2. Vers un équilibre de concurrence déséquilibrée

A ces constats, il faut en ajouter un ultime, mais tout à fait essentiel, pour relever que la situation qui s'était créée laissait présager une prévalence du motif concurrentiel dans les investissements des opérateurs privés, sur fond de capacités très inégales de concurrence .

Cette configuration laissait envisager des perspectives de déploiement éloignées d'un « modèle d'investissement d'aménagement du territoire » et proches d'un « modèle de desserrement de la concurrence par les infrastructures ». 16 ( * )

Autrement dit, on pouvait s'attendre à une forte concurrence entre les opérateurs mais une concurrence sur la base de conditions inégales, où l'hypothèse que l'un d'entre eux adopte une stratégie de « win back » 17 ( * ) au fond assez naturelle étant donné les évolutions du marché des télécommunications dans ses différents segments était d'emblée très forte.

Par rapport à cette situation, on fait valoir que les possibilités réglementaires de modération de la concurrence (telles qu'elles apparaissent dans le tableau ci-dessous) ont été saisies par les opérateurs.

Tableau récapitulatif de la réglementation applicable au FttH

Zones très denses

Poches de basse densité (Recommandation)

Zones moins denses (décision)

Périmètre

148 communes des 20 plus grandes agglomérations (6 millions de logements)

1,2 million de logements environ

Tout le reste du territoire (environ 16 millions de logements)

Taille minimale des points de mutualisation

Aucune

300 lignes

1.000 lignes (ou 300 par exception si l'opérateur propose de partager un réseau de fibre optique mutualisé jusqu'à un point de plus de 1.000 lignes, souvent le NRO)°

Localisation des PM

Possibilité à l'intérieur de la propriété privée pour immeubles de + de 12 logements

Sur le domaine public

Nombre de fibres par logement

Possibilité que chaque opérateur demande sa propre fibre jusque dans le logement (max 4 fibres)

Une seule fibre par logement

% moyen des coûts de déploiement mutualisés

> 50 %

> 90 %

Modalités de l'accès

Accès passif à la ligne - possibilité de co-investissement ( ab initio et ex-post)

Cohérence des déploiements

Aucune obligation

Obligation de cohérence de la découpe des points de mutualisation (consultation des collectivités et des opérateurs)

Complétude des déploiements

Aucune obligation

Couverture intégrale obligatoire (recommandée en PBD) de l'ensemble des logements de la zone arrière du point de mutualisation dans un délai raisonnable (2 à 5 ans)

Échanges d'information

Obligation d'échanges d'informations sur les immeubles fibrés, les points de mutualisation, ...

Source : Projet de feuille de route du THD - Janvier 2013

Le projet de feuille de route mentionne à cet égard qu'à la suite des annonces faites dans le cadre de l'AMI, plusieurs opérateurs tiers ont conclu des accords de commercialisation de leurs services sur les réseaux de France Télécom et SFR en dehors des zones très denses.

« Ainsi, le 20 juillet 2011, un accord a été conclu entre France Télécom et Free par lequel ce dernier s'engage à souscrire à l'offre de gros FttH de France Télécom en dehors des zones très denses. Cet accord porte sur une soixantaine d'agglomérations représentant 5 millions de foyers.

Le 15 novembre 2011, SFR et France Télécom ont également conclu un accord. En effet, sur les 11 millions de logements qui doivent être couverts par France Télécom-Orange et SFR en dehors des zones très denses, 9,8 millions correspondent à des agglomérations pour lesquelles les projets de déploiement des deux opérateurs se recoupaient. Au terme de cet accord, sur ces 9,8 millions de logements, SFR en réalisera 2,3 millions et France Télécom-Orange 7,5 millions.

Le 17 janvier France Télécom et Bouygues Télécom ont signé un accord de principe par lequel ce dernier s'engage à souscrire à l'offre de gros FttH de France Télécom en dehors des zones très denses . »

Ces accords ne semblent pas démentir l'analyse suggérée par vos rapporteurs .

En premier lieu, plusieurs témoignages pointant une application difficile de ces accords ont pu être recueillis lors des auditions préparatoires au présent rapport.

En second lieu, ces accords ne semblent faire que confirmer l'existence d'une compétition pour les parts de marché dans la zone concernée mettant en oeuvre les capacités inégales des opérateurs privés. Les parts de marché implicites à ces accords ne sont pas coïncidentes avec les parts de marché actuelles, des fournisseurs d'accès. On peut certes considérer qu'ils élargissent la partie du réseau devant appartenir aux opérateurs alternatifs puisque le réseau existant appartient à l'opérateur histoire. Mais une autre lecture est possible : celle d'un élargissement prévisible des parts de marché de l'opérateur historique, à partir des positions acquises par lui en tant que primo-investisseur.

Enfin, il faut souligner que ces zones ne couvrent évidemment pas les territoires moins rentables où les parts de marché des opérateurs sont singulièrement déséquilibrées.

Au demeurant, les conditions d'exploitation des investissements réalisés dans la zone d'intérêt des opérateurs privés y témoignent de situations de réservation des parts de marché particulièrement insatisfaisantes (voir ci-dessous).


* 16 Dont il n'est pas nécessaire de souligner qu'il est très éloigné du « modèle de concurrence par les infrastructures ».

* 17 Stratégie de contre-offensive qui consiste à chercher à regagner des positions de marché perdues au moyen d'autres armes que celles employées dans la phase de pertes des parts de marché.

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