virginia Raggi. Le maire de Livourne a annoncé sa démission en raison d'une mise en examen pour banqueroute frauduleuse de la société municipale de traitement des déchets. Le parti, héraut de la lutte contre la corruption, semble de surcroît fragilisé par des enquêtes visant un système de falsification de signatures de parrainages qui aurait été mis en place par ses membres pour les élections municipales à Palerme (2012) et le scrutin régional en Émilie-Romagne (2014).


* 5 Roger-Pol Droit, Connaissez-vous l'ochlocratie ? , Les Échos, 9 décembre 2016.

* 6 Les enquêtes d'opinion effectuées à la mi-décembre placent le Parti démocrate en tête (30 à 32 %), talonné par le Mouvement 5 étoiles (27 à 29 %). Forza Italia (12 à 13 %) et la Ligue (11 à 13 %) suivent.

* 7 Les députés européens du M5S ont rejoint leurs homologues du UKIP britannique au sein du groupe ELDD.

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