L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE FRANÇAISE A PRIORI PEU IMPACTÉE PAR LES RÉSULTATS DE LA CONSULTATION PUBLIQUE

L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE EN FRANCE : DES POUVOIRS ÉTENDUS ET RÉGULIÈREMENT ACCRUS

L'Autorité de la concurrence a été instituée par la loi de modernisation de l'économie, en 2008 , et a succédé au Conseil de la concurrence créé en 1986 à l'occasion de la libération des prix. Elle comprend un collège de dix-sept membres, dont cinq sont permanents, y compris le président, nommés pour cinq ans par décret. Les douze autres membres ne siègent que pour les séances auxquelles ils sont invités. Le président de l'Autorité de la concurrence, M. Bruno Lasserre, est nommé par le Président de la République selon la procédure de l'article 13 de la Constitution. Afin d'assurer l'impartialité de la position de l'Autorité, l'instruction et la décision finale du collège délibérant sont distinctes.

L'Autorité de la concurrence, dont l'effectif total est de 180 personnes et le budget annuel légèrement inférieur à 20 millions d'euros, exerce trois principales missions :

- vérifier que les entreprises respectent le droit commun de la concurrence. La loi lui donne la possibilité de sanctionner les comportements illicites pour un montant pouvant s'élever à 10 % du chiffre d'affaires mondial du groupe dont l'entreprise relève, mais l'Autorité peut également négocier des solutions et inviter les entreprises à prendre des engagements ;

- contrôler les structures, en examinant l'ensemble des projets de fusion et de rachat soumis par les entreprises ;

- de manière consultative, mener des enquêtes sectorielles pour formuler des recommandations au gouvernement ou au parlement ou pour adresser des signaux aux entreprises.

L'Autorité de la concurrence a vu ses pouvoirs régulièrement accrus depuis son institution, par exemple en matière de contrôle des concentrations, exercé avant 2008 par le ministre de l'économie, ou, plus récemment, à l'occasion de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron », qui lui a attribué des compétences supplémentaires, par exemple pour la fixation des tarifs des professions réglementées et la carte de leur répartition territoriale.

En outre, l'Autorité de la concurrence dispose également aujourd'hui d'une compétence très étendue en matière d'avis , sur toute question touchant à la concurrence. En 2014, les demandes d'avis de l'Autorité se sont maintenues à un niveau élevé, soit 35 avis sollicités 11 ( * ) , contre 42 l'année précédente.

L'Autorité a aussi le pouvoir de s'autosaisir, à la fois en matière contentieuse (à sept reprises en 2014, contre trois l'année précédente) et en matière consultative (une fois en 2014, après deux fois en 2013). Son rapport d'activité 2014 note qu'en matière contentieuse, « l'Autorité de la concurrence a été particulièrement active [...] , traduisant sa volonté d'être proactive afin de définir ses priorités au regard des enjeux économiques et des dysfonctionnements de marché susceptibles d'affecter certains secteurs ». Or, la multiplication des avis pourrait donner aux entreprises le sentiment d'un cadre rigide qui bride excessivement leurs initiatives. Par ailleurs, l'absence de contrôle juridictionnel sur les avis lui donne un pouvoir que d'aucuns estiment exagéré. On notera toutefois que le nombre d'auto-saisines en matière consultative a tendance à diminuer au cours des dernières années.

Par ailleurs, l'Autorité de la concurrence intervient également comme un acteur du débat public en formulant des propositions de réformes dans son domaine de compétences. Ainsi, en mars 2014, elle a publié un rapport, intitulé Pour un contrôle des concentrations plus simple, cohérent et stratégique en Europe , qui formule dix propositions présentées comme « autant de pistes pour la prochaine législature européenne afin d'accroître la cohérence des législations nationales ». Ces propositions de réformes s'articulent autour de trois grands axes : créer un mécanisme de prévention des conflits entre autorités nationales de concurrence, unifier les notions de base des droits nationaux des concentrations et mieux coordonner les politiques en ce domaine. Leur mise en oeuvre aurait donc des conséquences sur l'application du droit de la concurrence, non seulement au plan intérieur, mais également à l'échelle de l'Union européenne.

LE POSITIONNEMENT FAVORABLE DE L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE AU SEIN DU RÉSEAU EUROPÉEN DE LA CONCURRENCE

Il est très probable que les résultats de la consultation publique de la Commission n'aient que peu d'impact concret, voire pas du tout sur le fonctionnement ni les compétences de l'Autorité de la concurrence française . Il n'est d'ailleurs pas excessif d'affirmer que le résultat recherché par la Commission est d'aligner les autorités nationales de concurrence sur l'Autorité française en élevant les standards en Europe, en particulier en matière juridique.

En effet, l'Autorité de la concurrence française bénéficie d'une très bonne réputation tant à Bruxelles, où elle est perçue comme un « bon élève », qu'au sein du réseau européen de la concurrence, mais aussi par les avocats spécialisés en droit de la concurrence que votre rapporteur a été amené à auditionner. Elle est considérée comme réactive et créative, et disposant d'un président compétent, influent et bénéficiant d'une longue expérience dans l'exercice de son mandat, et d'un personnel très qualifié.

De fait, au sein du réseau européen de la concurrence, l'Autorité de la concurrence française est la plus active en termes d'enquêtes ouvertes et de décisions prises depuis 2004 :

L'Autorité au sein du réseau européen de concurrence

Principales autorités de concurrence contributrices

Nombre d'enquêtes ouvertes susceptibles de conduire à appliquer le droit européen*

Nombre de décisions prises sur le fondement du droit européen**

Commission européenne

281

Non applicable

France

236

112

Allemagne

192

107

Espagne

130

93

Italie

126

103

Hongrie

112

33

Pays-Bas

102

50

Autriche

93

16

Danemark

77

46

Royaume Uni

77

18

Statistiques au 31 mars 2015

* Les autorités nationales de concurrence (ANC) doivent informer le Réseau européen de la concurrence (REC) des cas dans lesquels le droit européen est susceptible d'être appliqué, afin d'assurer la cohérence de sa mise en oeuvre.

** Les ANC doivent aussi se communiquer le projet de décision envisagée en fin de procédure.

Source : Autorité de la concurrence

Parmi les 28 États membres de l'Union européenne, la France restait, en 2014, le premier pays contributeur en matière de diffusion de fiches d'allocation des cas sur le réseau. Entre le 1 er mai 2004 et le 31 mars 2015, la France a notifié 236 cas au réseau, suivie par l'Allemagne (192), l'Espagne (130), l'Italie (126) et la Hongrie (112). Par ailleurs, en 2014, l'Autorité de la concurrence a mis 12 fiches de consultation obligatoire de la Commission sur le réseau (contre 7 en 2013). Comparée à ses homologues européens, l'Autorité de la concurrence française est la plus active en la matière : entre le 1 er mai 2004 et le 31 mars 2015, elle a diffusé 112 fiches sur le réseau, suivie par le Bundeskartellamt (107) et l'autorité italienne (103). Pour l'Autorité de la concurrence, il est préférable de traiter en France des dossiers qui, autrement, le seraient à Bruxelles.

Il est vrai que ces chiffres élevés trouvent aussi leur explication dans le fait que l'Autorité de la concurrence, contrairement à la Commission, est contrainte d'instruire toutes les affaires dont elle est saisie . Elle ne dispose pas de l'opportunité des poursuites , comme c'est le cas par exemple de l'autorité britannique, et ne peut donc sélectionner les affaires les plus importantes qu'elle souhaiterait traiter. Cela lui permettait aussi de mieux arbitrer l'allocation de ses ressources.

En France, le recours aux programmes de clémence est relativement important, mais il convient de constater qu'ils sont utilisés bien davantage par les entreprises étrangères que par les entreprises nationales.

Selon des informations qui ont été communiquées à votre rapporteur, l'Autorité de la concurrence française ne serait pas une autorité nationale de concurrence plus rigoureuse qu'une autre , et clôt beaucoup de ses enquêtes par un accord amiable avec les entreprises.

Elle se distingue en revanche par sa plus grande sévérité en matière de sanctions , en particulier pour les ententes, et elle ne fait pas un usage discriminatoire de ses sanctions qui touchent des entreprises françaises comme des entreprises étrangères. En 2014 , elle a infligé des amendes d'un montant record de plus de 1 milliard d'euros , dont près de 606 millions au titre de l'entente sur les produits d'hygiène et plus de 345 millions pour sanctionner celle sur les produits d'entretien. Au cours du premier semestre 2015, elle avait prononcé des peines d'amendes d'un montant total de près de 220 millions d'euros, dont plus de 192 millions contre l'entente sur les produits laitiers. Au total, de 2004 au premier semestre 2015 , elle a infligé des amendes d'un montant de 4,8 milliards d'euros , dont plus de 1 milliard en 2014, 754 millions en 2005, 631 millions en 2008 et 540 millions en 2012.

Certaines de ces amendes ont été revues à la baisse par le juge. Ainsi, en 2008, l'amende de plus de 575 millions d'euros sanctionnant un cartel dans le secteur de la sidérurgie a vu son montant ramené à 74 millions par la cour d'appel de Paris.

Il convient de noter que le produit des amendes prononcées par l'Autorité de la concurrence française est versé au budget de l'État . Celui des amendes infligées par la Commission est affecté au budget communautaire.

Sans doute conviendrait-il de parvenir à une plus grande harmonisation dans les sanctions infligées car les pratiques ne sont pas identiques en Europe.

Les décisions de l'Autorité de la concurrence sont soumises à un contrôle juridictionnel , mais celui-ci est de fait handicapé par le manque de moyens de la cour d'appel de Paris - le contrôle des décisions relatives aux concentrations est exercé par le Conseil d'État - dont une section comprenant trois magistrats est chargée, non seulement du contentieux de la concurrence, mais aussi des décisions d'autres autorités administratives, celles de l'AMF par exemple. La cour d'appel de Paris est confrontée à une charge de travail croissante. Bien consciente des difficultés que cette dernière induit sur son activité contentieuse, elle a obtenu récemment la signature d'un contrat d'objectifs et de moyens avec le ministère de la justice, dont il conviendra de tirer un premier bilan.

Un nombre réduit des décisions de l'Autorité de la concurrence sont contestées en justice, quatre ou cinq par an, mais ce sont généralement les affaires les plus importantes. En 2014, 85 % des décisions de l'Autorité ont été confirmées par la justice.


* 11 Parmi ces demandes d'avis, figurent notamment 8 demandes en provenance des régulateurs sectoriels, 8 sur toute question de concurrence posée par le gouvernement, le parlement, les collectivités territoriales, les organisations professionnelles, syndicales, de consommateurs, etc., et 5 au titre de la consultation obligatoire de l'Autorité sur les projets de textes restreignant la concurrence.

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