N° 797

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juillet 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le Partenariat oriental ,

Par MM. Pascal ALLIZARD, Gérard CÉSAR, Mme Gisèle JOURDA, MM. Yves POZZO di BORGO, André REICHARDT et Jean-Claude REQUIER,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mmes Sophie Joissains, Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle.

« L'Union européenne doit viser à l'instauration d'une zone de prospérité et d'un voisinage amical - un cercle d'amis - avec lesquels elle doit avoir des relations proches, pacifiques et coopératives. En retour de progrès concrets témoignant d'un partage de valeurs communes et d'une mise en place effective de réformes politiques, économiques et institutionnelles, comprenant notamment une mise en conformité des législations sur l'acquis communautaire, le voisinage de l'Union devrait bénéficier de la perspective d'une intégration économique avec l'Union. À cette fin, la Russie, les pays des nouveaux États indépendants (NEI) occidentaux (Biélorussie, Moldavie, Ukraine, Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan) et le sud de la Méditerranée devraient se voir offrir la perspective d'une participation au marché intérieur de l'Union et davantage d'intégration, de libéralisation pour promouvoir la libre-circulation des personnes, des biens, des services et du capital. »

Romano Prodi - Communication sur l'Europe élargie et la politique de proximité comme clé de la stabilité

Bruxelles, 5 - 6 décembre 2002

INTRODUCTION

La Politique européenne de voisinage (PEV) a été fondée en 2004 afin de donner corps à l'idée d'un cercle de pays situés aux marches de l'Union européenne qui partageraient ses valeurs et ses objectifs fondamentaux et qui seraient décidés à s'engager avec elle dans une relation plus étroite allant au-delà de la coopération, c'est-à-dire impliquant un haut niveau d'intégration économique et politique.

Le projet était très ambitieux, mais il reflétait parfaitement l'optimisme qui existait alors, avant la crise financière et économique, avant les Printemps arabes et avant la guerre en Ukraine, trois événements qui ont pour le moins changé la donne et qui ont fait entrer le monde et les relations géopolitiques dans une phase de grande incertitude.

• Un « cercle d'amis »

Au départ, Romano Prodi souhaitait « créer un cercle d'amis » et il préconisait de « mettre en commun tout sauf les institutions ». Il s'agissait de tous les voisins de l'Europe et même de ceux qui n'étaient pas européens. Cependant au fond, il fallait surtout éviter l'émergence de nouvelles lignes de division entre l'Union récemment élargie à l'Est et ses voisins et en conséquence, renforcer la prospérité, la stabilité et la sécurité de tous.

De facto , cette ligne de fracture existait à l'Est - presqu'autant qu'au Sud - dans la mesure où les nouveaux voisins de l'Union européenne élargie à l'Est étaient et sont encore très loin des critères démocratiques et économiques européens.

Mais l'Union européenne manifestait ainsi sa volonté d'un renforcement des relations politiques et d'un resserrement de l'intégration économique à l'intention de tous les pays voisins, sans exception aucune, afin que ceux-ci partagent les bénéfices des derniers élargissements.

• L'avènement d'une Europe réunifiée et prospère

L'idée sous-jacente est bien celle d'un progrès continu vers l'Est, progrès qui amènerait à effacer pas à pas, et sur le long terme, les différences encore criantes dans le domaine institutionnel et économique qui existent aujourd'hui entre l'ouest et l'est de l'Europe. En ce sens, le Partenariat oriental, premier pilier de la PEV, est un acte de foi dans l'avènement d'une Europe totalement réunifiée et prospère, une idée généreuse et très optimiste.

L'autre idée tacite reposait sur l'espoir qu'une politique dédiée à l'est de l'Europe permettrait de manifester l'intérêt de l'Europe pour cette région et, à terme, de renforcer sa normalisation après 70 ans d'antagonisme idéologique avec l'ouest et de constant appauvrissement de cette zone.

Cette politique de l'est est inspirée par une longue tradition en Allemagne et en Pologne, tradition forgée au contact immédiat du Rideau de Fer et du grand voisin russe.

• De Willy Brandt à une « Ostpolitik » à l'européenne

Il convient de rappeler que le Partenariat oriental ne serait pas tout à fait ce qu'il est, si n'avait pas existé, de 1967 à 1974, l'Ostpolitik du Chancelier Willy Brandt. Rappelons également qu'Egon Bahr, éminence grise de Willy Brandt et inspirateur de l'Ostpolitik, est celui qui a négocié avec Moscou et avec la RDA un rapprochement avec l'Allemagne de l'Ouest. Il est le père du Traité de Moscou de 1970 entre la RFA et l'URSS et de l'accord sur le transit comme du traité fondamental signés également en 1970 entre les deux Allemagne. Egon Bahr était convaincu que le changement se ferait par le rapprochement et que la politique des petits pas était la plus efficace.

Le Partenariat oriental lui doit beaucoup sans que cela ne soit jamais souligné, car le parallèle évoquerait aussitôt la Guerre froide que l'Union européenne ne croyait plus possible. Le succès de cette politique a conduit dans un premier temps à la normalisation des relations avec l'URSS et la RDA puis progressivement avec l'ensemble du glacis poststalinien et elle a conduit à une forme de détente au sein de la Guerre froide. Willy Brandt, conscient que le fossé entre les Allemagne s'élargissait à vive allure, souhaitait limiter les dégâts de cet état de fait. En même temps, l'Allemagne fédérale s'affirmait dans une politique étrangère qui lui était propre et se distinguait de celle des États-Unis et de l'Europe. L'Ostpolitik atteindra son point culminant avec la tenue de la Confédération sur la sécurité et la coopération en Europe et la signature des Accords d'Helsinki le 1 er avril 1975 d'où naîtra l'actuelle OSCE.

C'est pourquoi on peut parler, à propos du Partenariat oriental, d'une « Ostpolitik à l'européenne », peut-être un peu plus affirmée dans sa forme que ne l'était son modèle, mais malheureusement dépourvue d'une vision aussi claire que ce modèle qui était mis tacitement, mais de manière déterminée, au service de la réunification allemande. Pourtant certains caressent encore l'idée d'une parfaite réunification de l'Europe et continuent à voir dans le Partenariat un outil prometteur.

Une parfaite réunification de l'Europe passerait pour certains par d'autres élargissements de l'Union et même si cette politique de voisinage se distingue de la politique d'élargissement, l'idée reste que tous doivent participer à la construction d'un espace commun de prospérité, à défaut d'une union.

C'est pourquoi l'Union européenne a proposé cette politique également à la Russie qui a décliné l'offre, mais qui a accepté un partenariat stratégique, mis en veille par la situation en Ukraine.

Bruxelles a découvert avec surprise que le modèle européen pouvait cesser d'être souhaitable pour tous.

Enfin, il faut souligner que le Partenariat oriental (PO) constitue un des piliers de la Politique européenne de voisinage (PEV) qui comprend aussi la politique méditerranéenne de l'Union pour la Méditerranée (UpM) et qu'aujourd'hui, ce pilier majeur de la Politique de voisinage est devenu politiquement très sensible dans la mesure où la situation en Ukraine et les pressions de la Russie ont contribué à déstabiliser les pays auxquels il s'adresse. Cette politique européenne majeure a cessé d'être une source d'espoir pour devenir un sujet de grave préoccupation.

Alors, quel bilan pour le Partenariat oriental ? Décevant sans doute à l'aune de ses objectifs originels très, voire trop ambitieux. Jusqu'à présent, il n'a certes pas permis d'instituer une vaste zone de stabilité, de prospérité et de sécurité - mais le pouvait-il dans le contexte actuel ? Et pourtant loin d'être négligeable si l'on prend en compte les avancées observées depuis sept ans dans des pays qui, quoique très divers à première vue, présentent plusieurs points communs structurels : une indépendance récente, une situation de départ objectivement très éloignée des standards ouest-européens et une relation forte, parfois passionnelle, avec la Russie pour d'évidentes raisons historiques.

Le Partenariat oriental présente donc un bilan en demi-teinte. Pour autant, et en dépit des maladresses européennes, cette « main tendue » à plusieurs pays de l'ancienne Union soviétique doit le rester. Politique généreuse et courageuse, le Partenariat oriental, moyennant certaines réorientations, a encore des réalisations à accomplir. Son bilan d'ensemble ne pourra être mesuré que sur la durée et selon des critères concrets. Débarrassé de ses déclarations grandiloquentes, souvent oublieuses des réalités, le Partenariat oriental sera un succès s'il fait progresser, selon son rythme, en fonction de son histoire et de ses spécificités, chacun des pays qu'il concerne. C'est pourquoi il doit demeurer une priorité européenne, sur le plan tant politique que budgétaire. L'abandonner, ou le négliger, serait un mauvais signal adressé à ces pays et à leurs peuples qui aspirent souvent à des changements intérieurs profonds.

L'Union européenne s'est construite pas à pas à partir de réalisations concrètes. Pourquoi en serait-il autrement du Partenariat oriental ?

En outre, celui-ci doit aussi démontrer sa légitimité et son utilité aux yeux de la Russie elle-même. La logique de confrontation est stérile. Plutôt que de créer des frustrations réciproques par des discours clivants, le Partenariat oriental doit montrer qu'il ne vise ni à « contenir » ni même à concurrencer la Russie, mais plutôt à contribuer à des relations apaisées et coopératives entre l'Union européenne et son grand voisin. À ce titre, il ne doit pas être construit sur une prétendue incompatibilité de principe avec l'Union économique eurasiatique, mais doit au contraire participer au renforcement des relations russo-européennes.

I. LE PARTENARIAT ORIENTAL RESTE UN PROJET AMBITIEUX MALGRÉ UN BILAN MITIGÉ

A. LE PARTENARIAT ORIENTAL EST UN PILIER MAJEUR DE LA POLITIQUE DE VOISINAGE

Le Partenariat oriental est un pilier de la politique de voisinage, mais ce n'est pas faire injure à Romano Prodi que de rappeler que le PO était parti pour être le pilier principal de la PEV aussi longtemps que le « Processus de Barcelone » n'a pas été transformé en « Union pour la Méditerranée », ce qui n'arriva qu'en 2008. Aujourd'hui, le PO reste le pilier principal pour des raisons géographiques, historiques et économiques évidentes, malgré une conjoncture qui lui est défavorable.

1. Base juridique du Partenariat oriental

Avant l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, la PEV reposait sur des accords bilatéraux conclus entre l'UE et ses États membres, d'une part, et les pays voisins, d'autre part. C'est le Traité de Lisbonne qui a donné une base juridique solide à la PEV et plus particulièrement l'article 8 du traité sur l'Union européenne qui pose que « l'Union développe avec les pays de son voisinage des relations privilégiées en vue d'établir un espace de prospérité et de bon voisinage, fondé sur les valeurs de l'Union et caractérisé par des relations étroites et pacifiques reposant sur la coopération ». Ainsi l'Union peut conclure des accords avec chaque pays concerné et ces accords comportent naturellement des droits et des obligations réciproques.

La PEV s'inscrit dans ce qu'il est convenu d'appeler l'action extérieure de l'Union européenne qui comprend coopération et aide au développement ; elle a pour but d'encourager des relations plus étroites avec les pays limitrophes de l'Union européenne non engagés dans un processus de négociations d'adhésion.

La PEV est amenée à promouvoir des réformes politiques et économiques de nature à enraciner la prospérité, la stabilité et la sécurité, dans l'intérêt mutuel des deux parties. Il est vrai que c'est un choix de gouvernement et de société pour le pays qui s'engage et que la PEV implique un engagement en faveur de valeurs de l'Union, à savoir la démocratie, les Droits de l'Homme, l'État de droit, la bonne gouvernance, l'économie de marché et le développement durable.

Ses objectifs sont de quatre ordres:

- raffermir les liens politiques ;

- aider à répondre aux critères politiques de l'Union européenne ;

- entamer une intégration économique partielle ;

- soutenir les réformes économiques, sociales et environnementales.

La PEV a quatre cibles clairement identifiées :

- les personnes, à travers la promotion de l'emploi, de la cohésion sociale, du bien-être et de la mobilité ;

- la paix, par le biais des actions contre le terrorisme et en faveur du dialogue régional ;

- la démocratie, appuyée sur la consolidation de l'État de droit et le respect des droits de l'Homme ;

- le marché, grâce à l'approfondissement des réformes économiques structurelles et le développement des échanges commerciaux.

2. Fondateurs du Partenariat oriental et politiques en faveur de l'Est

La Pologne, suivant en cela la doctrine Giedroyc, et la Suède sont véritablement à l'origine du Partenariat oriental qui vise à accorder, comme il a été dit, une attention toute particulière aux voisins de l'Est.

S'appuyant sur les conclusions du Conseil européen de décembre 2007, ces deux États membres ont conjointement présenté au Conseil Affaires générales-Relations extérieures du 26 mai 2008 une « proposition pour un Partenariat oriental ». Ce partenariat a été officiellement lancé lors du sommet du 7 mai 2009 à Prague.

Comme l'initiative du Partenariat oriental vise à promouvoir le renforcement des relations de l'Union européenne avec ses six voisins de l'Est (Ukraine, Moldavie, Biélorussie, Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie), elle reprend les principes essentiels de la Politique de voisinage (à savoir, la contractualisation des relations, la conditionnalité , la différenciation ) et elle réaffirme les axes directeurs (à savoir : la promotion de l'État de droit et de la bonne gouvernance , l'intégration économique , la libéralisation des échanges et le développement de la mobilité ).

La plus-value essentielle de cette politique est d'offrir aux six pays voisins la perspective attrayante de bénéficier un jour d'un régime sans visa avec l'Union européenne ainsi que d'un accord d'association politique. L'intégration économique est également envisagée à travers la négociation d'un accord de libre-échange approfondi. L'ensemble du processus se fait selon une logique de différenciation, c'est-à-dire d'adaptation à chaque cas particulier, à chaque partenaire particulier.

La principale innovation du Partenariat oriental est la mise en place d'une enceinte de coopération multilatérale dans les relations de l'Union européenne avec ces pays.

Cette coopération prend la forme de rencontres politiques régulières (sommets et réunions ministérielles), de quatre plateformes de coopération sectorielle (démocratie, bonne gouvernance et stabilité ; contacts interpersonnels ; sécurité énergétique ; intégration économique et convergence avec les politiques sectorielles de l'Union européenne), de rencontres entre experts et de projets concrets de coopération. Cinq initiatives emblématiques ont été lancées :

- gestion des frontières et prévention ;

- préparation et réponse aux catastrophes naturelles ou d'origine humaine ;

- gouvernance environnementale ;

- facilité PME ;

- énergie.

Par ailleurs, un forum de la société civile du Partenariat oriental a été créé.

En un sens, on peut résumer le Partenariat oriental comme la proposition faite par l'Union européenne à ses voisins de la suivre dans sa défense de la libre entreprise, de la démocratie et des Droits de l'Homme.

3. Historique du Partenariat oriental : les sommets de Prague et de Varsovie et le coup d'arrêt du sommet de Vilnius

Fondé en 2008, le PO a une courte histoire et un bilan en demi-teinte ; quatre sommets se sont succédé depuis sa création, celui de Vilnius marquant un coup d'arrêt aux espoirs placés dans cette politique.

• Le Sommet de Prague du 7 mai 2009

Le premier sommet du PO s'est tenu à Prague en 2009 et il a vu l'adoption d'une déclaration conjointe qui précise l'ambition du Partenariat oriental, c'est-à-dire le désir de contribuer au renforcement des relations entre l'Union européenne et ses voisins de l'Est par l'association politique et l'intégration économique, sans porter préjudice aux aspirations individuelles des pays partenaires en ce qui concerne l'avenir de leurs relations avec l'Union européenne et les principes de leur futur développement (conditionnalité, différenciation). Cela signifie en clair que les négociations relatives à la conclusion d'accords d'association ne seront lancées qu'avec les pays partenaires ayant la volonté et la capacité de respecter les engagements qui en découlent.

En matière de visas, il s'agissait de conclure des accords de facilitation avec les pays partenaires qui n'en ont pas encore. La libéralisation totale des visas constituerait un objectif à long terme quand les conditions seraient remplies.

Le Sommet de Varsovie des 29 et 30 septembre 2011

Ce sommet fut l'occasion de préciser les objectifs fixés en 2008 en vue d'une reconnaissance d'une communauté de valeurs et de principes démocratiques.

Lors de ce sommet, on prit acte des aspirations et du choix européen de certains partenaires du PO et de leurs engagements en faveur du développement d'une démocratie approfondie et durable tout en maintenant une distinction entre la politique d'élargissement et la politique de voisinage. Lors du sommet de Varsovie, on supprima la mention « à long terme » concernant l'objectif de libéralisation du régime des visas de court séjour.

Le Sommet de Vilnius des 28 et 29 octobre 2013 : un coup d'arrêt au Partenariat oriental ?

Le sommet de Vilnius a été l'occasion de valoriser publiquement les progrès réalisés même s'il a été surtout marqué, pour tous les participants, par le refus inattendu des autorités ukrainiennes de signer l'accord d'association avec l'Union européenne après cinq années de négociation.

Cependant, les deux accords d'association Union européenne-Géorgie et Union européenne-Moldavie, qui ont été paraphés à Vilnius, visent par leurs dispositions ambitieuses en matière d'État de droit, de libre échange commercial (ALECA, accord de libre-échange complet et approfondi) et de coopération sectorielle à moderniser en profondeur ces pays.

Par une déclaration séparée, on a encouragé l'Arménie à poursuivre son rapprochement avec l'Union européenne et sa modernisation, malgré son choix de rejoindre l'Union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan, qui a entraîné la suppression du paraphe de l'accord d'association initialement prévu à Vilnius.

Le sommet de Vilnius a fait naître les premières inquiétudes sur l'avenir du PO et révélé l'hostilité de la Russie au PO. Il a montré que la politique de l'UE à l'égard de ses voisins orientaux était devenue une source de tensions avec la Russie.

Le Partenariat oriental se heurte aux soupçons russes

Il est juste de reconnaître toutefois que la Russie ayant perdu une partie de son influence en matière de relations internationales, l'Union européenne s'adressant à des États parfaitement souverains, et enfin l'adhésion au Partenariat oriental ayant été proposée à la Russie, l'Union a commis la maladresse de donner l'impression de vouloir tenir Moscou à l'écart , suscitant ainsi des malentendus.

Sans doute l'Union européenne n'a-t-elle pas bien mesuré le souci croissant de la Russie d'apparaître à nouveau comme un acteur majeur dans les relations internationales, après son effacement relatif dans les années suivant la chute du Mur.

Ce malentendu a ouvert un débat qui porte atteinte au crédit et aux ambitions du Partenariat oriental. Pourtant, il n'apparaît pas au regard des documents consultés et des acteurs interrogés que l'Union européenne puisse être accusée d'avoir provoqué la crise du Sommet de Vilnius ni la crise ukrainienne ni le séparatisme de l'Est de l'Ukraine.

Le fait que l'Union européenne n'ait pas anticipé la réaction russe à l'accord avec l'Ukraine ne la rend pas responsable de cette réaction.

D'aucuns ont pu souligner le manque de lucidité et de délicatesse de la part de Bruxelles. Mais chacun savait dès le départ que la Russie était hostile par principe au projet polono-suédois de Partenariat oriental, la Pologne et la Suède étant considérées par Moscou comme des pays hostiles à la Russie. Les objectifs du Partenariat oriental étaient pourtant connus et les discussions se faisaient lentement et au grand jour dans un tempo et avec une parfaite transparence qui excluaient toute diplomatie secrète ou toute volonté d'écarter un acteur qui aurait pu être concerné.

La Russie soupçonne aujourd'hui l'Union européenne de mettre en place une politique et des accords qui pourraient diminuer son influence sur ses six anciens satellites. En cela, la Russie a sans doute raison. Il se peut effectivement que les pays du Partenariat oriental s'écartent petit à petit du modèle russe et se rapprochent du modèle occidental. C'est une éventualité mais nul ne sait quelle est la probabilité pour que cela se réalise.

Dans cette affaire, les Russes avancent qu'ils n'ont pas été avertis de ce qui se négociait. Sur ce point, Bruxelles maintient que les Russes soutiennent à tort cette thèse puisqu'ils ont été informés lors des sommets Union européenne - Russie et que pendant tout le temps qu'ont duré les négociations, jamais Moscou n'a émis la moindre remarque de désapprobation à aucun de ces sommets annuels.

Ainsi, deux logiques s'affrontent. Pour les Russes, l'Union européenne travaille dans son « arrière-cour ». Pour l'Union européenne au contraire, les pays du Partenariat oriental sont des pays souverains qui comparent librement les offres qu'on leur soumet : certains préfèrent l'offre européenne, d'autres la russe, d'autres enfin veulent un mix des deux... et la liberté de choix doit être respectée.

Le projet d'un accord d'association et d'un accord de libre-échange a été amorcé dès 2008. Il existait alors un véritable consensus national entre l'Union européenne et l'Ukraine en faveur de cet accord. En 2012, les négociations ont atteint leur terme à la satisfaction des deux parties même si l'Ukraine laissait transparaître sa déception qu'aucune mention ne soit faite dans l'accord de la possibilité pour elle un jour d'entrer dans l'Union européenne.

L'année 2012 marque le retour de Vladimir Poutine à la présidence pour un troisième mandat et l'annonce d'un projet d'Union eurasiatique. L'adhésion de l'Ukraine à ce projet était considérée désormais par le Kremlin comme vitale. En effet, le projet ne réunissait au départ que la Russie et le Kazakhstan. En 2013, il apparaît que l'accord de libre-échange entre l'Ukraine et l'Union européenne pouvait gêner l'entrée de l'Ukraine dans l'Union eurasiatique. Aussitôt la Russie demande à l'Ukraine de renoncer à son choix européen et devant l'hésitation du Président Yanoukovitch fait monter la pression en fermant sa frontière à certaines importations ukrainiennes. Les mêmes pressions seront exercées sur la Moldavie et sur l'Arménie.

La veille du Sommet de Vilnius, le Président Yanoukovitch annonce à la surprise générale que l'accord ne sera pas signé. Même surprise, mais du côté russe, quand la foule descend dans la rue et s'installe sur la Place Maïdan. En février 2014, le Président Yanoukovitch prend la fuite et gagne la Russie.

Le nouveau gouvernement ukrainien est considéré comme illégitime par la Russie, qui lance une opération sur la Crimée et l'annexe en mars à la suite d'un référendum hâtif que la communauté internationale refuse de reconnaître. Notons que la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU condamnant cette annexion a été adoptée par 100 pays, contre 11 et 58 abstentions. Puis le Donbass se soulève au nom du séparatisme soutenu par les forces spéciales russes. Depuis la guerre a fait dix mille morts et de très nombreux réfugiés, dont plus d'un million en Russie

En septembre 2014, le nouveau Président ukrainien, M. Poroschenko, souhaite repousser la mise en oeuvre de l'accord de libre-échange. L'Union européenne accepte la demande de Moscou que la Commission, l'Ukraine et la Russie se concertent pour étudier l'impact de cet accord sur les intérêts russes et quelles mesures s'imposeraient si ces intérêts venaient à être lésés. Après plusieurs rencontres et une étude approfondie des impacts possibles, la conclusion est que cet accord ne lèse en rien la Russie qui demande toutefois de pouvoir réécrire certaines parties de l'accord. L'Union européenne refuse au nom de la souveraineté de l'Ukraine. L'accord est donc entré en application sans qu'on puisse voir aucune conséquence sur le commerce russe parce que la Russie avait de toute façon fermé ses frontières aux biens ukrainiens.

L'Union européenne devait-elle anticiper davantage les réactions de la Russie et dire à l'Ukraine que rien ne pouvait se faire à partir du moment où Moscou pourrait bien en prendre ombrage ?

La grande fragilité de l'Ukraine conduit l'Union européenne, avec l'aide des États-Unis, à la soutenir financièrement pour un montant qui s'élève déjà à plus de 4 milliards d'euros. À côté de cette politique de soutien financier et économique, l'Union européenne maintient les sanctions économiques, financières et diplomatiques infligées à la Russie et, par l'entremise de la France, de l'Allemagne et de l'OSCE, surveille l'application des accords de Minsk.

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