V. QUELQUES PRÉCONISATIONS POUR AMÉLIORER LE CONTRÔLE DE LA PUBLICATION DES TEXTES D'APPLICATION

Quelques-unes des difficultés méthodologiques pointées dans la première partie de ce rapport -en particulier celles qui tiennent à l'absence d'homogénéité des techniques de décompte- pourraient être partiellement aplanies sans nécessiter de refonte totale des procédures en vigueur. C'est dans cet état d'esprit que le Président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois croit utile de suggérer cinq préconisations susceptibles d'améliorer l'efficacité du contrôle et pouvant être mises en oeuvre assez rapidement.

1. Harmoniser la présentation des bilans établis chaque année par les commissions permanentes

Les observations détaillées sur l'application des lois pour 2011-2012 produites par chacune des sept commissions permanentes pour les textes de leur domaine de compétence (reproduites dans la troisième parie du présent rapport) représentent une source d'information et un instrument d'analyse très précieux, mais dont la présentation, jusqu'à présent peu homogène, ne facilite pas l'exploitation et les comparaisons.

Certes, quelques indicateurs statistiques sont traités à l'identique d'une commission à l'autre, et la période de référence -fixée, comme il a été indiqué précédemment, en coordination avec le Secrétariat général du Gouvernement- est la même pour tous les bilans. Mais il serait envisageable d'aller plus loin dans le sens de l'harmonisation.

Ainsi, sans remettre en cause la totale autonomie de chaque commission permanente dans la détermination de ses méthodes de travail, sans doute serait-il judicieux que les bilans sectoriels annuels soient tous présentés selon un schéma-type commun, arrêté de concert entre les commissions permanentes et la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, et tenant par ailleurs compte -autant que possible- de la présentation standardisée des statistiques du Gouvernement.

2. Améliorer l'exploitation des rapports de l'article 67

Comme l'a reconnu le Secrétaire général du Gouvernement lors de son audition du 18 décembre 2012, les rapports dit « de l'article 67 » sont d'une qualité assez inégale : devant ce constat, la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois ne peut que souscrire aux efforts que le Gouvernement pourra déployer en vue de les améliorer. Mais ces efforts n'auront de portée que si, de leur côté, les assemblées parlementaires font en sorte de tirer réellement parti de ces rapports. Or, tel ne semble pas être assez le cas à l'heure actuelle.

C'est ainsi, par exemple, qu'à la différence des rapports présentés en application de dispositions législatives particulières -qui sont enregistrés dans la base APLEG et dont le suivi est assuré par chaque commission permanente compétente- les rapports de l'article 67 ne figurent pas dans APLEG, et sont simplement répertoriés dans un tableau récapitulatif tenu en interne par la direction de la Séance (et auquel n'ont donc accès, ni les commissions permanentes, ni la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois).

Au demeurant, le dépôt des rapports de l'article 67, bien que dûment annoncé en séance publique, passe souvent assez inaperçu, au point que certains sénateurs reconnaissent même en ignorer l'existence.

S'agissant de leur diffusion administrative interne, les rapports de l'article 67 sont désormais renvoyés à la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois et, pour information, à la commission compétente ; mais là encore, faute d'une procédure concertée, ces documents ne semblent pas faire l'objet d'un traitement systématique, de telle sorte que le rendement objectif de cet instrument d'information reste assez réduit.

On constate ainsi de manière symptomatique que ces rapports sont à peine évoqués dans les bilans annuels établis par les différentes commissions permanentes, dont le contrôle semble se limiter le plus souvent à un décompte purement statistique du nombre de rapports déposés ou restant en attente (la commission des Affaires sociales, par exemple, signale que tous les rapports attendus pour les lois adoptées durant la période de référence ont été transmis en temps utile et juge leur rythme de publication « très satisfaisant », mais sans ajouter le moindre commentaire quant à la pertinence desdits rapports).

Dans ce contexte, tout plaide donc pour une amélioration du traitement interne des rapports de l'article 67.

Pour assurer plus efficacement le suivi du dépôt de ces rapports -et sans préjuger les solutions procédurales qui pourraient être finalement retenues à cet effet- on pourrait aussi imaginer, par exemple, qu'un rappel systématique soit adressé aux ministères n'ayant pas présenté leur rapport d'application dans le délai de six mois imparti par l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004, d'abord par courrier puis, après de nouveaux délais d'inaction, par la voie d'une question écrite suivie, le cas échéant, d'une question orale, etc... De même, un rapport faisant état d'informations trop vagues pour être réellement utiles, pourrait donner lieu à demande de précisions supplémentaires sur les raisons réelles justifiant la non parution en temps voulu des textes réglementaires d'application.

3. Maintenir et approfondir les contacts avec le Secrétariat général du Gouvernement

Dès sa mise en place effective en janvier 2012, la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois a engagé des contacts confiants et constructifs avec le ministère en charge des Relations avec le Parlement et avec le Secrétariat général du Gouvernement qui, sous l'autorité du Premier ministre, exercent l'un et l'autre un rôle moteur dans l'animation de la procédure législative et dans la conduite de la politique légistique du Gouvernement. Dans ce cadre, plusieurs auditions et rencontres ont été organisées en 2012 et 2013, tant au niveau politique (auditions devant la commission sénatoriale du ministre et du Secrétaire général) que lors d'échanges et réunions de travail entre les services concernés.

De son côté, le Gouvernement s'est montré très ouvert aux initiatives de la nouvelle commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, en acceptant par exemple de prendre une part active à tous les débats en séance publique organisés à la demande de cette commission, que ce soit sur son bilan annuel sur l'application des lois (séance du 8 février 2012) ou sur les rapports d'information qu'elle a présentés sur l'application de plusieurs textes importants comme la législation sur le handicap et celle sur la communication et l'audiovisuel public (séances du 2 octobre 2012), sur la sécurité et la prévention du terrorisme (le 16 octobre 2012), sur le crédit à la consommation (le 19 novembre 2012), sur la couverture numérique du territoire (le 2 avril 2013), sur les universités (le 4 avril 2013) ou, tout dernièrement, sur la loi pénitentiaire (séance du 25 avril 2013).

L'application des lois étant par nature un domaine où le contrôle des assemblées parlementaires reste très largement tributaire des informations que leur fournit le Gouvernement, votre commission sénatoriale se félicite de ce courant d'échange et de considération mutuelle. Dans le respect, bien sûr, du principe de séparation des pouvoirs et des attributions constitutionnelles respectives du Parlement et du Gouvernement, il ne peut que faciliter l'exercice de notre mission de contrôle de la publication des textes réglementaires d'application des lois.

4. Tendre vers une meilleure convergence des données statistiques

Sur le plan technique, renforcer les contacts entre la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application et les administrations en charge de ce travail pour le compte du Gouvernement -notamment le Secrétariat général du Gouvernement- pourrait aussi contribuer à une meilleure convergence de leurs données statistiques respectives, atténuant certains écarts apparents entre les taux de mise en application déduits de la base APLEG et ceux publiés par le Gouvernement.

Un premier rapprochement dans ce sens pourrait ainsi consister à traiter de manière identique les décrets d'application de dispositions législatives qui ne sont pas encore entrées en vigueur au moment du décompte (notamment quand le législateur lui-même y a introduit une mesure d'entrée en vigueur différée, aux termes de laquelle « Le présent article entrera en vigueur à compter du.... »). En pareil cas, le Gouvernement considère que le délai de publication des décrets nécessaires ne commence à courir qu'à partir de l'entrée en vigueur effective de l'article en cause, conception juridiquement assez logique dès lors qu'on ne peut pas mettre en application une disposition législative qui n'est elle-même pas encore applicable. Inversement, les commissions permanentes jugent plus prudent d'enregistrer en une seule fois dans la base APLEG tous les articles des lois venant d'être promulguées, y compris ceux dont l'entrée en vigueur n'interviendra qu'après un certain délai. De ce fait, ces articles apparaissent immédiatement dans la catégorie des dispositions « non encore mises en application par le Gouvernement » et tirent artificiellement vers le bas le taux global de mise en application de l'ensemble de la loi. Sur ce point, un rapprochement des méthodes ferait disparaître les écarts signalés.

Dans la même optique, il serait sans doute souhaitable que le Gouvernement signalise plus clairement les décrets qu'il prend pour l'application de tel ou tel article de loi sans que le législateur ne l'y ait expressément invité, car il peut être parfois très difficile pour les commissions permanentes d'identifier comme tels ces décrets.

Enfin, face à certaines différences d'appréciation, il pourrait sembler utile que la commission compétente se rapproche du Secrétariat général du Gouvernement pour tenter d'arrêter une position commune.

C'est ainsi, par exemple, que la base APLEG continue de répertorier dans la catégorie « non applicable » l'article 8 de la loi n° 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l'identité, qui, dans sa version adoptée par l'Assemblée nationale en dernière lecture, prévoyait en effet un décret d'application pour l'ensemble des dispositions de ce texte, notamment les mesures de mise en oeuvre de ses articles 3 et 5 ; or, il se trouve que ces deux articles ont été déclarés non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision n °2012-652 DC du 22 mars 2012) et qu'ils ne figurent donc pas dans la version finale de la loi publiée au Journal officiel. Les autres articles subsistant étant par ailleurs déjà applicables, le Gouvernement considère de son côté que le décret prévu par l'article 8 n'a plus d'objet et -contrairement à la commission des Lois du Sénat- classe donc la loi sur la protection de l'identité dans la catégorie des lois totalement mises en application. Pour différentes qu'elles puissent paraître, ces deux approches ne traduisent pas une divergence irréductible d'appréciation, et pourraient peut-être faire l'objet d'une position commune.

5. Engager une réflexion sur la prise en compte des lois paraissant obsolètes

Comme il a été constaté précédemment, bon nombre de lois très anciennes sont vraisemblablement condamnées à ne jamais voir sortir leurs décrets d'application...

Cette question a fait l'objet de plusieurs interventions lors de l'examen du rapport en commission, « les lois anciennes jamais appliquées ayant montré qu'elles n'étaient sans doute pas indispensables », pour reprendre le propos du Président Jean-Jacques Hyest. Le règlement de cette question pourrait peut-être passer par une loi d'abrogation générale, mais cette perspective -à supposer qu'elle soit techniquement envisageable- n'est pas sans soulever beaucoup d'interrogations et exigerait en tout état de cause un consensus politique.

A défaut de faire disparaître ces dispositions de l'ordre normatif, on peut au moins mettre en doute l'opportunité de les maintenir dans le lot statistique des dispositions « restant à mettre en application » ; elles tirent les pourcentages vers le bas, alors que dans la plupart des cas, le Gouvernement en place n'est en rien responsable des retards accumulés par ses prédécesseurs et que dans l'intervalle, les priorités politiques ont changé.

Aussi, sans remettre en cause la force juridique des lois adoptées par le Parlement aussi longtemps qu'elles n'ont pas été modifiées ou abrogées, ne serait-il pas judicieux de comptabiliser séparément les textes frappés par une péremption de fait, et de ne plus considérer comme « non publiés » des décrets qui, en fait sinon en droit, sont en réalité tombés dans la catégorie des décrets « non publiables » ?

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