B. DE L'AIDE À LA DÉCISION À L'OUTIL D'ÉVALUATION

Si l'étude d'impact éclaire la décision du Parlement avant le vote d'un projet de loi, force est de reconnaître que les assemblées sont actuellement assez mal armées dans l'exercice d'évaluation qui, une fois la loi votée, consistera à s'assurer, le moment venu, qu'elle remplit bien les objectifs qu'on en attendait. Or, les études d'impact pourraient également se révéler utiles dans cette phase.

1. L'introduction dans l'étude d'impact de critères d'évaluation « ex post »

L'une des pistes de réflexion évoquée à plusieurs reprises lors des travaux de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois consisterait en effet à inclure dans les études d'impact les critères d'évaluation du projet de loi concerné. Comme le soulignait le Président David Assouline lors du colloque du 5 décembre 2013 sur la qualité de la loi, « cela permettrait d'intégrer la démarche d'analyse qualitative dès le début de la procédure législative, marquant un progrès significatif par rapport à la situation actuelle où nos évaluations s'opèrent toujours en aval ».

Les critères ainsi posés donneraient au Parlement des bases stables et quantifiées pour vérifier si, au terme d'un délai préalablement déterminé, les objectifs développés dans l'exposé des motifs de la loi et dans l'impact du texte ont bien été atteints. Dans l'hypothèse d'un « défaut de fabrication normative » -c'est-à-dire au cas où les objectifs du texte se révèleraient inatteignables ou si son impact réel différait fortement des prévisions initiales- le législateur serait ainsi mieux à même de reconsidérer la législation en cause, soit en modifiant le dispositif défaillant, soit en y apportant les correctifs adéquats.

Reste que le Parlement français ne dispose encore que de peu d'outils lui permettant d'évaluer lui-même et avec fiabilité l'impact des différents projets sur lesquels il est amené à se prononcer ; il serait encore plus démuni pour apprécier la pertinence de critères d'évaluation ex post que les experts du Gouvernement pourraient soumettre à son appréciation.

Pour tenter de combler ce handicap, faut-il aller jusqu'à permettre à un ou plusieurs parlementaires de discuter de la pertinence des critères d'évaluation proposés par le Gouvernement, voire d'associer des députés et des sénateurs à l'élaboration de l'étude d'impact, de manière à renforcer la validité des critères retenus ?

Cette question, qui se pose dans des termes assez similaires à celle de l'éventuelle association de membres des assemblées parlementaires à l'écriture des règlements d'application, est loin de faire l'unanimité.

En tout état de cause, une telle démarche risquerait de politiser inutilement un exercice qui doit, au contraire, être aussi neutre que possible. Par ailleurs, comme l'a relevé le Président David Assouline, elle aurait pour inconvénient de porter atteinte « au principe de séparation des pouvoirs et à la répartition constitutionnelle des rôles entre le législateur -c'est-à-dire le Parlement- et le pouvoir réglementaire - c'est-à-dire le gouvernement ».

2. De l'étude d'impact au bilan d'évaluation, un continuum naturel

Si les études d'impact sont des analyses réalisées en amont du processus législatif, elles peuvent néanmoins aider, en aval, à l'établissement de bilans d'évaluation. De ce fait, il est assez logique que les évaluations a posteriori soient mises en perspective des études d'impact réalisées ex ante . Comme l'a parfaitement résumé Serge Lasvignes lors du colloque du 5 décembre 2013 sur la qualité de la loi, l'étude d'impact évolue entre deux bornes, « l'une en amont et l'autre en aval du processus législatif, qu'il convient de mettre plus directement en relation afin de mieux évaluer la façon dont nous adoptons les textes ».

Sur le plan de la qualité des lois, maintenir un continuum normatif entre le travail d'avant-vote et l'évaluation des législations en vigueur offre de nombreux avantages : il permet, en particulier, de vérifier rétrospectivement la pertinence et la sincérité des études d'impact présentées à l'appui des projets de loi -et d'en tirer les conséquences en cas d'écarts notables- tout en s'assurant que les dispositifs en vigueur répondent bien aux attentes ayant justifié leur adoption. Telle est, d'ailleurs, la logique forte sur laquelle se fondent, depuis sa création, les travaux de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, car parallèlement à son travail d'inventaire sur les textes réglementaires d'application des lois, il lui paraît essentiel de vérifier comment s'appliquent concrètement les lois en vigueur.

Si beaucoup de pays de l'OCDE sont dotés de mécanismes d'évaluation a posteriori , encore assez peu -moins de la moitié, semble-t-il-, procèdent à un rapprochement plus ou moins méthodique entre les estimations prévisionnelles et les résultats constatés sur la base des critères insérés dans l'étude d'impact (ou dans le document prévisionnel en tenant lieu).

En France, cette démarche semble encore très balbutiante. En compensation, plusieurs instances institutionnellement chargées de veiller à la bonne mise en oeuvre d'une réglementation déterminent, à cet effet, des critères d'évaluation, une fois cette réglementation mise en application.

C'est la méthodologie suivie, par exemple, pour l'élaboration de certains rapports présentés par les inspections générales des ministères, par le Conseil d'État ou par la Cour des comptes. Toutefois, les travaux réalisés par ces instances -notamment par la Cour des comptes- portent davantage sur des politiques publiques au sens large que sur telle ou telle législation particulière. Ils ne représentent donc qu'un apport modeste au travail d'évaluation législative proprement dite.

De son côté, le législateur français prévoit donc bien souvent, au moment du vote d'une loi, la remise, après un certain temps, d'un rapport au Parlement, dont l'objet sera précisément de faciliter son travail en aval, en l'éclairant sur le bilan concret de mise en oeuvre de cette loi. Mais la technique du rapport bute sur deux obstacles significatifs : d'une part, beaucoup des rapports demandés par le Parlement ne lui sont purement et simplement jamais remis (comme le montrent les statistiques figurant dans la première partie du présent rapport) ; d'autre part, ceux qui lui sont remis se révèlent d'une utilité assez variable, certains d'entre eux fournissant des informations peu exploitables ou faisant état de considérations générales sans grand intérêt.

En outre, le procédé a un revers : les parlementaires reçoivent, chaque année, tant de rapports, qu'il leur est pratiquement impossible d'y consacrer une attention suffisante ;

Plusieurs autres pistes ont été évoquées pour faciliter et renforcer le travail d'évaluation a posteriori . Une d'entre elles consisterait à créer un nouveau document d'évaluation, qui, symétriquement aux études d'impact, porterait uniquement sur l'évaluation de la législation en aval.

Mais, là encore, un tel système alourdirait encore les procédures, là où il semble opportun de les alléger. C'est, en tout cas, l'avis exprimé par Rémi Bouchez lors de sa récente audition devant la mission de simplification de l'Assemblée nationale ; estimant que les évaluations a posteriori basculent insensiblement « de la question du flux vers celle du stock », l'ancien commissaire à la simplification a estimé préférable de privilégier et d'améliorer les études d'impact préalables avant de réfléchir à la généralisation d'un document ex post ; tout au plus, certaines études d'impact a posteriori pourraient être cantonnées à un segment du droit ou à un angle d'attaque, afin « d'en faire la revue de détail et d'essayer, par la concertation, de le simplifier et de l'améliorer », démarche plus efficace « que de centrer l'analyse sur un seul dispositif ou d'engager, comme par le passé, des exercices de simplification tous azimuts donnant lieu à de lourds travaux interministériels et à des textes fleuves ».

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Quoi qu'il en soit, si la bonne méthode reste sans doute à inventer, le Parlement ne peut pas faire l'impasse sur l'approfondissement du contrôle qualitatif de la législation en vigueur car il y va de la bonne application des lois .

Dans ce domaine -comme dans d'autres- la meilleure formule passera certainement par une économie de moyens, si possible en tirant un meilleur parti des instruments déjà disponibles, plutôt qu'en alourdissant les procédures existantes par la création d'instruments nouveaux et compliqués.

Le Sénat, pour ce qui le concerne, a déjà fait un pas important dans cette direction avec la création de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois.

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