EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 19 février 2014, la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire examine le rapport d'information de Mme Hélène Masson Maret et de M. André Vairetto sur la protection et la mise en valeur du patrimoine naturel de la montagne.

M. Raymond Vall, président. - L'ordre du jour de la commission appelle ce matin l'examen du rapport d'information de nos collègues Hélène Masson-Maret et André Vairetto sur la protection et la mise en valeur du patrimoine naturel de la montagne.

Comme nous l'avions fait pour le rapport sur la loi littoral, nous avons ouvert notre réunion d'aujourd'hui aux membres du groupe d'études « Montagne » qui est rattaché à notre commission. Ce rapport est le résultat d'un très important travail mené depuis des mois par les deux rapporteurs. Ils ont notamment procédé à un grand nombre d'auditions et effectué plusieurs déplacements. Leurs diagnostics et leurs propositions d'évolution sont très attendus.

Mme Hélène Masson-Maret, co-rapporteure. - Je remercie la commission du développement durable qui nous a fait l'honneur de nous confier, en début d'année dernière, la réalisation d'un rapport d'information sur la protection et la mise en valeur du patrimoine de la montagne.

Tout au long de cette mission, notre réflexion a été portée par trois grandes convictions.

Notre première conviction est que ce patrimoine naturel, s'il est bien sûr la propriété des populations qui y vivent et y travaillent, peut aussi être considéré, par sa richesse exceptionnelle, comme un bien appartenant à la Nation tout entière.

Notre deuxième conviction est que la loi du 9 janvier 1985, dite loi Montagne, par son souci permanent de concilier le développement et la protection de celle-ci, constitue un texte précurseur du développement durable, plus de vingt ans avant le « Grenelle de l'environnement » et les textes législatifs qui en sont issus.

Notre troisième conviction est que ce patrimoine naturel, en dépit de l'impression de solidité immuable donnée par les montagnes, est en fait fragile : Il sera tout particulièrement sensible aux effets du changement climatique.

Nous avons circonscrit le périmètre du rapport à six thèmes différents : d'abord, l'environnement montagnard, à la fois dans sa richesse en termes de biodiversité, mais aussi en tant que porteur de risques spécifiques ; ensuite, les multiples outils de protection de ce patrimoine naturel, parmi lesquels, notamment, les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux. L'agriculture et la forêt de montagne, qui sont des parties intégrantes et humanisées de ce patrimoine, font l'objet d'un chapitre chacun. La problématique de l'eau nous a paru mériter également un chapitre distinct. Enfin, le tourisme en montagne nous est apparu comme une activité économique fondée très directement sur la mise en valeur de ce patrimoine, riche de la beauté de ses paysages et de l'étendue de ses espaces.

Pour traiter ces six thèmes, deux questionnements nous ont servi de fils conducteurs. Première question, qui se trouve au coeur de la loi Montagne de 1985 : comment concilier protection et développement ? Deuxième question, qui se trouve au coeur des lois Grenelle I et II : comment préparer l'adaptation de ce patrimoine naturel au changement climatique ?

Rapports écrits et auditions ont alimenté notre réflexion et, pour commencer notre travail, nous avons pu nous appuyer sur l'excellent rapport de la mission commune d'information du Sénat sur le bilan de la loi Montagne fait en 2002 par Jean-Paul Amoudry, notre ancien collègue Jacques Blanc étant président de la mission. Nous avons également pu nous appuyer sur le rapport d'information sénatorial que Jacques Blanc a consacré en 2011 à la politique européenne de la montagne et, parmi d'autres que je ne puis tous citer, sur le remarquable rapport consacré en 2007 par l'association nationale des élus de la montagne (ANEM) au changement climatique et à l'avenir de la montagne.

Au cours de nombreuses auditions au Sénat, et de trois déplacements à Nice, Bruxelles et Chambéry, nous avons entendu une soixantaine de personnalités : parlementaires, élus locaux, universitaires, fonctionnaires nationaux, territoriaux et européens, représentant d'organisations, de fédérations et d'associations les plus diverses.

Fruit de ce travail, notre rapport contient plusieurs propositions que nous avons voulues, systématiquement, les plus opérationnelles possibles.

Dans le chapitre premier, relatif à l'environnement naturel de la montagne, nous nous sommes efforcés de montrer que celui-ci est certes fragile, mais aussi exigeant par les risques qui lui sont inhérents.

L'amplitude du phénomène global de réchauffement climatique nous a été confirmée par Jean Jouzel, lorsque celui-ci est venu présenter devant notre commission, le cinquième rapport d'évaluation du GIEC (groupe d'experts intergouvernementaux sur l'évolution du climat), dont il est le vice-président français.

Il faut insister sur la sensibilité particulière des zones de montagne à ce changement climatique, où l'impact pourrait être plus marqué : décalage vers le haut des étages de végétation montagnards, mutation des écosystèmes des différentes espèces de faune et de flore (très spécialisés en montagne), effets ambivalents sur l'agriculture et le pastoralisme car le réchauffement des températures ne présente pas que des inconvénients pour les productions végétales et animales, même si, à long terme des sécheresses plus marquées et prolongées ne peuvent être considérées comme un avantage.

Autre conséquence du changement climatique, les risques naturels seront vraisemblablement accrus en montagne : événements climatiques extrêmes amplifiés par le relief, mutation des avalanches plus précoces et plus humides, crues torrentielles, feux de forêts particulièrement difficiles à maîtriser en montagne, risques liés à la fonte des glaciers et des terrains à pergélisol.

Dans cette perspective de risques accrus, la politique de restauration des terrains en montagne (RTM) prend donc toute son importance. L'érosion constante des dotations budgétaires allouées par l'État à l'office national des forêts (ONF) à ce titre est un sujet de préoccupation, et ce même si ces dotations ont été remises à niveau en 2012.

Notre première proposition consiste donc simplement à demander que, compte tenu des baisses récurrentes enregistrées, les crédits affectés à l'ONF pour la restauration des terrains en montagne soit, a minima, maintenus au niveau de ceux déjà alloués.

Par ailleurs, il nous est apparu nécessaire d'optimiser les plans de prévention des risques naturels en montagne. Leur mise en place y constitue un impératif, mais se heurte à un jeu de rôle artificiel entre l'État, qui se charge de « dire le risque » dans une optique de protection maximale, et les élus locaux, qui ne veulent pas être privés de toute possibilité de développement et d'aménagement de leurs territoires. Le projet de superposition, dans les plans de prévention des risques d'avalanches, de nouvelles « zones jaunes » (risque tri-centennal) aux zones bleues et rouges est un exemple marquant de ce manque de concertation.

Sur ce sujet des PPRN, nous formulons trois propositions :

- encourager, par le dialogue local, une définition davantage collective, participative et partenariale des risques acceptables sur les territoires de montagne, dans une approche soutenable à la fois pour l'État et pour les collectivités ;

- compléter la carte d'aléas des PPRN par des scénarios de risques plus explicites et détaillées, de manière à ce que l'expertise aboutissant aux différents zonages ne soit plus une « boîte noire ». Ainsi explicités, les scénarios de risques seraient associés à des seuils d'alerte, ainsi qu'à des mesures à prendre pour la mise en sécurité des personnes ;

- permettre des choix d'aménagements intercommunaux à partir d'une définition élargie des périmètres d'études des PPRN, qui nous paraît mieux adaptée pour une utilisation à l'échelle intercommunale.

Le deuxième chapitre est consacré aux outils de protection du patrimoine naturel de la montagne.

Les dispositifs généraux, comme la notion de « massifs », qui s'appliquent à de vastes surfaces en montagne, présentent un intérêt particulier au regard de la Trame verte et bleue, prévue par le « Grenelle de l'environnement », pour rétablir les continuités écologiques. Pour l'élaboration de cette Trame, ils ont vocation à constituer autant de « réservoirs de biodiversité » reliés entre eux par des « corridors écologiques ». Le réseau Natura 2000 apparaît également particulièrement dense en montagne. Mais sa mise en oeuvre semble se heurter au problème de la disponibilité des financements pour la restauration et l'animation des zones Natura 2000.

Nous formulons donc deux propositions pour faciliter leur financement. Première proposition : recourir aux financements communautaires complémentaires prévus dans le cadre de la politique agricole commune, en généralisant sur les sites Natura 2000 les « mesures agroenvironnementales territorialisées ». Deuxième proposition : rétablir la compensation intégrale par l'Erat des pertes de recettes de taxe sur le foncier non bâti subies par les communes au titre de l'exonération des terrains situés en zone Natura 2000.

Concernant les parcs nationaux, ce dispositif très centralisé et fortement protecteur a été modifié par la « loi Giran » de 2006, qui a cherché à donner davantage de pouvoir aux maires des communes de « l'aire d'adhésion » située en périphérie du « coeur de parc ». L'application de cette loi a été plus difficile que prévu, notamment dans le plus emblématique des parcs nationaux, celui de la Vanoise, pour lequel il n'est pas aujourd'hui encore certain que les communes de l'aire d'adhésion finiront pas adopter la charte qui leur est proposée.

Nous avons donc formulé principalement deux propositions, dans l'objectif d'apaiser les tensions entre les autorités administratives gestionnaires des parcs nationaux, d'une part, et les populations locales représentées par leurs élus, d'autre part. La première proposition consiste à rendre possible un recrutement local des gardes des parcs nationaux par un système de validation des acquis d'expérience. Ce recrutement local serait une manière d'obtenir une plus grande harmonie entre les gardes et les populations. La deuxième proposition consiste à offrir aux gardes des parcs nationaux une formation d'adaptation à l'emploi prenant en compte les nécessités du développement local, ainsi que l'écoute des populations et des élus.

Les parcs naturels régionaux relèvent d'une logique bien différente de celle des parcs nationaux : il s'agit d'un dispositif à l'initiative des collectivités territoriales, qui garantit par construction un équilibre dynamique entre protection et développement.

Nous formulons une proposition pour conforter le succès des parcs naturels régionaux : il s'agirait, pour les communes adhérentes d'un PNR, de rendre obligatoire l'intégration dans le projet d'aménagement et de développement durable (PADD) de leur plan local d'urbanisme, les préconisations de la charte et du plan du parc.

Le troisième chapitre de notre rapport traite de l'agriculture, considérée comme un facteur d'humanisation de l'environnement montagnard.

L'agriculture de montagne se caractérise par une surface agricole étroite et un foncier rare au regard de l'étendue des espaces montagnards, par la prédominance d'un élevage extensif et par de fortes contraintes naturelles liées au climat et au relief.

Comme toute l'agriculture française, l'agriculture de montagne est tributaire de la politique agricole commune qui reconnaît depuis longtemps un principe de compensation des handicaps, traduit par la mise en place de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN), de la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) et d'aides à l'installation et la modernisation majorées en montagne. Nous faisons la proposition de relever, voire supprimer, les plafonds des aides pour la modernisation des bâtiments d'élevage en montagne. La valorisation de la qualité des produits de montagne par la labellisation est également évoquée.

Je finirai, enfin, par un sujet qui me tient à coeur : celui de l'impact du retour des grands prédateurs sur le pastoralisme. La filière ovine, économiquement fragile, subit déjà l'impact du changement climatique et de la concurrence internationale, notamment de la Nouvelle-Zélande et de la Grande Bretagne, 60 % de la consommation nationale étant aujourd'hui importée. La prolifération des grands prédateurs, dont le plus redoutable est le loup, accentue encore le danger de voir l'activité pastorale régresser.

Après avoir été éradiqué au début du XXème siècle, le loup a fait « spontanément » son retour depuis les Apennins italiens en 1992, et sa population s'accroît à un rythme de 20 % par an, pour atteindre un effectif de 250 bêtes, selon les sources officielles (alors qu'officieusement on parle de 400 à 450 bêtes). L'ours des Pyrénées a frôlé l'extinction, mais a fait l'objet d'une réintroduction, tout comme le lynx et ces très grands rapaces que sont les vautours gypaètes.

Il en résulte une forte augmentation des prédations sur les troupeaux. Pour s'en tenir aux dégâts du loup, ceux-ci sont passés de 2 680 victimes indemnisées en 2008 à 4 913 en 2011, dont 95 % d'ovins. Ces prédations sont concentrées à 35 % dans mon département, les Alpes-Maritimes.

En conséquence, les indemnisations sont en forte hausse, passant de 500 000 euros en 2004 à 1,5 million d'euros en 2011 ; elles sont néanmoins insuffisantes, puisqu'elles excluent le préjudice moral pour les éleveurs.

Les mesures de protection, telles que le gardiennage renforcé, les parcs de regroupement et pâturage électrifiés, les chiens de protection, sont encore plus coûteuses : leur montant s'élève à 8,8 millions en 2011, il est six fois supérieur à celui des indemnisations. Ces mesures présentent, par ailleurs, des limites environnementales et sanitaires et des effets pervers (maladies liées au piétinement lors du parcage nocturne, atteinte à la biodiversité, baisse de rendements, etc.)

Aussi nous a-t-il semblé utile de poser enfin les conditions d'une gestion responsable des prédateurs.

Tout d'abord, nous prenons position dans le débat autour du statut du loup, « espèce strictement protégée » au regard de la convention de Berne du 19 septembre 1979. Notre proposition est simple : reclasser le loup de l'annexe 2 vers l'annexe 3 de la convention, pour en faire une « espèce protégée simple ».

Dans une autre proposition, nous rappelons la nécessité d'un strict respect du principe d'une concertation approfondie préalablement à toute réintroduction d'espèces menacées d'extinction. Ce principe n'a pas été respecté lors de la réintroduction d'ours de Slovénie dans les Pyrénées.

Enfin, et surtout, nous proposons de poursuivre au Parlement, jusqu'à son adoption définitive, la discussion de la proposition de loi visant à créer des zones de protection renforcée contre le loup qui a été votée à une très large majorité par le Sénat le 30 janvier 2013.

Notre dernière proposition sur le sujet invite à prendre des mesures efficaces dans le cadre d'une réglementation appropriée, afin de permettre la régulation des loups par des prélèvements suffisants. Ceci implique d'ajuster le niveau des prélèvements à la réalité démographique de la population lupine, à ne pas hésiter à recourir aux sociétés de chasse et à autoriser plus largement les tirs, hors du voisinage immédiat des troupeaux et durant la saison d'hiver, où il est plus facile de pister le loup.

M. André Vairetto, co-rapporteur. - Je vais développer les trois derniers chapitres du rapport, relatifs à la forêt, l'eau et le tourisme en montagne.

La forêt de montagne peut globalement être considérée comme une ressource naturelle sous-exploitée en France. Ses spécificités sont marquées : les massifs forestiers en altitude sont plus étendus, variés et denses qu'en plaine, et présentent une grande sensibilité au changement climatique. La forêt de montagne est d'une exploitation difficile : les dessertes sont insuffisantes, les coûts élevés, la propriété morcelée et l'économie de la filière dégradée.

Pourtant la mobilisation du bois en forêt de montagne est un enjeu d'intérêt national, car les volumes disponibles y sont particulièrement importants, et leur exploitation effective conditionne le succès des objectifs du « Grenelle de l'environnement » pour le bois-énergie, comme celui des objectifs du plan forêt-bois pour le bois d'oeuvre.

L'impact de l'érosion des dotations budgétaires de l'ONF, déjà évoqué pour le RTM, est aussi très négatif sur la forêt de montagne. En effet, sous la contrainte budgétaire, l'office réduit ses interventions, en particulier dans les forêts les moins accessibles et les moins rentables, c'est-à-dire celles de montagne.

Notre première proposition consiste donc à demander le maintien à un niveau suffisant des crédits budgétaires de l'ONF, pour maintenir sa capacité d'intervention dans les forêts de montagne. Nous demandons aussi que le niveau des aides financées par le nouveau Fonds stratégique de la forêt et du bois, inscrit dans la loi de finances initiale pour 2014 et consacré par la loi d'avenir agricole et forestière en cours de discussion au Sénat, tienne compte des surcoûts inhérents à l'exploitation de la forêt en montagne.

La loi d'avenir comporte aussi des mesures pour dynamiser la gestion de la forêt privée, telles que le groupement d'intérêt économique et environnemental forestier (GIEEF), ou les droits de préférence et de préemption des communes forestières. Nous préconisons plusieurs mesures complémentaires propres à la forêt de montagne.

Une proposition de planification stratégique consiste à mettre en place des plans d'approvisionnement territoriaux forestiers par massif, à l'échelle de chaque vallée.

Pour le développement des dessertes forestières en montagne, nous formulons deux propositions : une première proposition consistant à généraliser le préfinancement, par des avances remboursables, des travaux d'exploitation dans les zones difficiles d'accès, notamment par câble. Des expérimentations fructueuses de tels fonds d'amorçage ont été menées par les collectivités, notamment en Savoie. Une deuxième proposition consiste à généraliser, dans le cadre d'une gestion au niveau des massifs, en associant tous les acteurs et en prenant en compte tous les usages de la forêt, des schémas de desserte par piste ou câble qui intègrent les contraintes environnementales.

Enfin, prenant en compte les qualités mécaniques exceptionnelles du bois récolté en montagne, nous faisons une dernière proposition pour favoriser les démarches de labellisation de type « bois des Alpes » ou « bois de Chartreuse ».

Le chapitre suivant est consacré à l'eau en montagne. Il est inutile que j'insiste sur le rôle fondamental des massifs pour la ressource en eau, la montagne constituant le « château d'eau » du pays. Là aussi, les effets prévisibles du changement climatique sont inquiétants, un climat plus chaud et plus sec se traduisant à terme par des ressources en eau moins abondantes.

Nous avons consacré une partie de ce chapitre à l'hydroélectricité, l'« or bleu » de la montagne. Aujourd'hui, le potentiel de notre pays est presque totalement exploité, avec une grande hydroélectricité concentrée en zone de montagne, mais encore un certain potentiel supplémentaire pour la petite hydroélectricité.

La conciliation entre l'hydroélectricité et les impératifs environnementaux est parfois délicate. Elle est plus ou moins bien assurée par les deux principes du « débit réservé » et du « rétablissement des continuités piscicoles ». Les « transports sédimentaires » générés par les installations hydroélectriques, qui dégradent les lits des cours d'eau, sont un problème que nous avons essayé de traiter par la proposition suivante : imposer aux exploitants d'aménagements hydroélectriques de participer financièrement aux mesures préventives ou curatives permettant d'éviter les évolutions du lit des cours d'eau dans le tronçon « court-circuité » imputable à son aménagement et préjudiciables à l'intérêt général.

Nous abordons ensuite le sujet de la neige en stations, qui apparait comme un filon d'« or blanc » menacé, car la réduction tendancielle de l'enneigement naturel ne peut être entièrement compensée en lui substituant de la neige de culture. Cette pratique, aujourd'hui généralisée en stations, appelle des précautions particulières :

- une première proposition suggère d'améliorer la connaissance des étiages et des usages par une généralisation des observatoires locaux de la ressource en eau ;

- une deuxième proposition recommande d'utiliser les outils existants, de type Schéma d'aménagement et de gestion des eaux, pour assurer la cohérence des usages de l'eau, notamment au regard de la neige de culture ;

- une troisième proposition conseille de s'assurer que les études d'impact prennent en compte tous les problèmes liés à l'environnement des retenues collinaires utilisées pour la neige de culture (paysages, périodes de remplissage, zones humides).

Le dernier chapitre est consacré au tourisme, en tant que mode privilégié de mise en valeur de l'environnement montagnard.

En montagne, l'offre touristique est scindée en deux saisons : une saison d'hiver assez longue, sur quatre à cinq mois, mais très concentrée géographiquement, et une saison d'été plus diffuse géographiquement, mais plus courte, sur les deux mois de juillet et août.

Le tourisme est un enjeu économique fondamental pour la montagne : une source d'emplois nombreux, une contribution essentielle au dynamisme des économies locales ; il est caractérisé par des investissements très lourds pour le ski.

Mais la fréquentation de la montagne fléchit : celle-ci n'est plus que la quatrième destination, après la mer, la campagne, et la ville. Les raisons de cette relative désaffection sont multiples : crainte que l'enneigement ne soit pas au rendez-vous, offre trop standardisé des grandes stations de ski, concurrence des « destinations soleil » l'hiver, concurrence du tourisme urbain l'été. Enfin, l'image de la montagne est trop souvent celle d'un certain élitisme et d'un danger omniprésent.

Nous avons voulu traiter de manière approfondie les difficultés de l'immobilier touristique en montagne.

Depuis des années les stations sont engagées dans une fuite en avant : elles construisent toujours plus pour assurer leur fréquentation. Je suis favorable à un «Grenelle de l'immobilier touristique en montagne », qui mettrait tous les acteurs autour de la table dans une perspective de développement durable. Il est devenu urgent de passer de la construction à la réhabilitation, puis à l'exploitation.

Un premier problème est celui de l'obsolescence relative de la procédure des unités touristiques nouvelles (UTN). Instaurée en 1977, cette procédure posait le principe d'une construction regroupée autour des urbanisations existantes et assurait un contrôle centralisé de l'État sur les projets touristiques en montagne. Elle a été progressivement réintégrée dans le droit commun de l'urbanisme et distingue aujourd'hui entre les projets d'incidence locale et ceux d'incidence régionale, examinés au niveau du massif.

Notre première proposition consiste à simplifier la procédure UTN pour les projets de moindre envergure, qui devraient être examinés au niveau du département et non plus du massif.

Depuis que la loi de développement des territoires ruraux de 2005, dite « loi DTR », a prévu l'inscription des UTN dans les SCoT, il apparaît nécessaire de maintenir une cohérence d'ensemble.

Une autre de nos propositions suggère d'évaluer les effets de la réforme de la procédure UTN par la loi DTR, notamment sur la cohérence d'ensemble des projets touristiques inscrits dans les différents SCoT couvrant un même territoire.

La multiplication des « lits froids » en stations est un phénomène particulièrement inquiétant. Il nous paraît urgent d'en améliorer la connaissance, avec une première proposition suggérant de créer des observatoires départementaux pour connaître la dynamique du parc immobilier, dans la perspective de la définition d'une stratégie globale d'intervention.

Il faut aussi donner aux élus un meilleur contrôle des flux de lits nouveaux et des destinations des terrains. Une autre proposition préconise de modifier le code de l'urbanisme pour créer une sous-catégorie de zonage en « hébergements touristiques banalisés », tels que hôtels, clubs de vacances, ou résidences de tourisme, afin de permettre aux communes de s'assurer de la pérennité marchande des lits touristiques.

Nous formulons deux propositions d'outils nouveaux pour la rénovation du parc existant. La première consiste à généraliser la mise en place de sociétés foncières pour la réhabilitation de l'immobilier de loisirs, en mobilisant l'épargne locale. La deuxième consiste à recourir à la procédure du bail à réhabilitation pour convaincre les propriétaires privés de rénover leurs biens dégradés.

Nous avons également deux propositions pour moduler et réorienter les incitations fiscales. La première tend à ouvrir aux communes la possibilité de moduler la taxe foncière, en fonction du taux d'occupation sur la saison de chaque logement touristique. La deuxième consiste à supprimer les incitations fiscales existantes pour l'investissement locatif dans l'immobilier de loisir neuf, et à instaurer un dispositif fiscal incitant à la réhabilitation du parc locatif existant, sous la condition d'une obligation de mise en location d'une durée au moins égale à quinze ans.

Pour finir, nous évoquons trois axes d'améliorations possibles pour le tourisme en montagne.

La reconquête des nouvelles générations apparaît nécessaire, face à l'inquiétante désaffection des jeunes pour la montagne. Pour cela, il faut relancer les classes de découverte ou classes de neige. À cet effet, nous suggérons d'assurer, au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation, une formation aux enseignants pour les classes de neige et les classes de découverte. Nous proposons également de développer les échanges institutionnalisés entre collèges de ville et collèges de montagne.

Enfin, dans le débat sur la date des vacances de printemps, trop tardive, qui ampute la fin de la saison de ski, nous prenons position par une demande de stabilisation des règles du calendrier scolaire, en faisant coïncider les vacances de printemps avec le mois d'avril.

Tous les professionnels du tourisme soulignent la nécessité pour la montagne de proposer une offre de loisirs plus diversifiée et une pratique touristique plus « douce ». Encore faut-il, comme condition préalable, que la tranquillité de l'environnement montagnard soit préservée. C'est pourquoi nous proposons que soient expérimentées les « zones de tranquillité » prévues par la Convention alpine.

Enfin, nous avançons deux propositions pour l'amélioration du statut des travailleurs saisonniers, problème récurrent du secteur touristique en montagne. Le problème du logement des saisonniers est particulièrement aigu en stations. Notre proposition consiste à faire bénéficier de la possibilité de déduire la TVA sur les travaux les employeurs, ou groupements d'employeurs, qui construisent des logements pour leurs saisonniers.

Nous proposons aussi d'encourager le développement des groupements d'employeurs des saisonniers, grâce à un système de portabilité entre groupements des droits individuels acquis par les saisonniers.

Au terme de cette présentation, nous avons bien conscience que notre réflexion sur les enjeux relatifs au patrimoine naturel de la montagne ne peut pas prétendre à l'exhaustivité. Nous avons plutôt procédé à des « coups de projecteurs » sur tel ou tel aspect du sujet qui nous a paru mériter de retenir l'attention.

En ce qui concerne nos propositions, nous nous sommes efforcés de leur conserver un caractère concret et opérationnel, sans perdre pour autant de vue les objectifs stratégiques plus vastes que ces propositions visent à atteindre.

La thématique environnementale nous a conduits à traiter de multiples aspects de la politique de la montagne mais de nombreux autres aspects de celle-ci, non moins importants et dignes d'attention, n'ont pas pu être évoqués en détail.

Pour la dimension économique et sociale de la politique de la montagne, je veux mentionner plusieurs dossiers qui restent de la plus haute importance :

- l'aménagement numérique des territoires de montagne, souvent peu densément peuplés mais néanmoins fréquentés ;

- le désenclavement prioritaire par la route et par le fer de certains territoires de montagne bien identifiés par la commission Mobilité 21 ;

- le maintien d'une carte scolaire adaptée à la réalité humaine et géographique de territoires où les temps de déplacement ne sont pas ceux de régions au relief moins accidenté ;

- la lutte contre les déserts médicaux, plus urgente encore en montagne que dans d'autres zones rurales plus accessibles.

Pour la dimension institutionnelle et législative de la politique de la montagne, je peux aussi évoquer plusieurs sujets :

- l'affinement des critères du classement en zone de montagne, qui conditionne le bénéfice d'aides spécifiques ;

- la question des institutions propres à la montagne, principalement le conseil national de la montagne et les comités de massifs, qui mériteraient d'être rénovés et dynamisés ;

- l'impact des nouvelles lois de décentralisations, récemment votées ou à venir, sur des territoires de montagne qui, en dépit de leur étendue et de leur faible densité de population, possèdent une identité très forte qu'il serait contreproductif de diluer, voire d'effacer ;

- l'opportunité d'une mise à jour de la loi Montagne, avec l'examen par le Parlement d'un nouveau texte législatif spécifique suffisamment complet et ambitieux.

Pour conclure, reconnaissons que la beauté des paysages, la variété de la faune et de la flore, l'abondance des ressources du patrimoine naturel de la montagne, font de celui-ci un véritable « trésor national », dont les richesses s'offrent aujourd'hui à tout un chacun, mais doivent aussi, par-delà les aléas du changement climatique, pouvoir être transmises aux générations futures.

M. Raymond Vall, président. - Merci pour cette présentation d'un rapport riche en propositions.

M. Charles Revet. - Je tiens à complimenter les rapporteurs pour leur analyse très intéressante. Je souhaite revenir sur la situation de l'agriculture en montagne. On constate que les agriculteurs sont de moins en moins nombreux dans ces zones difficiles : en reste-t-il assez aujourd'hui pour pérenniser l'activité ? Avez-vous pu analyser les raisons de cette évolution ? La même question se pose pour la forêt qui est sous-exploitée tant en bois de chauffage qu'en bois d'oeuvre.

Je profite de cette intervention pour vous interpeller, Monsieur le Président, sur l'absence de suivi de nos rapports. Je suis marri de voir que malgré notre volonté de changer les choses, l'administration ne tient pas compte des propositions qui figurent dans les rapports parlementaires. Comment pouvons-nous collaborer avec la Cour des Comptes pour s'assurer que nos préconisations seront suivies d'effet ?

M. Raymond Vall, président. - Je partage ce constat. Peut-être pourrions-nous entériner le principe d'une audition obligatoire du ministre concerné après chaque sortie de rapport, afin de porter à sa connaissance les propositions qui ont été formulées ? Nous pouvons aussi envisager de publier moins de rapports, pour que chaque parution bénéficie d'un véritable suivi, en collaboration avec les rapporteurs et les services de l'État.

M. Alain Fouché. - Il y a un désintéressement évident de Paris pour la province et le reste du territoire. Les élus locaux que nous sommes connaissent les particularités de leurs territoires : je regrette que les technocrates de l'administration centrale ne suivent pas les recommandations que nous émettons dans les rapports.

M. Benoît Huré. - Je partage cette opinion. Les élus locaux tentent de faire remonter des réalités vécues et de proposer des solutions adaptées à leurs territoires : malheureusement, ils sont trop peu souvent écoutés.

M. Vincent Capo-Canellas. - Je m'interroge sur les moyens dont nous disposons pour interpeller l'administration et le Gouvernement. Les missions communes d'information ou les commissions d'enquêtes ne permettraient-elles pas que l'on soit mieux entendu ? Les rapports d'information ne suffisent pas, car ils ne permettent pas de comprendre certains mystères, comme les dysfonctionnements de la ligne B du RER malgré les importants fonds investis...

Mme Esther Sittler. - Je remercie Hélène Masson-Maret et André Vairetto pour leur rapport fourni et dense, qui m'interpelle à plus d'un titre. Je suis particulièrement préoccupée par la fonte des glaciers suisses, qui alimente les eaux souterraines d'Alsace.

Le changement climatique entraîne de multiples conséquences sur l'environnement, et notre rôle d'élus est d'être dans une démarche prospective. Pourquoi notre commission ne lance-t-elle pas une grande réflexion sur les effets du changement climatique ?

M. Raymond Vall, président. - Plusieurs organismes comme l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), Météo France, l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) et le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), ont déjà été sollicités par la commission sur cette question. Ils devraient nous fournir des éléments de réponse et des fourchettes de prévision dès le mois d'avril, que nous pourrons porter à connaissance des élus pour les aider à intégrer les conséquences du changement climatique dans leurs documents d'aménagement.

M. Michel Teston. - Je félicite à mon tour les deux rapporteurs pour les conclusions très intéressantes de leur travail. Toute les propositions tiennent comptent de deux problématiques majeures : d'une part, l'équilibre entre protection du milieu naturel et développement économique, d'autre part, l'adaptation de l'environnement montagneux au changement climatique.

Je souhaite revenir sur les problèmes posés par les « lits froids », ces logements vacants une grande partie de l'année. Peut-on envisager la mise en place de quotas, pour conserver un équilibre entre résidences principales et résidences secondaires, comme cela est déjà fait en Suisse ? Je m'interroge également sur les possibilités d'accueillir plus de touristes en moyenne montagne, quitte à développer plus d'accès aux stations : cela permettrait d'équilibrer l'urbanisation entre moyenne et haute montagne. Enfin, le développement de nouvelles activités en haute montagne favoriserait l'attraction hors des pics saisonniers : est ce une piste à examiner ?

Les parcelles de montagne, particulièrement morcelées et difficiles d'accès, rendent l'exploitation forestière compliquée. Quelles mesures peut-on envisager pour pallier ces difficultés de gestion, limiter le morcellement forestier, et tirer parti de ce patrimoine exceptionnel ?

M. Marcel Deneux. - Je complimente également nos collègues pour ce rapport. La montagne évoque pour beaucoup d'entre nous les stations de sport d'hiver des Alpes ou des Pyrénées. Il ne faudrait pas oublier le Massif Central, les Vosges, le Jura : quelles propositions formulez-vous pour ces massifs ?

Je partage l'opinion de mes collègues sur l'agriculture et la gestion de la forêt en montagne, et leur questionnement sur l'équilibre entre protection environnementale et développement économique.

Par ailleurs, on assiste à une dessaisonalisation du climat aux conséquences néfastes sur la biodiversité. Les mutations de la faune sauvage observées dans les massifs orientés nord-sud ne sont pas les mêmes que celles constatées dans les massifs orientés est ouest : des réponses adaptées à chaque cas doivent donc être apportées. D'une manière générale, on assiste à une remontée vers le nord de certaines espèces, comme c'est le cas d'un parasite signalé il y a quelques années dans les Landes et qu'on retrouve aujourd'hui en Bretagne.

Je souhaite insister sur la nécessité de maintenir une activité économique en montagne, notamment agricole. Au Tyrol, la politique fiscale mise en place pour soutenir à la fois l'agriculture et le tourisme a porté ses fruits : nous n'avons malheureusement pas été capables en France de reproduire ce schéma. Je pense qu'il faut développer la mécanisation du travail agricole en montagne, grâce à des outils spécifiques comme il en existe ailleurs en Europe.

Nous pourrions par ailleurs imposer quelques contraintes d'aménagement à certains petits exploitants d'hydroélectricité, sans compromettre leur activité qui affiche une forte rentabilité. Une partie des bénéfices de ces centrales pourrait soutenir l'agriculture locale.

Enfin, je pense que nous gagnerions à auditionner Jean-Louis Bianco, énarque amoureux de la montagne qui vécut quelques temps au Queyras, avant d'occuper des fonctions haut placé de la République. Il n'a jamais réussi à faire passer ses idées sur la montagne, et en comprendre les raisons nous permettrait d'envisager d'autres pistes pour nous faire entendre sur le sujet !

Pour terminer, je suis d'accord sur la nécessité de mettre en place un suivi de nos rapports. Je pense que nous n'exploitons pas assez le potentiel des questions écrites au Gouvernement.

M. Raymond Vall, président. - C'est effectivement une piste à creuser. Le Bureau pourrait se réunir tous les trimestres pour faire le point sur ce suivi et déposer, le cas échéant, des questions au nom de la commission.

M. Alain Fouché. - Je suis heureux de voir nos collègues si passionnés par la défense de la montagne !

Je voudrais revenir sur la problématique posée par la réintroduction des ours et des loups qui créent des dommages, tant chez les animaux que chez les hommes. Combien a coûté leur importation ? Comment réguler leur population ? Pourrait-on envisager de restreindre leur espace de liberté, afin de protéger les troupeaux ?

M. Rémy Pointereau. - Je salue l'excellent travail effectué par les rapporteurs. Ma première question concerne l'agriculture. Le pastoralisme permet à la fois le maintien des populations et l'entretien des territoires. Cette pratique essentielle est cependant confrontée aux soucis engendrés par une population lupine grandissante. Vos propositions sur ce sujet s'inspirent-elles de la proposition de loi Bertrand, qui avait proposé un plan de chasse pour mieux réguler la présence du loup ?

Par ailleurs, l'actualité dramatique récente du déraillement du train des Pignes, entre Nice et Digne, en raison d'un éboulement, pose la question de la gestion des aléas climatiques propres à la montagne. Quelles mesures de prévention suggérez-vous contre les avalanches, éboulements et coulées de boues?

Mme Hélène Masson-Maret, co-rapporteure. - Concernant l'agriculture de montagne, elle dispose, vous le savez, d'aides majorées. Nous avons pu constater au cours de nos auditions un retour à la montagne, plus spécifiquement dans l'agriculture de niche, avec notamment de nouvelles plantes résistantes au climat de montagne qui ont un coût intéressant sur les marchés. Cela permet aux exploitants de vivre et survivre. Avec la création des communautés de communes, il est désormais possible d'associer les éleveurs autour de petites exploitations, soit pour revitaliser celles qui existent, soit pour en lancer de nouvelles. Nous avons rencontré une présidente de communauté de communes qui a créé un lieu d'apprentissage pour cette nouvelle agriculture.

Sur le rapport de Jean Jouzel, nous sommes tous d'accord. Il y a des incertitudes au niveau de l'interprétation des études sur le changement climatique. Malgré tout, la tendance générale va vers un réchauffement, il faut en tenir compte.

M. Marcel Deneux. - Vous prêchez un convaincu, mais je n'affirmerais plus aujourd'hui ce que j'ai pu écrire il y a dix ans à ce sujet.

Mme Hélène Masson-Maret, co-rapporteure. - On nous annonçait que certaines stations de ski devaient péricliter, je vois dans ma région que ce n'est pas le cas. Il nous faut être prudents.

Concernant le droit de suite des rapports parlementaires, si ce rapport peut permettre de mettre en avant certaines problématiques, j'en serais ravie.

Sur la question des prédateurs, mon département est extrêmement concerné par le problème des loups, c'est un sujet qui me touche directement. L'association des élus de la montagne nous a toutefois alertés et nous a recommandé de ne pas parler que des loups, mais également du problème de l'ours. Au Sénat, plusieurs collègues ont déposé des propositions de loi, des amendements sur le loup. La proposition de loi d'Alain Bertrand a été votée récemment. Il faut faire en sorte qu'elle aille à son terme. Le débat se situe essentiellement entre ceux qui veulent gérer le problème des loups en organisant des prélèvements, et ceux qui souhaitent encourager les mesures de protection des troupeaux.

Nous souhaitons pour notre part une révision de la convention de Berne, qui a classé les loups en espèce strictement protégée, ce qui correspond à la classe 2. Nous plaidons pour un déclassement en classe 3, espèce protégée simple. Cela éviterait beaucoup de problèmes administratifs pour les prélèvements qui sont nécessaires. Dans la classe 2, le loup est protégé strictement : on ne peut ni le tuer bien sûr, ni nuire à sa quiétude dans son habitat. L'article 9 de la convention prévoit simplement, sous certaines conditions, lorsque les troupeaux ou même l'homme sont en danger, qu'on puisse prendre des mesures de destruction. La catégorie 3 ouvre davantage de possibilités de prélèvements.

Au niveau national, nous avons le plan loups, qui permet 24 prélèvements cette année. Le problème est qu'on ne lui donne pas les moyens d'être mis en oeuvre. Nous ne sommes qu'à cinq prélèvements effectués aujourd'hui.

Cette situation met en danger l'agropastoralisme, qui est non seulement une économie de la montagne, mais représente aussi une identité culturelle, je pense à la fête des transhumances et à beaucoup d'autres choses. On ne peut pas mésestimer cette perte substantielle de culture régionale.

La Suisse a demandé en novembre 2013 le déclassement du loup en catégorie 3. Le comité de la convention de Berne a refusé. Si plusieurs nations font remonter le même message et soutiennent ce déclassement, la demande aura plus de chances d'aboutir. Pour obtenir le déclassement, il faut que l'espèce ne soit plus en situation de disparaître. Le comptage officiel fait état d'une population de 250 loups, ce qui est un nombre suffisant pour garantir son maintien. Le comptage officieux fait lui état de 400 à 450 loups.

Concernant les dommages dus au changement climatique et les coulées de boue que vous avez évoquées, des travaux colossaux ont été faits dans ma région. On ne peut cependant pas tout contrôler. La vallée de Valberg qui mène aux stations de ski a engagé des travaux d'enrochement sur des kilomètres et des kilomètres, cela a coûté une fortune. On ne peut pas dire que les gens n'aient pas conscience des travaux à réaliser.

M. André Vairetto, co-rapporteur. - Sur l'agriculture de montagne, je voudrais rappeler qu'elle est caractérisée par des productions sous signe de qualité, ce qui permet de générer des plus-values significatives.

M. Marcel Deneux. - Les AOC de montagne n'ont pas la même intensité dans les montagnes d'une certaine altitude que dans les bassins moyens. Il n'y a pas d'AOC dans les Vosges, très peu dans le Massif central.

M. André Vairetto, co-rapporteur. - En montagne, une organisation de coopérative permet de maîtriser l'ensemble du processus et de ne pas être dépendant de structures industrielles agroalimentaires, ce qui n'est pas anodin. L'agriculture de montagne est accompagnée depuis très longtemps. On a parlé tout à l'heure des ICHN, les indemnités compensatoires du handicap naturel, instaurées dans les années 1970 et qui témoignent du rôle essentiel de l'agriculture dans le maintien des paysages et de la qualité de ce patrimoine naturel. La politique agricole encourage aujourd'hui la montagne, par l'augmentation des ICHN, par la convergence des aides. Cet accompagnement est significatif.

Concernant la forêt, elle est sous-exploitée en montagne pour des raisons bien connues. Elle est plus difficile à exploiter du fait de pentes plus abruptes. Elle est très morcelée, et à 71 % privée. Des perspectives d'amélioration s'ébauchent dans la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Nous avons émis des propositions dans le rapport, notamment la mise en place du règlement du foncier bâti tous les cinq ans pour les terres forestières. Aujourd'hui, pour moins de quarante euros, le recouvrement du foncier non bâti ne s'opère pas. Notre proposition obligerait donc les propriétaires à s'intéresser à leur propriété, avec une exonération du foncier dès lors qu'il est exploité, ou avec un dispositif de crédit d'impôt pour les frais de bornage. En effet, très souvent, la difficulté que connaissent les propriétaires est d'identifier le lieu où se situe leur parcelle.

Les « lits froids » constituent une problématique majeure. Ce modèle de développement atteint ses limites. On a trop construit, alors que chaque année, une partie de ce qui est déjà construit échappe à la commercialisation, soit parce que les propriétaires sont dans une logique patrimoniale ou de loisir personnel, soit parce qu'un certain nombre d'opérations immobilières arrivent à leur terme de location. Il faut encourager la réhabilitation, et passer d'un dispositif de construction à un dispositif d'exploitation.

Sur le suivi des rapports, il est possible de demander un débat en séance publique. Il serait intéressant de faire la demande pour ce rapport afin d'engager un débat avec la ministre.

Mme Hélène Masson-Maret, co-rapporteure. - J'ai déposé une question écrite au mois de mai dernier concernant le loup, sans réponse malgré des relances. Je compte poser une question orale au mois de mai prochain. Il y a urgence pour nos élevages avec l'arrivée du printemps.

M. Marcel Deneux. - Avec un peu de chance vous aurez une réponse du ministre des relations avec le Parlement...

M. Michel Teston. - Sur la question du loup, nous avons eu l'occasion de débattre en séance lors de l'examen de la proposition de loi d'Alain Bertrand. Ce texte a divisé largement, y compris au sein du groupe socialiste. J'avais précisé les raisons pour lesquelles la proposition de loi me paraissait totalement inapplicable. J'avais posé la question de sa constitutionnalité. Comment décréter le loup indésirable sur un territoire, où on pourra le tuer librement, tandis que cela serait impossible dans le territoire voisin ? Ce texte introduisait une disparité totale de traitement entre les citoyens, sans parler de l'incompatibilité avec la convention de Berne ainsi que la directive habitats. Ces raisons m'avaient conduit à considérer ce texte inacceptable. Le Sénat s'est prononcé différemment. Je ne sais pas s'il sera examiné à l'Assemblée nationale.

Depuis ces débats, j'ai oeuvré pour que le plan loups prévoie un nombre de prélèvements beaucoup plus important que le précédent plan. J'ai par ailleurs écrit aux trois ministres concernés, de l'agriculture, de l'écologie et des affaires européennes, pour demander le déclassement du loup de l'annexe 2 et son classement à l'annexe 3 de la convention de Berne, au motif qu'il y a en Europe un nombre suffisant de loups. Je n'ai pas de réponse pour l'heure, mais j'ai fait cette demande en tant que parlementaire de l'Ardèche, département qui a été concerné par les attaques d'un ou deux loups, sur la partie de la montagne ardéchoise qui jouxte la Lozère.

La commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

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