EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le jeudi 10 juillet 2014, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à l'examen des rapports de M. François Marc, rapporteur général, sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2013 et sur l'orientation des finances publiques.

M. Philippe Marini , président . - Il me semble de bonne méthode d'entendre les rapports de François Marc à la fois sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2013 et sur le débat d'orientation des finances publiques pour 2015.

M. François Marc , rapporteur général . - Nous allons examiner l'exercice 2013 au regard de la trajectoire des finances publiques. Les comptes nationaux, publiés par l'INSEE en mai, font apparaître que la croissance du produit intérieur brut (PIB) est restée faible en 2013 : 0,3 %, comme en 2012. Ce taux est inférieur à celui anticipé dans la loi de finances pour 2013 : 0,8 %.

Cette croissance a toutefois constitué une « bonne surprise » car la progression de l'activité au cours de l'année est longtemps restée incertaine : dans le cadre du programme de stabilité 2013-2017, présenté en avril 2013, le Gouvernement a ramené sa prévision de croissance à 0,1 %. Le Consensus Forecast prévoyait, à cette date, un recul de l'activité de 0,1 %, révisé à 0,3 % en juin.

À la suite du rebond de l'activité au deuxième trimestre, les anticipations de croissance ont été révisées à la hausse. Bref, les incertitudes macroéconomiques ont rendu complexe le pilotage des finances publiques et le Gouvernement a conservé une hypothèse de croissance prudente dans le collectif budgétaire de décembre 2013. Sur l'année, notons-le, les prévisions de macroéconomistes distingués ont grandement fluctué...

Les prix ont fortement ralenti en 2013 : la progression a été de 0,9 % contre 2 % en 2012 et une hypothèse de 1,8 % en loi de finances initiale. À l'exception de 2009, il s'agit de la plus faible inflation constatée depuis 1999. Cette sous-évaluation a eu une incidence forte sur la trajectoire des finances publiques : un écart de 1,3 point de PIB entre le déficit effectif de 4,3 % et l'objectif de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, qui était de 3 %. Un écart important a également été observé pour le déficit structurel, qui s'est établi à 3,1 % du PIB, soit un écart de 1,5 point avec la programmation.

C'est un « écart important » au sens de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Il a déclenché le mécanisme de correction budgétaire, qui oblige le Gouvernement à en exposer les raisons lors de l'examen du projet de loi de règlement, à proposer des mesures de correction dans le rapport sur les orientations des finances publiques, et enfin à en tenir compte dans les projets de loi de finances et de financement suivants.

Selon le Gouvernement, l'écart constaté en 2013 s'explique d'abord par le contexte macroéconomique dégradé : en dépit d'un effort structurel que la Cour des comptes a qualifié de « considérable » (1,5 point de PIB), le solde structurel ne s'est amélioré que de 1,1 point en 2013, le rendement de l'effort ayant été atténué par le recul de l'élasticité des recettes publiques. L'écart constaté provient pour 0,6 point des révisions apportées aux résultats des exercices 2012 et 2013. Les recettes ont progressé moins vite que l'activité économique, ce qui explique 0,5 point d'écart. L'élasticité des prélèvements obligatoires a été sensiblement inférieure à la prévision. Le rendement plus faible qu'attendu des mesures nouvelles en recettes en 2013 expliquerait l'écart à hauteur de 0,15 point. Enfin, l'effort structurel en dépenses a été inférieur de 0,3 point à la prévision, en raison de la faible inflation.

Alors que la loi de programmation des finances publiques retenait une prévision de déficit de 3 % du PIB en 2013, l'article liminaire du projet de loi de règlement fait apparaître un déficit effectif - au sens du traité sur l'Union européenne - de 4,3 %. L'objectif d'un retour à 3 % en 2013 correspondait aux orientations fixées par le Conseil de l'Union européenne dans le cadre de la procédure de déficit excessif. Toutefois le Conseil, compte tenu de la « forte détérioration de la position budgétaire due à une position globale de l'économie moins favorable que celle sur laquelle se fonde [sa] recommandation de 2009 », a décidé le 21 juin 2013 de prolonger jusqu'à 2015 le délai pour corriger le déficit excessif.

Dans ces conditions, l'enjeu d'un retour du déficit effectif à 3 % en 2013 doit être relativisé, d'autant qu'une politique budgétaire très restrictive aurait eu des conséquences fortement pro-cycliques. Un net redressement des comptes publics a néanmoins été mené depuis 2012.

M. Francis Delattre . - On ne le dirait pas, au vu du déficit de 4,2 % présenté dans votre tableau. Du reste, est-ce 4,2 % ou 4,3 % ? Le chiffre varie.

M. François Marc , rapporteur général . - Cela est dû au changement de référentiel comptable de l'INSEE. Entre 2011 et 2013, le déficit effectif des administrations publiques a été ramené de 105 à 89,5 milliards d'euros, dans une conjoncture particulièrement dégradée. Le niveau encore élevé du déficit public est indissociable du point de départ élevé de la trajectoire : 7,1 % en 2009 et encore 5,1 % en 2011. La même remarque peut être formulée pour le déficit structurel qui approchait alors 5 %. L'amélioration de la situation des finances publiques sera néanmoins poursuivie dans les années à venir.

J'en viens à présent à l'exécution du budget de l'État en 2013.

Hors programme d'investissements d'avenir (PIA), le déficit budgétaire s'est établi à 74,87 milliards en 2013, soit 12,28 milliards de moins qu'en 2012 : l'amélioration est continue depuis 2009. Il a cependant été supérieur de 12,56 milliards à la prévision initiale, sous l'effet notamment d'une faible croissance économique et d'une élasticité nettement négative des recettes fiscales.

Les objectifs ambitieux de réduction du déficit budgétaire ont été révisés dès la présentation en avril du programme de stabilité 2014-2017. On ne peut donc faire un procès en manque de sincérité au Gouvernement, qui a procédé à un ajustement au fur et à mesure des données qu'il enregistrait, et qui nous en a tenus informés.

Le taux de couverture des dépenses du budget général par les recettes est passé de 70,6 % à 75,9 %. Mais, comme pour le déficit, nous sommes loin de retrouver les niveaux d'avant 2007, proches de 85 %.

Le besoin de financement de l'État s'est établi en 2013 à 186,3 milliards d'euros, en diminution de 2,3 milliards. Il a cependant dépassé les prévisions de 14,5 milliards d'euros, sous l'effet d'un déficit budgétaire plus important que prévu et de la reprise de dette de l'Établissement public de financement et de restructuration (EPFR), à hauteur de 4,5 milliards d'euros. Fin 2013, l'encours de la dette négociable de l'État s'élevait à 1 457 milliards d'euros, en hausse de 71 milliards d'euros par rapport à 2012.

Les recettes fiscales nettes ont enregistré une croissance inférieure aux prévisions : 284 milliards d'euros, soit 14,6 milliards d'euros de moins que prévu, mais en hausse de 15,6 milliards d'euros par rapport à 2012. Cette augmentation est exclusivement liée aux mesures nouvelles (20,2 milliards d'euros) compensant une évolution spontanée négative des impôts de 4,6 milliards d'euros. Le rendement attendu de ces mesures n'a été atteint que grâce à l'adoption de mesures supplémentaires en loi de finances rectificative, ainsi qu'aux différences avec les prévisions de la LFI pour plusieurs contentieux fiscaux.

Quelques mots de l'élasticité des recettes fiscales par rapport au PIB : la loi de finances pour 2013 l'avait estimée à 1,2, comme la moyenne observée sur la période précédente ; or, on a constaté une élasticité négative de 1,6. Cet écart est le plus important depuis 2009. Sont en cause, notamment, les décalages temporels entre l'imposition et l'évolution des produits imposables à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur les sociétés ; des changements de comportement des acteurs économiques ; des effets de structure, comme la hausse de la part des produits soumis au taux réduit de TVA dans la consommation des ménages. Plusieurs de ces facteurs, comme les changements de comportement, sont manifestement difficiles à intégrer dans les modèles de prévision.

Les dépenses de l'État sont soumises aux normes « zéro volume » et « zéro valeur », durcies au cours des dernières années et renforcées par l'inclusion de dépenses jusqu'ici non prises en compte. Ces normes ont été plus que respectées en 2013. La performance sans précédent sur la norme « zéro volume », les dépenses ayant été inférieures de 3,45 milliards d'euros aux prévisions de la LFI, résulte d'une stricte maîtrise de l'exécution des crédits, d'une charge de la dette inférieure de 2,01 milliards d'euros aux prévisions et d'une économie de 1,3 milliard d'euros sur les pensions grâce à une moindre revalorisation des pensions et de départs en retraite moins nombreux que prévu.

Le premier président de la Cour des comptes nous a signalé il y a quelques jours que « la dépense a été globalement maîtrisée ». Il a ajouté que « cela n'est pas remis en cause par les observations de la Cour relatives aux opérations ayant facilité le respect de la norme de dépense. On est plutôt sur le chemin du progrès, mais nous sommes perfectionnistes et nous voulons que ces progrès continuent ». Ce n'est pas un satisfecit , mais cela s'en rapproche...

M. Philippe Marini , président . - Le verre est à moitié plein.

M. François Marc , rapporteur général . - Quant aux dépenses de personnel, hors pensions, l'exécution 2013 a été marquée par une baisse exceptionnelle d'environ 90 millions d'euros par rapport à 2012 à périmètre constant. La non revalorisation du point d'indice de la fonction publique, la maîtrise des mesures catégorielles et l'effet du schéma d'emplois ont conduit à cette diminution exceptionnelle.

La charge de la dette de l'État s'est établie à 44,9 milliards d'euros en 2013, en baisse de 1,4 milliard d'euros par rapport à 2012. L'effet volume résultant de l'augmentation de l'encours de la dette de 2 milliards d'euros a été plus que compensé par la faible inflation, qui a entraîné une moindre charge d'indexation des titres indexés sur l'inflation, et par le niveau très bas des taux d'intérêt, expliquant une réduction de 1,7 milliard d'euros de la charge de la dette.

M. Philippe Marini , président . - Mon meilleur ami, c'est la finance...

M. François Marc , rapporteur général . - Vous trouverez dans mon rapport des développements sur la performance des politiques publiques. On observe une évolution positive pour 49 % des indicateurs, une détérioration pour 41 % d'entre eux - là aussi, le verre est moitié vide ou à moitié plein, cher président...

Ce résultat global masque toutefois de grandes disparités entre les missions : ainsi, moins de 20 % des indicateurs de la mission « Médias, livre et industries culturelles » se sont améliorés en 2013.

Je ferai dans mon rapport plusieurs recommandations, visant pour l'essentiel à stabiliser les cibles et les dispositifs de performance afin d'apprécier la performance sur moyen terme, et à développer le benchmarking des différentes missions au regard des indicateurs transversaux relatifs, par exemple, à la gestion de l'immobilier, des ressources humaines ou des moyens informatiques. Nos rapporteurs spéciaux poursuivent ce travail dans le cadre notamment de leurs missions de contrôle.

M. Philippe Marini , président . - J'ai rarement entendu un rapport aussi intéressant sur une loi de règlement. Il vous est même arrivé de faire preuve d'une grande objectivité, n'hésitant pas à parler pour expliquer le schéma d'emplois de « l'effet en année pleine des suppressions d'emplois décidées en 2012 par l'ancienne majorité et à des créations d'emplois inférieures aux prévisions en 2013 », montrant ainsi que la maîtrise des finances publiques repose nécessairement sur la continuité : ce sont des évolutions lentes et lourdes qu'il faut s'efforcer de contrôler.

Vous nous apporterez je n'en doute pas quelques précisions sur le tableau de financement, document clef pour l'appréciation des comptes publics : il présente un besoin de financement de 186,3 milliards d'euros, supérieur de 14,5 milliards à la prévision en loi de finances initiale, principalement en raison de l'accroissement du déficit budgétaire. L'aspect ressources appellera davantage de commentaires : comment a-t-on fait face à ces 14,5 milliards d'euros de besoins supplémentaires ? Vous nous expliquerez probablement que l'État a émis 7,5 milliards d'euros de bons du Trésor à taux fixe (BTF) de plus que les prévisions de la LFI, en tirant profit de taux d'intérêt exceptionnellement bas. Mais qu'en est-il de la variation de 10,4 milliards du solde du compte du Trésor par rapport aux prévisions de la LFI ? Comment intervient le programme d'investissements d'avenir dans l'équilibre de ce tableau ?

Après cet intermède en partie destiné à vous laisser reprendre votre souffle, je vous rends la parole, monsieur le rapporteur général, pour votre rapport d'information sur les orientations des finances publiques.

M. François Marc , rapporteur général . - Ce débat d'orientation des finances publiques a vocation à préparer l'examen des projets de loi de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2015. Mais comment ne pas évoquer en premier lieu les enjeux de l'automne 2014 ? Ils comprennent l'examen d'une nouvelle loi de programmation et l'adoption des mesures qui permettront le retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2015, conformément aux engagements européens de la France.

M. Aymeri de Montesquiou . - Vous y croyez ?

M. François Marc , rapporteur général . - C'est l'ambition que nous partageons tous. L'article 3 de la loi organique du 17 décembre 2012 sur la programmation et la gouvernance des finances publiques dispose que les lois de programmation couvrent une période d'une durée minimale de trois années. Les dispositions non permanentes de l'actuelle loi de programmation portent sur une période de cinq ans, de 2012 à 2017. Néanmoins, la programmation relative au budget de l'État ne concerne que trois années, dont la dernière - 2015 - n'a qu'une portée indicative. Une nouvelle loi de programmation doit donc être adoptée afin d'actualiser la programmation triennale pour 2015-2017. Devraient également être modifiées les hypothèses de PIB potentiel et de croissance, sur lesquelles repose la trajectoire de solde structurel. Elles seront pour la première fois examinées par le Haut Conseil des finances publiques. Le débat engagé autour de l'article liminaire de la loi de finances rectificative pourra alors être repris ; si une révision de ces hypothèses devait intervenir dans la prochaine loi de programmation, cela pourrait affecter la trajectoire de solde structurel.

Dans son rapport sur l'évolution de l'économie nationale et les orientations des finances publiques, le Gouvernement réaffirme son objectif d'un retour à un déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2015. Le prolongement du délai était accompagné de recommandations du Conseil comprenant des cibles de déficit effectif et des objectifs d'ajustement du solde structurel. Le Gouvernement a donc relevé l'effort structurel, pour 2014 et 2015, de 0,5 à 0,8 point de PIB. L'effort prévu pour 2014 a été précisé lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative. Celui prévu en 2015 représentera 21 milliards d'euros en dépenses. Serait ainsi réalisée une part importante du plan d'économies de 50 milliards d'euros.

Le rapport confirme pour 2015-2017 les hypothèses du programme de stabilité 2014-2017, le plan de 50 milliards d'euros d'économies ainsi que la baisse des prélèvements obligatoires, grâce à la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du pacte de responsabilité et de solidarité. Il indique que le déficit effectif s'élèverait à 1,3 % du PIB en 2017.

Le document tiré à part indique que « le Gouvernement veillera en particulier à ce que les priorités en matière d'investissement public permettent de financer la croissance de demain ». La mission du Fonds monétaire international (FMI), dite de « l'article IV », a appelé, en juin dernier, à la simplification et au renforcement de la gouvernance budgétaire européenne, estimant que le pacte de stabilité et de croissance était susceptible de décourager l'investissement public. Le Président du Conseil italien, Matteo Renzi, et le président François Hollande ont, eux, insisté sur la nécessité de favoriser l'investissement public en utilisant les « flexibilités » du pacte de stabilité et de croissance.

Une solution équilibrée doit être trouvée afin de poursuivre le redressement des comptes publics, pour préserver la crédibilité de la zone euro et de l'Union européenne, sans empêcher les investissements qui nourriront la croissance potentielle. Or, jusqu'à présent les ajustements budgétaires dans la zone euro se sont faits essentiellement au détriment de l'investissement public, les dépenses de fonctionnement présentant une certaine inertie et les prestations sociales jouant un rôle de stabilisateur conjoncturel. Si la part de la formation brute de capital fixe (FBCF) dans le PIB est demeurée à peu près stable en France et en Allemagne, elle a reculé en Italie et dans tous les pays bénéficiant des programmes européens d'assistance financière, l'Espagne, la Grèce, l'Irlande, le Portugal et Chypre.

La part de la dépense publique dans le PIB a augmenté dans la zone euro, en particulier sous l'effet des plans de relance. La stabilisation budgétaire s'est donc faite principalement au détriment de l'investissement des administrations publiques. La FBCF est la seule dépense publique à avoir reculé. En Allemagne, elle est stable mais reste faible, et ce depuis le début des années 2000 : cette insuffisance de l'investissement public en Allemagne a été relevée par la Commission européenne dans le cadre de la procédure de déséquilibre macroéconomique (PDM). Les industriels allemands le dénoncent régulièrement.

M. Philippe Marini , président . - Ils ne se portent pas si mal.

M. François Marc , rapporteur général . - La Commission européenne a récemment estimé à 1 000 milliards d'euros les besoins d'investissement, d'ici 2020, dans les réseaux d'infrastructures de transport, de télécommunication et d'énergie. Il est donc impératif que l'ensemble des pays de la zone se mobilisent en faveur de l'investissement public. Celui-ci devrait faire l'objet d'une attention particulière dans le cadre de la PDM instituée par le « six-pack ».

Des initiatives communautaires sont indispensables, qu'il s'agisse du financement de projets d'investissements publics par la Banque européenne d'investissement (BEI), de la création d'une capacité budgétaire propre, ou encore d'un programme d'investissements publics financé par l'épargne du secteur privé, comme l'a proposé Michel Aglietta devant notre commission.

L'insuffisance de l'investissement public ne concerne pas uniquement l'Europe. Christine Lagarde a récemment insisté sur la nécessité d'une relance, surtout dans les économies avancées où l'investissement public est aujourd'hui inférieur de 20 % à son niveau d'avant la crise. La directrice générale du FMI a relevé en outre les conditions de financement favorables sur les marchés financiers.

J'en viens à présent au budget de l'État.

Le rapport du Gouvernement doit présenter la liste des missions, des programmes et des indicateurs de performances envisagés pour le projet de loi de finances de l'année à venir. Ayant reçu hier seulement le tiré à part qui retrace les arbitrages du budget triennal, je n'en commenterai que les grandes lignes.

Les normes « zéro volume » et « zéro valeur » devraient être largement respectées en 2015. Les dépenses soumises à la norme « zéro valeur » seraient inférieures de 4,2 milliards d'euros aux prévisions de la loi de finances pour 2014, soit une baisse de 1,5 %. Les dépenses du budget général et les taxes affectées sous plafond diminueraient de 1,8 milliard d'euros. Les transferts aux collectivités territoriales seraient réduits de 3,7 milliards d'euros, l'an prochain comme les deux années suivantes...

M. Philippe Marini , président . - Ce seront des investissements en moins.

M. François Marc , rapporteur général . - Enfin, le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne augmenterait de 0,8 milliard d'euros. Dans le périmètre de la norme « zéro volume », les dépenses seraient inférieures de 3,8 milliards d'euros à celles inscrites en loi de finances initiale pour 2014, du fait notamment d'une moindre hausse de la charge de la dette. Le Gouvernement anticipe toujours, par prudence, une hausse des taux d'intérêt...

À l'issue de la prochaine période de programmation, en 2017, 50 milliards d'euros d'économies auront été réalisées sur les dépenses des administrations publiques. Cet effort sans précédent comprend 18 milliards d'euros d'économies sur les dépenses de l'État, 11 milliards d'euros sur celles des collectivités territoriales et 21 milliards d'euros sur celles de la sécurité sociale.

M. Aymeri de Montesquiou . - Où seront pris les 18 milliards d'euros ?

M. François Marc , rapporteur général . - Les économies réalisées respectivement par l'État et les collectivités territoriales sont bien distinctes. Les 18 milliards d'euros d'économies correspondent à une moindre dépense par rapport au tendanciel, qui conduit à un glissement naturel de 6 milliards d'euros par an, pour des raisons démographiques et d'inflation.

M. Aymeri de Montesquiou . - Une moindre progression par rapport à la progression naturelle. Voilà de belles économies !

M. François Marc , rapporteur général . - C'est la méthode qui a toujours été pratiquée dans les présentations budgétaires ces dernières années.

Les collectivités territoriales devront consentir par rapport au tendanciel un effort correspondant, sur le prochain triennal, à une moindre progression des dépenses locales : près de 10 milliards d'euros entre 2014 et 2017 selon le programme de stabilité, au lieu d'une hausse tendancielle de 21 milliards d'euros.

M. Philippe Marini , président . - Nous devrons prélever des impôts supplémentaires !

M. Philippe Dallier . - Je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement...

M. François Marc , rapporteur général . - La baisse des dotations de l'État aux collectivités territoriales devrait les inciter à maîtriser leurs dépenses, sans que ces 11 milliards d'euros entrent dans l'effort de 18 milliards d'euros consenti par l'État sur ses dépenses.

M. Philippe Dallier . - Encore heureux !

M. François Marc , rapporteur général . - Je le précise pour démentir ce que certains affirmaient ces jours derniers. Comme l'a indiqué la Cour des comptes devant notre commission des finances, on ne peut pas avoir la certitude que les dépenses locales diminueront à due concurrence de la baisse des dotations : les collectivités disposent d'autres leviers pour financer leurs dépenses.

M. Aymeri de Montesquiou . - Les impôts !

M. Philippe Marini , président . - Ce n'est pas nouveau.

M. François Marc , rapporteur général . - Au total, les dépenses de l'État relevant de la norme « zéro valeur » reculeraient de 11,5 milliards d'euros entre 2014 et 2017, celles relevant de la norme « zéro volume » baisseraient de 2,5 milliards d'euros : le recul constaté sur le premier champ serait en partie compensé par une hausse de la charge de la dette (6,8 milliards d'euros) et des pensions (2,3 milliards d'euros).

Le tableau des plafonds de crédits des missions du budget général communiqué hier par le Gouvernement retrace l'évolution des crédits des ministères entre la loi de finances initiale pour 2014 et la dernière annuité du budget triennal, indicative, c'est-à-dire 2017. Les priorités gouvernementales sont financées par des économies plus importantes sur les autres ministères. Nous pouvons constater une progression assez sensible des crédits pour l'outre-mer, les affaires sociales, la santé et l'éducation nationale et, dans une moindre mesure, du ministère de la défense, et une réduction des crédits des ministères du travail, de l'économie, des finances, de l'agriculture et des affaires étrangères.

Je signale deux cas particuliers : pour le ministère de la culture, la diminution des crédits correspond exclusivement à la disparition progressive de la dotation versée à France Télévisions pour compenser la suppression de la publicité après 20 heures ; pour le ministère de la défense, la difficile équation prévue par la loi de programmation militaire tient compte de ressources extrabudgétaires. Les moyens consacrés à la défense diminueraient en 2015 mais augmenteraient légèrement sur l'ensemble de la programmation.

Quant à l'emploi, en 2015, le nombre total de postes dans les ministères serait en légère diminution, de 1 177 équivalents temps plein.

Le tome II du rapport préalable présente une liste des missions et des programmes, ainsi que celle des objectifs et des indicateurs envisagés pour le projet de loi de finances pour 2015 : le nombre de programmes (hors investissements d'avenir) serait réduit de 183 à 177 ; cela simplifiera le travail de nos rapporteurs spéciaux. Au total, par rapport à 2007, le nombre d'objectifs et d'indicateurs a été réduit d'environ 40 %, évolution nécessaire pour que la mesure de performance soit plus compréhensible. Ces indicateurs doivent maintenant être stabilisés sur la durée du budget du triennal, pour permettre une appréciation de la performance à moyen terme.

Mme Nicole Bricq . - Je voudrais faire trois remarques. Tout d'abord, les gouvernements passent...

M. Aymeri de Montesquiou . - ...et les finances trépassent !

Mme Nicole Bricq . - ... mais les mauvaises manies perdurent. En 2013, une fois de plus, les dépenses d'investissement ont été la variable d'ajustement, alors qu'elles ne représentent que 3,4 % des dépenses de l'État.

M. Aymeri de Montesquiou . - C'est juste.

Mme Nicole Bricq . - Déjà faibles, elles baissent de 1,4 milliard d'euros en valeur. Lorsque le rapporteur général note un recul de l'investissement public dans la zone euro, il ne cite pas les chiffres pour 2013. La France réclame à juste titre de grands programmes d'investissement public dans l'Union européenne et dans la zone euro en particulier. Cependant elle n'en donne pas l'exemple.

M. Francis Delattre . - Nicole Bricq nous coupe l'herbe sous le pied !

Mme Nicole Bricq . - Christine Lagarde et le président de la République ont raison : une relance est urgente et nécessaire.

Ensuite, j'observe que les dépense fiscales sont stabilisées, d'après la loi de règlement, à 70,7 milliards et respectent la programmation 2012-2017. Mais l'évolution spontanée des niches a réduit à 500 millions d'euros d'économies les 3,6 milliards d'euros prévus.

La Cour des comptes a rappelé l'obligation d'évaluer les dépenses fiscales, respectée très partiellement, pour ne pas dire pas du tout. Le CICE et le crédit d'impôt recherche, formes particulières de dépenses fiscales, seraient traités à partir de 2014 en comptabilité nationale comme des dépenses et non comme de moindres recettes. Les changements de qualifications budgétaires et comptables font des dépenses fiscales des mesures grises, hybrides...

Enfin, j'observe que les États de l'Union européenne se livrent une lutte féroce sur la fiscalité des entreprises. Il serait urgent de faire aboutir le projet de directive sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). Nous aurons en outre l'obligation de transcrire l'arrêt de juin dernier de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur l'intégration fiscale horizontale et plus seulement verticale : seront concernées non plus seulement les mères et les filles, mais aussi les soeurs, notamment. Les Anglais ont tout de suite modifié leur droit national, comme les Néerlandais - deux pays où la fiscalité des entreprises est déjà basse. Nous allons subir une forte migration et une perte de bases fiscales.

M. Philippe Marini , président . - Bien sûr !

Mme Nicole Bricq . - Sans transposition, ce sera la guerre totale, et nous la perdrons ! Portons les uns et les autres cette recommandation commune. Dans le projet de loi de finances rectificative - c'est dommage que nous ne puissions pas en débattre, la CMP ayant échoué - il était prévu que la jurisprudence européenne s'applique pour les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), ce qui est très important pour la SNCF. Pourquoi ne pas le faire pour toutes les sociétés privées ? Toute une partie de la base fiscale va s'en aller. Lors d'une mission il y a quelques années, nous nous étions rendus aux Pays-Bas, et avions vu ce qu'il en était. Ce n'est pas par hasard si Air France y a son siège...

M. Aymeri de Montesquiou . - Et Renault, EADS...

M. Philippe Marini , président . - L'arrêt du 12 juin 2014 auquel vous faites référence conclut que l'intégration fiscale ne peut se limiter aux seules filiales résidentes dans le même État que la société mère. Un avocat parle d'une « décision sans précédent qui autorise les schémas d'intégration fiscale entre des sociétés implantées dans différents États membres ; si la société mère a son siège dans un État dont la fiscalité est plus douce que celle des États de ses filiales, tant mieux pour elle. » Monsieur le rapporteur général, un amendement d'appel pourrait-il être déposé lors de la seconde lecture du projet de loi de finances rectificative, pour nous exprimer publiquement sur ce sujet ?

Mme Nicole Bricq . - Ce serait seulement un amendement d'appel, car il n'est pas facile pour le ministre du budget d'estimer l'impact de cette décision.

M. Philippe Marini , président . - Montrer que le Sénat est le seul lieu où, au-delà de nos différences, on s'intéresse à cette question de fond, ce n'est pas si mal.

Mme Nicole Bricq . - Je le pense aussi. Nous ne ferons sans doute pas un amendement ensemble, mais nous pouvons nous coordonner et en faire un chacun de notre côté.

M. Philippe Marini . - Why not ?

Mme Nicole Bricq . - Si chacun est fair play . Pour moi, ce sera un amendement d'appel.

M. Philippe Marini , président . - Pas de traquenard, c'est entendu ! Les bases fiscales sont un des sujets de fond essentiels au sein de notre commission. Nous l'avions abordé lors de notre séminaire d'Orléans, en juin dernier, et pour lesquels nous avions invité Pascal Saint-Amans.

M. Serge Dassault . - Monsieur le rapporteur général, vous nous soumettez des informations que nous n'avons pas eu le temps d'étudier. Il y a longtemps que je réclame que les membres de la commission reçoivent les documents un à deux jours avant la réunion.

Les prévisions de dépenses budgétaires de 2014 à 2017 sont toujours autour de 370 milliards d'euros. Et les prévisions de recettes ? Quelles seront-elles ? La TVA, qui plafonne à 140 ou 150 milliards d'euros, l'impôt sur les sociétés, autour de 40 milliards d'euros, la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), et l'impôt sur le revenu, 70 milliards d'euros : en tout 280 milliards d'euros, dont il faut déduire la charge de la dette. Comment faire baisser le déficit budgétaire dans ces conditions ?

L'investissement public doit croître, dites-vous, mais où prendrez-vous l'argent ? Vous emprunterez ! Vous parlez partout de vos 50 milliards d'euros d'économies ; les seules économies réelles que vous faites, c'est ce que vous enlevez aux collectivités territoriales. Il est facile d'économiser ainsi 11 milliards d'euros sur trois ans. Comment réaliserez-vous 18 milliards d'euros d'économies sur les dépenses de l'État ? Les 21 milliards d'euros sur la sécurité sociale ? Et vous ne dites pas un mot sur la croissance : vous n'atteindrez jamais le niveau prévu. Quelles recettes fiscales espérez-vous ? Les gens sont partis, ils ne payent plus. La charge de la dette ne sera pas toujours limitée par des taux d'intérêt bas : elle augmentera. Nous allons à la catastrophe ! Pendant ce temps, le Gouvernement continue à nous empoisonner avec la réforme des régions et des départements. Le problème n'est pas là ! La vraie question est : quand le déficit diminuera-t-il ? Je suis inquiet.

M. Philippe Marini , président . - Même si vous n'avez pas eu le temps d'étudier les documents, vous livrez comme toujours une analyse très fouillée, avec la force de vos convictions.

M. Philippe Dallier . - Nous ne demandons qu'à vous croire, monsieur le rapporteur général. Mais nous avons quelques inquiétudes sur la crédibilité des chiffres affichés. Pas une semaine ne passe sans que des annonces nouvelles entrent en contradiction avec votre chiffre de 50 milliards d'euros d'économies, tant en dépenses qu'en recettes : la baisse de l'impôt sur le revenu des classes moyennes, quoi qu'on en pense, n'y aidera pas.

Le président d'Action Logement vient de démissionner en demandant aux comités interprofessionnels du logement (CIL) de ne plus signer de conventions pour la réalisation de logements sociaux, car la ponction de 400 millions d'euros par an décidée par un précédent gouvernement pour financer le fonds national d'aide au logement (FNAL), réduite ensuite à 300 millions d'euros, a été prolongée contre toute attente, mettant Action Logement dans une situation calamiteuse, avec une trésorerie négative qui s'élèvera à - 1,2 milliard d'euros. On lui dit d'emprunter... ce n'est qu'une manière d'externaliser la dette. Autant faire tomber directement les recettes du 1 % logement dans les caisses de l'État. Ce secteur clé qu'est le logement est en panne ; il faudra de l'argent, notamment pour boucler le FNAL. Et ne parlons pas de la loi de programmation militaire, qui subit le sort que l'on sait, et je doute que le Gouvernement puisse tenir ses engagements. J'aimerais vous croire, monsieur le rapporteur général, quant à la réalisation des chiffres que vous annoncez, mais j'en doute.

Je n'ai jamais pensé que les 18 milliards d'euros de baisse comprenaient les 11 milliards d'euros d'économie pour les collectivités : cela aurait été le comble. Mais ces 11 milliards d'euros représentent la seule économie dont la réalisation est certaine, hélas au grand détriment de l'investissement des collectivités locales.

M. Philippe Marini , président . - Exactement.

M. Philippe Dallier . - L'impôt pour le revenu baissera pour certains ménages, cependant leurs impôts locaux augmenteront inévitablement. Le Sénat doit rendre ses conclusions sur une réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF). J'ai hâte que l'on revienne sur le sujet : le Comité des finances locales y travaille, des annonces dans la presse donnent l'impression que tout est écrit, qu'il s'agisse de la baisse de la DGF ou de l'évolution des dotations de péréquation... Le Sénat semble hors course : il devrait reprendre la main. S'il est un endroit où ces questions doivent être traitées, c'est bien ici.

M. Philippe Marini , président . - Nous pourrions imaginer des schémas qui feraient du Sénat un lieu de débat davantage incontournable sur ces questions ...

M. Aymeri de Montesquiou . - L'évolution des dépenses de 2014 à 2017 montre que l'essentiel de l'effort est demandé aux collectivités, les obligeant à augmenter leurs impôts.

M. Philippe Marini , président . - Sauf à Marsan !

M. Aymeri de Montesquiou . - À nouveau, pourquoi ne pas faire une prévision technique de croissance à 0 % ? Les économies de dépenses seraient ainsi harmonieusement réparties sur l'ensemble. Pourquoi serait-ce inconcevable ?

M. Francis Delattre . - La Cour des comptes reconnaît une certaine maîtrise de la dépense, c'est vrai. Mais notons ce paradoxe, le solde budgétaire se dégrade : les 30 milliards d'euros d'impôts supplémentaires que vous aviez prévus en loi de finances initiale n'ont été exécutés qu'à moitié. Cela fait un manque à gagner de 15 milliards d'euros. Le déficit baisse de 12,3 milliards d'euros - contre 27 milliards d'euros au cours des années précédentes.

M. Philippe Marini , président . - L'écart à la loi de programmation des finances publiques est de 1,3 point de PIB pour le solde effectif et de 1,5 point pour le solde structurel - d'où la qualification d'écart important par le Haut Conseil.

M. Francis Delattre . - Didier Migaud dit qu'il n'y a plus de marges pour la fiscalité, le solde budgétaire reste dégradé ; dès lors, l'endettement s'aggrave. Voilà ce qui est inquiétant lors de l'examen du projet de loi de règlement. C'est ce que dit celui qui certifie les comptes !

Je remarque que les 11 milliards d'euros d'économies demandées aux collectivités territoriales sont bien inclues dans la norme « zéro valeur »... La charge de la dette augmente, les pensions aussi, et les dépenses ne passeront que de 370 milliards à 368 milliards d'euros en 2017 ! Nous assisterons à un ralentissement des dépenses, mais cela sera-t-il suffisant ?

M. Philippe Marini , président . - Bonne question.

M. Francis Delattre . - Les investissements publics ne pourront pas se poursuivre, puisque vous retirez 11 milliards d'euros aux collectivités territoriales, qui en assument 75 %. Il faudrait réfléchir sur les secteurs d'intervention. Même le ministre du budget reconnaît que les résultats de la politique du logement sont médiocres, au regard de son coût pour les finances publiques. L'emploi, secteur si complexe que seuls deux ou trois personnes dans chaque département maîtrisent la question, mobilise beaucoup d'argent pour une efficacité limitée ; la formation professionnelle absorbe des sommes invraisemblables. Faisons le bilan de notre action sur chacun de ces secteurs, comme l'ont fait les pays nordiques. Ce n'est pas sur la défense ou sur l'éducation que l'on pourra faire des économies. Il serait utile de procéder à une étude d'impact secteur par secteur pour voir où se situent les possibilités de réforme.

Mme Marie-France Beaufils . - Le rapport montre toujours les mêmes orientations. Le rapporteur général a raison de souligner, pour le passé, qu'une politique budgétaire restrictive aurait été procyclique : c'est aussi vrai pour l'avenir ! L'impact récessif ne manquera pas d'affecter notre économie.

Lors de notre séminaire à Orléans, nous avons abordé la question du CICE : les entreprises bénéficiaires ne sont pas forcément dans la cible. Pourquoi ne pas s'interroger sur la pertinence de ce type d'actions ?

La baisse des ressources des collectivités territoriales aura des conséquences lourdes sur l'investissement, mais aussi sur le fonctionnement, c'est-à-dire les services rendus aux populations, ce qui touchera les plus faibles - alors que les revenus du patrimoine sont en forte hausse, comme l'a montré la presse spécialisée. Ce sont les plus modestes qui participent le plus à l'effort. Francis Delattre veut des études d'impact ? Commençons par évaluer les dépenses fiscales.

M. Philippe Marini , président . - Il serait utile de rappeler quand le chiffre de 50 milliards d'euros d'économies a été énoncé, et par qui. Si ma mémoire est bonne, c'était Jean-Marc Ayrault. Nous en parlons toujours aujourd'hui, alors que Manuel Valls est arrivé et a annoncé des baisses de recettes fiscales et de contributions sociales. Cela pose à mon sens un vrai problème de crédibilité et de cohérence. De plus, si l'on déduit 25 milliards d'euros de moindres recettes fiscales, l'effort n'est plus que de 25 milliards d'euros.

Vous évoquez les « marges de manoeuvre du pacte de stabilité » en vous fondant sur le cas italien. Nous connaissons tous le brio, l'imagination, le sens des opportunités de nos voisins...

M. François Marc , rapporteur général . - Ce sont des artistes.

M. Philippe Marini , président . - L'Italie est le plus beau pays du monde, mais son déficit est en deçà de 3 %, point que nous n'avons pas atteint.

M. Philippe Dallier . - Leur dette est importante.

M. Aymeri de Montesquiou . - Elle représente 130 % du PIB.

M. Philippe Marini , président . - Vous ambitionnez de respecter la règle des 3 % de solde effectif, mais grâce à un calcul plus favorable du solde maastrichtien. N'est-ce pas une fuite en avant, un propos d'opportunité ? Le développement de projets d'investissement public par la Banque européenne d'investissement, ou selon les modalités proposées par Michel Aglietta, repose sur l'emprunt, sur des ressources que l'on ne peut se procurer qu'au prix du marché.

M. François Marc , rapporteur général . - Dans le tableau de financement, la variation du solde du compte du Trésor comprend à la fois la variation du montant des disponibilités du Trésor à la Banque de France et la variation du montant des placements de trésorerie à court terme de l'État. On observe un recul inattendu de l'encours des dépôts de certains correspondants du Trésor à hauteur de 5,3 milliards d'euros, provenant essentiellement des collectivités (1,3 milliard d'euros de moins pour les communes, 0,8 milliard d'euros pour les intercommunalités) et des banques centrales africaines (3,2 milliards d'euros de moins). Le solde du compte du Trésor est de 23,7 milliards d'euros fin 2013, soit une baisse de 7,9 milliards d'euros par rapport à fin 2012. La part de la dette de court terme dans le total de l'encours reste stable à 11,9 %, au lieu de baisser comme prévu de 0,5 point. On ne peut pas dire que l'emprunt de court terme a servi de variable d'ajustement.

M. Philippe Marini , président . - Il faudrait approfondir le sujet. La variation positive de 10,4 milliards d'euros par rapport à la prévision de la loi de finances initiale doit être interprétée au regard des 14,5 milliards d'euros de besoin de financement supplémentaire.

M. François Marc , rapporteur général . - J'indique à Nicole Bricq que la stabilisation des dépenses fiscales a été optiquement affectée par les changements de périmètre et les réévaluations d'une année sur l'autre.

Mme Nicole Bricq . - Il est difficile de s'y retrouver.

M. François Marc , rapporteur général . - Les crédits d'impôt sont bel et bien traités comme des dépenses en comptabilité nationale, mais pas en comptabilité budgétaire, où ils apparaissent en minoration de recettes fiscales. Leur intégration en dépenses budgétaires serait problématique, puisque ces crédits d'impôt ne sont pas pilotables.

Les dépenses d'investissement de l'État ont suivi une légère tendance à la baisse ces dernières années. Mais elles sont modestes au regard de celles des collectivités.

Le Gouvernement, monsieur Dallier, ne fait que prévoir la baisse de prélèvements obligatoires déjà prise en compte dans la trajectoire des finances publiques : celle de l'impôt sur le revenu en 2015 était déjà connue. On a annoncé récemment des mesures plus pérennes, qui seront inscrites dans le projet de loi de finances pour 2015.

M. Philippe Dallier . - Le tout, c'est de les évaluer !

M. François Marc , rapporteur général . - C'est une autre affaire. Ce que vous dites sur le logement est juste. La réunion de la commission des finances le 23 juillet pour suite à donner à l'enquête de la Cour des Comptes sur l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), conduite en application de l'article 58-2° de la LOLF, abordera la question de son financement.

Pourquoi ne pas prendre une hypothèse de croissance nulle, pour être tranquille, demande Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou . - Vous caricaturez ma position.

M. Philippe Marini , président . - Des rallonges pourraient être effectuées en cours d'année.

M. François Marc , rapporteur général . - Cela serait procyclique et dégraderait les perspectives de croissance en augmentant l'anxiété des acteurs économiques.

M. Aymeri de Montesquiou . - Tous les gouvernements font des prévisions qui ne se réalisent pas, faussant tous les calculs ; un taux de croissance nul ne serait que théorique. En cas de croissance finalement supérieure, le Gouvernement disposerait de ressources qui pourraient servir pour partie à rembourser la dette. Vos prédécesseurs ont fait l'éloge de cette suggestion, y compris d'anciens ministres du budget. Cela permettrait d'économiser au moins le montant de l'inflation, qui est rarement négative.

Mme Nicole Bricq . - Elle était de 0,5 % sur un an en juin 2014.

M. Philippe Marini , président . - J'ai longtemps soutenu cette position ; elle se heurte malheureusement à la méthode des arbitrages lors de la préparation du projet de budget. Aucun ministre du budget lucide ne s'y risquerait - ou bien c'est le Premier ministre qui le refuserait - puisque cela aboutirait à des dotations plus basses. Les gouvernements successifs renâclent donc, encouragés à cela par les corps administratifs dont on connaît le tropisme pour la dépense publique. Il serait pourtant préférable que le Gouvernement soit en capacité en cours d'année de donner un peu de miel, mettre un peu de beurre dans les épinards... bonne façon pour le pouvoir politique de se faire aimer.

M. François Marc , rapporteur général . - La question posée par le président Marini est une question de théorie budgétaire, presque conceptuelle : faut-il tendre vers une planification glissante dans la budgétisation publique, où les plafonds de crédits seraient déterminés par la réalisation d'hypothèses économiques ? Cela se heurterait à divers obstacles, comme la difficulté de modifier le montant des charges de personnel conformément au droit de la fonction publique existant. Cela conduirait par ailleurs à des prévisions insincères par rapport à celles que valide le Haut Conseil, qui est une vigie efficace pour apprécier la validité des prévisions par rapport au consensus des économistes.

M. Aymeri de Montesquiou . - Dire que le déficit pourrait baisser sans contrainte, c'est mentir.

Mme Nicole Bricq . - Et 50 milliards d'euros, ce n'est pas une contrainte ?

M. François Marc , rapporteur général . - Quant au déficit, il a baissé de 12 milliards d'euros en 2013 par rapport à 2012.

M. Francis Delattre . - Je ne le conteste pas. Mais vous aviez prévu davantage.

M. Philippe Marini , président . - Les ambitions ont été réduites.

M. François Marc , rapporteur général . - Des lois de finances rectificatives ont ajusté l'objectif. Le Gouvernement prévoit une hausse de la charge de la dette de plus de 6 milliards d'euros entre 2014 et 2017. Il fait ainsi preuve de prudence quant au risque que représente la charge de la dette.

M. Francis Delattre . - Et le gris de la dépense fiscale, sur lequel Nicole Bricq vous a interrogé ?

M. François Marc , rapporteur général . - Marie-France Beaufils parlait des entreprises qui bénéficient du CICE : eh bien, il profite à l'emploi, car il représente 6 % de moins de charges salariales.

M. Francis Delattre . - Et 4 % la première année.

Mme Nicole Bricq . - Je n'ai quant à moi pas parlé du CICE, mais de la variation du périmètre des dépenses fiscales. Le CICE crée des effets d'aubaine, c'est sûr, qu'il faut évaluer et contrôler. Les entreprises viennent en bénéficier, puis se plaignent d'être visées par des contrôles fiscaux : c'est pourtant normal ! La nation consent un sacrifice, elle doit vérifier à quoi il sert.

M. François Marc , rapporteur général . - La baisse de 11 milliards d'euros concerne les ressources des collectivités, et non leurs dépenses.

M. Philippe Dallier . - Voilà les élus locaux rassurés !

M. François Marc , rapporteur général . - Cela n'implique pas une hausse des impôts locaux.

M. Philippe Dallier . - Pour les riches, peut-être !

M. Aymeri de Montesquiou . - Avez-vous déjà été maire ?

M. François Marc , rapporteur général . - Pendant 18 ans ! L'évolution spontanée des recettes fiscales locales serait d'environ 15 milliards d'euros à législation constante.

M. Philippe Marini , président . - L'évolution spontanée correspond-elle à l'évolution de l'assiette ?

M. François Marc , rapporteur général . - Elle correspond, à législation constante, à l'évolution des bases.

M. Philippe Marini , président . - Monsieur le péréquateur général, une telle évolution ne fera qu'aggraver les tensions entre collectivités riches et pauvres.

M. François Marc , rapporteur général . - C'est pourquoi, il conviendra d'être vigilant sur la répartition de la manne et de veiller à ce que personne ne soit délaissé. L'État respecte la norme « zéro valeur » pour lui-même hors baisse des dotations aux collectivités. Ce que l'Union européenne demande, c'est une baisse de l'ensemble des dépenses publiques et pas seulement de celles de l'État. Un euro de dépenses de l'État et des collectivités territoriales est strictement équivalent. L'État agit donc dans le cadre de ses relations sur les collectivités territoriales, par le niveau des dotations, car il ne peut leur imposer une baisse de dépenses, en raison de leur autonomie financière.

Le tendanciel des dépenses publiques, d'après la Cour des Comptes, a été abaissé par le Gouvernement dans un souci d'honnêteté, car la conjoncture est nettement moins favorable et les économies plus faibles.

Les baisses d'impôts étaient déjà prévues en décembre 2013 ; seule la chronique a été révisée et le contenu précisé. Suivant la décision du président de la République, les assises de la fiscalité ont procédé à des ajustements. L'Italie - pays que vous aimez entre tous, monsieur le président - a certes un déficit moins élevé, mais le niveau de sa dette est supérieur, comme les taux d'intérêt qu'elle doit servir. Vous pouvez en conclure qu'elle se porte mieux que nous : ce n'est pas l'avis de ses créanciers, ni de nombreux économistes.

Les investissements publics par l'emprunt constituent une démarche économiquement logique, comme le font les entreprises, d'autant plus que les ressources existent et sont peu onéreuses.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2013. Elle a donné acte à M. François Marc, rapporteur général, de sa communication sur les orientations des finances publiques et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information .

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