CHAPITRE I - LE CADRE LÉGISLATIF CONCERNÉ PAR LE RAPPORT : UN MILLE-FEUILLES ILLUSTRATIF DU DROIT ÉCONOMIQUE CONTEMPORAIN, DE SES PRINCIPES, DE SES OBJECTIFS ET DES DIFFICULTÉS DE LES ATTEINDRE

Au cours du temps, notre pays s'est doté d'une législation énonçant les objectifs, et les grands principes de leur économie, poursuivis en matière de télécommunications.

Ce processus a été étroitement influencé par une législation européenne consacrant la concurrence en tant que cadre institutionnel des activités du secteur.

Il n'exclut pas l'intervention publique et le Sénat a été particulièrement soucieux de préserver la capacité d'initiative et d'entraînement des collectivités territoriales, attentif qu'il est traditionnellement à l'égalité républicaine des territoires à laquelle elles contribuent avec force.

Mais, cette intervention n'en est pas moins confrontée à des limites, juridiques parfois, pratiques souvent.

Le cadre législatif que le présent rapport entend évaluer est fortement tributaire d'un cadre réglementaire défini par l'exécutif, généralement sur proposition de l'autorité de régulation nationale, l'ARCEP.

Il convient d'exposer les grandes lignes de cet encadrement réglementaire qui, pour être soumis à la loi, peut comporter des choix qui en « colorent » les effets. Par ailleurs, des décisions plus ponctuelles de l'Autorité de régulation nationale (ARN) peuvent exercer des effets majeurs sur les conditions de l'équipement numérique du territoire et sur le rôle qu'y jouent les collectivités territoriales, qui est au centre du présent rapport.

Cet ensemble normatif est éminemment influencé par le droit européen, non seulement parce que, là comme ailleurs, les grands principes du droit économique européen s'appliquent, mais encore parce qu'ils s'y appliquent avec un luxe particulier de détails.

Le secteur des télécommunications a offert son laboratoire à la politique de la concurrence européenne et à la construction d'une régulation à double cible : l'effectivité de la concurrence quand les conditions n'en sont, a priori , pas réunies, ou peuvent être faussées ; la prévention et la correction des effets des dysfonctionnements de la concurrence sur la production et l'innovation, quand elle pourrait être excessive.

Dans un contexte marqué par la perspective d'une refondation complète de cet équipement, dans le cadre du programme national du très haut débit, l'examen de l'adéquation entre les dispositifs législatifs et réglementaires et les objectifs d'une modernisation radicale des infrastructures de télécommunication est particulièrement urgent.

I. UN CADRE GÉNÉRAL MARQUÉ PAR LA CONSÉCRATION DES PRINCIPES ET DES INSTRUMENTS D'UNE ÉCONOMIE MIXTE DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

Le cadre législatif général des communications électroniques mérite d'être mentionné à titre préliminaire, ses dispositions ayant un effet majeur sur l'économie des infrastructures.

L'histoire économique est marquée par la tendance suivie depuis les années 80 à « libéraliser » des activités auparavant sous monopole.

Cette tendance, qui implique une sélection très stricte, voire une proscription, des occasions où l'intervention publique contribue directement à la production, est justifiée par ses promoteurs par des considérations d'efficacité économique exaltant les vertus de la concurrence et, au contraire, mettant en exergue les méfaits du monopole.

Globalement, celui-ci est considéré comme un obstacle à une optimisation de la production non seulement du bien ou du service dont il a la charge mais, plus encore, de la totalité du produit national.

Inversement, la concurrence, qui s'instaure sur des marchés purs et parfaits, garantit l'optimum par ses effets sur le couple prix quantité et par son impact structurel sur le niveau de l'innovation.

Ce sont ces arguments économiques qui sont au fondement des réformes institutionnelles qui ont bouleversé le secteur des télécommunications.

Notre droit est ainsi marqué par la préoccupation d'instaurer un régime de concurrence et d'ouverture de l'accès aux infrastructures .

Il n'en comporte pas moins quelques nuances sur ce point qui visent à surmonter les défaillances de marché.

Au total, le cadre législatif général des télécommunications instaure un contexte où la liberté de la concurrence prime mais peut perdre, quand nécessaire, sa suprématie, dessinant un équilibre dont les contours strictement légaux sont en partie indéterminés.

A. LA SUPERPOSITION D'OBJECTIFS ET DE PRINCIPES QUI SUPPOSENT UNE CONCILIATION DES CONTRAIRES INTERVENANT LE PLUS SOUVENT EXTRA LEGEM

Les objectifs et les choix de moyens que la législation nationale détermine pour le secteur des communications sont marqués par un certain nombre d'options de principe mais non sans que les conciliations soient prévues au nom d'un certain réalisme.

L'article L. 32-1 du Code des postes et des communications électroniques (CPCE) est le pilier de la législation des communications électronique en ce qu'il énonce les dix-sept grands principes et objectifs qui ordonnent l'action publique en matière de télécommunications. On mentionnera ceux qui ont une incidence suffisamment directe sur l'économie des infrastructures, à savoir :

- la fourniture et le financement du service public des communications électroniques (tel que défini au chapitre III du CPCE) ;

- l'exercice d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseaux et les fournisseurs de services de communications électroniques, concurrence qui porte sur la transmission des contenus et, lorsque cela est approprié , passe par la promotion d'une concurrence fondée sur les infrastructures ;

- le développement de l'emploi, de l'investissement efficace, de l'innovation et de la compétitivité ;

- dans le respect de la concurrence sur le marché et des principes de non-discrimination, la création d'un régime de partage des accès permettant de rémunérer le risque de l'investisseur et de le partager ;

- une gradation des mesures en fonction de la diversité des zones géographiques ;

- l'instauration, sous l'angle de la concurrence et de la consommation , de conditions d'accès aux réseaux et d'interconnexion garantissant la liberté de communication et l' égalité des conditions de la concurrence ;

- l'absence de discrimination entre opérateurs et fournisseurs de services de communications au public ;

- la prise en compte de l'intérêt de l'ensemble des territoires et des utilisateurs dans l'accès aux services et aux équipements ;

- le développement de l'utilisation partagée entre opérateurs des réseaux ouverts au public ;

- l'absence de discrimination dans le traitement des opérateurs ;

- la mise en place et le développement de réseaux et de services ainsi que d'interopérabilité des services au niveau européen ;

- le développement de la capacité des utilisateurs finals à accéder à l'information ainsi qu'à accéder aux applications et services de leurs choix.

La consécration des mécanismes de marché, alors même que s'exercent des positions monopolistiques, rend nécessaire l' intervention d'une régulation, qui a également pour vocation d'assurer la conciliation entre ces mécanismes et des objectifs que leur jeu peut ne pas permettre d'atteindre.

C'est pourquoi la fonction de régulation est d'emblée mentionnée. Elle est partagée entre le ministère chargé des communications électroniques et l'ARCEP qui doivent intervenir en respectant des conditions d'objectivité et de transparence, la régulation recourant à des mesures raisonnables et proportionnées aux grands objectifs susmentionnés .

En dehors de la reconnaissance d'une régulation (qui en soi manifeste la nécessité d'une intervention publique) le cadre législatif général affirme un certain nombre d'objectifs, essentiellement en lien avec des préoccupations d'égalité d'accès aux télécommunications, notamment territoriales, qui semblent anticiper des défaillances de marché et justifier par avance l'intervention de la collectivité publique pour les atteindre.

Enfin, l'existence d'un service public des communications électroniques est posée.

C'est un lieu commun que d'écrire que la loi ne peut pas tout (et peut-être aussi qu'elle ne doit pas tout vouloir).

Ce constat juridique et pratique s'impose particulièrement quand la loi est confrontée au défi d'organiser le fonctionnement d'activités économiques, nécessairement complexes et évolutives.

Il n'empêche que l'accumulation d'objectifs contradictoires est une réponse qui, pour permettre de sublimer des intentions légitimes mais butant sur les contraintes du réel, ne favorise ni l'autorité de la loi ni le sentiment d'un plein accomplissement de leurs missions chez les législateurs.

Elle conduit à déléguer à des tiers la responsabilité et le pouvoir d'établir des équilibres insuffisamment précisés au niveau législatif.

C'est là la dialectique que suit trop souvent la loi et qui a toujours justifié le contrôle de son application par le Parlement, sans que cette justification trouve systématiquement les prolongements qu'il aurait fallu.

Il faut donc se féliciter que votre Haute Assemblée soit désormais dotée de sa commission pour le contrôle de l'application des lois.

Le développement du contrôle parlementaire qu'elle permet est tout particulièrement nécessaire au droit économique d'autant que, dans les domaines qu'il recouvre, il arrive de plus en plus systématiquement que le gouvernement lui-même, qui est l'interlocuteur du Parlement dans le face-à-face auquel conduit l'exercice du contrôle général du Parlement, tend à s'effacer.

Sans doute garde t-il la parure de son autorité à travers les procédures administratives mais bien souvent, son pouvoir de décision s'affadit en un simple pouvoir d'homologation de décisions qu'il n'instruit, ni ne contrôle peut-être, comme les enjeux le justifieraient.

Le recours à des activités de régulation a sa légitimité technique. Cela ne suffit pas dans une démocratie où prime la légitimité politique .

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