IV. LA FORÊT DE MONTAGNE : UNE RESSOURCE SOUS EXPLOITÉE

A. LES SPÉCIFICITÉS DE LA FORÊT DE MONTAGNE

1. Des massifs forestiers étendus, variés et denses
a) La typologie des massifs forestiers de montagne

La forêt tient une large place dans l'espace montagnard, dont le taux de boisement est de l'ordre de 40 %, alors que la moyenne nationale est de 25 %. La forêt de montagne représente 37 % du potentiel forestier national, en superficie comme en volume de bois sur pied, alors que les zones de montagne représentent seulement 30 % du territoire national. La proportion des résineux y est de 55 %, contre 35 % au plan national, et de 24 % pour les seuls sapins et épicéas.

La typologie de la forêt de montagne du point de vue des handicaps et de l'exploitation présentée dans le rapport d'information sénatorial de 2002 demeure toujours pertinente. Il est ainsi possible de distinguer :

- des massifs de moyenne altitude, au taux de boisement élevé, au réseau de desserte forestière dense, présentant une production biologique élevée base d'une exploitation forestière et d'une filière bois actives. C'est le cas des Vosges, du Jura et, à un degré moindre, du Massif central ;

- des massifs de haute montagne, où l'exploitation se heurte à des handicaps naturels liés à l'altitude, à la pente, à la situation économique locale, ainsi qu'aux contraintes imposées par la protection de l'environnement. C'est le cas des Alpes et des Pyrénées ;

- des massifs méditerranéens où les peuplements forestiers de faible valeur économique subissent la menace constante des feux de forêts. C'est le cas de la forêt de Corse, de la frange littorale des Alpes du Sud et des Pyrénées orientales, voire de l'Ariège.

b) Une densité supérieure à la moyenne nationale

Les forêts de montagne se caractérisent par une importante accumulation de bois sur pied : leur volume moyen de 165 m 3 par hectare est supérieur de 20 % à la moyenne nationale.

Ce phénomène d'accumulation du bois sur pied, qui tend à se renforcer, traduit en fait le vieillissement des peuplements : dans la plupart des massifs de montagne, les taux de prélèvement du bois sont parmi les plus faibles de France. Cette sous-exploitation des forêts de montagne est particulièrement marquée dans les Alpes et en Corse.

c) Un rôle protecteur contre les risques naturels et l'érosion des sols

Le rôle des forêts de montagne pour la prévention des risques naturels dans le cadre du service RTM a déjà été évoqué dans la partie du présent rapport d'information consacrée à la politique de restauration des terrains en montagne : environ 300 000 hectares, dont 250 000 boisés, relèvent aujourd'hui des séries domaniales classées sous servitude RTM.

Par ailleurs, la loi du 28 avril 1922 instaurant le statut de forêt de protection, dite « loi Chauveau », a permis, au-delà des périmètres RTM domaniaux, de classer des parcelles boisées dont la conservation était nécessaire au maintien des terres, et de lutter ainsi contre l'exploitation abusive de certains massifs forestiers.

2. Une grande sensibilité au changement climatique
a) Les risques sanitaires spécifiques à la forêt de montagne

Les arbres des forêts d'altitude présentent des pathologies spécifiques en raison de la rigueur du climat montagnard (bris dus aux neiges lourdes et favorisant la prolifération des insectes sous-corticaux, épisodes de gel précoce) ; du vieillissement des peuplements ; de la prédominance des résineux ; de la pluviométrie élevée, qui favorise l'acidification des sols, naturelle ou exogène.

Au début des années 1980, les « pluies acides » avaient suscité de fortes inquiétudes quant à l'évolution, à moyen terme, de la santé des massifs forestiers de moyenne montagne. Les études scientifiques menées depuis montrent que le dépérissement des peuplements forestiers attribué à ces « pluies acides », résultait de la conjonction des sécheresses exceptionnelles de la fin des années 1970, dont l'effet s'est fait sentir de manière décalée dans le temps, et de la présence localisée de sols hyperacidifiés par le lessivage résultant du retour à des précipitations plus abondantes. En théorie, une nouvelle crise de ce genre pourrait être prévenue par des amendements calcaires. Mais la France n'a pas choisi de s'engager massivement dans cette politique de prévention, à la différence de l'Allemagne.

b) Les effets du changement climatique sur la forêt de montagne

La plus grande fréquence des phénomènes climatiques extrêmes pourrait avoir de graves répercussions sur la forêt de montagne.

Les tempêtes Lothar et Martin de 1999 ont relativement épargné les massifs des Alpes et des Pyrénées, mais sévèrement endommagé ceux des Vosges et du Jura : l'équivalent de dix récoltes annuelles y a été perdu. La tempête Klaus de 2009 n'a que très marginalement touché les forêts de montagne, mais un tiers des dégâts provoqués par la tempête Xynthia de 2010 a concerné le massif des Pyrénées.

La plus grande fréquence et l'allongement des périodes de sécheresse sont de nature à favoriser les incendies de forêt et à fragiliser des peuplements forestiers devenus plus vulnérables aux divers agents pathogènes et insectes ravageurs.

Enfin, le décalage vers le haut des étages montagnards, sous l'effet du réchauffement climatique, pose la question de l'évolution des peuplements forestiers, que celle-ci soit spontanée ou accompagnée par l'homme. Solidement enracinés, les arbres ne peuvent pas suivre ce mouvement déjà observable. Un changement trop accentué des conditions climatiques des niches écologiques des essences les plus spécifiquement adaptées à un niveau d'altitude donnée, risque donc d'entraîner leur dépérissement.

3. Une exploitation difficile
a) Des dessertes insuffisantes et des coûts élevés

Dans les forêts de haute montagne, les pentes abruptes ou difficilement accessibles rendent techniquement très difficile l'exploitation et le débardage des bois. Une relative perte de savoir-faire en matière de débardage par câble ne permet plus d'envisager l'exploitation des parcelles les moins accessibles.

Même lorsque les dessertes existent, ces particularités topographiques excluent le plus souvent le recours à la mécanisation, alors que l'exploitation manuelle présente un rendement faible et des risques élevés.

Lorsque l'exploitation est possible, c'est avec des surcoûts de bûcheronnage ou de débardage importants : si bien que, dans les conditions extrêmes d'exploitation, la valeur nette du bois sur pied peut devenir négative.

b) Une propriété morcelée

Le statut de forêt communale est très répandu dans certains massifs montagneux. Ainsi, dans les Vosges et le Jura, les forêts publiques sous régime communal représentent plus de la moitié des espaces boisés, contre un tiers pour l'ensemble de la France. À l'inverse, les forêts domaniales de l'État sont rares en zones de montagne.

Toutefois, si l'on prend les massifs dans leur globalité, la forêt privée apparaît largement dominante, puisqu'elle représente 71 % de la surface des forêts de montagne.

En montagne plus qu'ailleurs, la division des parcelles lors des héritages successifs, souvent aggravée par l'effacement des bornages, se traduit par un extrême morcellement de cette forêt privée, ce qui est un obstacle majeur à sa gestion active et à son exploitation effective.

c) Une économie de la filière dégradée

Les surcoûts d'exploitation précédemment évoqués, les mutations technologiques que peinent à suivre des scieries dans leur très grande majorité de taille artisanale, la pénurie de main-d'oeuvre, l'enclavement et la longueur des transports, sont autant de causes expliquant la relative faiblesse économique de la filière bois en zone de montagne.

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